Un cas de conscience de Léon Tolstoï
Catégorie(s) : Littérature => Russe
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Un court roman, en partie autobiographique, sur la rédemption d'un jeune noble russe épris d'un idéal de justice sociale
Ce court roman, de la taille d’une longue nouvelle poussée au format d'un roman par la mise en page en gros caractères, constitue en fait la première ébauche de « Résurrection », roman plus long et plus ambitieux qui, bien que moins connu que « Anna Karénine » ou « Guerre et paix », comptait beaucoup pour Tolstoï car il est en partie autobiographique. La courte préface du traducteur évoque qu’en 1889, soit environ dix ans avant « Résurrection », Tolstoï commença à rédiger le récit d’un souvenir qui le hanta toute sa vie, quand, jeune homme, il séduisit et abandonna une jeune domestique qui en fut déshonorée et mourut peu de temps après, rejetée par sa famille. Tolstoï semble en avoir ressenti une grande culpabilité et ne confessa ce secret qu’à quelques êtres chers (dont son épouse Sophie Andréevna). « Un cas de conscience », qui servit de base à « Résurrection », ne fut jamais publié, sans doute parce que le récit, bien plus simple et direct, s’apparentait à un aveu douloureux : la première édition fut faite à titre posthume, en 1934, par le Musée Léon Tolstoï au sein d'un volume de textes inédits retrouvés dans les archives de Tolstoï (qui était mort en 1910).
Dmitri Nekludoff, jeune homme de la bonne société moscovite et sur le point de se marier avec une jeune femme remarquable, aussi belle qu'intelligente et sensible, et issue de la noblesse, est appelé à officier en tant que juré à une séance ordinaire de faits divers, dont la première affaire porte sur trois personnes coupables d’avoir drogué et dépouillé un marchand, client d’une des nombreuses maisons de tolérance de Moscou. Parmi ces trois criminels, Nekludoff reconnaît avec effroi, dans la prostituée qui se tient prostrée dans le box des accusés, l'ancienne servante de ses tantes, nommée Katusha. Nekludoff l’avait rencontrée une première fois quand ils avaient tous deux une vingtaine d'années, lorsqu’il était venu séjourner chez ses tantes avant de s’engager comme officier dans l’armée. Il avait alors été séduit par le charme, la joie et l’innocence candide de la jeune fille qui, de son côté, n’était pas restée insensible à l’allure et à la jovialité de Nekludoff. Deux années plus, Nekludoff, transformé par son passage dans l’armée et son service dans la Caucase, était revenu chez ses tantes et avait profité de son ascendant sur la jeune femme pour la forcer à se donner à lui. Il était reparti aussitôt, lui laissant un peu d’argent pour la dédommager et ne l’avait plus revue. Nekludoff en avait conçu quelques remords, bien vite étouffés car, au fond, il avait simplement agi comme tous les hommes de son rang, qui plaisantaient entre eux de leurs amours ancillaires...
Pendant le procès, Nekludoff réalise que son attitude a causé le malheur de Katusha, qui a été congédiée puis a fini par tomber dans une maison de prostitution, jusqu'à être condamnée à la déportation en Sibérie. Dès lors, Nekludoff se sent moralement coupable et obligé de racheter sa faute, quitte à se sacrifier. Je n’en dirai pas plus pour ne pas gâcher le plaisir de qui viendrait à parcourir cette note de lecture mais il est difficile, dans la manière dont Nekludoff assume sa rédemption en cherchant à sauver Katusha, de n’être pas saisi par certaines ressemblances – et différences radicales également - avec « Crime et Châtiment ». Nekludoff, qui avait autrefois accompli des études de philosophie et eu l’ambition d’écrire un ouvrage politique, sent également se réveiller ses idéaux de jeunesse et sa volonté de mettre fin au servage des moujiks exploitant les terres des grands propriétaires fonciers. Ayant hérité de sa mère de riches domaines agricoles lui assurant une rente confortable, Nekludoff veut désormais affranchir ses paysans et reprendre le combat pour défendre la cause progressiste. Le récit devient ainsi condamnation des archaïsmes et des injustices de la société russe que Nekludoff, poussé par une sorte d'appel vers la sainteté, prend progressivement en horreur et dont il souligne les hypocrisies. Même si l’idéalisme de Nekludoff est sans doute excessivement teinté de religiosité pour nos esprits modernes (mais il s'agit d'une religiosité mystique, qui repose sur la responsabilité de chaque homme devant Dieu, et non d'une religiosité cléricale), certaines vitupérations de Nekludoff contre le système judiciaire et l’ordre moral sont très actuelles : elles dénoncent une justice purement administrative et dénuée de toute humanité, qui, sous le couvert de valeurs servies par une éloquence de façade, entretient l’injustice en condamnant comme coupables les victimes de mécanismes d’exploitation et d’exclusion dont les nantis tirent profit.
Bien que tout cela semblât correspondre parfaitement à la lettre de la procédure judiciaire, celle-ci manquait visiblement de cet élément que les juges cherchaient justement à mettre en valeur : il n’y avait là ni justice, ni bon sens (…) non seulement les vrais coupables n’étaient pas jugés, mais on ne songeait même pas à les accuser ; l’inculpation ne visait que des malheureux qui jouaient un rôle secondaire, imposé par l’ordre de choses qui pesait implacablement sur eux.
Ce court roman, dont la fin est un peu trop précipitée et presque abrupte (on sent bien, à ce moment, qu'il n'est que le canevas du roman plus ambitieux à venir, que Tolstoï a sans doute déjà en tête), démontre également l'intensité du bouillonnement intellectuel de la société russe, au sein d'une élite qui avait conscience de ses archaïsmes et aspirait à une révolution sociale. Tolstoï, qui dépeint un Nekludoff fortement inspiré par les penseurs et philosophes européens, serait sans aucun doute atterré par la situation actuelle de la Russie (et par les prises de position de sa descendance...).
Les éditions
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Un cas de conscience
de Tolstoï, Léon Lvovsky, Zinovy (Préfacier) Lvovsky, Zinovy (Traducteur)
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ISBN : 9782234010826 ; 1,25 € ; 01/05/1979 ; 187 p. ; Broché
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