Femmes sous emprise de Marie-France Hirigoyen
Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Psychologie
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"Un tyran dont on n’a plus peur est un tyran vaincu"
NB : Exercice opéré en 2007 ayant consisté à copier et mettre bout à bout des extraits, sans analyse.
Introduction (p. 12)
Dans la maltraitance conjugale, les attaques psychologiques sont les plus dangereuses ; elles font tout aussi mal que les agressions physiques et ont des conséquences plus graves, toutes les victimes le disent.
Il est très difficile de distinguer la violence véritable qui est parfois appelée abus et qui se pratique le plus souvent à bas bruit, des formes d’agressivité qui apparaissent dans un conflit de couple. Ce qui permet de distinguer la violence conjugale d’un simple conflit de couple, ce ne sont pas les coups ou les paroles blessantes, mais l’asymétrie de la relation. Dans un conflit de couple, l’identité de chacun est préservée, l’autre est respecté en tant que personne, ce qui n’est pas le cas lorsque l’enjeu est de dominer et d’écraser l’autre.
En réalité, il n’est nul besoin d’user de sa force pour assujettir autrui ; des moyens subtils, répétitifs, voilés, ambigus, peuvent être employés avec tout autant d’efficacité.
Il est essentiel que les femmes apprennent à repérer les premiers signes de violence et à les dénoncer, non pas nécessairement pour porter plainte en justice, mais pour trouver en elles la force de sortir d’une situation abusive.
La violence psychologique (p. 28)
La majorité des conjoints violents préparent d’abord le terrain en terrorisant leur compagne. La violence psychologique seule, comme c’est le cas dans la violence perverse, peut faire de gros dégâts.
On parle de violence psychologique lorsqu’une personne adopte une série d’attitudes et de propos qui visent à dénigrer et à nier la façon d’être d’une autre personne. Ces paroles ou ces gestes ont pour but de déstabiliser ou de blesser l’autre. C’est nier l’autre et le considérer comme un objet. Ces procédures sont destinées à soumettre l’autre, à le contrôler et à garder le pouvoir.
Il s’agit d’une maltraitance très subtile ; très souvent les victimes disent que la terreur commence par un regard méprisant, une parole humiliante, une tonalité menaçante. .. Il y a incontestablement une jouissance à dominer l’autre d’un seul regard ou d’un changement de ton.
Il y a les mots (menaces, cris, insultes) qui servent à mettre sous tension et dans l’insécurité, et la façon de les dire (tonalité, débit) qui est un procédé destiné à mettre l’autre sous emprise.
La plupart des attaques verbales se font en privé car les agresseurs tentent de préserver une bonne image d’eux-mêmes. Quand ces attaques se font en public, c’est sous une forme ironique, de façon à s’adjoindre l’approbation des témoins. Si la femme proteste, on lui répliquera qu’elle n’a pas le sens de l’humour, qu’elle est trop susceptible, qu’elle prend tout de travers, et elle en arrivera à douter de la réalité de l’agression : « Ne le prends pas comme ça, si je dis ça, c’est pour ton bien – il est inutile de parler avec toi, de toute façon, tu ne comprendras pas – si tu ne comprends pas ce que je te reproche, fais ton examen de conscience ».
Les premières attaques verbales sont subtiles et difficiles à repérer. Elles augmentent graduellement jusqu’à ce que la femme les considère comme normales.
La violence psychologique s’articule autour de plusieurs axes de comportement ou d’attitudes qui constituent des microviolences difficiles à repérer :
1. le contrôle. Le contrôle se situe d’abord dans le registre de la possession, c’est surveiller quelqu’un de façon malveillante avec l’idée de le dominer et de le commander. Ce peut être d’empêcher la femme de progresser professionnellement ou de faire des études.
2. l’isolement. Pour que la violence puisse se perpétuer, il faut isoler progressivement la femme de sa famille, de ses amis, l’empêcher de travailler, d’avoir une vie sociale. L’isolement progressif aboutit à un contrôle total de la personne, comme dans les sectes.
3. la jalousie pathologique. D’une façon générale, aucune explication rationnelle ne vient apaiser une jalousie pathologique car il s’agit ne plus ni moins que d’un refus de la réalité.
4. le harcèlement. En répétant à satiété un message à quelqu’un, on parvient à saturer ses capacités critiques et son jugement et à lui faire accepter n’importe quoi.
5. le dénigrement. Il s’agit avant tout d’atteindre l’estime de soi de la personne, lui montrer qu’elle ne vaut rien, qu’elle n’a aucune valeur. La violence s’exprime sous forme d’attitudes dédaigneuses et de paroles blessantes, de propos méprisants, de remarques déplaisantes. Ce peut être la dénigrer sur ce qu’elle fait, sur ce qu’elle ; émettre des doutes sur sa santé mentale, ou bien dénigrer ses capacités intellectuelles. C’est aussi attaquer sa famille, ses amis, ses valeurs par des critiques systématiques. Les attaques peuvent porter sur le « féminin » de la partenaire, sa capacité à être une femme séduisante. Il s’agit de manipuler la femme sans qu’elle en prenne conscience, d’attaquer son estime de soi, de l’amener à perdre confiance en elle.
6. les humiliations. Humilier, rabaisser, ridiculiser est le propre de la violence psychologique.
7. les actes d’intimidation. Claquer les portes, briser des objets pour manifester sa mauvaise humeur constituent des actes d’intimidation.
8. l’indifférence aux demandes affectives. La violence morale, c’est aussi le refus d’être concerné par l’autre. C’est se montrer insensible ou inattentif envers sa partenaire ou afficher ostensiblement du rejet ou du mépris. C’est ignorer ses besoins, ses sentiments, ou créer intentionnellement une situation de manque ou de frustration pour maintenir l’autre en insécurité.
9. les menaces.
Tous ces agissements, pris séparément, pourraient s’inscrire dans le cadre d’une scène de ménage classique, mais ce sont leur répétition et leur durée dans le temps, ainsi que l’asymétrie dans les échanges, qui constituent la violence.
La violence psychologique constitue un processus visant à établir ou maintenir une domination sur la partenaire.
La violence psychologique est déniée par l’agresseur ainsi que par les témoins qui ne voient rien, ce qui fait douter la victime de son ressenti. Rien ne vient faire la preuve de la réalité qu’elle subit. C’est une violence « propre ».
Différents scénarios de violence (p. 48)
1. la violence physique
2. la violence sexuelle. C’est la forme de violence dont les femmes ont le plus de mal à parler et pourtant elle est très souvent présente. Ce peut être obliger quelqu’un à des activités sexuelles dangereuses ou dégradantes, mais le plus souvent il s’agit simplement d’obliger une personne à une relation sexuelle non désirée, soit par la suggestion (tu es bien pudibonde !), soit par la menace. Une relation sexuelle imposée est souvent passée sous silence parce qu’elle fait partie du « devoir conjugal », considéré encore aujourd’hui comme un droit pour l’homme et une obligation pour la femme. Toute violence sexuelle constitue un traumatisme majeur.
3. la pression économique et financière. La pression économique s’exerce différemment selon les milieux, mais, dans tous les cas, il s’agit de retirer à la femme son autonomie, de faire en sorte qu’elle n’ait pas de marge de manœuvre si elle manifeste des velléités de séparation. L’homme peut chercher à convaincre sa femme de cesser son activité professionnelle ou ses études, en mettant en avant que les enfants sont malheureux sans leur mère, que les repas sont trop vite faits, la maison mal tenue, que ce second salaire ne sert qu’à augmenter les impôts, etc.
4. le harcèlement par intrusion (stalking). La majorité des homicides de femmes se produisent pendant la phase de séparation. En effet, la violence et l’emprise s’accentuent à ce moment-là et peuvent perdurer longtemps après.
5. le meurtre du conjoint.
Violence cyclique ou violence perverse ? Savoir les distinguer (p. 69)
La violence cyclique. Cette violence s’installe progressivement dans le couple, d’abord par de la tension et de l’hostilité, qui ne sont pas toujours repérées. Le premier épisode se situe souvent pendant la grossesse ou dans les suites immédiates de l’accouchement. L’enfant à venir est perçu comme l’intrus qui va retirer à l’homme l’attention de sa compagne, celui-ci peut craindre d’être évincé. Dans sa difficulté à se concevoir comme père, l’homme peut voir resurgir des angoisses liées à des expériences précoces difficiles, en particulier avec sa propre mère. Il lui faut renoncer à une position d’adolescent pour devenir parent, et certains hommes sont tellement perturbés par ce passage qu’ils en viennent même à mettre en doute leur paternité.
Classiquement, le cycle de violence se déroule en quatre phases et de manière répétitive. A chaque étape, le danger augmente pour celle qui subit.
1. une phase de tension, d’irritabilité de l’homme, liée, selon lui, à des soucis ou à des difficultés de la vie quotidienne. Pendant cette phase, la violence n’est pas exprimée directement, mais elle transparaît à travers les mimiques (silences hostiles), les attitudes (regards agressifs) ou le timbre de voix (ton irrité). Tout ce que fait la compagne énerve. Celle-ci, sentant cette tension, se bloque, s’efforce d’être gentille, de calmer le jeu pour faire baisser la tension. Pour cela, elle renonce à ses propres désirs et fait en sorte de satisfaire son compagnon. Pendant cette phase de montée de la violence, l’homme tend à rendre la femme responsable des frustrations et du stress de sa vie.
2. une phase d’agression où l’homme donne l’impression de perdre le contrôle de lui-même. Ce sont alors des cris, des insultes et des menaces. La femme ne réagit pas, parce que le terrain a été préparé par de petites attaques perfides et qu’elle a peur. Elle peut protester, mais elle ne se défend pas.
3. une phase d’excuses, de contrition, où l’homme cherche à annuler ou à minimiser son comportement. Ces explosions sont, certes, suivies de remords, mais, comme il s’agit d’un sentiment désagréable, l’homme tente de s’en débarrasser en cherchant une explication qui pourrait le déculpabiliser. Le plus facile est de rendre sa partenaire responsable ; elle l’a provoqué.
4. une phase de réconciliation, appelée aussi phase de « lune de miel », où l’homme adopte une attitude agréable, est soudainement attentif, prévenant. Il se montre même amoureux, … et fait des efforts pour rassurer sa femme. C’est la peur de l’abandon qui conduit à ce changement ponctuel et c’est cette même peur qui va, plus tard, les amener à reprendre le contrôle de leur femme.
Lorsque la violence est installée, les cycles se répètent, telle une spirale qui va en s’accélérant dans le temps et avec une intensité croissante. Il y a un décalage très grand dans le comportement de l’homme pendant la phase de tension et pendant la phase de réconciliation.
Chez l’homme violent, il y a une sorte d’addiction à ce comportement, il ne sait plus se calmer autrement que par la violence. Lorsque le cycle est initié, il ne peut être interrompu que par l’homme lui-même. Quelle que soit son attitude, la femme n’a aucun moyen de l’arrêter.
La violence perverse
La violence perverse se caractérise par une hostilité constante et insidieuse. De l’extérieur tout semble se passer normalement. Il ne s’est rien passé ou presque. Elle se demande si elle est trop sensible. Elle se le reproche d’autant que son partenaire dit qu’elle se fait des idées, qu’elle est paranoïaque. Pourtant, par de petites attaques verbales, par des regards de mépris, et, surtout, par une distance froide, il semble lui reprocher quelque chose, mais elle ignore quoi. En ne nommant pas ce qui pose problème, il détient un pouvoir sur elle. Il n’est aimable que lorsqu’il a besoin d’elle. Généralement, à ce stade, la femme préfère se soumettre. Puis les attaques se multiplient : phrases cinglantes devant témoins ou en privé, critiques méchantes sur tout ce qu’elle fait ou dit. Elle est isolée. Elle n’ose plus voir ses amis et sa famille, puisque eux aussi sont attaqués. Elle préfère aussi les éviter car elle a honte. La violence perverse est un pur concentré de violence.
La mise en place de l’emprise (p. 106)
Le processus d’emprise se déroule en deux temps : cela commence par la séduction, puis, si la femme résiste, l’homme use de procédés violents de plus en plus manifestes. La phase de séduction donne l’illusion d’un échange affectif. L’autre est accroché par ce qui ressemble à un amour idyllique. Les femmes parlent souvent d’un amour idéal, d’un prince charmant. Cette séduction vise les instincts protecteurs de la femme ; l’homme se présente comme une victime d’une enfance malheureuse. Il ne s’agit pas d’une séduction amoureuse, réciproque, mais d’une séduction narcissique destinée à fasciner l’autre et, en même temps, à le paralyser.
Cette phase de séduction est en même temps une phase de préparation psychologique à la soumission ou de « décervelage ». La femme est déstabilisée, perd progressivement confiance en elle et finit par considérer comme normale la façon dont elle est traitée. L’homme violent neutralise le désir de sa compagne, réduit ou annule son altérité pour la transformer en objet. Il s’attaque à sa pensée, induit le doute sur ce qu’elle dit ou ressent et, en même temps, fait en sorte que l’entourage cautionne cette disqualification. Ces procédés, que nous décrivons ici dans les couples, ont été étudiés à propos des victimes des sectes. La personne est ainsi « programmée ».
L’emprise peut aussi produire des modifications de la conscience, une sorte d’état hypnotique imposé.
La mise en place de l’emprise se fait grâce à la communication perverse. Ce fonctionnement particulier, qui peut donner l’illusion de la communication, n’est pas là pour relier, mais au contraire pour éloigner et empêcher l’échange. La victime ne doit pas comprendre ce qui lui arrive. Il s’agit de faire passer des sentiments hostiles, sans que rien ne soit jamais exprimé, afin d’empêcher l’échange.
Les femmes victimes de violence dans leur couple disent qu’elles ne savent jamais quand et pourquoi la tension apparaîtra, pourquoi elles se feront agresser. Elles constatent que toutes leurs tentatives pour calmer leur partenaire sont vaines, parce que cela ne dépend pas d’elles.
Les femmes savent bien, au fond d’elles, que l’opposition frontale à un homme violent peut augmenter gravement la violence de celui-ci, alors elles essaient de le calmer et de le satisfaire, afin d’éviter que les choses n’empirent.
Une femme qui a un partenaire abusif finit par s’adapter. Pour avoir la paix, elle veille à ne pas déplaire. En même temps, l’estime de soi diminue, la femme perd toute assurance, devient plus fragile et plus vulnérable.
Dans la violence conjugale cyclique, où l’emprise n’est pas au premier plan, l’alternance de phases d’agression et d’accalmie ou même de réconciliation crée un système de punitions-récompenses. Chaque fois que l’homme violent est allé trop loin et que la femme pourrait avoir la tentation de partir, elle est « raccrochée » par un peu de gentillesse ou d’attention. Induisant une confusion entre amour et sexualité, l’homme cherche une réconciliation sur l’oreiller. En même temps, il dévalorise sa compagne et elle perd confiance en elle. Au bout d’un moment, elle est persuadée que sans lui, elle n’y arriverait pas.
Dans tous les cas de violence conjugale, il y a une inversion de la culpabilité. La femme porte la culpabilité que son partenaire n’éprouve pas. Elle est rendue responsable des difficultés du couple. En fait, la culpabilité s’inverse parce que la victime ne parvient pas à formuler ce qu’elle subit et à en faire le reproche à l’homme. Les fautes qui n’ont pas été nommées sont « portées » par les victimes, en attendant qu’elles soient reconnues par leur auteur. Il s’agit là d’une double blessure, dont les victimes ne seront pas soulagées. La culpabilité masque alors l’agressivité que ces femmes ne réussissent pas à éprouver.
Il arrive aussi que certains hommes demandent à leur compagne de trouver pour eux l’explication à leur propre violence, jusqu’à la reconnaître et l’intérioriser pour elle-même : « Tu ne sais pas pourquoi je te traite comme ça, eh bien, cherche et tu comprendras peut-être ! »
Les hommes violents (p. 140)
Tous les hommes violents ont tendance à minimiser leurs gestes, à se trouver des causes externes, notamment en tenant leur conjointe pour responsable, contrairement aux femmes victimes qui, d’une façon générale, cherchent plutôt une explication psychologique interne à l’apparition de la violence chez leur partenaire. Tous les récits des victimes décrivent des hommes qui deviennent irritables sans raison apparente. Cette tension augmente en intensité jusqu’à la violence verbale puis physique.
Tous ces hommes qui justifient leur comportement par une perte de contrôle savent le modérer en société ou sur leur lieu de travail. La plupart d’entre eux sont difficiles dans leur couple ; toutefois, ils ne présentent ni difficultés particulières dans leur vie sociale ni trouble psychiatrique évident. Tout se passe comme si le fait de polariser leurs difficultés dans le cadre du couple leur permettait de préserver leur vie sociale.
Ce sont leurs failles narcissiques (une faible estime d’eux-mêmes) qui constituent le soubassement du comportement des hommes violents. Ce sont leur fragilité et leur sentiment d’impuissance intérieure que les amènent à vouloir contrôler et dominer leur compagne. Ils attendent d’elles, comme un enfant peut l’attendre d’une mère, qu’elles allègent le poids de leurs tensions, qu’elles soulagent leurs angoisses. Puisqu’elles n’y réussissent pas, elles apparaissent comme des ennemies et sont tenues pour responsables de tout ce qui ne va pas. La violence est pour ces hommes un palliatif pour échapper à l’angoisse.
Leur tension interne est liée également à leur peur infantile d’être abandonnés. Aussi, toute situation évoquant une séparation suscite chez eux des sentiments de peur et de colère. Leur comportement violent a pour but, à certains moments, de maintenir la femme à sa place, de façon à ne pas se sentir dépendants affectivement d’elle, tandis qu’à d’autres moments, paniqués à l’idée d’être quittés, ils tentent de se faire pardonner et induisent chez leur compagne un comportement réparateur.
Beaucoup d’hommes ne connaissent pas la bonne distance qui permet une relation saine, ils recherchent la fusion avec leur compagne. L’homme violent vit alternativement sa conjointe comme inexistante, et il n’y a donc pas lieu de la prendre en considération, ou bien comme trop envahissante et, dans ce cas, il la critique, la rabaisse. Pris entre la peur de la proximité et de l’intimité, et la peur d’être abandonnés, ces hommes éprouvent en eux-mêmes un sentiment d’impuissance, qui les conduit à exercer leur pouvoir, à l’extérieur, sur leur compagne. Ils confondent amour et possession. Or l’amour n’est pas possession, mais échange et partage.
Quand, dans un couple, la femme materne l’homme, il y a fort à parier que la venue d’un enfant va mettre en péril l’équilibre psychique de ce dernier et le conduire à réagir, parfois, par des comportements violents. Si la femme semble être trop fusionnelle avec son enfant, l’homme peut se sentir frustré et essayer de reprendre le pouvoir par tous les moyens.
Des profils de personnalité particuliers ? (p. 159)
Pour chaque profil psychologique, il est important de différencier la violence impulsive, où l’homme contrôle mal ses colères et ses émotions, de la violence instrumentale, où les conduites agressives sont exécutées froidement, dans le but de blesser. Pour simplifier il y a d’un côté, toutes les personnalités narcissiques parmi lesquelles certains sont impulsifs (les psychopathes et les borderline), d’autres sont instrumentaux (les pervers narcissiques). D’un autre côté se trouvent les personnalités qualifiées de rigides, avec essentiellement les obsessionnels et surtout les paranoïaques. Par ailleurs, certains hommes immatures se comportent comme si leur relation de couple n’était qu’une relation amoureuse passagère et en attendent une satisfaction immédiate, sans chercher à s’investir et à résoudre les difficultés ou les conflits autrement que par la force ou la violence. De plus, certains individus ne présentent pas des traits de personnalité aussi clairement distincts, mais plutôt des formes mixtes.
1. les personnalités narcissiques. Alors que le narcissisme normal est à la base de notre identité propre, nous inspirant nos idéaux et nos ambitions, le narcissisme pathologique est grand pourvoyeur de violence. Il conduit le sujet à devenir prédateur, à empiéter sur le territoire psychique de l’autre, à utiliser ses faiblesses ou vulnérabilités afin de mieux se rehausser. Les individus qui ont une personnalité narcissique ont le besoin d’être admirés, ils sont mégalomanes, intolérants à la critique, dépourvus d’empathie, indifférents aux autres et capables de les exploiter. Du fait de leur mégalomanie, ils se présentent comme moralisateurs, donnant des leçons de probité aux autres. Ils savent mieux que quiconque ce qui est bien et ce qui est mal, et dénoncent la malveillance chez autrui. Afin de se maintenir dans la toute-puissance, ils passent leur temps à critiquer tout et tout le monde, n’admettent aucune mise en cause et aucun reproche. Quand quelque chose de négatif leur arrive, ils tendent à en attribuer la responsabilité aux autres. Dans le couple, les hommes sont dominateurs et séduisants, et cherchent à soumettre et à isoler leur compagne. Les narcissiques sont prisonniers d’une image tellement idéale d’eux-mêmes que cela les rend impuissants et les paralyse. Ils ont donc en permanence besoin d’être rassurés par autrui, au point d’en devenir dépendants. Etant éternellement insatisfaits, jamais comblés intérieurement, ils réagissent par de l’agressivité, des impulsions ou des passages à l’acte violents. Ils ne sont pas demandeurs d’amour, mais d’admiration et d’attention, aussi ils utilisent le partenaire tant qu’il les valorise et le jettent, quand celui-ci cesse d’être utile. Quand une personnalité narcissique agresse, elle inflige à l’autre le traitement dont elle a elle-même le plus peur. Il s’agit très souvent de réparer une blessure secrète et d’obtenir ainsi une revanche sur un passé humiliant. Le problème vient de ce que, chez ces individus, tout échec peut être vécu comme une atteinte personnelle. Dans ce cas, toute autre personne, trop lucide ou trop critique, devient un agresseur potentiel et doit être anéantie. Il ne s’agit pas d’une crise de folie, où l’on est « hors de soi », mais bien au contraire, d’un acte délibéré, destiné à blesser. Un narcissique recherche la fusion, il a besoin d’englober l’autre, de le contrôler, de faire de lui un miroir réfléchissant uniquement une bonne image de lui.
2. Les personnalités rigides obsessionnelles. Les obsessionnels sont perfectionnistes. Leur goût de la perfection est très utile sur le plan professionnel, même s’ils s’attachent trop aux détails. Sur le plan social, ils sont conformistes et respectueux des convenances et des lois. Sur le plan personnel, ce sont des personnes difficiles à vivre ; exigeantes, dominatrices, égoïstes, avares. Elles redoutent les débordements émotionnels.
3. Les personnalités rigides paranoïaques. Ces individus ont en commun leur rigidité et ils redoutent une trop grande proximité affective avec quelqu’un. Chez eux, l’autre est responsable de tout ce qui ne va pas. Ce sont des individus méticuleux, perfectionnistes, dominateurs, qui s’autorisent peu de contact émotionnel, tout en ayant des relations fortes et tyranniques avec leur entourage. Généralement, ils ont une vision très rigide du rôle de l’homme et de la femme. La femme doit être soumise et, pour cela, ils l’isolent matériellement en l’empêchant de travailler, de gérer l’argent du ménage, de voir ses amis et sa famille. Ce sont les mêmes qui contrôlent les enfants et qui sont des « petits chefs » au travail. Avec ces personnes, il n’y a jamais de conversation d’égal à égal car elles se mettent en permanence en position dominante, de celui qui sait. Un paranoïaque accule l’autre dans ses derniers retranchements. Tout ce que fait l’autre pour désamorcer le conflit est retourné contre lui. Si le partenaire réagit en s’énervant, il est accusé de violence ; si le partenaire essaie calmement de trouver des solutions, il est accusé de calcul. Un paranoïaque ne reconnaît jamais qu’il s’est trompé, parce qu’il ne veut pas que son autorité soit affaiblie. Ce sont des tyrans domestiques, mais, tant que la femme accepte cette position inférieure, il n’y a pas de problème. Si elle résiste et essaie de s’exprimer, cela enclenche la violence. Le paranoïaque tend à attribuer aux autres les défauts qu’il refuse de voir en lui. Il peut faire preuve d’une mauvaise foi colossale, il peut prendre plaisir à mentir, tromper, agresser, mais, malgré tout, il considère que ce sont les autres qui mentent, trompent, agressent. Ils répriment leurs affects pour se protéger des autres et sont rarement violents hors du foyer car ils ne s’attaquent pas à plus fort qu’eux. Certains se montrent même soumis, voire obséquieux avec ceux qui les dominent, leur supérieur hiérarchique par exemple. Alors qu’ils savent se prosterner devant les puissants, ils sont sans pitié pour les personnes plus fragiles.
Que deviennent les enfants (p. 204)
Pour un enfant, être témoin de violences conjugales revient au même que d’avoir été maltraité lui-même. Quand il y a violence entre ses parents, l’enfant se vit toujours comme responsable, ce qui entraîne, chez lui, une perte d’estime de soi. Il peut aussi se faire qu’il s’identifie à la victime ; dans ce cas, il ne sentira plus les limites entre le tolérable et l’intolérable. Certains d’entre eux peuvent ainsi développer une grande perméabilité à la violence et considérer celle-ci comme une façon normale de résoudre les conflits. Enfin le pire consiste à utiliser l’enfant comme enjeu dans le conflit conjugal. Au moment des séparations, dans leur désir profond de protéger leurs deux parents, les enfants peuvent être pris dans des conflits de loyauté et vivre mal la surenchère de demandes de certificats de la part des avocats des deux parties.
L’aide psychothérapeutique (p. 211)
Une psychothérapie devra permettre à la victime de se dégager de cette relation aliénante, afin de retrouver son existence propre. Parmi les psychothérapies proposées il faut préférer l’écoute active réellement bienveillante, aider les victimes à verbaliser, à comprendre leur expérience et les amener ensuite à critiquer cette expérience. Il vaut mieux éviter les thérapies comportementales qui présentent le risque d’évoquer en miroir le conditionnement auquel la femme a été soumise. Une règle générale est la patience. Il faut donner du temps à ces personnes pour changer leur grille de lecture, de façon à ce que ce qui leur paraissait normal ou banal devienne inadmissible. Au cours d’une prise en charge de ce type, on assiste à de nombreux retours en arrière.
Il est important de respecter certaines étapes :
1. repérer la violence. Certaines femmes interrogées au cours d’une enquête, n’imaginaient pas que ce qu’elles subissaient était de la violence. Il faut leur donner les moyens de décoder la violence psychologique et de repérer les comportements abusifs ; leur permettre de reconnaître la violence comme une injustice, afin de mobiliser leurs ressources. Quand l’agresseur se défend en accusant l’autre, la personne a la tentation de se justifier, ce qu’il ne faut pas faire face à un pervers narcissique car il utilisera tout ce qu’elle lui dira pour le retourner contre elle. Comme dans des sables mouvants, plus celle-ci se débat, plus elle s’enfonce.
2. nommer la violence. Le thérapeute doit prendre position et dire clairement que ces agissements sont anormaux. Pour permettre au patient de sortir du blocage émotionnel, il ne doit pas nier la maltraitance.
3. déculpabiliser la personne. Les patients, qui portent seuls toute la culpabilité de l’échec du couple puis de la violence, devront se déprendre de cette culpabilité. Il faut donc expliquer à la personne que, si elle ne réagissait pas, c’était parce qu’elle était sous influence, lui faire comprendre que l’état d’impuissance dans lequel elle se trouve n’est pas pathologique, mais résulte d’un processus dont on peut comprendre les rouages tant au plan social que relationnel. L’étape suivante consiste, pour le patient, à parvenir à formuler que le comportement de son agresseur n’est pas acceptable. Il doit lui faire accepter la responsabilité de ses actes. Quand on a expliqué ce processus aux patients, il arrive qu’ils trouvent leurs propres solutions. C’est ainsi que certaines femmes comprennent que ce n’est pas leur comportement qui a provoqué la violence chez leur compagnon, mais sa souffrance à lui. Le processus violent se reproduit à chaque nouvelle relation de l’homme.
4. renforcer le narcissisme. Il faut travailler avec les victimes sur leur estime d’elles-mêmes et sur leur capacité d’autonomie, afin qu’elles puissent sortir de leur inhibition et retrouver toutes leurs ressources personnelles. On listera avec elles, leurs points positifs, leurs réussites. Quand elles ont accompli ce chemin, c’est comme si elles se réappropriaient leurs corps. Elles s’habillent différemment, se maquillent, paraissent plus légères. Pour sortir d’une position de victime, il faut retrouver une bonne image de soi.
5. apprendre à poser des limites. Il faudra, ensuite, apprendre à la personne à poser des limites, à refuser une situation que ne lui convient pas, afin de sortir de la confusion et protéger son intimité des intrusions extérieures. On constate d’ailleurs que, quand elle a fermement indiqué ses limites, le partenaire sent qu’il ne peut pas aller au-delà. Mais il faudra être vigilant car il essaiera à nouveau de les enfreindre. Dire « je ne veux pas » permet de reprendre le pouvoir. Il importe d’être maître de son choix. On peut aimer quelqu’un et reconnaître que cette relation est destructrice.
6. récupérer une capacité critique. En analysant les comportements de son partenaire violent, la femme découvre que ceux-ci sont là pour masquer ses faiblesses à lui. Tout à coup, il ne correspond plus à l’image idéale qu’il donnait, il n’est pas tout-puissant. Ce n’est qu’un humain avec ses vulnérabilités. En récupérant une capacité critique, la femme rétablit une symétrie. L’emprise cesse quand la victime réalise que, si elle ne cède pas, l’autre n’a aucun pouvoir.
7. analyser l’histoire individuelle. Lorsque la femme a pris conscience de la réalité de la maltraitance et qu’elle commence à poser des limites, on peut aborder avec elle les points de sa biographie (souvent la petite enfance) qui l’ont rendue vulnérable, mettant au jour la faille dans laquelle l’autre s’est engouffré. On pourra voir aussi en quoi elle a été complaisante, analyser avec elle la fascination qu’il y a à être victime, ce que certains psychanalystes traduisent par la « jouissance à être victime ».
8. lutter contre la dépendance. L’emprise a installé une relation de dépendance ; aussi, comme pour les toxicomanes, il va falloir tenir compte de l’état de « manque ».
9. les psychothérapies de couple. La psychothérapie de couple n’est pas adaptée en cas de violence conjugale car elle part du principe que chacun des deux partenaires est coresponsable des problèmes du couple. Par conséquent, elle permet à l’homme de trouver des justifications à sa violence, et elle risque de renforcer la culpabilité de la femme. Une thérapie de couple ne pourra être envisagée que beaucoup plus tard, lorsque les deux conjoints auront fait suffisamment de chemin par des thérapies séparées, elle pour refuser l’intolérable, et lui pour trouver d’autres issues à sa colère. Cette thérapie est parfois possible lorsque la violence est d’installation récente et que l’homme regrette suffisamment ses dérapages pour s’impliquer complètement.
10. le pardon. La seule voie de réparation efficace serait de demander pardon, c’est-à-dire d’éprouver un repentir sincère. Il est possible de pardonner, lorsque l’agresseur reconnaît ses actes et en exprime des regrets. Dans une relation égalitaire, en principe, celui qui a causé un tort à l’autre reconnaît son erreur, en assume la responsabilité et peut présenter des excuses. Dans le cas des agressions perverses, cela n’existe pas car l’agresseur ne reconnaît jamais ses torts, aussi la victime doit faire le travail d’acceptation, seule. Les femmes qui s’en sortent le mieux sont celles qui ont pu aller jusqu’au bout d’une démarche juridique. Or, quand il s’agit de violence psychologique, c’est impossible puisqu’il n’y a pas de traces, pas de preuves, et que les victimes sont difficilement crues. Dans ce cas, le travail de reconstruction est plus long, c’est comme si une brèche restait ouverte. Il arrive alors que les victimes ressassent sans fin leur rancune et cherchent à évacuer leur souffrance par des exigences de réparation exorbitantes. Cela les fige dans une position d’éternelles victimes.
Faut-il soigner les hommes violents ? (p. 222)
Pour certains féministes, ces hommes ne sont pas des malades mentaux qu’il faut soigner, mais des délinquants qu’il faut punir. Il est exceptionnel qu’un homme consulte spontanément pour trouver une issue à sa propre violence. Beaucoup plus souvent, il le fait, de plus ou moins bonne grâce, sous la pression de sa compagne qui menace de partir. La majorité des hommes violents sont dans le déni complet de leur violence et n’ont aucune demande de soins. Ils attribuent le problème à leur femme qui fait des histoires en se plaignant inutilement, ou bien qui a rompu l’équilibre familial en les quittant. Ils ne mettent un frein à leur violence que si une instance extérieure les y oblige.
La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité propose un questionnaire pour aider les hommes, auteurs de violence à l’encontre de leur femme, à identifier les éléments sexistes à l’origine de leurs actes (Identifier et combattre le sexisme dans la violence masculine envers les femmes, Délégation régionale d’Île-de-France). Ce questionnaire pourrait être utile à l’homme qui n’a que rarement conscience de son comportement.
Les hommes violents sont des hommes qui ne parlent pas. Ils ne savent pas plus dire leurs plaisirs que leur colère. Il faut donc les aider à retrouver leurs émotions perdues, celles de l’enfance, et leur apprendre à les communiquer autrement que par la violence. Le but est de permettre à ces hommes de retrouver une place de sujet à part entière. Il faut qu’ils arrivent à stopper la spirale qui les entraîne à reproduire toujours le même type de relation avec une femme.
Partir ou rester ? (p. 228)
On reproche aux femmes victimes de violence de ne pas réagir, d’être trop soumises, mais, en réalité, elles ne font que développer des stratégies d’adaptation pour limiter la violence du partenaire et préserver le couple et la famille. Aussi, la perspective de se retrouver démunies et sans tendresse est pour elles plus redoutable que la violence elle-même. Si des hommes qui ont été violents avec leur partenaire cessent leur violence, on suppose que ce changement est dû à la réaction de la partenaire. Il importe que ce soit la femme, et non un intervenant extérieur, qui décide si elle doit ou non quitter son partenaire violent.
Rester. Tant qu’elles sont sous emprise, les victimes ont le sentiment qu’il n’y a pas de solution. Or, quand elles osent réagir, elles sont surprises de voir que l’homme qui les agressait et leur faisait peur était, en fait, fragile. Bien évidemment, plus une femme a de l’autonomie et moins son partenaire a de pouvoir sur elle. De toute façon, qu’elles restent ou qu’elles partent, il faut que les femmes apprennent à dire stop et à poser leurs conditions. Il leur faut briser le silence qui entoure la violence.
Il n’est possible de rester en couple que si l’homme est capable de traverser des moments de colère et des conflits sans devenir violent, s’il est capable d’écouter et de respecter la parole de sa femme. Il faut que la femme puisse exprimer son désaccord, qu’elle puisse montrer son énervement ou sa fatigue, sans déclencher une crise de violence chez son compagnon. Pour cela, il lui faudra cesser de le protéger, de le materner, pour s’occuper d’elle.
Partir, oui, mais comment ? Pour partir, il faut reconnaître son impuissance à changer l’autre et décider de s’occuper enfin de soi. Une situation de violence ne peut pas s’arrêter du jour au lendemain. Se dégager de l’emprise d’un conjoint violent est un processus lent, et les femmes victimes donnent souvent l’impression de ne pas savoir ce qu’elles veulent. Pourtant les allers et retours au domicile ne sont pas des échecs mais bien des étapes qui permettent aux femmes de tester leur capacité à vivre seules. Les intervenants doivent discuter avec les femmes de la façon dont elles souhaitent mettre fin à la situation de maltraitance. Il faut qu’elles soient prévenues qu’une démarche juridique peut entraîner, dans un premier temps, une recrudescence de la violence, et c’est pour cela qu’elles ont besoin, plus que jamais, d’un appui psychologique et de réconfort. Partir ne veut pas dire que les femmes soient décidées à divorcer. Elles gardent longtemps l’espoir d’amener leur compagnon à changer.
L’aide extérieure (p. 239)
Que peut faire l’entourage ? Les femmes victimes sont très sensibles aux réactions de leur entourage. Or, elles rencontrent souvent de la commisération, de la gêne, du rejet ou de la culpabilisation, attitudes négatives qui renforcent leur difficulté à dénoncer les faits.
La réponse des professionnels de santé. Il faudrait que les professionnels de santé apprennent à repérer des indices de violence conjugale. Mais, d’une part, ils ne sont pas suffisamment formés et, d’autre part, ils craignent souvent d’offenser leurs patientes, en posant des questions trop directes. Une femme victime de violence est perturbée par ce qu’elle vit, aussi il faut veiller à ne pas la transformer en malade mentale. Il est important de la rassurer et de lui dire que ce n’est pas elle qui a un problème, mais son partenaire.
La réponse des associations. Les associations se sont regroupées en Fédération nationale Solidarité Femmes. Une permanence téléphonique a été crée en 1992, à la demande du secrétariat aux Droits des femmes : Violence conjugale femmes info service 01 40 33 80 60 ou 3615 SOS FEMME. Le secrétariat aux Droits des femmes et à l’Egalité a édité un certain nombre de brochures à destination des femmes bien sûr, mais aussi pour les intervenants sociaux, pour la gendarmerie, la police, les professionnels de santé.
La réponse judiciaire. Une situation abusive s’aggrave toujours avec le temps, il faut donc intervenir de l’extérieur pour l’interrompre. Mais les femmes hésitent à porter plainte, elles se contentent de faire établir des mains courantes, ce qui ne fait pas avancer la situation.
Les médiations. En cas de plainte pour violence conjugale, les juges peuvent être tentés de proposer une médiation. Le danger d’une médiation est de banaliser la violence et de la ramener à un simple conflit de couple ; on rapproche les deux conjoints en demandant à chacun de faire un pas vers l’autre. Or, dans la violence conjugale, les deux parties ne sont pas égales, la relation est asymétrique. Il y a, d’un côté, un conjoint abusif et, de l’autre une femme qui porte seule la culpabilité de l’échec de la relation. Il semble que les juges n’en tiennent pas suffisamment compte, quand il s’agit de violence perverse.
Les expertises. Lorsqu’il s’agit de violence psychologique, cela nécessite l’expertise d’un professionnel sachant repérer la manipulation. Lors des séparations, quand il n’y a pas de certificats de coups et blessures, les victimes ont bien du mal à se faire entendre. Les avocats réclament une expertise psychologique qui est le plus souvent décevante. La manipulation peut se poursuivre longtemps après la séparation, par le biais du droit de visite. Il apparaît que ces hommes n’ont pas vraiment envie de passer un bon moment avec leurs enfants ; ils veulent seulement exercer un droit, leur droit de visite. L’enfant est instrumentalisé comme leur mère l’avait été. Comment prouver la violence psychologique ? Très souvent l’entourage se désengage au moment de témoigner. Devant un juge, un homme violent, s’il n’existe pas de preuve de ses agissements, va se présenter en victime. Il parlera calmement et fera en sorte de présenter sa femme comme une hystérique. La femme cherchera à se défendre et, plus elle se justifiera, plus elle s’enfoncera. Les juges, craignant alors la manipulation, préféreront ne pas trancher et opteront pour une solution intermédiaire. Les femmes victimes sont souvent déçues des décisions de justice car elles savent que, quelle que soit la gravité de ce qu’elles ont subi, la sanction sera rarement en proportion. Les juges tiennent rarement compte de la violence psychologique. Pourtant, les victimes ne peuvent panser leurs blessures qu’une fois qu’elles sont reconnues comme victimes et que l’agression a été sanctionnée.
S’il est légitime d’aider les femmes à sortir d’une situation de violence morale, il faut prendre garde à ne pas les enfermer dans une position de victime et à ne pas les pousser à des revendications sans fin. Certaines femmes qui ont été malheureuses dans leur couple, au moment du divorce veulent « faire payer », au sens littéral du terme, leur ex-conjoint. Ces femmes doivent aussi prendre leur part de responsabilité. Ce qui importe, c’est, avant tout, que la situation cesse et qu’elles puissent se reconstruire une autre vie. La plainte et la revendication sans fin ne permettent pas le changement. Elles entretiennent ainsi une guerre des sexes, qui se fait toujours au détriment des enfants. Répondre à la violence par la violence, c’est transmettre la souffrance, cela ne résout rien. Vouloir obtenir réparation devant une injustice n’est pas suffisant pour retrouver la paix intérieure. Il faut accepter qu’en sortant de l’emprise, plus rien ne sera comme avant, et rompre avec ses propres sentiments destructeurs. Pour éviter d’entrer dans un processus de vengeance éternelle, la victime doit pouvoir nommer le préjudice sans agressivité.
L’importance de la prévention. Si l’on veut venir à bout de la violence conjugale, il faut mettre l’accent sur l’éducation, celle des adultes et surtout celle des jeunes. Il serait bénéfique, dans la prévention, de mettre l’accent sur les formes les plus subtiles de violence, c’est-à-dire, la domination et les menaces, de développer une sensibilité à la violence, d’apprendre à la repérer et à la refuser. Il n’est pas question d’opposer hommes et femmes ; il faut au contraire leur apprendre à fonctionner ensemble sur un autre mode que celui de la domination/soumission. Si on veut que cesse la violence dans les couples, il faut encourager les femmes à s’affirmer sereinement, à affronter les hommes en leur mettant des limites, en disant non à certains comportements. Il faut nommer la violence et apprendre à la repérer même dans ses formes les plus subtiles. Faire passer des messages forts auprès des femmes, pour qu’elles mettent des limites : exigez le respect, n’acceptez pas la violence, sortez de l’isolement si vous pensez être victime, faites-vous aider, parlez-en à votre famille ou à une association.
Aux hommes agresseurs, il faut dire que le déni ne résout rien, que la violence est destructrice pour leur victime mais aussi pour eux-mêmes. Aux témoins, il faut dire qu’ils peuvent aider les femmes victimes à parler et à trouver, avec elles, des solutions.
Conclusions (p. 277)
Nous sommes dans un monde où chacun peut avoir la tentation de dominer l’autre, dans une société qui n’accepte que les gagnants, ce qui n’aide pas les hommes à lâcher le pouvoir qui leur reste. Dans le monde du travail on valorise celui ou celle qui sait s’imposer sans état d’âme, et petit à petit la figure du narcissique ou même du pervers narcissique, qui saura manipuler de façon à être le plus fort, devient la référence. Les exigences de performance et de réussite individuelles sont de plus en plus mises en avant, et dans les familles, on constate de moins en moins d’interdits et de limites, mais en revanche les exigences individuelles augmentent.
Les violences conjugales ont un impact sur la santé des femmes et des enfants, et, à ce titre sont un enjeu de santé publique mais c’est aussi un enjeu de la société toute entière et des valeurs que celle-ci veut prôner. Des comportements qui mettent à mal la dignité des personnes ne sauraient être banalisés ou considérés comme de simples affaires privées. Si nous voulons que cette société soit faite d’individus responsables, il s’agit de modifier les valeurs sociales afin de construire une société plus égalitaire et plus respectueuse.
L’enquête ENVEFF (Enquête nationale sur les violences envers les femmes en France) a été réalisée pour la première fois en 2000 à la demande du secrétariat d’Etat aux Droits des Femmes. Il s’agit d’une enquête quantitative par téléphone auprès d’un échantillon représentatif de 6970 femmes âgées de vingt à cinquante-neuf ans. L’entretien durait 45 minutes et l’enquêteur ne devait utiliser ni le mot « violence » ni le mot « agression ». 10% des femmes ont déclaré avoir subi des violences au cours des 12 derniers mois. Les enquêtes internationales donnent des chiffres similaires.
Selon la définition des Nations Unies : « Est considéré comme acte violent tout acte, omission ou conduite, servant à infliger des souffrances physiques, sexuelles ou mentales, directement ou indirectement, au moyen de tromperies, de séduction, de menaces, de contraintes, ou de tout autre moyen, à toute femme, ayant pour but et pour effet de l’intimider, de la punir, ou de l’humilier, ou de la maintenir dans des rôles stéréotypés liés à son sexe, ou de lui refuser sa dignité humaine, son autonomie sexuelle, son intégrité physique, mentale, ou morale, ou d’ébranler sa sécurité personnelle, son amour-propre, ou sa personnalité, ou de diminuer ses capacités intellectuelles. »
Les éditions
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FEMMES SOUS EMPRISE
de Hirigoyen, Marie-France
Oh ! éd.
ISBN : 9782915056228 ; 18,90 € ; 21/04/2005 ; 299 p. ; Broché
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