Energies noires de Jesse Jacobs

Energies noires de Jesse Jacobs

Catégorie(s) : Bande dessinée => Sci-fi & fantastique

Critiqué par Blue Boy, le 5 novembre 2021 (Saint-Denis, Inscrit le 28 janvier 2008, - ans)
La note : 8 étoiles
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De l'autre côté des galaxies

Dans le monde de Jesse Jacobs, on ne peut pas dire que l’être humain soit en odeur de sainteté. Pour développer son propos, l’auteur s’attaque aux mythes de la maison hantée et de l’enfant sauvage dans deux récits grinçants dotés d’un graphisme singulier à la beauté menaçante.

Ce modeste album de 64 pages, de facture très soignée, réunit deux histoires courtes de l'artiste canadien, « spécialisé dans le dessin et l’estampe ». Celui-ci a déjà réalisé quatre bandes dessinées et réalise également « des illustrations pour des posters, skateboards ou pochettes de disques ». Et en effet, c’est ce qui distingue cet ouvrage caractérisé par une couverture envoûtante, extrêmement graphique, représentant des monstres qui réclament, que dis-je, exigent toute notre attention !

Les deux histoires (« Entre mes murs » et « Parmi les bêtes »), qui semblent avoir été conçues de l’autre côté du miroir, nous entraînent dans des mondes où tous nos repères familiers sont totalement bousculés, où les objets ont une vie propre, où les propriétés biologiques du vivant sont si étranges que l’on n’oserait même pas les imaginer dans l’une des galaxies peuplant notre univers, si innombrables soient-elles. Dans ces mondes parallèles, les maisons sont des pièges vivants et se vengent des humains en les engloutissant sur place. Les bébés à l’apparence humaine naissent orphelins et sont élevés par des créatures protéiformes assez effrayantes mais au fond pas si méchantes. Celles-ci sont dotées de caractéristiques uniques, leur permettant entre autres de se reproduire par dédoublement, à la manière des cellules microscopiques qui constituent le vivant au sein de notre macrocosme.

Si irréels paraissent-ils, ces univers conçus par un cerveau qui semble avoir franchi, à l’aide de ses tout petits pieds, les portes de la perception, restent tout de même assez inquiétants, mais passés les premiers instants, on peut pourtant finir par les trouver très beaux dans leur poésie noire… Et peut-être pour nous y aider, Jesse Jacobs, ayant pitié de nous, pauvres chochottes qui avons tendance à surdramatiser les choses, nous concède quelques (rares) traits d’humour — noir cela va de soi. Et dans tout ça, l’humain n’en ressort pas grandi, c’est le moins qu’on puisse dire. Parce que ces monstres, au final, s’avèrent bien plus fréquentables, et s’ils nous déplaisent, ce n’est peut-être pas tant à cause de leur apparence rebutante mais plutôt à cause du miroir peu flatteur qu’ils nous tendent.

Si « Entre mes murs » se restreint au noir et blanc, ou plutôt à un peu de blanc sur fond noir, « Parmi les bêtes » introduit un vert électrique dans une ambiance d’outre-espace peu rassérénante. Le tout dégage une beauté obscure parfois proche de l’abstraction, qui n’aurait pas manqué de donner quelques frayeurs au philosophe Pascal… Quant aux fameuses créatures extra-terrestres, si elles ne brillent pas par leur intelligence, leurs particularités physiques les font parfois luire sous la voûte étoilée voire vibrer jusqu’à muter en entités constituées d’ondes électriques et de photons. De la pure énergie… noire et extatique ! Une divine communion avec le cosmos à côté de laquelle l’Homme apparaît handicapé…

Si l’on parvient à estimer l’ouvrage à sa juste valeur en s’abandonnant à ses sensations primitives, on pourrait envisager de capter ces rayons d’énergie noire venus des tréfonds de l’espace et d'en ressentir la puissante décharge visant – pour notre bien - à briser la carapace de nos certitudes et de notre insupportable ethnocentrisme, nous, effrayants prédateurs jamais rassasiés. Mais peut-être n’êtes-vous pas encore prêts à cet électrochoc graphique ? ll est même possible que vous détestiez tout simplement l’objet… mais si par contre, vous êtes séduits par l’ouvrage, vous serez vraisemblablement frustrés du format assez court comme je l’ai été…

« Energies noires », c’est avant tout un univers expérimental, un rien psychédélique, qui requiert la participation du lecteur, un univers à la fois menaçant et fascinant, sous-tendu par un esprit discrètement caustique. C’est aussi la découverte d’un auteur confidentiel mais original, pour ceux qui auraient manqué ses précédents opus, notamment « Et tu connaîtras l’univers et les dieux » paru il y a sept ans. Et pour paraphraser un des passages du livre, il est plausible que ce soit ce dernier qui vous ait choisi et non l’inverse… Vous voilà prévenus, mais attention, car cette énergie noire est pleine de surprises !

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