Mon père et ma mère de Aharon Appelfeld

Mon père et ma mère de Aharon Appelfeld
(My parents - ההורים שלי)

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Economie, politique, sociologie et actualités , Littérature => Moyen Orient

Critiqué par Saint Jean-Baptiste, le 10 mars 2023 (Ottignies, Inscrit le 23 juillet 2003, 88 ans)
La note : 2 étoiles
Moyenne des notes : 6 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 4 étoiles (55 808ème position).
Visites : 1 627 

Le livre de trop ?

Aharon Appelfeld a raconté sa vie au cours de plusieurs livres très réussis mais celui-ci, qui est son dernier, est, à mon avis, le livre de trop. Il raconte ses vacances avec son père et sa mère quand il avait 10 ans. Et il ne se passe rien. Ils vont chaque année au même endroit et ils connaissent la plupart des villégiateurs mais, superficiellement, comme on connaît les gens qui fréquentent chaque année le même hôtel ; si bien que les personnages du livre sont du genre fantomatique : il y a une jolie fille qui fait jaser, un unijambiste dont on ignore tout, un groupe de jeunes filles qui excitent l’imagination du jeune gamin et puis son père et sa mère pour qui le monde se partage entre Juifs et non Juifs – ce qui a fini par m’énerver.

Tout ce petit monde se baigne tous les jours dans une rivière qui se jette dans le Danube du côté des Carpates et qui, en français, s’appelle le Prout. Mais le livre ne parle que du Pruth et c’est dommage parce que le Prout aurait peut-être amené un sourire chez le lecteur qui s’ennuie pendant trois cents pages.

Un semblant de suspense s’amorce à la fin du livre parce que nous sommes en 1938 et une guerre est annoncée ; alors les vacanciers se demandent quel sort sera réservé aux Juifs.

ATTENTION SPOILER !
Mais le récit s’arrête avant le début de la guerre et nous n’en saurons rien.
FIN DU SPOILER

J’ai quand même mis une étoile pour la prouesse d’avoir écrit un bouquin de trois cents pages quand on n’avait rien à dire.

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Un roman tout de subtilité

9 étoiles

Critique de Poet75 (Paris, Inscrit le 13 janvier 2006, 68 ans) - 30 avril 2023

« L’écriture ne se limite pas à puiser dans les profondeurs de la mémoire des visions d’enfance enfouies. Toutes les épreuves de notre vie doivent s’y adjoindre. » Ces phrases programmatiques conviennent, je crois, à l’œuvre tout entière de Aharon Appelfeld (1932-2018). Le plus souvent, en effet, chez cet écrivain, c’est le regard de l’enfant qui est privilégié, non pas par un simple caprice d’auteur ni même à la façon d’une recette commode, mais par nécessité : « Un regard d’enfant, écrit-il, est indispensable à tout acte créateur. Lorsque vous perdez l’enfant qui est en vous, la pensée s’encroûte, effaçant insidieusement la surprise du premier regard. »
Enrichi de toute une expérience d’homme, c’est bien le regard de l’enfant qui, à nouveau, se dirige vers le monde ou plutôt son monde, son petit monde, dans ce roman intitulé si sobrement Mon père et ma mère, publié en 2013 en Israël. Bien sûr, il y a de l’autobiographie dans ce livre, mais pas au sens strict. Appelfeld s’inspire de son enfance, de ses parents, pour faire acte de création en se projetant dans une période si particulière, en 1938, à la veille du déchaînement des horreurs de la guerre mondiale. Pour ce faire, il se glisse dans la peau d’un enfant de dix ans, Erwin qui, comme chaque année, passe ses vacances d’été dans les Carpates, dans une isba que ses parents ont louée à un paysan. C’est là, au bord du Pruth, que se retrouvent, chaque année à cette période, des familles juives venues de la ville.
Le petit garçon, s’il aime dévorer les romans de Jules Verne, n’en exerce pas moins ses dons d’observateur, accumulant ainsi une mine inépuisable de souvenirs. Nombreux sont les vacanciers séjournant en ce lieu qui ne passent pas inaperçus aux yeux du jeune Erwin : ainsi d’un homme taciturne à la jambe coupée, d’une diseuse de bonne aventure, d’un médecin au comportement héroïque ou d’un écrivain que le garçon prend pour modèle, lui qui pressent que c’est là sa propre vocation, et d’autres encore. L’inquiétude est là, les menaces se précisent, certains songent à s’exiler, d’autant plus que l’antisémitisme se manifeste parfois concrètement, et même violemment, lorsqu’un jour des paysans viennent agresser des Juifs. « Pourquoi hait-on les Juifs ? », demande l’enfant à sa mère.
Tout le monde ne les hait pas, cependant, comme le moine Sergueï qu’Erwin et ses parents vont, un jour, visiter : un moine qui parle des Juifs comme du « peuple de Dieu », qui lit la Bible en hébreu, mais n’apprécie vraiment que les Juifs pieux. Or, c’est là un des nombreux sujets de discorde des parents d’Erwin : le père qui trouve « anachronique » la foi de ses ancêtres, alors qu’il arrive à la mère de murmurer une prière. En vérité, ces deux-là sont aussi différents l’un de l’autre qu’il est possible de l’être et leurs querelles sont fréquentes : entre une mère qui s’intéresse à tout et un père, plutôt rigide, qui ne sait pas dominer son sens critique, le garçon, lui, alors que se rapproche la barbarie qui va tout emporter, apprend à aimer la vie envers et contre tout.
Toujours superbement traduit par Valérie Zanetti, comme toutes les autres œuvres d’Appelfeld, ce roman tout de subtilité figure, sans nul doute, en bonne place parmi les nombreux ouvrages d’un auteur qui ne déçoit jamais.

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