Le soleil des morts de Ivan Chmeliov

Le soleil des morts de Ivan Chmeliov
(Солнце мертвых)

Catégorie(s) : Littérature => Russe

Critiqué par Cyclo, le 7 juin 2021 (Bordeaux, Inscrit le 18 avril 2008, 78 ans)
La note : 10 étoiles
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Les racines du Mal

"Le soleil des morts" est un récit éprouvant sur la famine et les exactions qui ont suivi la guerre civile en Crimée au début des années 20. Chmeliov, d’abord favorable à la révolution en février 1917, s’opposa ensuite farouchement à la révolution d’octobre, dont il montre ici avec réalisme et désespoir comment elle s’est imposée après la victoire des rouges contre les blancs : massacres des bourgeois et de leurs suppôts, famine organisée pour réduire les derniers récalcitrants.La nature, les hommes, les bêtes souffrent ensemble et des petits chefaillons font régner la terreur. Chmeliov est un très bon écrivain qui dut s’exiler en France.

Les évènements racontés se situent entre 1921 et 1922 : la Crimée est alors dirigée par le commissaire politique Béla Kun (après avoir dirigé la République des Conseils de Hongrie écrasée en 1919). Il se comporte en tyran sanguinaire et brutal, cherche à éliminer tous les indésirables, y compris les tatars, peuple nomade et irréductible, agissant ainsi en despote et potentat local. C’est la mauvaise saison et les récoltes ont été mauvaises du fait des confiscations de terres, des violences, des exactions diverses, assassinats de paysans suspectés de s’opposer au nouveau régime, saccage et pillage de maisons et des réserves alimentaires. On y voit donc des personnages divers, paysans, médecin, professeur, facteur, femmes, enfants, vieillards, bêtes errant et parcourant la campagne, frigorifiés, hallucinés, efflanqués, tenant à peine debout, rendus parfois déments par l’enfer de la terreur rouge, au nom d'un "bonheur" futur. Même la nature de la belle Crimée est souillée, endeuillée par la barbarie des hommes. On vit désormais un enfer ! La famine devient l’élément-clé du roman et Chmeliov en montre les effets sur ce qui reste d’humanité chez les gens : on peut parler de famine des corps et de dénuement des âmes, de détresse des esprits. La nourriture devient un rêve, et toutes les actions humaines sont à sa recherche, avec parfois un peu de solidarité quand on trouve plus démuni que soi.

Chmeliov raconte l'horreur en la faisant ressentir au lecteur : c’est dire qu’on doit être en forme pour lire ce livre, pourtant un "essentiel" de mon point de vue et comme le pensait le grand Thomas Mann. On a le cœur serré. J’ai vu dans "Réforme" qu’un autre livre de Chmeliov venait de reparaître aux éditions Sillage cette année : Garçon !, son premier succès en 1911.

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