La route de Manu Larcenet
Catégorie(s) : Bande dessinée => Sci-fi & fantastique
Moyenne des notes : (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : (3 748ème position).
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Lecture indispensable
C'est certainement l'album que j'attendais le plus cette année.
Certes, j'avais lu le roman il y a quelques années et je ne l'avais pas trouvé terrible à l'époque, mais j'avoue que j'avais hâte de découvrir la version de Larcenet. J'ai longuement hésité sur la version qu'il fallait lire, pour finalement opter pour les deux (la version n&b, et la version dite "couleur"), avec pour une fois, une préférence pour cette version courante qui met plus en valeur l'histoire, à mon avis. Le tirage limité (4000 exemplaires) étant plus difficile à déchiffrer.
En adaptant cette œuvre sombre de Cormac McCarthy, Manu Larcenet réalise une nouvelle fois une prouesse. Avec "Blast", il m'avait époustouflé par son talent narratif, et là il renouvelle l'exploit du "Rapport de Brodeck", avec un graphisme magnifique. Son précédent album reposait sur le noir et blanc, et là Larcenet nous propose toute une teinte de gris, propre à l'ambiance du roman, avec ses pluies de cendres incessantes. L'auteur nous propose de nombreuses planches muettes, mais le dessin est tel, qu'elles méritent qu'on s'y attarde.
Ayant relu le roman hier, (roman qui vient d'être réédité cette semaine, et illustré par Larcenet), je dois dire que j'ai retrouvé toute l'atmosphère lourde et glauque de Mac Carthy dans cette bande dessinée.
Encore une fois une œuvre forte et puissante de Manu Larcenet, que je situe au même niveau que "Le rapport de Brodeck".
Lue deux fois depuis sa sortie , dans les deux versions et relu le roman également en version poche , je suis resté scotché par cette adaptation de Larcenet.
Certainement l'album de l'année.
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Survivre sous les cendres
Critique de Blue Boy (Saint-Denis, Inscrit le 28 janvier 2008, - ans) - 14 août 2024
Larcenet étant resté très fidèle au roman, l’effet de surprise est donc moindre pour ceux qui l’ont déjà lu et/ou ont eu l’occasion de voir le film de John Hillcoat avec Viggo Mortensen dans le rôle principal. Mais l’auteur du « Combat ordinaire » ne s’est pas contenté d’être fidèle, il s’est parfaitement approprié le livre, ce que suffit à confirmer la puissance de son trait. Le chemin de croix de ce père et de son fils errant dans un univers de grisaille, pris en tenaille entre le froid et la terreur, poussant sur des routes défoncées un caddie rempli de rares provisions et de leurs maigres biens (quelle image forte !), a été mis en scène avec brio par celui qui fait figure de maître du neuvième art en France.
A coup sûr, le lecteur sera plongé dans un état d’effroi hypnotique en découvrant ce monde désespérément morne où toute vie semble avoir disparu, laissant apparaître les reliques d’une civilisation volatilisée corps et biens : distributeurs de canettes, boîtes de conserve empilées (clin d’œil warholien ?), panneaux publicitaires vantant les mérites d’une destination de rêve… Autant d’objets divers et variés qui, juxtaposés avec des crânes humains témoignant du retour à des pratiques d’un autre âge, nous rappellent par un effet de miroir grinçant notre inconséquence et notre aveuglement, celui de notre monde actuel individualiste et anthropocentré, que l’on nous pousse toujours à considérer comme le summum de la civilisation, le modèle à suivre sans aucune alternative possible.
Mais le plus terrifiant (âmes sensibles s’abstenir), ce sont surtout ces scènes récurrentes suggérant l’anthropophagie, encore plus terrifiantes peut-être du fait qu’elles ne soient que suggérées… Notamment celle où l’on voit défiler une cohorte d’hommes en guenilles, simulacre d’armée brandissant des drapeaux en lambeaux et escortant ses prisonniers humains, tels des garde-manger vivants, un choc visuel qui vient percuter violemment notre rétine.
Le trait de Larcenet, ici réaliste et minutieux, associé à un cadrage évocateur, joue à plein. Les paysages désolés sous la brume ou la neige laissent filtrer la beauté évanescente de ce qu’il reste d’une nature indifférente à la laideur ambiante. Il paraîtrait presque déplacé de dire que c’est superbe, entant donné le propos extrêmement âpre du livre, et pourtant c’est bien le cas. Vers la fin, une case (p.130) pourrait d’ailleurs rappeler certains tableaux du romantique allemand Caspar David Friedrich, où souvent des personnages font face à l’immensité de la nature. Ici, le père et le fils contemplent une mer grise, laissant apparaître au loin un bateau échoué.
Cette brillante version de « La Route », largement acclamée par la critique, est déjà un best-seller, ce dont on ne peut que se réjouir quand il s’agit d’une œuvre atteignant un tel niveau de qualité. Certes, ce n’est pas la lecture la plus « feel-good » de l’année, mais il faut parfois savoir s’infliger des chocs pour prendre conscience de la fragilité de notre monde, et peut-être, s’efforcer de le changer à son échelle. Si le propos de « La Route » est à la fois lucide et sans illusions sur la nature humaine, ce récit, qui décrit le basculement rapide d’une société dite « civilisée » dans la barbarie la plus extrême, n’a pas pour fonction de nous plomber le moral, sinon à quoi bon ? Il devrait plutôt, en nous délivrant un électrochoc mental, nous avertir quant à l’urgence de brandir notre humanité comme seule voie de salut, à l’image du jeune garçon, seul personnage doté d’empathie, et de fait, le plus touchant.
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