La part des femmes: Relire la Bible pour repenser l'Eglise de Suzanne Landrivon
Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Divers
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Changer l'Eglise
Participant récemment à une célébration eucharistique qui rassemblait de nombreux prêtres, célébration se déroulant dans une église où je mettais les pieds pour la première fois, je fus le témoin interloqué de la distinction soigneusement gardée entre la part masculine et la part féminine. En l’occurrence, il s’agissait de séparer les enfants, les garçons étant revêtus de l’aube blanche des servants d’autel, les filles arborant une étrange cape sur leurs épaules, cape qui couvrait la totalité de leurs bustes. En clair, seuls les garçons servaient à l’autel, les filles ayant pour tâches de distribuer des feuilles de chants ou de faire une sorte de haie d’honneur au moment de la communion, des cierges à la main. Ce genre de répartition des tâches est, paraît-il, devenu monnaie courante dans les églises (dans celles où il y a encore des enfants qui viennent à la messe). On le comprend, cet arrangement qui distingue précautionneusement les rôles des garçons et ceux des filles a pour but de leur faire clairement comprendre que seuls les garçons, du fait de leur sexe, peuvent être appelés à recevoir un jour, peut-être, pour certains d’entre eux, le sacrement de l’Ordre. Les filles, devenues femmes, ne seront jamais que des subalternes ! Et surtout qu’elles restent bien à leur place !
Faut-il parler d’épiphénomènes, s’agissant de ce qu’on fait faire aux enfants ? Non, car, dès le plus jeune âge, on leur inculque que la distinction des sexes rejaillit obligatoirement sur les appels et les missions qui en découlent. Le livre de Sylvaine Landrivon, docteure en théologie, s’élève, à juste titre, contre ce qui semble établi dans une Église (catholique) sclérosée par des siècles de patriarcat et de cléricalisme, tellement archaïquement engourdie dans sa construction qu’on se demande si elle est en capacité de se réformer un jour, en dépit des timides avancées initiées par le pape François.
Sylvaine Landrivon semble, néanmoins, ne pas baisser les bras et, bien sûr, elle a raison. Pour ce faire, elle s’appuie rien moins que sur les Écritures elles-mêmes, en commençant, comme il se doit, par relire et corriger les interprétations erronées des trois premiers chapitres de la Genèse, puis en évoquant quelques figures de femmes de l’Ancien Testament, Sarah et Judith en particulier. Quant au Nouveau Testament, elle en propose, à bon escient, une lecture renouvelée, montrant efficacement que l’apostolicité n’y est pas réservée aux seuls hommes. Les figures de Marie-Madeleine, de Marthe et, bien sûr, de Marie en sont les parangons.
La docteure en théologie remet ensuite en question et déconstruit, comme il se doit, les discours rebattus sur la place des femmes, que ce soit dans les textes de Gertrud Von Le Fort, d’Edith Stein ou dans les catéchèses du pape Jean-Paul II. Dans tous ces textes, qui font apparemment l’éloge de la femme, transparaît une volonté de maintenir les femmes sous la sujétion des hommes et, en particulier, des clercs. À ces insupportables prises de position réduisant les femmes à la soumission, s’ajoutent « d’inquiétantes mises à la marge », d’autant plus alarmantes que la tendance de la jeune génération catholique penche résolument du côté des replis identitaires. Les mises à la marge, dont il est question, concernent, par exemple, les personnes faisant partie des LGBTQIA+, mais aussi les divorcés remariés.
Sylvaine Landrivon invite à prendre comme point d’appui l’égalité baptismale. Fait-on des différences entre garçons et filles à l’heure du baptême ? Non, tous et toutes sont déclarés « prêtres, prophètes et rois ». Pourquoi cela change-t-il par la suite ? Pourquoi dit-on aux filles : « Reste bien à ta place ! Seuls les garçons sont autorisés à recevoir le sacrement de l’Ordre ! ».
Mais la docteure en théologie va plus loin dans ses réflexions et ses arguments sont solides. Elle remet en cause le caractère soi-disant sacré des clercs : « la notion de sacré est étrangère à l’Évangile », précise-t-elle. Non, ni les évêques ni les prêtres ne sont plus sacrés que qui que ce soit, eux qui se recrutent exclusivement parmi les mâles et sont tenus au célibat (un célibat ou plutôt une continence impossible à tenir, comme tout le monde le sait, poussant ainsi à l’hypocrisie un grand nombre d’entre eux) : cette prétention au sacré est une imposture qui a servi à imposer l’autorité, sinon le pouvoir, des clercs sur les fidèles. Sylvaine Landrivon achève son ouvrage en exprimant son souhait de « décléricaliser » l’Église. Elle rappelle, très justement, que, chez les premiers chrétiens, il n’y avait pas de prêtres. Elle rappelle que Jésus s’est opposé aux prérogatives des prêtres de la religion juive et qu’il s’est bien gardé d’instituer des prêtres parmi ses disciples. Pourtant, l’Église n’a pas tardé, dès avant la conversion de Constantin, à reprendre à son compte ce modèle et à instaurer sa caste de prêtres, trahissant la volonté de Jésus lui-même. Ne faudrait-il pas, de ce fait, « faire Église autrement », c’est-à-dire revenir à l’exemple des débuts du christianisme, organisé en petites communautés se passant fort bien d’avoir, en leur sein, un prêtre.
Pour finir, disons, en toute clarté, qu’il est urgent que femmes et hommes soient en parfaite égalité dans l’Église, du fait même de leur unique baptême. Et, s’il faut encore des prêtres, qu’il y ait aussi des prêtresses ! Mais peut-être, comme je viens de l’écrire, serait-il préférable, en fin de compte, qu’il n’y ait plus de prêtres du tout (ni, bien sûr, d’évêques) !
Les éditions
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La part des femmes [Texte imprimé], relire la Bible pour repenser l'Eglise
de Landrivon, Suzanne
les Éd. de l'Atelier
ISBN : 9782708254336 ; 20,00 € ; 19/01/2024 ; 224 p. ; Paperback
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