L'automne avec Brahms de Olivier Bellamy
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Aimez-vous Brahms?
« Aimez-vous Brahms ? ». La question pourrait m’être posée, non pas pour les raisons invoquées dans le roman éponyme de Françoise Sagan mais parce qu’à plusieurs reprises (et, encore, en juin dernier en rendant compte d’un ouvrage d’Éric Chaillier) je me suis plu à affirmer l’admiration sans borne que j’éprouve pour un autre compositeur, Anton Bruckner (1824-1896). Or, c’est peu de dire que Johannes Brahms (1833-1897) détestait ce dernier (qui d’ailleurs le lui rendait). Brahms se gobergeait des « symphonies pythons » de Bruckner, il raillait son amateurisme et en parlait comme d’un « pauvre fou ». Bruckner, lui, traitait Brahms de « protestant frigide » et accusait ses symphonies de manquer d’idées. Tous deux étaient considérés par leurs partisans respectifs comme des chefs de file, l’un de la fidélité à un certain classicisme (Brahms), l’autre comme un des fers de lance (à la suite de Wagner, tout de même !) de la musique du futur. Les deux camps se haïssaient copieusement.
Cela étant dit, de l’eau a coulé sous les ponts et nous pouvons fort bien, aujourd’hui, ne plus tenir aucun compte de ces querelles de jadis. Elles n’ont plus lieu d’être ni d’interférer dans le plaisir que nous pouvons éprouver à nous mettre à l’écoute de l’un et l’autre compositeur. Pour ma part, si j’aime à m’immerger dans l’incomparable substrat sonore et mélodique des symphonies de Bruckner, si j’y retrouve mille accents qui résonnent jusque dans mon for interne, je suis loin de dédaigner pour autant me mettre, en quelque sorte, en osmose avec l’œuvre immense de Brahms dans toute sa diversité (et elle l’est beaucoup plus que celle de Bruckner, c’est évident).
Je ne sais pas si le livre d’Olivier Bellamy peut faire aimer Brahms davantage, car ce qui compte, c’est, bien sûr, d’écouter les œuvres, mais sans doute peut-il en renouveler la perception, l’enrichir et susciter une curiosité encore plus grande. Avec Brahms, comme l’explique fort bien l’auteur, nous avons affaire à un homme plein de contrastes. Olivier Bellamy se plaît à les énumérer en s’interrogeant au sujet des yeux du compositeur, tels qu’ils apparaissent sur un de ses portraits : « L’œil droit est fixe et pénétrant, curieux et décidé, avec une lueur de mélancolie. L’œil gauche est tout douceur et charme, avec une propension à l’humour et aux plaisirs de la vie. » « À droite, ajoute l’écrivain, c’est l’architecte des grandes formes qui est à l’œuvre. À gauche, c’est le promeneur bucolique qui prend son temps, l’éternel amoureux et l’homme de foi. »
Sans doute, l’automne convient à merveille à Brahms (comme l’hiver à Schubert, selon un autre livre d’Olivier Bellamy). On l’imagine volontiers en train de marcher sous de belles frondaisons d’automne, les mains croisées dans le dos et la grande barbe blanche en avant et trouvant son inspiration dans ce « ma non troppo », pour reprendre l’indication si présente en tête des mouvements de ses œuvres. « Brahms trouve ses thèmes grâce au rythme naturel de la marche. » Cette approche est profondément juste, même s’il ne faut pas se figurer Brahms uniquement comme un vieillard à barbe blanche. Jeune, à 20 ans, quand il se présenta à Schumann, il lui fit l’effet d’être un ange descendu du ciel, un ange qui, cependant, lui déroba tout ce qu’il avait : « son rang de premier compositeur, sa femme Clara, sa raison, son génie, sa vie. »
Brahms aima Clara tant qu’il le put, mais il ne se maria jamais, il préféra fréquenter les femmes de petite vertu. Cependant, et cela n’est pas contradictoire, comme l’écrivait le chef d’orchestre Wilhelm Furtwängler, « chaque œuvre de Brahms est un trésor enfoui, et ce trésor est amour. »
Des notations ou des citations aussi intéressantes, il y en a en abondance dans l’ouvrage d’Olivier Bellamy, un ouvrage toujours à la portée de tous les publics. Nul besoin d’être un spécialiste pour en parcourir les pages, il suffit de se laisser guider un tant soit peu par une saine curiosité et de ne surtout pas tenir compte de je ne sais quels préjugés. Il est fini, je l’espère, le temps où un pianiste aussi prestigieux que Samson François persiflait en traitant les œuvres de Brahms de « musique pour dimanche après-midi pluvieux. » Olivier Bellamy, lui, se livre avec bonheur à de passionnantes analyses des différents domaines musicaux dans lesquels Brahms s’illustra : ses quatre symphonies (qu’il composa tardivement tant il voulait ne pas démériter à la suite de Beethoven), ses concertos, sa musique de chambre, ses œuvres vocales. Une musique savante, si l’on veut, mais pas tant que ça, Brahms ne dédaignant pas de se laisser inspirer par la musique populaire, celle des tsiganes par exemple. Une musique, quoi qu’il en soit, qui, si l’on se dispose à l’écouter avec attention, va, le plus souvent, droit au cœur.
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