Jizo de Mr Tan (Scénario), Mato (Dessin)
Catégorie(s) : Bande dessinée => Manga
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L'amour est plus fort que la mort
Ce n’est qu’après ma lecture que j’ai cherché à comprendre si « Jizo » renvoyait à la religion japonaise. Le titre est effectivement plein de sens. Dans la tradition du bouddhisme japonais, Jizo est une sorte de divinité qui protège l’esprit des enfants morts-nés ou morts très jeunes, qui n’ont pas eu le temps de vivre assez longtemps pour accomplir des bonnes actions capables de les sauver des Enfers. Ce manga, dont j’ai découvert (également après lecture) que le scénario était dû à Mr Tan, l’inventeur de « Mortelle Adèle » qui est une série à succès de la BD jeunesse (dont quelques fans enthousiastes ont d’ailleurs posté des notes sur CL !), est très respectueux de son sujet et de la pensée japonaise, mais il est aussi une belle et émouvante histoire d’amour et de mort, celles dont Denis de Rougemont disait qu’elles sont – quand elles sont réussies, et c’est le cas ici ! - les plus belles que l’esprit humain puisse inventer.
L'histoire s'ouvre sur un enfant solitaire (Aki), assis sur un banc dans un parc. Il pleure en silence tandis qu’il cherche en vain à se souvenir du chemin de sa maison et à retrouver ses parents, qui doivent s’inquiéter. Soudain, un garçon de son âge surgit à ses côtés et lui propose de l’aider : il s’appelle Jizo et semble posséder d’étranges pouvoirs, qui décontenancent et inquiètent Aki qui, après quelques instants, se met soudain à courir pour lui échapper… Mais la ville est étrange, à la fois familière et inconnue : Aki ne reconnaît pas les rues et les gens semblent totalement indifférents à son sort, comme s’il était devenu invisible. Puis, soudain, la nuit tombe, gravide d’une terrible menace car une énorme sorcière, nimbée d’un halo de ténèbres, traque les enfants perdus et les entrave dans ses chaînes pour se délecter de leurs peurs et souffrances…
Je n’en dirai pas plus, pour ne pas gâcher le plaisir de lecture de ce manga très réussi, qui rappelle irrésistiblement l’ambiance du magnifique dessin animé « Le voyage de Chihiro » (à travers la quête d’un enfant qui affronte un univers étrange et terrifiant pour retrouver ses parents) et aussi l’art de Jiro Tanugachi, notamment tel qu’il s’exprime dans « Un ciel radieux » (qui est aussi une belle histoire d’amour et de mort) et dans « L’homme qui marche » (notamment par l’attention portée aux paysages urbains, très bien dessinés, et à la tension presque contemplative des regards). Le dessin est élégant et subtil, et sert merveilleusement le texte. Le ressort du scénario, plein de sensibilité, est le combat de l’amour et de la mort, car c’est l’amour des vivants qui fait vivre l’esprit des morts. Tant que quelqu’un pense avec amour à celui qui est mort, prie pour lui et lui laisse une place dans son coeur, celui qui est mort n’est pas vraiment mort : une part de lui subsiste et continue à vivre dans les lieux et les êtres qu’il a aimés… La BD est pleine de silences, de regards plein de larmes, mais aussi de sourires plein d’espoir : ce pourrait être mièvre, comme le sont parfois les mangas quand ils dégoulinent de sentiments, mais ce ne l’est pas du tout. En effet, le scénario a trouvé le juste équilibre pour composer une belle et émouvante histoire, qui contient aussi du suspense (grâce aux ellipses et ruptures – parfois surprenantes - du scénario), des instants dramatiques et des échappées poétiques. Ainsi, quand Aki, surpris par le nombre d’étoiles qui scintillent dans le ciel, interroge Jizo, qui lui répond sur plusieurs cases, avec un joli effet de perspective qui mène vers le ciel nocturne dominant un temple (comme sur la couverture) :
Aki : Tu as déjà vu un ciel avec autant d’étoiles ?
Jizo : Ce sont / des pensées / des promesses / et des larmes aussi… / elles s’accrochent dans le ciel / et brillent pour qu’on ne les oublie pas
Je n’ai pas pu m’empêcher de songer à Novalis et à sa vision angélique de la nuit qui nous accueille dans la mort et nous berce de sa paix aimante, apaisant les souffrances et les angoisses de la vie terrestre. Mais ici, la tradition bouddhiste (ou shinto ?) se substitue à la pensée chrétienne et Jizo, après avoir sauvé Aki au terme d’un combat haletant, reprend sa mission auprès d’autres enfants.
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