Kronstadt 1921 : Prolétariat contre dictature communiste de Alexandre Skirda

Kronstadt 1921 : Prolétariat contre dictature communiste de Alexandre Skirda

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Histoire

Critiqué par Anonyme11, le 20 août 2020 (Inscrit(e) le 18 août 2020, - ans)
La note : 10 étoiles
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Kronstadt : l'un des massacres de masse du régime totalitaire soviétique, ordonné par Lénine et exécuté par Trotski !

Alexandre Skirda né en 1942 de parents Russes (réfugiés de la Guerre Civile en Russie entre 1918 et 1920), est un historien et essayiste, spécialiste du mouvement Révolutionnaire Russe. Dans ce très important ouvrage, il retrace, grâce à : de nombreux témoignages de contemporains de la période Léniniste ; des Archives récentes exhumées depuis la fin de l’U.R.S.S. en 1991 ; et à des documents inédits provenant de Kronstadiens, le déroulement RÉEL de ce massacre de masse que fut le massacre de Kronstadt en mars 1921. En effet, depuis ce massacre de masse, les Communistes ont toujours tenté d’inverser les rôles entre : Victimes et Bourreaux, ou pour employer une analogie avec des termes manichéens qu’ils affectionnent tout particulièrement, entre : Révolutionnaires et Contre-Révolutionnaires.
Or, en réalité, il n’existe pas un massacre délibéré de la part du Pouvoir Totalitaire Communiste, plus criant et clairement établi, que celui de Kronstadt. D’ailleurs, Trotsky, tout le restant de sa vie, et malgré ses talents oratoires et d’écriture, a dû usé d’innombrables contorsions sémantiques, de mensonges et de propagande (mais cela est dans la nature même du fonctionnement d’un système Totalitaire), pour tenter, suivant les circonstances et les époques, soit de minimiser sa responsabilité, soit de justifier sa position et ses actes. Peine perdue…, « Feld-maréchal » Trotsky (comme le nommaient les kronstadiens), car l’Histoire est UNIQUE et Éternelle…
Le seul aspect « positif » dans le fait que le massacre de Kronstadt soit aussi popularisé à travers le monde (pour ceux qui s’intéressent à l’Histoire du Communisme) réside, non seulement, dans la mise en évidence que ce massacre a bel et bien été perpétré par le Pouvoir Bolchevique (Communiste) de Lénine ; mais également de permettre de mettre en lumière le fait que, malheureusement, ce massacre ne représente qu’une « goutte d’eau » dans l’immensité des exterminations de masse qu’a connue la Russie, durant la formation de ce régime Totalitaire Communiste, entre le coup d’État du 25 Octobre 1917 et la mort de Lénine en janvier 1924 !

Mais d’abord, pour comprendre ce massacre de Kronstadt, il est nécessaire de reprendre les évènements dans leur chronologie et dans le contexte Historique…
Depuis plusieurs décennies, des Partis Révolutionnaires de gauche, plus ou moins Terroristes, essayaient de renverser le régime Tsariste. Et finalement, ce fut une Révolution Populaire dans la Capitale Russe de l’époque, Pétrograd, en février 1917, qui conduisit à l’abdication du Tsar Nicolas II et de son régime Tsariste Autocratique. Début mars, il fut immédiatement constitué un Gouvernement Provisoire qui devait gérer les « affaires courantes » du pays, et notamment une et pas des moindres : la Première Guerre Mondiale ; en attendant les élections nationales et la Convocation de l’Assemblée Constituante.

Le Parti d’extrême gauche le plus connu à cette époque était le Parti Bolchevique (qui prendra le nom de Communisme à partir de mars 1918). Lénine le fonda en 1903, suite à la scission du Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie (P.O.S.D.R.) en deux fractions : le Parti Bolchevique (signifiant majoritaire) dirigé donc par Lénine ; et le Parti Menchevique (signifiant minoritaire) avec à sa tête, Martov.
Joseph (Iossif) Vissarionovitch Djougachvili, plus connu sous le pseudonyme de Staline (l' »homme de fer »), adhéra au Parti Bolchevique de Lénine dès son origine, et mena même des opérations d' »expropriation » (en clair : des braquages de banque !) pour le compte de Lénine, afin de contribuer au financement du Parti Bolchevique. En revanche, Lev Davidovitch Bronstein, dont l’un de ses nombreux pseudonymes était donc : Léon Trotsk(y ou i), ne rejoignit le Parti Bolchevique qu’après la Révolution Populaire de Février, à son retour d’exil des États-Unis, au printemps 1917. Jusqu’à cette époque, il était plus proche des thèses révolutionnaires moins Dictatoriales et Terroristes des Mencheviques.
Étant donné que nos deux « Camarades » et futurs Criminels de masse, Lénine et Trotski, étaient en exil à l’étranger lors de la Révolution Populaire de février 1917, c’est Staline le séide de Lénine qui, avec d’autre membres du Parti Bolchevique, était chargé par Lénine de garder la « boutique » du Parti.
Lorsque Lénine rentra en Russie en avril 1917, il reprit les rênes du Parti, basant notamment sa propagande sur ses fameuses « Thèses d’avril » à caractères extrémistes.
C’est alors que le très distingué, érudit et futur exterminateur de masse, Trotsky, rejoignit le Parti Bolchevique de Lénine, puisque désormais l’unique objectif était extrêmement clair : renverser le plus rapidement possible le Gouvernement Provisoire, pour prendre le Pouvoir Absolu par la force et instaurer ainsi la « Dictature du Prolétariat » du Parti Bolchevique.
La propagande Bolchevique battant son plein et le Gouvernement Provisoire n’arrivant pas à prendre les bonnes décisions, au début du mois de juillet, il régnait à nouveau une atmosphère Révolutionnaire dans la Capitale. Les « marins de Kronstadt » furent alors sollicités par les Bolcheviques (Communistes) pour venir manifester à Pétrograd. Le 4 juillet, 10 000 à 12 000 marins, soldats et artilleurs arrivèrent dans la Capitale et se dirigèrent vers la Palais de Tauride, siège du Comité exécutif central des soviets. Puis, ils furent détournés par le chef Bolchevique local, Raskolnikov, en direction du Palais de la Kchessinskaja (ex-favorite de Nicolas II), où se situait le Comité Central du Parti Bolchevique (pages 47, 48, 49 et 50) :
« Au balcon apparaît d’abord Sverdlov, puis Lounartcharsky, qui tiennent des discours lénifiants et ambigus, avant que Lénine lui-même vienne saluer : l' »honneur et la gloire de la révolution russe », leur déclare sa confiance dans la victoire du mot d’ordre « Tout le pouvoir aux soviets » et leur prodigue des conseils de « ténacité, de fermeté et de vigilance ». Des ovations et des vivats lui « souhaitant longue vie » lui répondent avant qu’il ne s’esquive, prétextant être souffrant. Visiblement, il n’avait pas voulu endosser la responsabilité de ce qui pouvait advenir.
Lourdement armés, les kronstadiens n’étaient pas venus pour défiler pacifiquement, et tant les SR de gauche que les anarchistes présents sont quelque peu surpris de se retrouver soudain devant un meeting bolchévik. Yartchouk s’indigne en déclarant qu’il était scandaleux d’être venus ici pour écouter des discours bolchéviks ; Alexandre Baranov, un SR de gauche membre du Soviet de Kronstadt, s’indigne également de recevoir la bénédiction de Lénine, dont il n’a que faire. Malgré tout, ils acceptent que le drapeau du Comité central bolchévik soit porté devant leur cortège et supplante leurs propres étendards.
Leur enthousiasme un peu tiédi, les manifestants poursuivent leur route vers le palais de Tauride. Le défilé de fusils et de baïonnettes avance dans le silence hostile jusqu’au carrefour des avenues Nevsky et Liteïnaja, où ils s’engagent. Tout à coup, une fusillade éclate, provenant des fenêtres et des toits des immeubles, et provoque une grande panique et la débandade de la manifestation. Pour la plupart des manifestants, c’est le baptême du feu, ce qui explique qu’affolés ils se réfugient partout où ils peuvent et tiraillent dans toutes les directions. Il y a 40 morts et des dizaines de blessés, mais on ne connaîtra jamais les auteurs des premiers coups de feu et on ignora si les morts avaient été victimes de la fusillade ou de tirs croisés des manifestants. Le calme revenu, le cortège atteint le palais de Tauride et remet sa pétition. On demande la venue du ministre de la Justice Péréverzev ; c’est Victor Tchernov, le ministre SR de l’Agriculture, qui se présente et tente d’expliquer la politique de la coalition gouvernementale. Il est pris à partie par des manifestants, dont l’un lui dit : « Prends le pouvoir, quand on te le donne, fils de chien ! », paroles un peu simplistes auxquelles il n’a pas le temps de réagir car on veut l’emmener en voiture. Seules les interventions de Raskolnikov et de Trotsky lui épargnent un mauvais moment. Sur ce, Zinoviev vient conseiller de se disperser pacifiquement et de retourner à Kronstadt. Ce que fait la majorité, tandis que 700 kronstadiens restent avec le comité militaire du parti bolchévik pour défendre le palais de la Kchessinskaya, élisant Raskolnikov comme commandant.
Le gouvernement réagit avec retard mais fermeté et déclenche une répression contre les bolchéviks, qualifiés de traîtres et d’agents de l’Allemagne, en apportant des preuves des subsides leur ayant servi à publier leurs journaux. Une vague d’arrestations atteint les dirigeants, dont certains se réfugient dans la clandestinité. Lénine va ainsi se cacher en Finlande. Quoique interdits, les journaux bolchéviks réapparaissent souvent sous d’autres titres. À Kronstadt, c’est aussi l’heure de dégager les responsabilités, Lamanov reproche à Raskolnokov, qui n’était même pas membre du Comité exécutif du Soviet, d’avoir usurpé son pouvoir et d’avoir engagé les marins dans cette aventure tragique. Toutefois, les membres du Soviet ne veulent pas se désolidariser complètement des bolchéviks – y compris les menchéviks, lesquels ont pourtant eu à subir leurs remontrances et vexations -, et le font savoir à plusieurs reprises au Comité exécutif central des Soviets de Pétrograd et au nouveau gouvernement provisoire de coalition, formé le 23 juillet avec davantage de ministres socialistes et dirigé par Alexandre Kérensky.
(…) Devenu président du gouvernement provisoire, Kérensky va commettre toute une série de fautes qui lui aliéneront le soutien de ses partisans socialistes et fragiliseront la situation. D’abord, il retarde les élections à l’Assemblée constituante, tout en s’attribuant ses prérogatives par le biais d’une Conférence démocratique et d’un Préparlement qui décident de substituer la république au régime monarchique officiel. Ensuite, en continuant la guerre, il encourage le commandement militaire à réintroduire la peine de mort pour désertion et à réduire le rôle des comités de soldats au profit de celui des officiers. Ces mesures et ces discours équivoques induisent en erreur le commandant en chef de l’armée, le général Kornilov, lequel, persuadé de l’accord tacite de Kérensky, marche sur Pétrograd pour « rétablir l’ordre ». Affolé, Kérensky ne trouve rien de mieux que de faire appel à ceux qui avaient voulu le renverser en juillet : il libère les dirigeants bolchéviks et arme leur garde rouge, constituée d’ouvriers des comités d’usine et de fabrique. Cette menace d’une réaction militaire provoque une union sacrée des révolutionnaires. Lamanov publie une proclamation enflammée contre un retour de la réaction. Le gouvernement provisoire est débordé par ses défenseurs inattendus. En même temps, il se retrouve considérablement affaibli, tant politiquement que militairement, au point que Lénine prêche ouvertement l’insurrection et la prise du pouvoir par les soviets. Retranché avec ses ministres dans le palais d’Hiver, ancien siège du pouvoir tsariste, Kérensky reste passif devant l’évolution de la situation, pensant que ses adversaires de gauche n’oseront jamais l’attaquer, puisqu’il les a récemment ménagés – magnanime, il avait même fait relâcher les dirigeants bolchéviks appréhendés en juillet, en particulier Trotsky et Antonov-Ovséenko, menchéviks-interdistricts, tout juste ralliés à Lénine.
Mais nulle gratitude en retour, car ce sont ceux-là mêmes qui vont diriger le putsch d’Octobre et le renverser ! Il n’a rien prévu, alors que le coup de force était annoncé ouvertement depuis plusieurs jours. Pour toute défense, il dispose de trois détachements d’élèves officiers, du « bataillon de la mort », composé de 140 jeunes femmes (!), quelques cosaques, une unité de cyclistes, 40 invalides de guerre commandés par un officier unijambiste et plusieurs pièces d’artillerie, mais ne disposant d’aucune mitrailleuse. Il n’y a pas à s’étonner que Lénine ait dit après cela que s’emparer du pouvoir avait été : « aussi facile que ramasser une plume ! » Sorti de prison, Trotsky mène l’insurrection en tant que président nouvellement élu du Soviet de Pétrograd, ce qui lui donne un aspect officiel, et il dispose de son Comité révolutionnaire militaire, dirigé par le militant éprouvé Antonov-Ovséenko. Sollicité, le Soviet de Kronstadt envoie un corps expéditionnaire de près de 5 000 hommes (3 825 marins et 943 soldats), sous la direction d’Ivan Flérovsky, le chef bolchévik local, et d’Efim Yartchouk, le leader anarcho-syndicaliste. Les autres bases de la Baltique envoient également des contingents, ce qui fait au total 10 000 marins de la Baltique viennent se joindre à une moins nombreuse garde rouge. Le 25 octobre, la prise du palais d’Hiver s’avère aussi aisée que d’enfoncer une porte ouverte. Tout cela s’accomplit au nom du « pouvoir des soviets » à la veille de leur IIe Congrès panrusse. Une nouvelle ère commence… (note n°7, page 51 : Voir le récit édifiant du défenseur Alexandre Sinégouba dans Les Archives de la révolution russe (R), Berlin, 1922, tome IV, p. 121-197). »
Récapitulons… La mise en place du régime Totalitaire Bolchevique (Communiste), qui deviendra dès la création de l’Internationale Communiste en 1919, un Système à l’hégémonie planétaire, fut extrêmement rapide :
Le 7 décembre 1917, ce fut la création par décret de la Police Politique, la Tcheka, dirigée par le sadique Félix Dzerjinski, chargée de traquer les « ennemis de classe et du peuple ». La Tcheka était l’un des Organes avec l’autre instrument de la Terreur Politique : l’Armée Rouge fondée par Trotsky…
Dans la foulée, Lénine écrivit un article à caractère Totalitaire nommé : « Comment organiser l’émulation ? », qui ne paraîtra qu’en 1929, mais qui définissait très clairement le contenu de sa politique Terroriste, appliquée dès le coup d’État d’Octobre et stigmatisant (doux euphémisme) un panel de citoyens extrêmement large à enfermer ou à exterminer, dans la société civile Russe. En réalité, c’était TOUTE la population Russe qui devait être victime de la Terreur de masse. Voici une partie du contenu de ce texte infâme (page 25 et 26) :
« (…) des riches et de leurs écornifleurs, puis des filous, des fainéants et des voyous. Pas de quartier pour les ennemis du peuple, ces ennemis du socialisme, ces ennemis des travailleurs. Guerre à mort aux riches et à leurs pique-assiette, les intellectuels bourgeois ; guerre aux filous, aux fainéants et aux voyous […]. Des milliers de formes et de procédés pratiques de recensement et de contrôle visant les riches, les filous et les parasites doivent être mis au point […]. La poursuite d’un même but unique : débarrasser la terre russe de tous les insectes nuisibles, des puces [les filous], des punaises [les riches] et ainsi de suite. Ici, on mettra en prison une dizaine de riches, une douzaine de filous, une demi-douzaine d’ouvriers qui tirent au flanc – à la manière des voyous, comme le font de nombreux typographes à Pétrograd, surtout dans les imprimeries des partis. Là, on les enverra nettoyer les latrines. Ailleurs, on les munira, au sortir du cachot, d’une carte jaune afin que le peuple entier puisse surveiller ces gens malfaisants jusqu’à ce qu’ils soient corrigés. Ou encore, on fusillera sur place un individu sur dix coupables de parasitisme » (note n°19, page 35 : Lénine, Œuvres, tome 25, p. 428-432).
(Précisons au passage que, comme le précise la note n°19, la plupart des nombreuses citations ignobles de Lénine, comme celle-ci, sont donc extraits de ses propres « Œuvres » en 55 volumes. Les militants qui se revendiquent du Communisme au 21ème siècle ont donc pleinement conscience d’adhérer à l’horreur des propos tenus par Lénine et donc des actes Criminels perpétrés par : lui, Trotsky, Staline, Dzerjinski, Zinoviev, Kamenev et toute cette clique de Terroristes Communistes !)

Mais bon, continuons…
Durant cette période de transition politique (entre la Révolution Populaire de février et le coup d’État Bolchevique d’Octobre), Lénine avait attiré une partie des masses en leur faisant de fausses promesses avec les slogans : « Tout le pouvoir au soviets », la « Paix », le « pain » et « La terre aux paysans et l’usine à l’ouvrier » ; mais désormais, trois semaines avant le coup d’Octobre, il prévenait déjà cyniquement avec un profond mépris, que… (pages 29 et 30) :
« (…) le Soviet ne peut être qu’un organisme insurrectionnel. Sinon les Soviets ne sont que de vains hochets qui conduisent infailliblement à l’apathie, à l’indifférence, au découragement des masses légitimement écœurées par la répétition perpétuelle de résolutions et de protestations » (note n°31, page 35 : Lénine, Œuvres, tome 26, p. 141). Le « léninisé » Trotsky, dans son histoire de la première révolution, 1905, certes rédigée en 1922, répétera que les Soviets n’étaient que des instruments pour conquérir le pouvoir (note n°32, page 35 : Léon Trotsky,1905, Paris, 1923, Librairie de l’Humanité, p. 211-213).
À la fin de l’année 1917, les Bolcheviques perdirent largement, lors des élections générales au scrutin direct et universel organisées en Russie. En effet, les S.R. (Socialistes Révolutionnaires) récoltèrent 60 % des voix et les Bolcheviques seulement 25 %. Désormais, le contexte était mal engagé pour ce Pouvoir Bolchevique, en vue de la convocation de l’Assemblée Constituante. Mais la Démocratie n’étant pas la « tasse de thé » de Lénine (encore un euphémisme, décidément…), il allait se charger d’expédier manu militari et de jeter cette Assemblée Constituante dans…, « les poubelles de l’Histoire » (selon une expression de Trotsky !)…
L’Assemblée Constituante se réunit donc le 5 janvier 1918. Sachant pertinemment, qu’ayant perdu les élections Nationales Russes, les choses tourneraient forcément mal lors le l’Assemblée, afin d’anticiper cette problématique inévitable, Lénine fit entourer le bâtiment de l’Assemblée par des troupes de tirailleurs Lettons et des unités des Marins de Kronstadt. En effet, Lénine était parfaitement conscient que le Parti Bolchevique étant minoritaire (ironique situation pour un Parti signifiant…, majoritaire !), il lui serait impossible de conserver le Pouvoir Absolu sans avoir recours à la force. Durant les pourparlers, Lénine délégua donc l’ingrate mission à l’anarchiste et marin, Anatole Zélesniakov, d’interrompre la séance en prétextant que : « la garde était fatiguée ». En réalité, dès le lendemain matin, Lénine signa un décret stipulant que l’Assemblée Constituante était dissoute. Et la Garde Rouge tira sur la foule pour la dispersée faisant de nombreux morts et blessés.
Alors que les Bolcheviques se trouvaient, depuis le coup d’État, illégitimement au Pouvoir, Lénine détruisait ignominieusement le dernier espoir attendu depuis des décennies par le Peuple Russe, de voir un jour s’instaurer la Démocratie en Russie, à travers l’institution que représentait l’Assemblée Constituante !
Avec cette dissolution forcée de l’Assemblée, Lénine fomentait-là, le deuxième acte foncièrement anti-Constitutionnel et anti-Démocratique, après celui du coup d’État Militaire du 25 octobre 1917 !
D’ailleurs, le menteur et propagandiste qu’il (Lénine) était, avait bien évidemment fait semblant de réclamer lui-même à cor et à cri la Convocation de l’Assemblée Constituante auprès du Gouvernement Provisoire de Kérenski. Mais ce n’était que de la poudre aux yeux, destinée à lui [Lénine] donner une aura faussement démocratique auprès de la population Russe qui s’était battue pour se libérer du joug Autocratique Tsariste. De plus, durant cette même période, il avait menti en promettant de donner : « Tout le pouvoir aux soviets », la « Paix », le « pain » et « La terre aux paysans et l’usine à l’ouvrier ». On ne peut évidement pas reprocher à une partie du Peuple Russe de l’avoir cru à cette époque, puisque ce Peuple, enfin libre, n’espérait que la Démocratie et la Liberté.
Tragiquement, un précaire début de Démocratie ne devait réapparaître en Russie que, 74 ans plus tard, après l’effondrement de l’U.R.S.S., en 1991…
Donc dès le lendemain du coup d’État d’Octobre 1917, la dramatique réalité consista dans la rapide confrontation du Peuple face à la tyrannie et à la persécution Totalitaire Communiste, notamment à travers : la politique de « Dictature du Prolétariat », le « Communisme de Guerre » (les réquisitions forcées des récoltes agricoles chez les paysans et les « koulaks »), la Guerre Civile, le décret sur la « Terreur Rouge Bolchevique » du 5 septembre 1918, etc.. (pages 27 et 28) :
« Les bolchéviks et leurs alliés SR de gauche n’ayant plus aucune légitimité, c’est le signal du déclenchement de la terrible guerre civile qui va ravager le pays durant plus de trois ans.
C’est aussi à partir de ce moment que le non-dit des discours et écrits de Lénine va jouer un rôle de plus en plus important. D’abord, de manière insidieuse, par une dérive terminologique, où l’expression « pouvoir des soviets » tend à se confondre avec « État socialiste », « Révolution d’Octobre » et « dictature du prolétariat ». Celui-ci, écrit Lénine, appelé à devenir « la classe dominante, le guide des travailleurs, la classe politiquement dominante […], doit assumer la charge de gérer l’État » (note n°21, page 35 : Lénine, Œuvres, tome 26 (couvrant la période septembre 1917-février 1918), p. 382). Un peu plus loin, il n’hésite pas à affirmer : « En dehors des socialistes utopistes, personne n’a affirmé qu’on pouvait vaincre sans rencontrer de résistance, sans instaurer la dictature du prolétariat et sans empoigner le vieux monde d’une main de fer. En principe, vous l’avez acceptée, cette dictature, mais quand on traduit ce mot en russe et qu’on l’appelle « main de fer » […], vous refusez obstinément de voir que cette main de fer crée tout en détruisant » (note n°22, page 35 : Ibid, p. 404).
Après la dissolution de l’Assemblée Constituante et dès le IIIe Congrès des soviets des 10-18 (23-31) janvier 1918, où presque tous les opposants ont été éliminés, la « dictature du prolétariat » apparaît de plus en plus fréquemment, et il n’est plus question que de « l’organisation du nouveau pouvoir d’État créé par la Révolution d’Octobre ».
Plus tard, lorsque la terreur aura été instituée en système de gouvernement, Lénine affirmera dans un discours pour le premier anniversaire de la prise du pouvoir, que : « l’important pour nous, c’est que la Tchéka applique directement la dictature du prolétariat, et à cet égard son rôle est inestimable. Il n’existe pas d’autre voie pour libérer les masses, hormis celle de l’écrasement des exploiteurs par la violence. Voilà ce dont s’occupe la Tchéka, voilà son mérite devant le prolétariat ». Au fait, qu’est-ce cette dictature du prolétariat ? Le chef d’orchestre nous l’explique : « La dictature du prolétariat est un pouvoir conquis et maintenu par la violence, que le prolétariat exerce sur la bourgeoisie, pouvoir qui n’est lié par aucune loi ». Pour ceux qui ne l’auraient pas bien compris, il ajoutera que : « le bon communiste est aussi un bon tchékiste – placé dans une association de consommation, il devra nous amener au moins deux coopérateurs contre-révolutionnaires » (note n°23, page 35 : Ibid., tome 28, p. 173 et 244 (écrit en octobre-novembre 1918), et tome 30, p. 495) : c’est-à-dire moucharder les suspects. Dès ce moment, le communisme devint une école de délation érigée en vertu cardinale de ce régime policier pendant trois-quarts de siècle.
(…) La conquête du pouvoir politique était donc chose faite ; il fallait maintenant organiser l’administration de la Russie. Mais cela ne pouvait se poursuivre que par la contrainte, c’est-à-dire la dictature, « pouvoir d’airain, d’une hardiesse révolutionnaire et expéditive, impitoyable quand il s’agit de mater les exploiteurs, aussi bien que les fauteurs de troubles » (note n°25, page 35 : Ibid., p. 275). Ici, le « chef d’orchestre » réapparaît avec une stupéfiante partition : « Que la dictature personnelle ait très souvent été, dans l’histoire des mouvements révolutionnaires, l’expression, le véhicule, l’agent de la dictature des classes révolutionnaires, c’est ce qu’atteste l’expérience irréfutable de l’histoire » (note n°26, page 35 : Ibid., p. 277). Pour augmenter la productivité du travail, en particulier dans la grande industrie, Lénine propose ce qu’aucun révolutionnaire digne de ce nom n’aurait jamais osé imaginer : il faut développer la discipline des travailleurs, introduire le salaire aux pièces, le système Taylor, proportionner les salaires au bilan et aux résultats de la production, s’inspirant du capitalisme le plus avancé. Pour cela, il faut encore une fois une main de fer, un tribunal qui doit être un instrument pour enseigner la discipline. Cela « exige une unité de volonté, rigoureuse, absolue, assurée par la soumission de la volonté de milliers de gens à celle d’une seule personne. Soumission qui rappellera plutôt la direction délicate d’un chef d’orchestre, si ceux qui participent au travail commun sont parfaitement conscients et disciplinés. Elle peut revêtir des formes tranchées, dictatoriales, si la parfaite discipline et la conscience font défaut. Mais de toute façon, la soumission sans réserve à une volonté unique est absolument indispensable pour le succès d’un travail organisé sur le modèle de la grande industrie mécanique » (note n°27, page 35 : Ibid., tome 27, p. 249, 250, 268, 276-279). »
Le 3 mars 1918, Lénine finit par signer la paix avec l’Allemagne à Brest-Litovsk.

L’intransigeant Trotsky, en tant que Commissaire du Peuple du Sovnarkom (comprendre : Membre du Gouvernement Soviétique) fut chargé de former son Armée Rouge (pages 62 et 63) :
« Fini le laisser-aller et la désobéissance, c’est le commissaire du peuple Trotsky qui procède à la nomination des « spécialistes militaires », c’est-à-dire des officiers de l’ancienne armée tsariste. Ils sont doublés de « commissaires politiques », chargés de superviser leurs ordres et qui ont le droit, dans le cas du moindre soupçon de trahison, de les abattre sur place. Pour plus de sûreté, les familles de ces officiers sont prises en otages et garantes de leur loyauté ; en cas de trahison ou de désertion, les représailles s’exerceront sur elles. Peu à peu, de nombreux officiers seront engagés et serviront leurs nouveaux maîtres, certains avec réticence, d’autres avec zèle pour gagner des galons et démontrer leurs capacités et talents. Près de 70 000 officiers de l’ex-armée russe du temps de la guerre de 1914-1917, se retrouveront dans l’Armée rouge, dont 15 000 transfuges ou ayant servi chez les blancs, sur un total de 130 000 membres du commandement. Pour mieux les appâter, la solde des officiers et des commissaires est de vingt fois supérieure à celle des soldats. À l’égard de ces derniers, c’est la même attitude coercitive : en cas de retraite spontanée ou de refus d’obéissance, ils sont décimés. Trotsky, amateurs de belles phrases, ose celle-ci : « La mort probable en avançant, la mort certaine en reculant ». Les détachements de partisans qui combattent les envahisseurs allemands et austro-hongrois en Ukraine sont désarmés et répartis parmi d’autres unités pour être « rééduqués » politiquement et « disciplinés », c’est-à-dire, en langage clair, que l’on exécute tout de suite tous ceux qui refusent de s’incliner. Leurs commandants indociles sont attirés discrètement à l’écart et assassinés (note n°14, page 66 : Cf. dans Mémoires et écrits – 1917-1932, de Nestor Makhno, Paris, Éditions Ivrea : « à Tsaritsyne, combat du détachement de Pétrenko contre la fourberie du pouvoir », p. 247-253). Lénine justifie ce procédé : « À la guerre, lorsqu’un lâche est fusillé, ce n’est que justice. » Le lâche, selon son raisonnement sophistique, est celui qui refuse d’obéir à un ordre du parti communiste (note n°15, page 66 : Lénine, Œuvres complètes, tome 29, p. 396). Il en sera toujours de même ailleurs, lorsque les meneurs manifesteront des velléités d’indépendance. »
La persécution par la Terreur de masse Bolchévique s’effectua si rapidement, si brutalement et de manière si globalisée, que la désillusion du Peuple, notamment chez les ouvriers, intervint extrêmement vite, comme en témoignent ces statistiques (pages 78 à 85) :
« Rapidement, la désillusion des ouvriers se traduit par la baisse de leur nombre au sein du parti bolchévik : alors qu’ils constituaient 80 % de ses effectifs en octobre 1917, soit 50 000 à Pétrograd, ils ne sont plus que 36 000 en février-mars 1918 et 13 500 en juin de la même année (note n°2, page 89 : Le mouvement ouvrier oppositionnel dans la Russie soviétique en 1918 (R), « L’Assemblée des plénipotentiaires des fabriques et des usines – Documents et matériaux », sous la rédaction de Dimitri B. Pavlov, Moscou, Rosspen, 2006, p. 10), c’est-à-dire au commencement de la guerre civile et de la mobilisation obligatoire dans l’Armée rouge. Cette réduction de près de quatre fois ses effectifs démontre la désaffection pour le nouveau régime au sein même du berceau de la révolution, là où le prolétariat était considéré comme le plus instruit et le plus qualifié de tout le pays. À partir de ce moment, que ce soit par manque de matières premières ou de combustibles, ou par une insoumission aux dirigeants du parti bolchévik, exprimée par des grèves incessantes, il est procédé à de nombreux lock-out, suivis de licenciement, de fermetures d’office, temporaires ou définitives, de fabriques et d’usines, provoquant un important chômage et la famine. Pour y échapper, de nombreux ouvriers ayant des liens avec la campagne quittent la ville pour s’y installer. Les statistiques sont révélatrices, au 1er janvier 1917, il y avait à Pétrograd 379 200 ouvriers ; au 1er janvier 1919, ils sont encore 124 600 ; mais au 1er janvier 1920, 87 900, et en septembre de la même année, ils ne sont plus que 79 500. Dans l’industrie métallurgique, la plus essentielle de la cité car produisant du matériel d’armement, la réduction du nombre d’ouvriers est encore plus spectaculaire : de 233 400 métallurgistes au 1er janvier 1917, on passe à 47 700 au 1er janvier 1919, 34 400 au 1er janvier 1920, pour tomber à 25 100 au 1er janvier 1921 ! (note n°3, page 89 : Les ouvriers de Piter (Pétrograd) et la « dictature du prolétariat », octobre 1917-1929, « Les conflits économiques et la protestation politique – Recueil de documents », par un collectif de rédacteurs, sous la responsabilité de V.Iou Tcherniaev (R), Saint-Pétersbourg, 2000, p. 15). En outre, le salaire réel des ouvriers de l’industrie en 1918 n’atteint plus que 16,6 % de celui de 1913, alors qu’en 1917 il était encore de 81,6 %. Jusqu’ici, on expliquait ce phénomène par des circonstances extérieures et objectives : la prolongation de la guerre mondiale et son influence sur la situation du pays ; ce n’est alors plus possible : on constate désormais que ce n’est que le résultat de la catastrophique politique économique menée par le parti léniniste. D’ailleurs, devant cet échec patent, Lénine déclarera être prêt à : « donner un pot de vin d’un demi-milliard de roubles au capitaliste qui lui enseignera l’art d’organiser l’industrie » (note n°4, page 89 : Cité par Alphonse Merrheim in Max Hoschiller, Le mirage du soviétisme, op. cit., p. 20. Son fonctionnement est bien décrit par A. Gourovitch dans Les Archives de la révolution russe (R), Berlin, 1922, tome VI, p. 304-331). »
(…) Dès le lendemain du coup d’État d’Octobre, lorsque les bolchéviks interdirent la presse des Cadets, qualifiée de contre-révolutionnaire, le puissant syndicat des typographes avait violemment protesté, et cela à double titre : d’abord, parce qu’il avait toujours combattu pour la liberté de la presse au temps du tsarisme et que c’était un droit fondamental ; ensuite, parce que cette interdiction mettait au chômage une partie de ses membres. L’Assemblée extraordinaire des plénipotentiaires des fabriques et des usines de Pétrograd, réunie le 15 mars 1918, adopta une résolution sur la défense de la liberté de la presse : « Depuis le coup d’État d’Octobre, les bolchéviks se sont donné comme une des plus importantes tâches de lutter contre la parole libre. Tous les journaux qui critiquaient les activité furent déclarés contre-révolutionnaires, saisis ou fermés. Ce gouvernement, se dénommant ouvrier-paysan, craint la parole libre et étouffe tout particulièrement les journaux socialistes que lisent les ouvriers et les paysans. Il leur interdit de choisir leurs lectures et ne leur propose que les journaux à ses ordres. Jamais encore n’avaient été autant étouffée la voix libre et indépendante de la presse comme en ces jours terribles, quand des menaces mortelles pèsent sur la patrie, la révolution et la classe ouvrière » (note n°8, page 89 : Le mouvement ouvrier indépendant en 1918, op. cit., p. 79-80).
À la même séance, il est fait le point sur la situation : « Les ouvriers russes vont à la rencontre des catastrophes prochaines complètement désarmés. En une année de révolution, ils ont été privés de leurs organisations de classe. Les comités d’usine sont devenus les outils dociles du Gouvernement soviétique ; les syndicats ont perdu leur autonomie d’action et leur indépendance et n’organisent plus la lutte pour la défense des droits des ouvriers ; les soviets de députés ouvriers et soldats craignent les ouvriers tant ils s’opposent à leur renouvellement ; ils se sont transformés en organisations gouvernementales et n’expriment plus l’opinion des masses ouvrières ». (Note n°9, page 89 : Ibid., p. 65-66).
Ce même jour, l’Assemblée adopte une déclaration adressée au IVe Congrès des soviets, où est récapitulée leur position et qui apparaît comme le document-clé de la période :
« Le 25 octobre 1917, le parti bolchévik et ses alliés SR de gauche, s’appuyant sur des soldats et des matelots en armes, ont renversé le gouvernement provisoire et se sont emparés du pouvoir. Nous, ouvriers de Pétrograd, dans notre grande majorité, nous avons approuvé ce coup d’État, accompli en notre nom, mais à notre insu et sans notre concours, cela à la veille du IIe Congrès des soviets qui devait se prononcer sur la question du pouvoir. En outre, les ouvriers ont soutenu le nouveau pouvoir qui s’était déclaré gouvernement ouvrier et paysan, promettant de réaliser notre volonté et de veiller sur nos intérêts. Toutes nos organisations se sont mises à son service, le sang de nos fils et de nos frères a été versé, nous avons supporté patiemment la gêne et la faim ; en notre nom ont été sévèrement réprimés ceux que le nouveau pouvoir désignait comme nos ennemis. Nous avons accepté les restrictions à notre liberté et à nos droits au nom des espoirs fondés sur les promesses faites. Quatre mois ont passé, et nous voyons notre foi cruellement humiliée et nos espoirs grossièrement piétinés (note n°10, page 89 : Les ouvriers de Piter et la dictature du prolétariat, op. cit., p. 61-62).
Le même jour, une autre résolution est prise contre la terreur politique, s’élevant contre les : « assassinats sauvages de paisibles citoyens, d’ouvriers, de paysans, d’étudiants et de soldats, par des agents du pouvoir soviétique, présentant cela en notre nom et de celui du prolétariat révolutionnaire comme la lutte contre la contre-révolution ». Le 2 avril 1918, 52 entreprises de Pétrograd, avec 55 000 ouvriers votants, sont recensées comme adhérentes à l’Assemblée.
En avril 1918, le mouvement se transfère à Moscou et son influence s’étend vite à travers le pays. Toute une série de villes industrielles s’y ramifient en désignant des délégués aux assemblées : Toula, Samara, Nijni-Novgorod, Laroslav, Sormovo. Y sont dénoncées les mesures répressives bolcheviques telles que : la « dictature du ravitaillement », sous forme de détachements de citadins chargés de réquisitionner de prétendus surplus de produits agricoles, mais pillant en fait la paysannerie de gré ou de force – l’Assemblée des plénipotentiaires interdit à ses membres d’y participer ; les licenciements collectifs d’ouvriers dans les usines ayant osé faire grève – quitte à les rependre après un tri sélectif excluant les éléments rebelles ; les rations de famine qui leur sont attribuées, bien inférieures à celles des fonctionnaires, des soldats, des tchékistes et des membres du parti communiste… Tout cela détériore la condition ouvrière et provoque l’exode signalé. La fusillade d’une foule de femmes affamées à Kolpino, banlieue de Pétrograd, le 9 mai, provoque une vague de protestations à travers le pays. À un meeting tenu à l’usine Okhtensk de Pétrograd, le 14 mai, auquel assistent 1 300 à 1 400 ouvriers sur un effectif de 1 497, après avoir refusé la parole au bolchévik Lissovsky, une résolution est adoptée demandant de nouvelles élections des soviets ouvriers au scrutin secret, le transfert du ravitaillement aux groupements de consommateurs et l’égalisation des rations alimentaires avec celles des gardes rouges et des employés des chemins de fer.
(…) Ne se contentant plus de déclarations et de résolutions, l’Assemblée extraordinaire des plénipotentiaires ouvriers appelle à des manifestations et à une grève générale le 2 juillet. Sentant le danger, les autorités bolcheviques procèdent à de nombreuses arrestations et, parfois, à des fusillades meurtrières comme dans l’Oural, à Ekatérinbourg, où 30 ouvriers sont tués. Ce qui suscite alors une révolte armée locale (note n°13, page 89 : Ibid., p. 114). À une réunion de l’Assemblée extraordinaire des plénipotentiaires de Moscou au dépôt des chemins de fer d’Alexandrovsk, le 13 juin, en présence de 59 délégués – et de 2 ou 3 provocateurs -, il est exigé qu’une Assemblée constituante remplace immédiatement le pouvoir soviétique ; certains le préconisent même par la force et demandent l’annulation du Traité de Brest-Litovsk, la suppression de l’interdiction des libres échanges entre la ville et la campagne et la cessation de la guerre menée contre la paysannerie. Par mesure de prévention contre le projet de la grève du 2 juillet, le pouvoir arrête dans son entier la Conférence ouvrière préparatoire : 22 délégués ouvriers de province sont arrêtés à Moscou et emprisonnés à la prison de Taganka ; 27 autres des usines de Moscou sont appréhendés et emmenés à la prison de Boutyrki, de sinistre réputation depuis l’époque tsariste (note n°14, page 89 : Ibid., p. 216-217). L’envoi de détachements de réquisition dans les campagnes est la cause d’une vague de grèves à Pétrograd durant la seconde quinzaine de juin. Toutes les mesures sont prises pour faire avorter la grève du 2 juillet : d’importantes troupes sûres sont déployées, des mitrailleuses installées à des endroits stratégiques. Malgré toutes ces mesures de dissuasion, une vingtaine de milliers d’ouvriers font quand même la grève du 2 juillet à Pétrograd et, bien plus, adoptent lors de leurs meeting des motions antiblocheviques. Les réunions sont violemment dispersées par les séides du régime.
(…) Bien que ces évènements provoquent la désaffection massive des ouvriers à l’égard des bolchéviks, l’Assemblée extraordinaire des plénipotentiaires ouvriers, déjà interdite officiellement depuis le 27 juin par le Soviet de Pétrograd, va s’autodissoudre et disparaître sous les coups de la répression incessante de ses membres les plus actifs. Cependant, après celle-ci, la contestation du mouvement ouvrier ne s’arrêtera pas et reprendra de plus belle, mais cette fois-ci les armes à la main.
(…) Plusieurs causes ont conduit les ouvriers à se révolter, et tout d’abord la politique hégémonique des bolchéviks à l’égard des soviets ouvriers, au nom de laquelle ils n’hésitaient pas à écarter les majorités hostiles, pourtant librement élues ; ensuite, les réquisitions forcées de la production des paysans de ces régions et, enfin, la mobilisation obligatoire décrétée des anciens combattants de la guerre de 1914. »

Nous avons vu depuis le début de ce commentaire, les principales raisons qui ont engendré la Guerre Civile. En résumé, il s’agit de la réaction d’un Peuple qui, après plusieurs siècles d’Autocratie Tsariste n’aspirait qu’à la Liberté et à la Démocratie et qui se retrouvait à nouveau persécuté par un régime voulant imposer son Idéologie Communiste de la « Dictature du Prolétariat », par la Terreur de masse contre son propre peuple, instaurant ainsi les fondements du premier système Totalitaire du XXème siècle. Cela engendra donc une Guerre Civile d’une violence inouïe, entre les Armées : Rouge, Blanche et Verte. Non seulement ces Armées s’entretuaient, mais qui plus est, faisaient preuves d’une barbarie sans nom, même à l’encontre des populations civiles. La terrible expression : « mettre à feu et à sang » était valable dans toute la Russie.
Quant à Trotski et l’un de ses plus célèbres et sanguinaires Généraux Toukhatchevsky (qui finira fusillé à son tour lors de la Grande Terreur Stalinienne de 1937-1938), durant la Guerre Civile, comme nous l’avons déjà vu plus haut, pour forcer les soldats à se battre, employaient des méthodes ignobles (pages 86, 87 et 88) :
« Mis à part les fusils d’Ivesk, les insurgés sont démunis : pas d’artillerie, de mitrailleuses ni surtout les cartouches, et ils sont obligés de s’approvisionner sur leurs adversaires. À ce propos, des paysans et citadins de la région mobilisés de force par les communistes trouvent un moyen commode d’aider les insurgés : lorsque ceux-ci les attaquent, ils s’enfuient et leur abandonnent tout leur armement ; réarmés, ils renouvellent à chaque offensive cette opération. Le 2ème régiment musulman (!) des rouges fera de même et se verra accusé de lâcheté. Ce comportement provoquera chez Toukhatchevsky et Trotsky l’idée d’installer à l’arrière de leurs troupes des groupes de mitrailleurs chargés de tirer sur les soldats qui tenteraient de faire retraite. Cela, en plus de la décimation, c’est-à-dire de la fusillade d’un sur dix des fuyards, comme à Sviask, où Trotsky avait installé son QG. Dire que ce même personnage et ses comparses s’étaient indignés lorsque Kérensky avait introduit la peine de mort pour les déserteurs en juillet 1917 ! Portés au pouvoir, ils n’avaient maintenant plus aucun scrupule à appliquer à leur profit ces mesures barbares.
Sans que cela puisse en aucun cas justifier pareille infamie, c’était également pratique courante dans l’armée ennemie, commandée par le général Kappel, laquelle procédait à des décimations pour forcer les paysans mobilisés à attaquer. Ainsi, dans la division de tirailleurs de Samara, il y eut depuis sa constitution 1 950 déserteurs, qui emmenèrent avec eux armes et équipements, même les chevaux de l’armée. Le 8 septembre 1918, deux régiments de cette division refusèrent de gagner le front ; il fallut faire venir trois blindés, un détachement de mitrailleurs et de la cavalerie pour leur faire déposer les armes. Le troisième régiment ouvrier de Samara tenta de libérer de force ses camarades emprisonnés pour désertion. Le tiers de ses hommes fut fusillé ; plus tard, pour refus de combattre sur le front, 900 nouvelles recrues subirent le même sort. Un tribunal et des lois furent institués pour légiférer sur les cas de désertions. Les généraux prétendument au service du Komoutch – Comité pour la restauration de l’Assemblée constituante – voulurent, en procédant à ces mesures répressives, rétablir leur front ébranlé par l’Armée rouge. À quoi s’ajoutèrent des rivalités dans le commandement, qui provoquèrent le départ de nombreux officiers vers le front sibérien. Cette politique leur fut fatale, car elle amena la désaffection de la population à leur égard (note n°18, page 89 : Le général Kappel et ses partisans (R), Moscou, 2010, p. 674-675).
(…) Un document d’archives, retrouvé récemment, porte témoignage sur la répression subie par les ouvriers d’Ijevsk. Lorsque les troupes rouges réussirent, le 11 novembre 1918, à s’emparer par surprise de la ville, la Tchéka mena une enquête serrée parmi les ouvriers de l’usine, détectant ceux qui avaient fait partie de l’Armée populaire. Ils furent regroupés sur la place de l’église et, au nombre de 800, fusillés à la mitrailleuse. La Tchéka poursuivit ses investigations et, sur dénonciation, arrêta encore de nombreux ouvriers et employés de l’usine, également fusillés. Parmi les fusilleurs, l’auteur du témoignage nomme les marins de la mer Noire, les Chinois, Hongrois et Lettons (note n°19, page 89 : S.S. Balmassov, La terreur rouge à l’est de la Russie en 1918-1922, Moscou, 2006, p. 200-205). »
Il ne s’agit là que de quelques exemples de répression parmi la foultitude d’autres, durant les quatre années que dura la Guerre Civile.
Après la tentative d’assassinat de Lénine par Fanny Kaplan, le 30 août 1918 ; le 5 septembre, Lénine décréta la Terreur Rouge Bolchevique ! (page 64) :
« La réaction du régime est cette fois encore plus brutale : la « Terreur rouge » est proclamée, des centaines d’opposants emprisonnés sont immédiatement abattus dans les geôles tchékistes. C’est l’imitation des massacres de septembre 1792 et de la Terreur, ordonnés par la Convention lors de la Révolution française. »
Alexandre Skirda retranscrit, entre autres, une lettre manuscrite de Lénine destinée à Trotsky, en 1919, démontrant sa détermination infinie et ignominieusement Criminelle en instaurant un État Totalitaire par la Terreur de masse (pages 32 et 33) :
« À ce sujet, on peut citer sa lettre manuscrite inédite à Trotsky du 22 octobre 1919, reproduite en fac-similé par le général Dimitri Volkogonov dans sa biographie de Lénine, d’après les Archives soviétiques, dans sa version russe : « Assembler dix mille bourgeois, installer derrière eux des mitrailleuses et en fusiller quelques centaines. » ! (Note n°42, page 36 : Dimitri Volkogonov, Lénine, Moscou, 1994, tome 2, p. 224, cahier photos). Ce genre d’instructions n’étaient pas isolées, Lénine se gardait bien de les rendre officielles et signées de sa main ; soit il les faisait endosser par d’autres, soit il ne les transmettait que confidentiellement par billet ou oralement, comme cet incroyable ordre exhumé des inédits de ses œuvres, où il recommande aux « camarades » de Pensa, en été 1918, de réprimer « IMPITOYABLEMENT » (en majuscules dans le texte) la révolte de cinq districts de la Russie centrale :
« 1. Pendre 100 paysans (indispensable de les pendre, afin que le PEUPLE les voie), PAS MOINS de 100 koulaks, richards et sangsues du peuple bien connus pour tels ; 2. Publier leurs noms ; 3. Leur confisquer TOUT leur blé ; 4. Désigner des otages, conformément au télégramme d’hier. Faire de façon que des centaines de kilomètres alentour le peuple voie, frémisse, connaisse, crie : ON ÉTOUFFE, et on étouffera les koulaks-sangsues. Accusez réception et l’exécution de cet ordre.
PS. Trouvez des gens parmi LES PLUS DURS pour l’exécuter. » (Note n°43, page 36 : Reproduit in extenso dans le manuel scolaire Histoire de la patrie au XXe siècle, par Dmitrenko, Esakov et Chestakov, Moscou, 1995, p. 94).
Il faut savoir, pour comprendre cette haine pathologique des paysans, que pour Lénine le « koulak » est un paysan qui possède un ou deux chevaux, une ou deux vaches, une dizaine d’hectares de terres de la commune rurale à laquelle il participe, et que son revenu est loin d’atteindre celui d’un ouvrier et surtout d’un fonctionnaire soviétique, d’un soldat de l’Armée rouge et évidemment d’un tchékiste, tueur à gages du régime. La paranoïa de Lénine s’explique par la crainte d’être vaincu par la paysannerie alliée à la bourgeoisie, comme lors de la révolution de 1848 et de la Commune de Paris en 1871. Pour lui, tout paysan est un capitaliste terrien en puissance pouvant affamer les ouvriers. C’est faire abstraction de l’originalité de la paysannerie russe que même Marx avait souligné en mentionnant le rôle que devait jouer la commune rurale.
Mais plus que d’un cerveau malade, ses instructions émanaient d’un « dogmatique » persuadé de détenir la clé du devenir historique et pour lequel les moyens justifiaient la fin. Ceci l’apparente à de grands fanatiques religieux de l’Histoire comme les dominicains Savonarole et Torquemada l’inquisiteur, ou encore le jésuite Ignace de Loyola, tous grands sacrificateurs sur l’autel de la « vraie foi ». Toutefois, le détournement du mot d’ordre « Tout le pouvoir aux soviets », qui lui avait servi de tremplin pour la conquête du pouvoir, ne va pas rester sans réactions de la part de ceux qui y avaient naïvement cru. »
À la fin de l’année 1919, commença à pointer l’échec des Armées Blanches contre la pléthorique Armée Rouge de Trotsky. Malgré tout, la population continuait de résister à la Terreur Rouge Communiste. Notamment, les mouvements de grève des ouvriers se poursuivirent dans les usines, et cela malgré l’infâme nouvelle décision de Trotsky consistant à vouloir « Militariser le travail » ! (pages 101 à 108) :
« À Pétrograd, les mouvements de grève se poursuivent même pendant l’offensive Youdénitch, mais ne débouchent pas sur le soulèvement attendu. Il faut rappeler que les ouvriers y sont quatre fois moins nombreux qu’en 1917, et qu’ils sont affamés, transis de froid, chargés de famille et piégés par le pouvoir : pour les empêcher de quitter leur emploi et la ville, leur passeport est échangé contre un « livret de travail ». Tout y est consigné et, en cas de grève, l’ouvrier est non seulement privé, ainsi que sa famille, de sa misérable ration alimentaire mais interdit d’embauche à moins de signer un engagement de non-gréviste. En application de la « militarisation du travail », une idée sortie, non pas du casque à pointe d’un général prussien va-t-en-guerre, mais du bonnet à étoile rouge de Léon Trotsky, soi-disant défenseur de la classe ouvrière, et ils sont de plus « mobilisés ».
Des militaires de l’armée rouge sont présents dans les usines, surveillent, gardent les entrées et fouillent les ouvriers, au cas où ils auraient des tracts ou résolutions antibolchéviks ; 33 872 soldats, en majorité d’origine paysanne, sont mobilisés au cours de l’année 1920 dans les entreprises de Pétrograd. Trotsky lance même, le 3 novembre 1920, l’idée d’étatiser les syndicats, d’installer à leur direction des hommes capables d’employer des méthodes militaires de contrainte, de « serrer les boulons ». Ces mesures, coûtant plus qu’elles ne rapportent, seront annulées le 1er mars 1921.
Les rations alimentaires sont divisées en plusieurs catégories variant du simple au quadruple selon le travail, soit de 200 à 800 grammes de pain quotidien, accompagnées de petites portions de viande. Des primes, sous forme de rations alimentaires, s’y ajoutent conformément au système Taylor et au travail aux pièces introduits selon les instructions de Lénine.
Bien entendu, ces restrictions ne s’appliquent pas aux responsables et bureaucrates du parti communiste et des institutions dites « soviétiques », qui bénéficient d’un régime de faveur.
(…) Conséquence de la malnutrition et du froid, la mortalité à Pétrograd est la double de celle de Moscou, pourtant astreinte aux mêmes privations, mais mieux située pour un approvisionnement direct auprès des paysans.
Le 7 juin 1920, l’assemblée des métallurgistes adresse aux comités de Pétrograd du parti communiste et des syndicats, une résolution qui proteste contre le livret de travail, ressenti comme un « acte qui nous attache, comme des esclaves, à notre usine, nous condamne à vivre à Pétrograd, nous privant de la liberté de déplacement et du choix de notre travail » (note n°2, page 109 : Les ouvriers de Piter et la dictature du prolétariat, op. cit., p. 15).
Ce même mois, les ouvriers de l’usine de chaussure Le Coureur réclament un salaire en produits – chaussures, sel et tissus. Le Soviet des syndicats de Pétrograd traite ces ouvriers affamés de « traîtres, profiteurs et dégénérés de la famille des travailleurs ». Les activistes sont arrêtés et les ouvriers menacés de fusillade en cas de commerce, c’est-à-dire d’échange de produits contre de la nourriture. La section secrète de la Tchéka signale, en septembre 1920, toute une série de grèves : le 4, les ouvriers de la fabrique de voiles réclament une ration égale à celle des soldats rouges ; le 9, l’usine Gosnak formule la même revendication ; le 18, les ateliers principaux du dépôt de la gare de Varsovie à Pétrograd exigent la libération des SR de gauche arrêtés, des « marins » viennent disperser l’assemblée ; le 20, la fabrique de tissus et de papier Le Communard débraye ; le 21, c’est l’usine Ritskine et le 27, c’est au tour des usines Ijora et Oboukhov, dont les meneurs sont arrêtés et les usines fermées le 5 octobre. Oboukhov sera réouverte moyennant un réenregistrememt sélectif ; ce même jour, l’usine Le Nouvel Arsenal se met en grève pour n’avoir pas reçu de pain depuis plusieurs jours. Il arrive même fréquemment que des ouvriers s’évanouissent de faiblesse sur leur établi. Parfois, les ouvriers expriment leur protestation contre la famine et le rejet de cette guerre civile fratricide sous une forme originale : on découvre dans un dépôt d’obus que certains d’entre eux sont remplis de sable ou de sciure !
(…) Devant les mesures d’intimidation et les répressions de la Tchéka, les ouvriers de l’usine de la Nouvelle-Amirauté conseillent à leurs collègues, le 14 décembre, de se mettre préalablement d’accord avec les comités locaux du parti communiste sur les questions à mettre à l’ordre du jour aux assemblées, s’ils veulent discuter librement sans être pour cela inquiétés par la Tchéka car, ils risqueraient alors de ne plus pouvoir y assister. À tout cela, Zinoviev répond impudemment : « Parfois, nous sommes obligés d’emprisonner des ouvriers profiteurs, nous n’hésitons pas. La démocratie ouvrière n’exclut ni la Tchéka, ni les tribunaux disciplinaires, ni les méthodes coercitives (note n°3, page 109 : Ibid., p. 16). À tel point qu’au sortir de la guerre civile, les ouvriers avaient l’impression non pas d’avoir défait les généraux tsaristes, mais de s’être vaincus eux-mêmes ! »
(…) L’hiver 1920-1921 est exceptionnellement rigoureux. À la famine s’ajoute une terrible crise de combustible qui force 93 entreprises de Pétrograd à fermer, du 11 février au 1er mars, dont les plus importantes, telles Poutilov, Sestroretsk et Le Triangle, produisent du matériel militaire. 27 000 ouvriers se retrouvent dans la rue, avec des rations alimentaires réduites, car les communistes appliquent à la lettre le précepte de saint Paul : « Qui ne travaille pas, ne mange pas ! ». Un rapport secret de la Tchéka signale pour la première quinzaine de février 1921 des grèves dans de nombreuses usines et fabriques. En particulier, au parc de tramways de la ville, 1 037 employés font grève le 10 février à cause de la livraison tardive de pain ; à l’usine de construction navale de la Baltique, 3 700 ouvriers se mettent en grève à cause de la diminution de la ration de pain ; d’autres usines avancent des mots d’ordre politiques pour un changement de régime. Une note de chefs de la Tchéka et du parti communiste destinée au Comité central du Parti dénonce, le 13 février, la tendance nuisible, tout particulièrement chez les hauts dirigeants, à : « expliquer tous nos échecs et notre incapacité à résoudre les problèmes qui se posent exclusivement par des conditions objectives (note n°5, page 109 : Kronstadt 1921 – Documents, op. cit., p. 24-27). »
(…) Le 24 février, 300 ouvriers de l’usine Troubotchny, empêchés d’entrer dans leur usine, sortent dans la rue ; d’autres, des usines de l’île Vassilevsky, les rejoignent et forment une foule de 2 500 manifestants. Il y a parmi eux de nombreuses ouvrières, dont certaines sont mariées à des marins. Le Soviet de Pétrograd, les fait disperser, non par des soldats rouges en lesquels il n’a pas confiance car ils sont à la même enseigne que les ouvriers – affamés au point de s’évanouir et d’aller mendier de la nourriture chez les habitants -, mais par les koursantis, ces élèves-officiers communistes fanatisés qui, eux, n’hésitent pas à tirer. Le Soviet considère que c’est un rébellion et déclare la loi martiale, le 24 février, interdisant tout déplacement après 23 heures, à moins de se procurer un laissez-passer chez le commandant de la ville ; tout meeting, attroupement ou assemblée tant à l’extérieur qu’à l’intérieur sont interdits, à moins d’autorisation. Les contrevenants s’exposent à être sanctionnés sévèrement, selon les lois de temps de guerre. Un Comité de défense est créé le 25 février à Pétrograd, composé de Zinoviev, président, Lachévitch, membre, et Avrov, commandant militaire de la région. Des troïkas communistes sont chargées d’appliquer ces dispositions. Son Appel du 2 mars sera plus explicite : l’état de siège est déclaré et les théâtres et cinémas sont fermés ; en cas d’attroupement, il est ordonné de tirer à vue et, s’il y a résistance, de fusiller sur place.
(…) La Tchéka procède à 120 arrestations de menchéviks, SR et anarchistes, dont des vétérans de la social-démocratie et du mouvement anarchiste : 300 arrestations au total. Pendant l’insurrection de Kronstadt, ils seront considérés comme des otages politiques responsables du mouvement et susceptibles d’être fusillés. S’inspirant de l’adage « une main de fer dans un gant de velours », le Comité central décide en même temps d’assigner dix millions de roubles-or à l’achat au plus vite à l’étranger de produits d’alimentation de première nécessité pour les ouvriers (note n°9, page 109 : Ibid., op. cit., p.36). Le Soviet de Pétrograd, de son côté, commande une quantité importante de charbon et de bois à l’étranger, payée également en roubles-or (quinze millions).
Une directive de la Tchéka recommande de disperser les manifestations ouvrières en introduisant parmi eux des communistes, lesquels doivent signaler les activistes, mais précise qu’il ne faut pas les arrêter devant la foule. Tous ces mouvements de protestation sont qualifiés de « gardes blancs » et de « contre-révolutionnaires », quoique leur caractère ouvrier crève les yeux de tous, sauf de ceux qui ne veulent pas voir. »
Nous arrivons donc maintenant à la veille du massacre de Kronstadt. Voici donc quel était l’ancienneté de l’effectif des marins sur l’île de Kronstadt au moment de l’insurrection (page 113) :
« Les trois quarts ont donc moins de trente ans, les plus âgés doivent être ceux dont on réclame une grande qualification professionnelle nécessitant plusieurs années de formation. C’est particulièrement valable pour les équipages des cuirassés dont 80 % sont entrés dans la Flotte avant 1917 et ont donc vécu directement les années révolutionnaires. L’argument souvent avancé pour caractériser les insurgés de 1921 comme étant de jeunes recrues, ni tient que pour les fusiliers marins et soldats rouges, recrutés depuis 1918, et ne peut en aucun cas s’appliquer aux équipages des navires. »
Il est important de préciser également que l’insurrection est partie essentiellement à partir des cuirassés : le Pétropavlovsk et le Sébastopol, qui comprenaient donc tous les deux, en grande majorité, d’anciens marins ayant connu la période située avant le coup d’État d’Octobre. Ils avaient donc une parfaite connaissance du tragique déroulement de la situation en Russie, depuis cette date.
En cette fin de mois de février, les maris de Kronstadt soutenaient les revendications légitimes des ouvriers de Pétrograd, et étaient scandalisés de constater que les Tchékistes usaient de stratagèmes infâmes en se servant de leur réputation, pour tenter de manipuler les ouvriers dans les usines et la population de Pétrograd. Mais on sait bien que selon l’immorale théorie de Trotsky : « La fin justifie les moyens ! » (page 119) :
« Revenus le 27 février au soir en compagnie des délégués du Trouvor et de l’Ogogne, ils font immédiatement leur rapport à l’assemblée générale du Sébastopol, laquelle approuve entièrement, y compris la majorité des communistes présents, les revendications des ouvriers de Pétrograd. Les marins Andréietchenko et Savtchenko font part des obstacles rencontrés pour prendre contact avec les ouvriers et marins, et ajoutent que les communistes utilisent le nom des marins de Kronstadt pour effrayer et menacer les ouvriers et la population. »
C’est donc le 1er mars 1921 à 10 heures du matin que se réunit l’Assemblée Générale de la brigade des cuirassés de Kronstadt sur la place centrale de l’Ancre. Stépan Pétritchenko en fut nommé président. Une Résolution en 13 points, fruit de nombreuses discussions antérieures avec les ouvriers de Pétrograd, fut présentée aux marins de Kronstadt. Cette Résolution fut adoptée par les membres des deux cuirassés et sept autres unités de la base navale. À 13 heures, la Résolution était à nouveau présentée à l’ensemble des Kronstadiens devant : 16 000 marins, des soldats rouges, des ouvriers, des citoyens de l’île, et également des délégués de la Flotte de Pétrograd. Cette Résolution nommée « Résolution du Pétropavlovsk » (puisque principalement élaborée sur l’initiative des marins de ce cuirassé), fut adoptée contre seulement trois voix de dirigeants communistes : Vassiliev, Kalinine et Kouzmine. Petite précision pas inintéressante : alors que ces derniers étaient hués par la foule, voici ce que Kouzmine osa proférer devant tout le monde (pages 124 et 125) :
« Il fulmine alors et menace les marins qui le huent. Kouzmine rappelle à ce moment aux marins qu’ils sont « la gloire et la fierté de la Révolution » ; on lui répond : « As-tu oublié comment tu as fait fusiller un homme sur dix sur le front du Nord ! Va-t-en ! ». Kouzmine s’efforce alors de crier plus fort : « Nous avons fusillé et fusillerons toujours les traîtres à la cause des travailleurs. Vous en auriez fusillé, à ma place, non un sur dix, mais un sur cinq ! ». « Assez, ça suffit !, lui répond la foule, il n’y a pas à nous menacer, nous en avons vu d’autres ! Jetez-le dehors ! ». Kouzmine déclare alors que : « l’indiscipline et la trahison seront écrasés par la main de fer du prolétariat ». Ces dernières paroles provoquent un tel vacarme qu’il est obligé d’évacuer précipitamment la tribune. »
Voici donc le contenu de cette « Résolution du Pétropavlovsk », se voulant d’une protée Démocratique évidente, et par conséquent, d’une importance Historique fondamentale (pages 125 et 126) :
« Après avoir entendu les rapports des délégués envoyés à Pétrograd par l’assemblée générale des équipages pour se rendre compte de la situation, l’assemblée décide qu’il faut, étant donné que les soviets actuels n’expriment pas la volonté des ouvriers et des paysans :
« 1. Procéder immédiatement à la réélection des soviets au moyen du scrutin secret. La campagne électorale préalable devra se dérouler en pleine liberté de parole et de propagande parmi les ouvriers et paysans.
2. Instaurer la liberté de parole et de presse pour tous les ouvriers et paysans, pour les anarchistes et pour tous les partis socialistes de gauche.
3. Garantir la liberté de réunion pour les organisations syndicales et paysannes.
4. Convoquer pour le 10 mars au plus tard une conférence sans-parti des ouvriers, soldats rouges et des marins, de Kronstadt et de la ville et de la province de Pétrograd.
5. Libérer tous les prisonniers politiques socialistes, ainsi que tous les ouvriers, paysans, soldats rouges et marins emprisonnés à la suite de mouvements revendicatifs.
6. Élire une commission de révision des dossiers des détenus des prisons et des camps de concentration.
7. Supprimer toutes les « sections politiques », car aucun parti ne doit avoir de privilèges pour la propagande de ses idées, ni recevoir de l’État des moyens financiers dans ce but. Il faut instituer à leur place des commissions d’information et de culture élues dans chaque localité et financées par l’État.
8. Abolir immédiatement tous les barrages et contrôles routiers.
9. Égaliser les rations alimentaires de tous les travailleurs, à l’exception de ceux employés à des métiers insalubres ou dangereux.
10. Supprimer les détachements communistes de choc dans toutes les unités de l’armée, de même que toutes les surveillances et gardes communistes à l’intérieur des usines et des fabriques. En cas de besoin de telles unités, qu’elles soient désignées par les compagnies dans l’armée et dans les usines et ateliers par les ouvriers eux-mêmes.
11. Donner aux paysans toute liberté d’action en ce qui concerne leurs terres, ainsi que le droit de posséder du bétail, à condition de travailler eux-mêmes et de ne pas employer de main-d’œuvre salariée.
12. Nous demandons à toutes les unités de l’armée et aussi aux camarades koursantis de s’associer à notre résolution.
13. Nous exigeons que toutes les résolutions soient largement diffusées par la presse.
14. Désigner une commission mobile de contrôle.
15. Autoriser la production artisanale libre, n’employant pas de travailleurs salariés.
Résolution adoptée à l’unanimité par l’assemblée des escadres, moins deux abstentions.
Le président de l’assemblée des cuirassés, Pétritchenko.
Le secrétaire, Pérépelkine.
Résolution adoptée par une majorité écrasante de l’assistance.
Le président du Soviet, Vassiliev. (Note n°5, page 139 : La tragédie de Kronstadt, tome 1er, p. 114-115). »
Cette volonté de Liberté et de Démocratie contenue dans cette Résolution décuple l’ignominie des Communistes, consistant à vouloir faire endosser aux Kronstadiens : le costume de bourreau plutôt que celui parfaitement légitime de…, VICTIME, et toute l’horreur du massacre de masse qui s’ensuivit.
De plus, au passage, cette Résolution présente une liste presque exhaustive des différents modes de répression, de Terreur de masse et donc de Crimes du régime Totalitaire Communiste.
Puis, il fut constitué à Kronstadt, un Comité de transition, le Revkom (Comité révolutionnaire provisoire), sorte de Gouvernement Provisoire en attendant que de nouvelles élections libres du Soviet aient lieu.
Mais un problème d’importance survint pour les Kronstadiens : ils eurent beaucoup de mal à diffuser largement leur « Résolution du Pétropavlovsk ». D’autant plus que les messages radios n’étaient reçus que par des récepteurs militaires sous le contrôle des Bolcheviques et donc censurés. Pis encore… (pages 130, 131 et 132) :
« La seule possession ou diffusion de la Résolution du Pétropavlovsk mènera au poteau d’exécution. Aussi, la nature et les buts du mouvement restèrent ignorés de presque tout le monde sur le moment ; bien évidemment, les bolchéviks s’étaient bien gardés de les faire connaître et, au contraire, les présentèrent mensongèrement. Certains s’y laissèrent prendre.
Les Kronstadiens employèrent un stratagème pour toucher les cheminots : ils envoyèrent nominalement leur Résolution par la poste du littoral à tous les responsables des chemins de fer des gares de la ligne de Pétrograd, en leur demandant de faire la grève du transport des troupes bolcheviques. Apparemment avec un certain succès, car le pouvoir fut effrayé comme on le verra quelques jours plus tard. Dans ce message aux cheminots, le Revkom provisoire de Kronstadt les informe en expliquant la Résolution adoptée :
« Frères cheminots !
Le jour de rendre des comptes est arrivé. Les marins de Kronstadt ont levé l’étendard de la liberté. Nous avons apporté sur son autel notre sang et nos vies pour le bonheur et l’avenir radieux des ouvriers et paysans russes. Pendant trois ans, nous avons assisté au déchaînement des tyrans et des spéculateurs ; durant trois ans, le peuple russe a connu la faim, le froid, le dépérissement et l’extermination ; durant trois ans, nos pères ont sué pour les tyrans dans nos campagnes ; durant trois ans, nous avons péri sur les fronts. Le temps est venu de dire aux tyrans : « Ça suffit ! ». Que notre mort donne la liberté au peuple. Nous avons décidé de mourir mais si, frères cheminots, vous ne nous soutenez pas, notre sang retombera sur vos têtes et vous entendrez jusqu’à la fin de vos jours la malédiction du peuple russe enchaîné. En mourant esclaves, vous regretterez votre indécision. Soutenez-nous. Seuls, les cheminots peuvent sauver le peuple russe. Nous vous prions de soutenir nos modestes exigences adressées aux Soviets :
1) le droit de vote pour tous, égal pour les paysans et les ouvriers ;
2) le scrutin secret, afin que le votant puisse choisir selon sa conscience et non sous contrainte. Alors, les larbins ne pourront entrer dans les soviets ;
3) le droit de se nourrir au moyen de coopératives libres, afin que l’État ne puisse jouer sur la faim des ouvriers ;
4) la liberté de la presse pour découvrir les crimes des personnes responsables et les abus des dirigeants spéculateurs ;
5) la liberté de parole et de propagande, afin que chaque honnête ouvrier puisse dire sans crainte la vérité ;
6) la liberté de réunion ;
7) la suppression de la peine de mort, cette horrible institution des tyrans ;
8) la fermeture de toutes les tchékas, en conservant uniquement la milice de droit commun et le tribunal correspondant ;
9) la suppression de tous les privilèges des communistes ;
10) la liberté de changer d’emploi et d’entreprise ;
11) la démobilisation de l’armée, la campagne ayant besoin de bras ; son retard entraînera de moindres récoltes et la famine dans les villes ;
12) la suppression de la militarisation du travail, cette nouvelle forme de servage des paysans et ouvriers ;
13) la liberté de voyager par train ou par voie maritime pour tous ;
14) le droit pour les ouvriers d’organiser un libre échange de produits avec les paysans et la suppression des détachements de contrôle routier, ces nouveaux brigands des chemins de fer ;
15) la liberté d’acheter à l’étranger des marchandises pour les coopératives ouvrières, afin d’éviter les intermédiaires spéculateurs de l’État, s’enrichissant par millions sur le dos des ouvriers ;
16) à cette fin, le paiement des salaires aux ouvriers en or et non en papier sans valeur ;
17) la suppression des sections politiques, ces organisations d’espions au service des tyrans ;
18) la réélection immédiate au scrutin secret de tous les soviets et directions, afin que les ouvriers et paysans russes exercer eux-mêmes leur pouvoir.
Nos exigences sont modestes, nous voulons moins de libertés que nous n’en avons eues en 1917. Pour cela, nous sommes prêts à mourir, mais nous voulons que notre sacrifice ne soit pas vain. Que nous périssions au combat ou dans les caves de la Tchéka, nous vous enverrons nos malédictions, si vous ne nous aidez pas. Soutenez nos exigences. Cessez le transport des voyageurs et des troupes militaires et vous verrez que les tyrans, ces lâches dégénérés, qui ont acheté des généraux tsaristes pour anéantir les ouvriers, partiront et laisseront en paix le peuple exténué. Organisez amicalement et audacieusement sur toutes les gares des troïkas révolutionnaires secrètes. Mettez-vous en relation avec les usines, dressez-vous en muraille fraternelle et vous verrez comment tous ces petits tsars usurpateurs s’enfuiront comme des souris d’église.
Nous avons envoyé des marins pour établir des liaisons, mais les tyrans disposent de nombreuses et viles créatures prêtes à se vendre. Nos délégués peuvent périr sans avoir pu établir des liens avec vous. C’est pourquoi il vous faut conserver précieusement nos nouvelles proclamations et les faire circuler, agissez amicalement et audacieusement.
En avant pour notre liberté et notre bonheur, pour ceux de nos frères et pères, pour l’avenir de nos enfants et pour toute notre patrie souffrante !
Le Comité révolutionnaire (Revkom) de Kronstadt » (note n°12, page 140 : Kronstadt 1921 – Documents, Op. cit., p. 135-137). »
Attachés à la Liberté et à la Démocratie, les Kronstadiens proposèrent donc un ensemble de propositions légitimes pour ne pas dire évidentes et de bon sens et…, humanistes !
Ensuite, le 2 mars, le Revkom informa la population de l’île de sa prise de pouvoir et de la mise en place de nouvelles élections libres et démocratiques du Soviet à Kronstadt (pages 136 à 139) :
« À la population de la forteresse et de la ville de Kronstadt.
Camarades citoyens,
Notre pays traverse un moment pénible. La faim, le froid, la ruine économique nous tiennent dans un étau de fer depuis trois ans. Le parti communiste qui dirige le pays s’est détaché des masses et s’est révélé impuissant à sortir le pays de la ruine générale. Il n’a pas voulu tenir compte des troubles qui ont lieu ces derniers temps à Pétrograd et Moscou, ayant clairement montré qu’il a perdu la confiance des masses laborieuses. Il n’a pas tenu compte des exigences qu’ont exprimées les ouvriers. Il les considère comme des menées contre-révolutionnaires. Il se trompe lourdement.
Ces troubles, ces exigences, c’est la voix de tout le peuple, de tous les travailleurs. Tous les ouvriers, marins et soldats voient clairement en ce moment présent que ce n’est que par des efforts communs, par la volonté générale des travailleurs, qu’on peut donner au pays du pain, du bois, du charbon, vêtir et chausser les gens, et sortir la République de l’impasse. Cette volonté de tous les travailleurs, soldats et marins, s’est exprimée de manière déterminée au cours du meeting du mardi 1er mars de notre ville. Là, a été adoptée à l’unanimité la résolution des équipages des 1re et 2e brigades des cuirassés. Au nombre des décisions prises, il y a eu la réélection immédiate du Soviet sur des bases justes, afin qu’en ce Soviet il y ait une représentation véritable des travailleurs et qu’il soit un organe actif et énergique.
Ce 2 mars, les délégués de toutes les organisations ouvrières, unités militaires et équipages de marins se sont rassemblés dans la Maison de la culture. L’ordre du jour consistait à élaborer les règles à partir desquelles devaient avoir lieu les nouvelles élections et de passer à l’œuvre pacifique d’édification d’un ordre soviétique. Mais, étant donné qu’on pouvait craindre une répression, à la suite de discours menaçants des représentants du pouvoir, l’assemblée a décidé de former un Revkom provisoire et de lui confier les pleins pouvoirs pour la direction de la ville et de la forteresse. Il est domicilié sur le Pétropavlovsk.
Camarades et citoyens, le Revkom provisoire est soucieux qu’il n’y ait pas une seule goutte de sang versée ! Il a pris des mesures extraordinaires pour que l’ordre règne dans la ville et partout.
Camarades et citoyens, n’interrompez pas vos travaux ! Ouvriers, restez dans vos ateliers, soldats et marins restez dans vos unités, forts et navires. Que tous les employés soviétiques poursuivent leurs activités. Le Revkom provisoire appelle toutes les organisations ouvrières, tous les ateliers, tous les syndicats, toutes les unités militaires et maritimes, ainsi que tous les citoyens, à lui apporter l’aide la plus grande. Sa tâche est d’organiser par des efforts amicaux et appropriés les conditions de nouvelles et justes élections du nouveau Soviet.
Ainsi, camarades, je vous appelle à l’ordre, au calme, à la maîtrise de soi, vers une nouvelle et honnête édification socialiste pour le bien de tous les travailleurs.
Kronstadt, le 2 mars 1921, sur le cuirassé Pétropavlovsk.
Le président du Revkom provisoire, Pétritchenko.
Le secrétaire, Toukine. » (Note n°18, page 140 : Ibid., p. 135-136, p. 173-174).
Ce communiqué sera publié dans le n° 1 du journal Izvestia (Les Nouvelles), organe du mouvement. Il reflète une aspiration pacifique et néanmoins ferme à résoudre les problèmes du jour, mais il se heurte en cela à la volonté hégémonique du parti communiste, lequel n’a nullement l’intention de s’effacer.
Le nouveau pouvoir s’empresse de s’adresser, le 3 mars, à tout le pays pour lui faire connaître la situation créée :
« Appel du Revkom provisoire aux citoyens de la République pour qu’ils prennent en main le pouvoir et qu’ils l’aident.
À tous les paysans, ouvriers, marins et soldats !
Le 2 mars 1921 à Kronstadt, par la volonté de la masse des ouvriers, marins et soldats, le pouvoir dans la ville et la forteresse est passé sans un seul coup de feu des mains des communistes à celles du Comité révolutionnaire provisoire. La masse des travailleurs s’est donné comme but de sortir par des efforts amicaux de tous la République de l’état de ruine où la laisse le parti communiste. Un calme exemplaire règne en ville. Les institutions soviétiques continuent de fonctionner. Il convient maintenant de procéder à l’élection du Soviet au scrutin secret. Le Revkom provisoire se trouve sur le cuirassé Pétropavlovsk.
CAMARADES ET CITOYENS ! NOUS VOUS APPELONS À SUIVRE NOTRE EXEMPLE. LA FORCE EST DANS L’UNION.
Nous savons que les ouvriers de Pétrograd souffrent de la faim et du froid. Seuls, vous pouvez sauver le pays de la ruine, en association avec les marins et les soldats. Le parti communiste est resté sourd à vos justes exigences provenant du plus profond de votre être.
Le Revkom provisoire est persuadé que vous, camarades, vous allez le soutenir. Établissez entre vous une liaison solide et permanente. Choisissez parmi vous des délégués fidèles et dévoués au bien commun, munissez-les de mandats pour réaliser sans plus tarder vos exigences. Ne croyez pas les bruits absurdes sur le pouvoir à Kronstadt qui serait aux mains des généraux et des blancs. C’est un mensonge. Ce pouvoir n’accomplit que la volonté de tout le peuple laborieux. Prenez contact immédiatement avec Kronstadt, dont tout le service de liaison est contrôlé par le Revkom provisoire.
Camarades ouvriers, marins et soldats,
Votre destin est entre vos mains. Le moment est venu pour que vous sauviez le pays de la ruine et de réaliser des droits conquis de haute lutte pour une vie libre. Camarades, vous l’avez attendue désespérément si longtemps par vos sacrifices innombrables. Le parti communiste ne vous l’a pas donnée, alors fondez-la vous-mêmes !
Le Revkom provisoire de Kronstadt vous appelle, camarades, à lui apporter votre aide.
Le président, Pétritchenko.
Le secrétaire, Toukine. » (Note n°19, page 140 : Les Izvestia de Kronstadt, n° 1, op. cit., p. 45-46).
Par ailleurs, tous les portraits des dirigeants communistes, hormis celui de Lénine, qui ornaient les établissements publics sont décrochés dès les premiers jours de liberté dans la base. Enfin, l’armement général de la population de 18 à 50 ans est proclamé. »

Afin de faire valoir leurs revendications et présenter leur Résolution auprès des autorités Communistes, naïvement, les Kronstadiens envoyèrent plusieurs délégations à Pétrograd pour négocier pacifiquement. Mais comme, évidemment, ils n’avaient pas à faire à un État « classique » et encore moins Démocratique, la première délégation de 30 marins fut arrêtée. La plupart des autres représentants seront arrêtés, voire…, fusillés !
Mais les Kronstadiens voulaient absolument résoudre la problématique Démocratiquement. Rétrospectivement, il était évident que le Pouvoir Totalitaire Communiste n’en avait nullement l’intention…

Zinoviev, Kalinine et Lachévich étant dépassés par les évènements, ils demandèrent alors de l’aide au Président du Soviet militaire de l’Armée Rouge : Trotsky. Le 2 mars, Lénine et Trotsky renvoyèrent donc aux Kronstadiens un communiqué inspiré par Zinoviev (pages 142 et 147) :
« Communiqué du gouvernement
Un nouveau complot de gardes blancs
La mutinerie de l’ancien général Kozlovsky et du navire Pétropavlovsk
Déjà le 13 février 1921, le journal parisien Le Matin avait publié un télégramme du 11 février en provenance d’Helsingfors, annonçant une insurrection à Kronstadt contre le pouvoir soviétique. Le contre-espionnage français n’avait fait qu’anticiper l’évènement. Quelques jours après cette annonce, souhaitée et préparée sans nul doute par le contre-espionnage français, elle s’est en effet réalisé.
À Kronstadt et à Pétrograd, des tracts de gardes blancs sont apparus. Des espions avérés ont été arrêtés. Pendant ce temps, les SR de droite ont commencé à mener une propagande effrénée parmi les ouvriers, profitant des difficultés de ravitaillement et de chauffage.
Le 28 février, des troubles se sont produits sur le Pétropavlovsk. Une résolution SR-centnoirs a été adoptée. Ils ont continué le 1er mars. Une résolution semblable a été adoptée à une assemblée générale. Le matin du 2 mars, est apparue ouvertement la figure de l’ancien général Kozlovsky (commandant de l’artillerie). Avec trois autres officiers, il a pris ouvertement le parti des mutins. Sous leur direction, ont été arrêtés le commissaire de la Flotte baltique Kouzmine, le président du soviet de Kronstadt Vassiliev et d’autres responsables.
De cette façon, le sens des derniers évènements apparaît clairement. Derrière le dos des SR se trouve encore une fois un général tsariste.
Étant donné cela, le Soviet du Travail et de la Défense décrète :
1. Déclarer l’ancien général Kozlovsky et ses complices hors-la-loi.
2. Proclamer la ville de Pétrograd et sa province en état de siège ; transmettre tout le pouvoir dans la région fortifiée de Pétrograd au Comité de défense.
Le président du Soviet du Travail et de la Défense, V. Oulianov [Lénine].
Le président du Soviet militaire de la République, Trotsky ». (Note n°1, page 151 : La tragédie de Kronstadt, tome 1er, p. 130-131).
(…) La puissante radio du Pétropavlovsk émettra également, bien que brouillée par deux émetteurs de Pétrograd, quoique insuffisamment selon Trotsky qui la capte de son train blindé (note n°5, page 151 : Ibid., p. 257).
Dans un message, la radio répond au communiqué de Lénine et Trotsky :
À tous. À tous. À tous.
Par la volonté des marins, soldats rouges et ouvriers de Kronstadt, tout le pouvoir est passé, sans un seul coup de feu, aux mains du Revkom provisoire. Les communistes locaux reconnaissent eux-mêmes leurs fautes. Les travailleurs de Kronstadt ont décidé de ne plus se soumettre aux belles paroles communistes, se dénommant les représentants du peuple, alors qu’en réalité c’est le contraire.
Camarades, ne croyez pas les commissaires autocrates affirmant qu’à Kronstadt agissent les officiers blancs, commandés par le général Kozlovsky. C’est un mensonge éhonté. Toute la flotte et les forts de Kronstadt ont exprimé leur dévouement et leur subordination inconditionnelle au Revkom provisoire. Les camarades de Kronstadt vous proposent de vous unir à eux sans délai et d’établir une solide liaison afin que nous puissions, par nos efforts communs, obtenir la liberté si longtemps attendue.
Camarades, la question est sérieuse, nous attendons votre réponse immédiate.
Le Revkom provisoire de Kronstadt ». (Note n°6, page 151 : Ibid., p. 159).
(…) le 4 mars, le Comité de défense de Pétrograd, présidé par Zinoviev, envoie un message aux Kronstadiens les sommant de se rendre immédiatement :
Ils y ont réussi !
Aux Kronstadiens trompés.
Maintenant, vous voyez où vous ont mené ces gredins ? Dans le dos des SR et des menchéviks, les anciens généraux tsaristes ricanent. Tous ces gardes blancs agitent les Pétritchenko et Toukine comme des marionnettes. Ils vous ont trompés ! Ils vous ont dit que vous luttiez pour la « démocratie ». Deux jours après, vous voyez qu’en réalité c’est pour les généraux tsaristes, vous voilà attachés à un nouveau Viren.
On vous raconte des fables en affirmant que Pétrograd se soulève pour vous, que la Sibérie et l’Ukraine vous soutiennent. Ce n’est que pur mensonge ! Tous les matelots de Pétrograd se sont retournés contre vous dès qu’ils ont appris que des généraux tsaristes comme Kozlovsky agissaient parmi vous. La Sibérie et l’Ukraine soutiennent fermement le pouvoir soviétique. Pétrograd la Rouge se moque des vains efforts de quelques SR et gardes blancs.
Vous êtes encerclés. Dans quelques heures, vous serez obligés de vous rendre. Kronstadt n’a ni pain, ni combustible. Si vous vous obstinez, on vous tirera comme des perdrix. Tous ces généraux, Koslovsky, Bourkser, tous ces gredins de Pétritchenko et Toukine, s’enfuiront à la dernière minute, bien évidemment, pour rejoindre les gardes blancs en Finlande. Et vous, simples matelots et soldats du rang, trompés par eux, où irez-vous ? S’ils vous promettent d’être nourris gratuitement en Finlande, ils vous trompent ! Est-ce que vous n’avez pas entendu raconter comment les soldats de Wrangel ont été reçus à Constantinople, où ils sont morts de faim et de maladie par milliers comme des mouches ? Le même sort vous attend, si vous ne vous reprenez pas tout de suite. Rendez-vous immédiatement, sans perdre une minute ! Rangez vos armes et passez de notre côté ! Désarmez et arrêtez les meneurs criminels, surtout les généraux tsaristes. Celui qui se rendra sans tarder sera pardonné pour sa faute ! Rendez-vous !
Le Comité de défense de Pétrograd ». (Note n°10, page 151 : La tragédie de Kronstadt, op. cit., tome 1er, p. 215). »
Ici le discours Terroriste et Totalitaire de Zinoviev est déjà extrêmement clair : aucune négociation possible ! En se vantant des horreurs commises par l’Armée Rouge durant la Guerre Civile, il menace les Kronstadiens du même sort et notamment d’être : « tirés comme des perdrix » !
Rappelons également que suite à la politique du Communisme de Guerre engendrant les réquisitions forcées des récoltes agricoles, à la même époque, la seule gigantesque famine de 1920-1921 provoqua la mort de 5 000 000 de personnes !
Dans ce discours, Zinoviev mettait en exergue la Famine comme Arme de destruction massive, qui contentait son appétit de criminel.
Ce ne sont pas des « enfants de chœur », les Communistes : le massacre de masse qui allait s’ensuivre était déjà programmé… !
Puis Trotsky arriva dans la région et ordonna à son général, Toukhatchevsky, qu’il nomma Commandant de toutes les forces armées Communistes de la région, d’ÉCRASER dans l’œuf, l' »insurrection de Kronstadt ». Trotsky donna alors 24 heures aux Kronstadiens pour se rendre, avant le début de l’assaut : seuls, ceux qui : « se seront rendus sans conditions, bénéficieront de la clémence de la République soviétique ».
Lorsque l’on voit le sort réservé aux différentes délégations de Kronstadiens parties négocier à Pétrograd, on a une idée assez précise de ce que Trotsky entendait par « la clémence de la République soviétique ». D’ailleurs, on verra également que la traque et le massacre se poursuivit jusque dans les rues et les maisons de Kronstadt, une fois l’assaut par l’Armée Rouge terminé…

À cette époque la situation générale en Russie était la suivante : En cette année 1921, la Guerre Civile était gagnée presque sur tous les fronts par l’Armée Rouge. Kronstadt avec les soulèvements des régions de Samara, Astrakhan, Tambov, etc. représentaient les dernières menaces pour le régime Totalitaire Communiste. Il allait donc écraser Kronstadt et les autres dont la plus importante, celle de Tambov, qui allait l’être définitivement à l’été de la même année.

Le 5 mars, Trotsky envoya, de son train blindé, un télégramme à son adjoint Skliansky, dans lequel il lui dit que la situation serait meilleure à Pétrograd, sans Kronstadt. En voici le contenu (pages 153, 154 et 155) :
« Un : « plan d’action simple a été mis au point. Seule, la prise de Kronstadt mettra fin à la crise politique à Pétrograd. Il est indispensable de réorganiser la région militaire et la Flotte, en instaurant un régime militaire avec une sévère subordination centralisée ». (Note n°1, page 160 : La tragédie de Kronstadt, op. cit., tome 1er, p. 234).
(…) Le 6 à 14h30, le Revkom provisoire de Kronstadt envoie un message radio à partir du Pétropavlovsk :
À tous. À tous. À tous…
Camarades ouvriers, soldats rouges et marins ! Ici, à Kronstadt, nous savons parfaitement comment vos enfants et vos femmes mal protégés du froid souffrent sous le joug de la dictature communiste. Nous avons renversé chez nous le Soviet communiste et le Revkom provisoire procède ces jours-ci à la préparation des élections du nouveau Soviet qui, librement élu, représentera la volonté de sa population laborieuse et de la garnison, et non une clique de communiste insensés.
Notre cause est juste : nous sommes pour le pouvoir des soviets et non des partis, pour une libre représentation des travailleurs. Les soviets, dont le parti communiste s’est emparé par tricherie, ont toujours été sourds à tous nos besoins et demandes, et nous n’en avons obtenu en réponse que la fusillade.
Maintenant, quand la patience des travailleurs a atteint ses limites, on veut vous faire taire avec des aumônes : sur ordre de Zinoviev, les détachements des barrages sont supprimés dans la région de Pétrograd. Moscou assigne dix millions de roubles-or pour l’achat à l’étranger d’approvisionnement et de produits de première nécessité. Nous savons bien qu’avec ces aumônes on ne pourra pas acheter le prolétariat de Pétrograd et la révolutionnaire Kronstadt, nous vous tendons par-dessus la tête des communistes la main pour une aide fraternelle.
Camarades ! Non seulement on vous trompe, mais on vous cache exprès la vérité en recourant à une lâche calomnie. Camarades ! Ne vous y laissez pas prendre. À Kronstadt, tout le pouvoir se trouve aux mains des marins, soldats et ouvriers révolutionnaire, et non pas des gardes blancs et d’un quelconque général Koslovsky à leur tête, comme vous l’assure la radio calomnieuse de Moscou.
Ne perdez pas de temps, camarades, unissez-vous et joignez-vous fermement à nous, exigez le libre passage vers Kronstadt de vos délégués sans parti qui, seuls, vous diront toute la vérité et dissiperont toutes les rumeurs provocatrices sur le pain finlandais et les intrigues de l’Entente.
Vive le prolétariat ouvrier et paysan révolutionnaire !
Vive le pouvoir des soviets librement élus !
Le Comité révolutionnaire provisoire de Kronstadt ». (note n°5, page 160 : Ibis., p. 254-255). »
Je trouve que tous ces textes des Kronstadiens décrivent parfaitement bien le contexte Historique de l’époque, et qu’ils se suffisent presque exclusivement à eux-mêmes.
Finalement, Toukhatchevsky décida d’attaquer Kronstadt, le 8 mars à 5 heures du matin.
Dans le même temps, par crainte de représailles, les marins de la base navale de Pétrograd furent envoyés en exil forcé par le Pouvoir Communiste, et même pire encore… (pages 156 et 157) :
« En tout, ce sont 6 convois de marins de la base navale de Pétrograd qui vont être envoyés à : Marioupol, Rostov, Astrakhan (600 marins), Batoum, Poti, Bakou, Lenkoran et sur l’Amour en Sibérie ; soit 6 639 marins plus un nombre indéterminé qui se retrouveront loin dans le pays, en particulier dans le sud – dont 2 357 en Crimée – pour être « filtrés » en « dix jours », c’est-à-dire répartis parmi diverses unités militaires, expédiés dans les camps de concentration (Lénine proposera de créer des camps pour 10 à 20 000 marins), ou exécutés (note n°9, page 160 : La tragédie de Kronstadt, tome 1er, p. 352.)
(…) À Pétrograd, plusieurs usines poursuivent la grève : les chantiers navals de Poutilov, les usines Oboukhov, Gvosdilny (fabrique de clous) et Kabelny (celle des câbles), et en partie La Baltique. »
Dans la foulée, Trotsky partisan d’une « purge radicale de la Flotte baltique » (note n°10, page 160 : Ibid., tome 1er, p. 275-276), fit fusiller des marins, arbitrairement, par une « Troïka spécialisée » (pages 157 et 158) :
« Le Tribunal révolutionnaire de la Flotte baltique commence à prononcer des condamnations à mort : le jeune marin ukrainien Solovey l’est pour refus d’obéissance ; le soldat Egorsky, fils d’ouvrier et ouvrier lui-même, est condamné à la fusillade pour avoir proposé lors d’une assemblée une résolution de solidarité avec les insurgés de Kronstadt (note n°11, page 160 : Ibid., p. 279-280).
Après le déclenchement de la canonnade de Kronstadt par l’artillerie rouge, le marin A. Smirnov écrit une lettre indignée aux Izvestia, non publiée ; aussi la reproduisons-nous :
Nous n’en avons pas envie, mais il le faudra.
Autant que je m’en souvienne, il y a à peu près deux mois, le camarade Lénine et d’autres communistes nous disaient : « Si le peuple veut reprendre le pouvoir, nous le quitterons sans hésiter. » Maintenant, c’est tout le contraire qui se passe. Quand Kronstadt la Rouge a jeté bas le joug du communisme et s’est saisie du pouvoir, ces gens ont commencé à employer un autre langage : nous ne vous rendrons pas le pouvoir sans un seul coup de feu, mais allons le défendre par les armes. C’est ce qu’ils ont fait à l’égard de Kronstadt la révolutionnaire. Nous leur avons dit que nous ne voulions pas verser le sang et que nous ne tirerons pas les premiers contre les ouvriers et paysans. C’est ce que nous avons fait durant six jours, sans tirer un seul coup de feu. Cependant, Trotsky, ne sait pas comment se dépêtrer de cette situation, car Kronstadt et, en particulier, les marins, avaient toujours été du côté du pouvoir soviétique et, soudain, ils se soulevaient contre ce même pouvoir. Comme il ne veut pas connaître la nature de notre affaire, il a décidé de publier ordre sur ordre, appel sur appel, comme il en a pris l’habitude, en ordonnant de nous rendre sinon il nous abattrait comme des perdrix. Comme on le voit, il a eu envie de boire encore une fois le sang des ouvriers, comme s’il n’en avait pas assez bu ; telle cette punaise de Zinoviev, il a envie de devenir aussi gros que lui, mais sans qu’on s’en aperçoive. Voilà comment ils rendent le pouvoir au peuple, voilà comment ils ont du mal à se séparer de l’or du Kremlin et de la boutique marchande du Smolny, où ils vendent en gros et en détail le sang ouvrier.
Trotsky a décidé encore une fois de boire un verre de sang ouvrier et paysan, en ouvrant le feu sur la ville de Kronstadt. Mais ce sera son dernier verre, car il sera brisé. À un seul tir, nous répondrons par trois. En avant pour la victoire sur le communisme ! Vive le pouvoir de tout le peuple ! En avant vers la victoire et une édification pacifique (notre n°12, page 160 : Ibid., p. 281-282). »
Les communistes firent coïncider l’ouverture de leur Xe Congrès avec le début de l’écrasement de Kronstadt, donc le 8 mars 1921. Et Lénine en profita, en intervenant, pour diffuser sa propagande haineuse (pages 158 et 159) :
« … Je voudrais dire maintenant quelques mots des évènements de Kronstadt. Je n’ai pas encore les dernières nouvelles, mais je ne doute pas que cette insurrection, où l’on a vu rapidement se profiler les généraux blancs que nous connaissons si bien, soit écrasée dans les jours qui viennent, voire même dans les heures qui viennent. Il ne peut y avoir de doutes à ce sujet. Mais nous devons étudier de près les leçons politiques et économiques qui se dégagent de cet évènement.
Que signifie-t-il ? Le pouvoir politique détenu par les bolchéviks est passé à un conglomérat mal défini ou à une association d’éléments disparates, légèrement plus à droite que les bolchéviks, semble-t-il, et peut-être même « plus à gauche », on ne sait, tant l’ensemble des groupements politiques qui ont essayé de prendre le pouvoir à Kronstadt est indéterminé. Dans le même temps, il est certain, vous le savez tous, que des généraux blancs on joué un rôle important. C’est pleinement établi. Deux semaines avant les évènements de Kronstadt, les journaux parisiens annonçaient déjà une insurrection dans la ville. Il est absolument évident que c’est l’œuvre des socialistes-révolutionnaires et des gardes blancs de l’étranger et [que], par ailleurs, le mouvement a abouti à une contre-révolution petite-bourgeoise, à un mouvement petit-bourgeois anarchiste. C’est là quelque chose de nouveau. Cet évènement, rapproché de toutes les crises, doit être très attentivement pris en considération, très minutieusement analysé, du point de vue politique. Des éléments petits-bourgeois anarchistes, toujours orientés contre la dictature du prolétariat, ont revendiqué la liberté du commerce. Cet état d’esprit s’est largement répercuté sur le prolétariat. Il s’est reflété dans les entreprises de Moscou et dans de nombreuses localités. Cette contre-révolution petite-bourgeoise est sans nul doute plus dangereuse que Dénikine, Ioudénitch et Koltchak réunis…
Si petit et peu notable que fût au début, comment dirais-je, ce décalage du pouvoir que les marins et ouvriers de Kronstadt proposaient – ils voulaient corriger les bolchéviks sous le rapport de la liberté du commerce, il semblait bien que ce transfert fût peu notable, que les mots d’ordre du « Pouvoir des Soviets » fussent identiques à quelques changements près -, mais en réalité les éléments sans-parti ont fait office de marche-pied, de gradin, de passerelle, pour les gardes blancs. C’est inévitable, du point de vue politique. Nous avons vu les éléments petits-bourgeois, les éléments anarchistes dans la Révolution russe, nous les avons combattus pendant des dizaines d’années. […] Nous devons nous souvenir que la bourgeoise cherche à dresser les paysans contre les ouvriers, qu’elle cherche à dresser contre ces derniers les éléments petits-bourgeois anarchistes sous le couvert de mots d’ordre ouvriers, ce qui entraînera directement la chute de la dictature du prolétariat, partant la restauration du capitalisme, de l’ancien pouvoir des propriétaires fonciers et des capitalistes. Le danger politique est évident… » (Note n°13, page 160 : Lénine, Œuvres, Éditions sociales, Moscou, 1962, tome 32 (traduction sous la responsabilité de Roger Garaudy), p. 190, 191 et 192).
Lénine utilise les accusations proférées déjà par ses subordonnés, mais il ne s’agit plus de « complot de l’étranger », seulement de « généraux blancs », avec la « liberté du commerce », prétendument revendiquée par des « éléments petits-bourgeois anarchistes », « légèrement plus à droite » que les bolchéviks, « semble-t-il, et peut-être même plus à gauche ! », « plus dangereux que Dénikine, Ioudénitch et Koltchak réunis ! ». Il ne sait plus comment démêler le nœud de ses mensonges. Cependant, il attendait pour la fin de la journée l’issue victorieuse de l’offensive de ses troupes. C’était prématuré, car il fallait compter avec la volonté des insurgés de se battre jusqu’au bout. »
Le 8 mars au matin, le 561e régiment se dirigea sur la mer gelée entourant l’île de Kronstadt. Il s’arrêta puis fit demi-tour (pages 161 et 162) :
« Le camarade Dybenko a ordonné de former une rangée derrière et de tirer sur ceux que se replieraient ; le commandant du régiment prend alors des mesures contre les soldats afin de les obliger à avancer (note n°2, page 169 : La tragédie de Kronstadt, tome 1er, p. 285-286) : ce qui signifie en clair qu’il procède à une décimation. À 14 heures, Toukhatchevsky fait le point sur le début de l’attaque à son supérieur Serge Kaménev ; il dit que les matelots se défendent énergiquement, leur artillerie répond coup pour coup. Sur le front sud, le 561e régiment a hésité et un de ses bataillons s’est rendu aux Kronstadiens, ce qui a interrompu l’offensive, et les troupes sont revenues à leur point de départ.
(…) En ce qui concerne les 1 564 soldats du 561e régiment et leur refus de combattre les Kronstadiens, il faut préciser qu’il était composé de mobilisés originaires d’Ukraine et du Kouban, tout comme le 560e régiment stationné à Kronstadt, dont il était en quelque sorte le jumeau ; il est normal qu’ils n’aient pas voulu les affronter, certains ayant même des proches parents parmi eux. En outre, ne pouvant se replier à cause de la chaîne de mitrailleuses des tchékistes placés derrière eux, leur choix ne pouvait être que de se rendre aux insurgés. Ces transfuges seront jugés les 20 et 24 mars, 64 d’entre eux, originaires d’Ukraine, condamnés à mort, et 24 internés dans les camps de concentration (note n°5, page 169 : Ibid., tome 2, p. 396). »
C’est dans le contexte de l’écrasement de Kronstadt et d’un pays mis à feu et à sang par la Terreur Communiste ; et économiquement exsangue et donc politiquement en danger, que Lénine décida d’opérer un recul stratégique provisoire en instaurant, le 15 mars 1921 : la N.E.P. (Nouvelle Politique Économique). Tragique ironie de l’Histoire, il s’agissait ni plus ni moins que d’avoir recours au pire système pouvant exister, pour Lénine : le Capitalisme. Cette N.E.P. comportait 3 points principaux (page 168) :
« (…) la substitution d’un impôt en nature aux réquisitions arbitraires de ravitaillement pour les paysans, la liberté du commerce intérieur et l’octroi, à des conditions très avantageuses, de concessions aux capitalistes privés russes et étrangers pour qu’ils fassent fonctionner les entreprises industrielles.
(…) Lénine réussit ainsi l’extraordinaire gageure de ressusciter le capitalisme dans un pays où il n’existait plus ! Les propriétaires terriens ou d’usines ayant été soit éliminés, soit chassés avec les blancs. Dans sa foulée, Boukharine, ex-communiste de gauche en 1918, conseillera : « Enrichissez-vous ! ». »
Aussi incroyable que cela puisse paraître, Lénine tint également ce type de discours (pages 168 et 178) :
« Jusqu’à présent nos communistes n’ont pas encore bien compris leur véritable rôle de direction : ne pas chercher à « tout » faire « soi-même », en se surmenant en vain…, mais vérifier le travail de dizaines et de centaines d’auxiliaires…, guider le travail et s’instruire auprès de ceux qui possèdent les connaissances [les spécialistes] et l’expérience dans l’organisation des grosses entreprises [les capitalistes]. Un communiste intelligent ne craint pas de s’instruire auprès d’un capitaliste… Les résultats de cette « leçon » devront être vérifiés par la seule expérience : fais mieux que les spécialistes bourgeois d’à-côté… Ne lésine pas sur le prix de cette leçon, ne regarde pas à la dépense si la leçon est profitable ». (Note n°16, page 169 : Ibid., p. 386, 388 et 389).
(…) L’adoption de la NEP permet ainsi à Lénine de réaliser une pirouette dont il est coutumier : il affirme, sans rire ni rougir, que la loi sur l’impôt en nature avait « de fait » déjà été adoptée le 30 octobre 1918, mais que, n’étant pas entrée en pratique, elle avait été remplacée par les réquisitions ! (Note n°13, page : Compte rendu sténographique du Xe Congrès du PCR, p. 21 (cité par Rabinovitch, p. 40). Fidèle à sa dialectique où un grand mensonge se substitue à un plus petit, il retourne toujours en sa faveur la situation, quitte à forcer cyniquement les faits. Étant parvenu à interdire toute opposition interne, personne n’osera plus le critiquer ouvertement. »
Il est bien évident, qu’avec l’arrivée de la N.E.P., Lénine n’avait nullement l’intention de relâcher le fondement même du fonctionnement de son régime Totalitaire, à savoir : la Terreur Rouge Bolchevique ! En effet, Terreur de masse et régime Totalitaire sont indissociables pour pouvoir imposer une Idéologie Unique en tant que Vérité Absolue. D’ailleurs, en 1921, Lénine écrivait… (pages 259 à 261) :
« Nettoyer tout cela par la terreur : jugement immédiat, peine de mort sans réserve », et préconise des « mitrailleuses pour les gens qui s’appellent chez nous menchéviks, SR ». (Note n°13, page 272 : Cité par Boris Souvarine, Staline, Éditions champ libre, Paris, 1977, p. 264). D’ailleurs, il n’envisage pas de supprimer la terreur, écrit-il au commissaire à la justice Kourski le 17 mai 1922, dans l’ébauche d’un paragraphe du Code pénal. « L’idée fondamentale est claire, je l’espère, malgré tous les défauts du brouillon : mettre en avant ouvertement la thèse de principe, juste sur le plan politique – et pas seulement en un sens juridique étroit -, motivant le caractère et la justification de la terreur, sa nécessité, ses limites. Le tribunal ne doit pas éliminer la terreur ; le promettre serait se tromper soi-même ou tromper les autres ; il faut la justifier et la légitimer sur le plan des principes, clairement, sans fausseté, sans fard. La formulation doit être la plus large possible, car seule la justice et la conscience révolutionnaires décideront des conditions de l’application pratique plus ou moins large […] : la propagande, l’agitation, la participation à une organisation, ou le concours prêté à des organisations (propagande et agitation) dans le sens d’une aide à la partie de la bourgeoise internationale […] qui cherche à renverser le système communiste par la violence, que ce soit par une intervention, le blocus, l’espionnage ou le financement de la presse, ou par d’autres moyens semblables, sont passibles de la peine capitale, commuée, en cas de circonstances atténuantes, en privation de liberté ou expulsion à l’étranger ». (Note n°14, page 272 : Lénine, Œuvres, Moscou, 1963, tome 33, p. 365-366). Ce brouillon fut intégré tel quel dans le Code pénal et appliqué de la façon « la plus large possible » jusqu’à la disparition de l’URSS sous la forme de l’article 58, bien connu de tous les dissidents. Postérité tue par les hagiographies du fossoyeur de la révolution russe.
Mais cette « poigne de fer » recommandée par Lénine, qui pouvait mieux l’incarner que quiconque sinon le « merveilleux Géorgien » (dixit Lénine) Joseph Djougachvili, dit Staline, littéralement « l’homme d’acier » ? Lénine n’a eu de cesse que de favoriser sa promotion dans le Parti. L’appareil du Parti, par l’intermédiaire de ses organisations, se substitue donc peu à peu à celui de l’État. L’instance décisive dans la pyramide du pouvoir reste en principe son Comité central ; cependant, Lénine a créé, de 1919 à 1921, des instruments de décision plus réduits : le Politburo (Bureau politique), constitué de 5 membres : Lénine, Trotsky, Staline, Kaménev et Krestinsky – remplacé par Zinoviev en 1921 , chargé de mener la politique du Parti entre les congrès ; cela ne suffisant pas à ses yeux, une autre structure s’y est ajoutée en mars 1919, l’Orgburo, subordonnée à la première mais composée des mêmes membres, ayant pour mission de répartir les effectifs du Parti dans le pays et les institutions, c’està-dire de les placer et déplacer selon la volonté de le hiérarchie, et plus simplement de fournir privilèges et avantages aux heureux élus en fonction de leur docilité, lesquels deviendront avec le temps les trop bien connus apparatchiks.
Toutefois, aux yeux de Lénine, l’édifice reste encore insuffisant ; une superstructure, le Secrétariat du Comité central, est créée, qui va se superposer en tant que pouvoir de décision aux deux précédents… et au Comité central lui-même. Le gonflement de ses effectifs, de 30 membres en 1919 à 602 en février 1921, démontre l’importance qui lui est accordée. Last but not least, en 1922, une nouvelle couche du mille-feuilles oligarchique apparaît pour vérifier le bon fonctionnement de l’ensemble : une Commission centrale de contrôle, confiée à Sergo Ordjonikidze, un lieutenant de Staline.
Or, qui trouve-t-on partout comme membre à part entière de cette échelle du pouvoir ? Toujours celui qui « ne faisait pas rire les poules » et qui, maintenant, occupe tout le poulailler, en attendant de le dévorer tout cru : Joseph Staline ! Depuis la prise du pouvoir, il occupa successivement et durablement les postes de commissaire du peuple aux nationalités, puis celui de l’Inspection ouvrière et paysanne « important instrument de contrôle sur tous les rouages de l’État, un commissariat au-dessus de tous les commissariats, l’œil du Parti dans la machine administrative tout entière » (note n°15, page 272 : Léonard Schapiro, De Lénine à Staline, op. cit., p. 277), tout en étant membre du Comité central puis du Politburo et de l’Orgburo du Parti, membre délégué du Comité central auprès du Soviet militaire révolutionnaire de la république et du Collège de la Tchéka-Guépéou, membre du Soviet de la défense et du travail auprès du présidium du CEC des soviets, enfin, il fut nommé par Lénine et le Politburo, en avril 1922, au poste-clé de Secrétaire général du Comité central. En outre, des sept membres du Politburo, il était le seul avec Tomsky à avoir milité clandestinement en Russie pendant que les cinq autres – Lénine, Zinoviev, Trotsky, Kaménev et Rykov – n’œuvraient que par la plume à l’étranger et étaient surnommés par la base les « littérateurs du Parti ». Il avait été arrêté sept fois, déporté et évadé cinq fois, tout en demeurant dans le pays. Cela lui avait valu d’être l’homme de confiance de Lénine depuis le début. Tous dans le Parti le savaient et c’est pour cela que Trotsky, Zinoviev et Kaménev le craignaient et n’osèrent l’attaquer de front, ayant tous quelque chose à se reprocher vis-à-vis du « chef d’orchestre ». C’est le secret de la victoire de Staline dans le Parti. »
En ce début de conflit, les ouvriers démontrèrent leur soutien aux Kronstadiens en publiant un tract (pages 171 à 174) :
« On ne peut plus se taire.
Nous devons parler non seulement lorsque nous avons faim, mais aussi lorsque se décide le destin de 25 000 marins. Les autorités nous disent que les Kronstadiens restaurent les généraux d’antan, c’est une CALOMNIE. Les marins révolutionnaires se sont soulevés contre les nouveaux généraux, aussi ce n’est pas la peine de mentionner les anciens. Comme nous, ils trouvent mauvais et répugnants les nouveaux tyrans, aussi il est inutile de mentir effrontément. Qui est l’ennemi véritable ? Est-ce que nous allons faire preuve d’une aussi grande lâcheté envers nos frères les matelots, lesquels ont défendu et défendront toujours les intérêts des travailleurs. Est-ce que nous allons travailler tranquillement pendant tout ce temps. Non, nous ne commettrons pas ce crime. Si nous ne pouvons sortir et manifester dans la rue, nous arrêterons le travail et démontrerons ainsi notre solidarité avec les insurgés.
VIVE L’UNITÉ DES MARINS, OUVRIERS ET SOLDATS ROUGES.
À BAS LES SEIGNEURS ET LES TYRANS !
VIVE LE POUVOIR DES SOVIETS !
À BAS LA DICTATURE DES PARTIS !
Chers camarades,
Les ouvriers de l’Arsenal ne travaillent pas et vous prient de soutenir les Kronstadiens et les ouvriers de Vyborg, sinon nous trahirons nos camarades par notre manque de solidarité. Cessez de travailler !
Ceux de l’Arsenal. » (Note n°3, page 188 : Les ouvriers de Piter et la dictature du prolétariat, op. cit., p. 264-265).
Avec les ouvriers des usines Nobel et Oboukhov, ils ne travaillent toujours pas le 10 mars. Les plénipotentiaires de l’Assemblée des délégués des fabriques et usines de Pétrograd qui s’étaient manifestés en 1918 réapparaissent et diffusent un appel :
« L’Assemblée des délégués des fabriques et usines de Pétrograd adresse un appel aux ouvriers, militaires et citoyens pour entamer une grève générale et renverser le pouvoir des Communistes.
Pétrograd, le 14 mars.
Adresse à tous les citoyens, ouvriers, soldats rouges et marins « N’économisez pas les balles », le général tsariste Trépov.
« Nous vous tirerons comme des perdrix », le président du Soviet de Pétrograd Zinoviev.
Tous ont lu les appels du gouvernement. Tous les ont compris. Aux demandes légales du peuple, il répond à coups de canon qui tonne dans le ciel de Pétrograd. On ne peut plus attendre. Le temps d’agir est arrivé. Le peuple doit décider lui-même de son destin. Il doit renverser le joug du bolchevisme. Tous sans exception sont obligés de participer à cette lutte.
Les ouvriers se sont soulevés. En Sibérie, sur la Volga, en Ukraine, dans les régions centrales, les villages brûlent. Kronstadt s’est soulevée pour soutenir les ouvriers de Pétrograd. À son tour, Pétrograd se doit de soutenir les Kronstadiens. Il les soutiendra par une manifestation unanime et fraternelle.
Nous, représentants des fabriques et des usines, nous appelons à cette manifestation tous les ouvriers, citoyens et militaires. Nous appelons à UNE GRÈVE GÉNÉRALE. Que les fabriques et les usines se soulèvent ! Que les employés abandonnent leurs activités ! Que les soldats rouges, marins et koursantis s’unissent en ces jours avec le peuple !
Nous savons qu’un seul coup ne décidera pas de la bataille. Mais le premier coup doit être porté, et plus vite ce sera, mieux ce sera, ouvriers, citoyens et militaires ! Vous devez porter ce coup vous-mêmes. IL VAUT MIEUX MOURIR AUJOURD’HUI EN LUTTANT QUE DEMAIN DE FAIM.
Ça suffit d’être des esclaves affamés, ça suffit de supporter l’oppression et la honte.
Nos mots d’ordre sont : « TOUT LE POUVOIR AU PEUPLE », « LE DROIT DE VOTE POUR TOUS, à bulletin secret et égal pour tous », « LA LIBÉRATION IMMÉDIATE DE TOUS LES ARRÊTÉS ».
À bas le sanguinaire pouvoir communiste ! VIVE LA GRÈVE GÉNÉRALE ! » (Note n°4, page 188 : La tragédie de Kronstadt, tome 1er, p. 421-422).
Les anarchistes, longtemps partenaires loyaux des communistes, sont mis au pied du mur et sont obligés de réagir pour ne pas abdiquer de leurs convictions. Alors que certains d’entre eux, « collaborationnistes » (Alexandre Berkman, Emma Goldman, Perkus…), essaient d’intercéder en faveur des Kronstadiens auprès des autorités, d’autres, moins préoccupés de complaire aux bolchéviks, lancent un appel à l’action directe :
« Que se passe-t-il à Kronstadt ? Révolution ou contre-révolution ? Insurrection libertaire ou rébellion de gardes blancs ? Les dirigeants bolchéviks déclarent : « Les Kronstadiens se sont soulevés contre nous, ils ont quitté notre route. Leur nouvelle voie ne peut les mener que dans le camp des blancs et de la contre-révolution ; ils n’ont pas d’autre issue. »… Un pouvoir fort a besoin d’une obéissance docile ; cela signifie qu’il a besoin d’une discipline de fer, d’une armée répressive ; il lui est plus facile de gouverner lorsque le peuple est bâillonné et enchaîné. Nous en avons vu les résultats : les réquisitions obligatoires pour les paysans et le travail forcé pour les ouvriers. Un tel pouvoir n’hésite pas, sous prétexte de concessions, à vendre aux capitalistes étrangers, non seulement le labeur de l’ouvrier, mais aussi sa liberté, s’il peut affermir ainsi son autorité…
À propos de la seconde voie, tout le monde se tait. Tous les gouvernements la dissimulent soigneusement, car c’est la fin de toute Autorité : la société Libertaire. Là, il n’y a plus de maîtres, plus d’esclaves, de mercenaires du travail, ni de contraintes. Chacun participe à sa propre vie. L’armée régulière, instrument d’oppression, cède la place aux détachements libres de partisans. Au lieu du travail forcé, c’est le travail créateur et libre pour tous. Les ouvriers s’occupent eux-mêmes de la production et de la répartition des produits Ils se passent de l’État, et organisent un libre-échange avec les paysans. Les questions et problèmes de la vie économique et sociale se résolvent au cours de libres assemblées des ateliers, usines et communes paysannes…
Mais alors vous, Pétrogradois, jusqu’à quand allez-vous vous taire et ne rien faire. La Révolution est là qui vous attend impatiemment. Elle vous appelle à la suite de Kronstadt. Il y a quelques jours encore, vous pouviez hésiter, vous pouviez ignorer la vérité sur les évènements ; pour sauver sa peau, le pouvoir vous avait impudemment trompés. Pour rester en place, il lui faut écraser Kronstadt. Mais qui irait combattre les matelots de Kronstadt pour défendre le pouvoir ? Le pouvoir a imaginé une fable vieille et rebattue : celle de la contre-révolution. Il veut tromper Pétrograd, il veut tromper à nouveau toute la Russie.
Ceux qui connaissent Kronstadt et son amour de la liberté, ne peuvent croire que les marins se soient entendus avec l' »Entente ». Seule, une faible partie de la jeunesse s’est laissé prendre à cette fable. On l’a flattée, l’appelant les « vaillants défenseurs de Pétrograd » ; et, sous le commandement de gredins conscients, elle a été envoyée canonner la Révolution. Voilà la vérité de ces derniers jours.
Sachant cela, Pétrogradois, vous vous taisez tout de même. Nuit et jour, vous entendez le grondement des canons, et malgré cela vous ne vous décidez pas à intervenir ouvertement contre le gouvernement, pour détourner ainsi ses forces de Kronstadt. L’affaire de Kronstadt est vôtre. Non moins que les Kronstadiens vous avez souffert du pouvoir bolchévik ces trois dernières années ; il a tué en vous tout ce qui était vivant, toute pensée, tout espoir en la possibilité en une nouvelle révolution, même en la possibilité d’une lointaine émancipation.
Les Kronstadiens ont toujours été les premiers dans la révolte ; maintenant aussi, ils viennent de débarrasser leur cou des mains qui les étranglaient avec des chaînes. C’est pour cela qu’à Kronstadt, par-delà la canonnade, étincelle maintenant votre liberté.
C’est votre tour ! Après la révolte de Kronstadt, doit venir la révolte de Pétrograd !
Marins, soldats rouges, ouvriers, levez-vous à côté des Kronstadiens, et que le pouvoir amène ses bandes de koursantis, nous verrons alors pour qui sera la victoire et la Révolution.
Pétrogradois, votre première tâche est de supprimer ce gouvernement, et ensuite de ne pas laisser s’en instaurer un autre. Tout État apporte avec lui, dès le premier jour, la loi, les décrets et les interdictions. Seule, la société anti-autoritaire ne vous enchaînera pas…
Marins, soldats, ouvriers, organisez entre vous une liaison, entendez-vous et mettez au point votre action. Attaquez tous les centres bureaucratiques, tous les dépôts d’armes. Vous serez reçus à coups de fusils : c’est ainsi que tout pouvoir rencontre la Révolution. Et comme toujours cela sera son chant du cygne. » (Note n°5, page 188 : Kornatovsky, La rébellion de Kronstadt (R), Léningrad, 1931, p. 164-166). »
Puis, ordre fut donné, le 11 mars par Toukhatchevsky d’effectuer jour et nuit un « bombardement systématique de Kronstadt », risquant de tuer massivement marins et population civile. Mais Trotsky trouvant ces mesures insuffisantes fit accélérer les mesures d’extermination contre Kronstadt, envoyant donc un message allant dans ce sens au bureau politique du Comité Central du parti communiste (page 177) :
« Le 10 mars.
Top secret. Aux membres du Politburo du Comité central.
On ne peut s’emparer de Kronstadt qu’avant le dégel. Dès que le golfe deviendra navigable, Kronstadt pourra communiquer avec l’étranger. En même temps, l’île deviendra inaccessible pour nous. Les espoirs d’une reddition à cause d’un manque d’approvisionnement ne sont pas fondés car, jusqu’à l’ouverture de la navigation, il y en a suffisamment. En outre, les insurgés en reçoivent actuellement de Finlande – on sait que 7 traîneaux y sont parvenus. Toukhatchevsky vient de me faire savoir que le dégel a commencé à Pétrograd. Il faut à tout prix liquider Kronstadt ces prochains jours. Cela ne peut être atteint qu’au moyen de la mobilisation d’un nombre considérable de communistes et d’actifs militants responsables à Pétrograd.
Il faut prendre des mesures extraordinaires. Je crains que ni le Parti, ni les membres du Comité central ne se rendent pas compte suffisamment du caractère extraordinairement critique de la question de Kronstadt.
Trotsky. » (Note n°11, page 188 : Ibid., p. 349). »
Plusieurs régiments de l’Armée Rouge refusèrent de combattre contre les marins de Kronstadt. Des centaines furent arrêtés, emprisonnés et/ou fusillés ; et d’autres disparurent sans laisser de trace…

Durant le massacre, dans un ordre top secret du 13 mars le Commandant de l’offensive Nord, E. Kazansky, incita les soldats au meurtre et à la barbarie en insistant sur le fait qu’ils ne devaient pas faire de prisonniers (page 186) :
« lors de la prise des forts, il faudra se débarrasser cruellement des mutins, fusiller sans aucun regret tous ceux qui s’y trouveront et ne pas retarder pour cela les assaillants. […] dans les combats de rues à Kronstadt, tuer tous ceux qui seront armés, ne pas perdre de temps avec les prisonniers et n’entrer en aucun cas en discussion ou en pourparlers avec les rebelles ».
Deux heures plus tard, nouvel ordre du même style :
« … Fusiller sur place tous les déserteurs et paniqueurs. Le commandant de la rangée de surveillance arrière en répondra. La partie du détachement prévu pour la prise du premier fort devra immédiatement attaquer les forts 4 et 6 et y fusiller tous les rebelles. Il ne doit pas y avoir de prisonniers. » (Note n°34, page 188 : Ibid., p. 395 et 395-396).
Ces ordres viennent d’en haut, il ne peut en être autrement dans la pyramide du pouvoir, comme on l’a vu avec les ordres et les directives de Trotsky. Mais ici, c’est Lénine lui-même qui a dû ordonner cette répression féroce car, quelques mois plus tard, non seulement il l’approuvera, mais affirmera : « C’est maintenant précisément qu’il faut donner une leçon à ces gens, de façon que pour des décennies ils ne puissent même pas penser à quelque résistance que ce soit ». (Note n°35, page 188 : Cité dans Kronstadt 1921 – Documents, op. cit,. p. 12 et dans Les Izvestia du Comité central du Parti communiste (R), 1990, n°4, p. 192-193). Toukhatchevsky encourage cette « purge cruelle » et loue Dybenko pour avoir rendu combative sa 27e division avec de telles méthodes.
(…) Ne sachant comment se faire valoir auprès de son chef S. Kaménev, il proposera, le 17 mars, de bombarder les deux cuirassés Sébastopol et Pétropavlovsk avec des obus à gaz asphyxiant (note n°36, page 188 : La tragédie de Kronstadt, tome 1er, op. cit., p. 427 et 486). »

Le 14 mars, en plein massacre, le Revkom dénonça encore leurs bourreaux dans le journal les Izvestia (pages 190 et 191) :
« À bas la commissarocratie !
Quand il s’est emparé du pouvoir, le parti communiste nous a promis tous les biens que pouvaient espérer les masses laborieuses. Que voyons-nous maintenant : il y a trois ans, ils nous disaient : « Vous pourrez, quand vous le voudrez, rappeler vos représentants du soviet et en élire d’autres. » Quand nous, Kronstadiens, avons exigé de nouvelles élections du soviet, libres de toute pression du Parti, Trotsky, ce successeur du fusilleur Trépov, a donné l’ordre de ne pas « économiser les balles ». Soldats rouges, vous pouvez constater à quel point les communistes estiment vos vies. Avec vos seules mains nues, ils vous envoient traverser le golf pour conquérir la citadelle de la révolution des travailleurs – Kronstadt la Rouge. Attaquer des forts imprenables et des navires au blindage que des obus de douze pouces ne parviennent pas à percer.
Quelle infamie !
Nous avons exigé la venue d’une délégation des travailleurs de Pétrograd, afin que tous puissent savoir quels sont nos généraux qui, ici, donne des ordres. Mais elle n’est pas venue. Les communistes ont peur qu’elle apprenne et vous fasse connaître la Vérité. Ils tremblent, sentant le sol se dérober sous leurs pieds.
Cependant, l’heure a sonné. Bas leurs sales pattes, couvertes du sang de nos frères et de nos pères ! Le souffle de la liberté n’a pas encore disparu chez les travailleurs. Ils ne se laisseront plus asservir sous le joug des vampires communistes, suçant la dernière goutte de sang du prolétariat supplicié.
Travailleur, est-ce pour en arriver là que tu as renversé le tsarisme, écarté Kérensky, afin d’installer sur ton cou le nœud coulant des bourreaux du feldmaréchal Trotsky ?
Non ! Mille fois non ! Ta lourde main calleuse doit s’abattre sur ces lâches agresseurs qui sacrifient des millions de vies de travailleurs uniquement pour garder le pouvoir.
Que soit maudit le joug haï des communistes ! À bas le parti oppresseur ! Vive le pouvoir des ouvriers et paysans ! Vivent les soviets librement élus !
Le Comité révolutionnaire provisoire de Kronstadt ». (Note n°3, page 199 : Ibid., Les Izvestia de Kronstadt, n°12 du 14 mars).
Dans le numéro 6 du 8 mars, l’article « Pour quoi nous luttons » exprime la dimension et le caractère du mouvement et nous pouvons considérer le passage suivant comme la charte politique des insurgés :
C’est ici, à Kronstadt, qu’est posée la première pierre de la IIIe Révolution, celle qui brisera les dernières chaînes des masses laborieuses et ouvre une nouvelle et large voie pour l’édification socialiste. Cette nouvelle révolution mettra ainsi en marche les masses laborieuses de l’Est et de l’Ouest, devenant l’exemple d’une nouvelle construction socialiste, opposée à « l’ordre » bureaucratique des bolchéviks, convainquant les travailleurs étrangers de toute évidence que ce qui a été accompli chez nous jusque-là, au nom des ouvriers et des paysans, n’était pas du socialisme.
Les ouvriers et les paysans doivent aller en avant, de manière irréversible, laissant derrière eux l’Assemblée constituante et son régime bourgeois, la dictature du parti communiste, des tchékas et du capitalisme d’État, qui étouffent le prolétariat et menacent de l’étrangler définitivement ». (Note n°4, page 199 : Ibid., n°6 du 8 mars).
Cette troisième et ultime révolution fait suite à la première contre le tsarisme, contre la noblesse féodale et l’autocratie, et à la seconde contre la bourgeoisie, le parlementarisme et la capitalisme privé, elle se fera contre le césarisme bureaucratique de parti et de capitalisme d’État, pour établir le pouvoir des soviets, sans parti « guide » ni politiciens messianistes.
La masse des insurgés était apolitique, c’est-à-dire que, en dehors de quelques individus, elle n’adhérait ostensiblement à aucun parti. Les positions adoptées unanimement, communistes dissidents compris, reflétaient l’état d’esprit de l’ensemble de la population. En fait, il y a eu à Kronstadt une démarche collective, il n’y a pas eu de meneurs entraînant la foule ; les articles fondamentaux des Izvestia ne sont pas signés, à la différence des journaux bolchéviks, menchéviks ou SR de l’époque. »
Les Marins de Kronstadt, désespérés et voyant leur fin imminente arriver, le 15 mars, le Revkom lança un appel de détresse à tous les journalistes d’Europe pour qu’ils puisse témoigner au monde, du massacre en cours (pages 196 à 198) :
« Appel des Kronstadiens
Cet appel du lointain Kronstadt, soulevé contre le joug indescriptible d’une bande de criminels qui se sont emparés du pouvoir dans la Russie martyrisée, s’adresse à vous, peuples du monde ! C’est à vous aussi, Russes, qui errez à travers le monde et souffrez non moins que nous du sang de nos frères, versé au profit du parti des monstres, que s’adresse cet appel de Kronstadt la révolutionnaire.
C’est au mot d’ordre de VAINCRE OU MOURIR que nous avons renversé le joug des communistes, mais ce n’est pas notre seule tâche. Nous devons – et nous le ferons – jeter bas la domination d’un groupe de criminels sur toute la Russie, donner à respirer librement au paysan, à l’ouvrier et à l’intelligentsia asservis.
L’aube d’une liberté authentique s’est levée à Kronstadt, l’heure si souhaitée pour la Russie laborieuse, sûre de sa force, de commencer avec une vigueur nouvelle l’édification pacifique de son existence.
KRONSTADT N’ABDIQUERA PAS DE SES POSITIONS ET NE VENDRA PAS LE SANG DE SES FRÈRES. Notre force ne tient pas seulement dans nos forts inexpugnables mais dans notre foi et notre aspiration illimitées dans la justesse de ce que nous accomplissons.
Nous nous battons maintenant pour renverser le joug d’un parti, pour le pouvoir véritable des soviets, et qu’ensuite la volonté populaire décide elle-même de la façon qu’elle veut être gouvernée.
CE N’EST PAS NOUS QUI AVONS VERSÉ LES PREMIERS LE SANG. Nous avons attendu que les communistes insensés retrouvent leurs esprits et rendent le pouvoir qu’ils ont arraché au peuple. En réponse, ils ont ouvert les premiers le feu et versé encore le sang de nos frères martyrisés. Nous avons relevé le défi et nous ne craignons ni leurs avions ni leurs canons de douze pouces. Isolés du monde entier, nous donnons depuis quinze jours une riposte méritée au sanguinaire Trotsky et à sa bande de bandits qui menacent de « nous fusiller dans quelques heures comme des perdrix ».
Transformée en une immense prison, Pétrograd, où plusieurs dizaines de milliers de nos frères et de nos familles ont été pris en otages, ne peut en ce moment nous apporter une aide substantielle. IL NOUS FAUT UNE AIDE EXTÉRIEURE. C’est avec un cœur sincère, en lutte pour une juste cause, que nous nous adressons à vous, peuples du monde entier, et à vous Russes, arrachés à votre patrie martyrisée. Il nous faut du ravitaillement pour les enfants et pour la population civile qui vivent actuellement sur les réserves de l’héroïque garnison. C’est avec joie que celle-ci a partagé ses rations avec la population, mais le temps peut venir où ce sera insuffisant. Il nous faut des médicaments pour les malades et les blessés, il nous faut une aide morale, et le moment peut venir où il nous faudra une aide militaire.
NE PERDEZ PAS UNE MINUTE. N’ATTENDEZ PAS, AGISSEZ TANT QUE C’EST POSSIBLE SUR LA GLACE. N’ATTENDEZ PAS, afin que le sang d’une poignée de héros, défenseurs d’une liberté authentique, ne soit pas versé inutilement.
N’ATTENDEZ PAS, PEUPLES DU MONDE ENTIER, afin que l’histoire ne vous le reproche plus tard. N’ATTENDEZ PAS VOUS AUSSI, RUSSES, afin qu’aux questions de vos enfants vous demandant : « Qu’avez-vous fait, quand le sang était versé pour la sainte cause de la liberté des travailleurs de Russie ? », vous puissiez répondre : « J’étais avec eux, j’aidais à l’édification d’une Russie libre. »
NE PERDEZ PAS UNE MINUTE. Diffusez notre appel partout où vous le pouvez.
Le Comité révolutionnaire provisoire ». (Note n°12, page 199 : La tragédie de Kronstadt, op. cit., tome 1er, p. 476). »
L’assaut final a été donné dans la nuit du 16 au 17 mars. Dans les deux camps, des milliers de marins et soldats furent fauchés par des mitrailleuses, des obus, noyés dans la mer glacée par les trous formés par les obus dans la glace.
Le 17 au soir, 8 000 marins et habitants de Kronstadt s’enfuirent en Finlande. Le 18 au matin, Kronstadt est tombée et malgré les milliers de morts, le Haut Commandement Bolchevique décrivit la situation avec un infâme cynisme (page 210) :
« Toukatchevsky en rajoute : dans une conversation par téléphone avec son supérieur S. Kaménev, il déclare la victoire acquise et que « en somme, sa tournée ici est terminée ». Trotsky, interloqué, demande à S. Kaménev la confirmation du terme « tournée » employé : « Qu’avez-vous dit, Mikhaïl Nicolaevitch a appelé son séjour devant Kronstadt une tournée ? – Kaménev : « Oui, il a bien dit cela. » – Trotsky : « C’est une comparaison intéressante, mais pour Toukhatchevsky c’est bien compréhensible, il aime jouer du violon et à Kronstadt il a été le « premier violon ». Transmettez-lui mes salutations et permettez-lui de revenir à son poste précédent. » – Kaménev : « Il en sera fait ainsi, Lev Davidovitch. » (Note n°18, page 211 : V. Krasnov, Trotsky inconnu (R), Moscou, 2000, p. 353-354). »
Le terrible bilan fait état d’environ 10 000 morts et blessés.
Puis, après la fin des combats, sonna l’heure sinistre des exécutions sommaires (pages 217 et 218) :
« Les juges tchékistes n’ont pas traîné pour juger les « coupables ». Dès le 20 mars, une troïka du tribunal de campagne du groupe Sud condamne à la « peine suprême de châtiment » 13 marins du Sébastopol, dont le commandant adjoint du navire, des enseignes, des artilleurs et 5 membres de son comité élu ; décision non soumise à un appel et exécutable immédiatement (note n°15, page 225 : Ibid., p. 572-574). Un procès-verbal de la troïka extraordinaire tchékiste établi le même jour fait état de 367 condamnés à mort, dont 167 marins du Pétropavlovsk, 50 du Sébastopol, 61 du 560e régiment, 33 de l’école des machines et 53 d’autres unités ; un procès-verbal du lendemain 21 mars note 32 marins du Pétropavlovsk et 39 du Sébastopol condamnés à mort ; le 22 mars, 334 nouvelles condamnations à la peine suprême sont prononcées ; le 24 mars, ce sont 73 autres et, enfin, le 3 avril, 64 membres du détachement d’instruction des mines sont fusillés (note n°16, page 225 : Ibid., p. 422-423).
Un recensement des deux équipages en date du 24 mars indique 538 marins présents, 14 officiers arrêtés, 2 en fuite sur le Pétropavlovsk et 658 marins et ses officiers ayant été tous arrêtés sur le Sébastopol, soit un total de 1 312 sur un effectif initial de 59 officiers et 2 234 marins, cela sans préjuger des exécutions postérieures, comme celle du président du comité du Sébastopol Korovkine et du membre du Revkom Pérépelkine – dont les procès-verbaux d’interrogatoire figurent dans les archives -, mais qui ont été temporairement maintenus en vie à toutes fins utiles, jusqu’à leur exécution ultérieure (note n°17, page 225 : Ibid., tome 1er, p .611-612).
(…) Malgré tout, on peut donc assimiler légitimement ces exécutions massives à un massacre de ceux qui n’avaient eu que le tort d’avoir voulu des élections libres des soviets et de n’avoir pas touché à un seul cheveu des communistes et tchékistes arrêtés. »
D’autres condamnations à mort furent encore prononcées, dont une jeune fille, Véra Babour, âgée de 19 ans seulement, employée à l’économie communale de la ville de Kronstadt, et qui avait porté secours aux soldats des deux camps pour les transporter à l’hôpital et aider à les soigner.
Puis l’horreur des condamnations reprit à un rythme effréné. Je suis ému et fier, ici, 92 ans après ce massacre, de perpétuer et d’honorer leurs Mémoires, de pouvoir donner quelques-uns de leurs noms et âges. Un véritable gâchis humain, et personne ne pourra dire qu’ils n’ont pas existé ou que le Pouvoir Terroriste Soviétique ne les a pas sauvagement assassinés (page 218 à 224) :
« Le 20 avril, une session du présidium, dirigée par le chef de la tchéka de Pétrograd Sémenov, prononce une nouvelle et importante fournée de 47 condamnations à mort ; y figurent : 3 membres du Revkom, Vladislav Valk (37 ans), Piotr Pérépelkine (30 ans) et Serge Verchinine (24 ans) ; les marins les plus actifs des cuirassés : Ivan Korovkine (29 ans), Lucas Savtchenko (20 ans) et Alexandre Goutsko (23 ans) ; les rédacteurs des Izvestia Eugène Vladimirov (55 ans) et Anatole Lamanov (31 ans) ; les officiers Stépan Dimitriev (42 ans), Piotr Zeleny (51 ans), Jacques Beletsky (38 ans), commandant du Sébastopol – pourtant parti en permission à Pétrograd le 26 février et arrêté le 2 mars -, Boris Karpinsky (32 ans), Zinovy Broulle (35 ans), chef artilleur du Pétropavlovsk ; les marins et délégués des brise-glace Trouvor et Ogogne de Pétrograd, venus à l’assemblée du 1er mars à Kronstadt : Serge Erchov (21 ans), Georges Tan Fabian (30 ans), Polonais, Alexandre Mironov (27 ans), Vassili Koukline (28 ans), Nicolas Antimonov (34 ans) – lui, pour avoir appelé l’équipage à libérer Tan Fabian ; 4 délégués de revtroïkas de détachements : Alexandre Kriouk (49 ans), commandant en second du croiseur Riourik et père de cinq enfants, Vassili Egorov (31 ans), Pavel Pétrov (29 ans), Alexandre Annenkov (24 ans) ; les six marins du Sébastopol, porteurs de 3 000 exemplaires de la Résolution du Pétropavlovsk et appréhendés le 5 mars : Alexandre Oulanov (28 ans), Dimitri Sorokine (30 ans), Alexandre Tsymek (26 ans), Polonais, Alexandre Trofimov (23 ans), Nicolas Kvartaliev (30 ans) et Alexandre Stépanov (27 ans) ; 9 membres de la base aérienne d’Oranienbaum ; le commandant Constantin Pétrov (27 ans) du fort n°6 – bien qu’il ait subi l’influence de l’ancien commandant Ivan Bourlakov (22 ans) en faveur de l’Armée rouge, lequel est gratifié d’une condamnation à un an de travaux forcés ; le communiste Nicolas Oustinov (25 ans) est fusillé, bien qu’il ait écouté, lui aussi, les conseils de Bourlakov de ne pas nuire aux assaillants rouges, Boris Goloubtsov (22 ans), qui a déclaré être allé le 3 mars chercher des pommes de terre à Oranienbaum, mais étant d’origine noble, un vice rédhibitoire qui lui vaut l’exécution. S’ajoute au tableau 39 condamnations de un à cinq ans de travaux forcés. Malgré tout, il y a 8 libérés et 2 acquittés, l’un mort de tuberculose et l’autre s’étant suicidé (note n°20, page 225 : Ibid., tome 2, p. 71-85). On peut se demander d’ailleurs si certaines de ces condamnations n’auraient pas été prononcées à titre posthume, histoire de « légaliser » leur mort. Cela dit, on ne sait rien du sort réservé aux 50 délégués envoyés par Pérépelkine pour diffuser la Résolution du Pétropavlovsk et les Izvestia sur le continent, car ils ne sont jamais revenus ni n’ont donné signe de vie.
Citons encore le cas de Philippe Smirnov, âgé de 45 ans et père de trois enfants, accusé d’avoir assuré la garde avec un fusil et d’avoir été élu membre d’une troïka chargée de préparer la réélection du Soviet de Kronstadt. Alors que le juge propose de le condamner à cinq ans de travaux forcés, la troïka extraordinaire de la Tchéka le condamnera à être fusillé comme « participant actif et membre d’une revtroïka (note n°21, page 225 : Ibid., p. 425).
(…) Une nuit fatale, deux camions vinrent chercher 40 Kronstadiens et les emmenèrent au polygone de tir pour les fusiller.
(…) Un rapport du 26 mars de la Tchéka, noté « secret et souligné trois fois par Lénine, affirme qu’il : « n’y avait pas d’organisation initiatrice de l’insurrection et qu’elle s’est créée au fur et à mesure de l’évolution des évènements (note n°28, page 225 : La tragédie de Kronstadt, op. cit., tome 1er, p. 641-642). C’est le démenti formel de tout complot et il sera confirmé par tous les autres rapports secrets de la Tchéka.
(…) De cette façon, du 20 mars au 15 avril, 3 000 participants actifs de la mutinerie ont été arrêtés, dont 40 % (1 200) ont été condamné à la « peine suprême de châtiment », 25 % à cinq ans de travaux forcés, 35 % libérés et quelques-uns à un an de travaux sociaux avec sursis (note n°31, page 225 : Ibid., tome 2, p. 91-94).
Une statistique top secrète pour les lois de mars et avril, établie le 1er juin, comptabilise 2 168 condamnés à mort dont quatre femmes, 6 528 arrêtés, 1 965 condamnés aux travaux forcés, 1 272 libérés et 232 restant à juger (note n°32, page 225 : Ibid., tome, p. 122-123).
Une statistiques ultérieure établie en 1935-1936, suite à un déménagement des archives du NKVD, mentionne 10 026 arrestations, dont 2 103 condamnés à mort, 6 459 à des peines de travaux forcés de 6 mois à 5 ans et 1 464 libérés (note n°33, page 225 : Ibid., p. 444-445). Selon la procédure de responsabilité politique instaurée par le Parti, chaque procès-verbal d’une exécution devait comporter les noms et signatures des fusilleurs, ce qui expliquerait le caractère secret qui les entoure. »
Que sont alors devenus les marins de Kronstadt, leurs familles et les habitants qui ne sont pas morts durant le massacre, sous les bombardements et qui n’ont pas été fusillés ? (pages 227 à 231) :
« À sa séance du 20 avril 1921, le Politburo du Parti décide de confier au chef tchékiste Menjinsky la direction d’une commission chargée de mettre sur pied des colonies disciplinaires de 10 à 20 000 internés, installées dans le Grand Nord, à Oukhta, loin de tout lieu habité (note n°2, page 238 : Ibid., (La tragédie de Kronstadt) p. 69-70) ; Dzerjinsky est chargé de superviser l’opération (note n°3, page 238 : Ibid., p. 113, 174-175, 456). Le 16 juillet, sur proposition de Menjinsky, le Politburo décide de les transférer plus loin dans le nord, à Kholmogory. Le 27, 1 000 marins et soldats prisonniers et Kronstadt sont envoyés pour accomplir un service militaire hors de la région de Pétrograd, sans avoir le droit de porter les armes ; ils doivent être soumis à une intense activité politique et éducative ; selon les cas, ils pourront être démobilisés (note n°4, page 238 : Ibid., p. 183). Les Kronstadiens condamnés aux travaux forcés sont dirigés sur les camps de concentration de Kholmogory, Arkhangelsk, Vologda, Mourmansk et au camp n°2 de Pétrograd.
(…) Immédiatement après la prise de la forteresse, pour déceler et découvrir tous les insurgés et les éléments hostiles restés sur place, le tchékiste Gribov organise un réseau de 48 espions. Il leur est délivré 41 mandats de perquisitions et d’arrestations, 3 154 personnes sont arrêtées, débouchant sur 486 affaires. En outre, dans la nuit du 29 au 30 mars, une fouille générale de la ville a lieu et donne des résultats « satisfaisants ». Cela ne dure qu’un temps car, rapidement, tous ses agents sont clairement identifiés par la population et rendus inefficaces (note n°7, page 238 : Ibid., p. 125).
(…) un convoi de 603 marins envoyés dans ces conditions à Tiflis, connaîtra 79 désertions : il n’en arrivera que 480 (note n°9, page 238 : Ibid., p. 150). Les éléments « nuisibles » auront été éliminés, c’est-à-dire envoyés dans les camps de concentration.
À la suite des décisions prises par la commission sur l’expulsion des insurgés de Kronstadt et de leurs familles, un premier tableau portant sur la période du 1er février au 11 septembre 1922 fait état de 1 153 personnes sur un total de 2 024 à expulser. Près d’un an et demi plus tard, au 10 avril 1923, ce sont 1 960 Kronstadiens et leurs famille, 370 civils non liés à la forteresse, plus 160 qualifiées de droit commun et liées à la prostitution, soit en tout 2 490 personnes qui ont été expulsés et 256 restant à l’être (note n°10, page 238 : Ibid., p. 310).
(…) Près de 8 000 marins, soldats, ouvriers et habitants de Kronstadt se seront réfugiés en Finlande. »
C’est la Croix-Rouge Américaine qui nourrira les réfugiés Kronstadiens.
Le 2 mai, Stéphan Pétritchenko, le Président du Revkom, rédigea un tract amer à l’intention des ouvriers de Pétrograd et le diffusa en Russie (pages 234 et 235) :
« Le devoir de chacun d’entre vous est de diffuser ce texte.

Le 1er mars, les matelots de Kronstadt ont levé l’étendard de la révolte pour soutenir les ouvriers de Pétrograd. Ils l’ont fait bien qu’il n’y avait pas de ravitaillement dans la forteresse. Il n’aurait pas fallu beaucoup de temps pour jeter bas les tyrans si les Pétrogradois nous avaient accompagnés jusqu’au bout. Les évènements l’ont démenti. Pour un morceau de pain et une mesure d’étoffe, nous avons été livrés par nos frères ouvriers qui ont oublié leurs intérêts de classe et leurs devoirs humains. Bien qu’affamés, nous avons poursuivi la lutte, nous reposant sur l’espoir du réveil de la conscience révolutionnaire de classe des Pétrogradois. Mais VOUS nous avez trahis, frères. Nous n’avons pu tenir à cause de la famine et de l’absence de soutien. DES MILLIERS des meilleurs fils du prolétariat, des MILLIERS de matelots, ont payé de leur vie la tentative de vous aider.
Rappelle-toi, ouvrier et cheminot de Pétrograd, que le morceau de pain que t’a jeté le pouvoir est souillé du sang des matelots. Souviens-toi, ouvrier, DES MATELOTS DE KRONSTADT, lorsque les tyrans ne pourront plus te donner un seul morceau de pain… Ce même pain qui vous a été jeté pour nous combattre. Souviens-toi, ouvrier, que des milliers de matelots souffrent dans les geôles en attendant la mort. Souviens-toi, ouvrier, qu’ils mourront pour toi. Parle à ta conscience et RÉFLÉCHIS, OUVRIER. Elle te dira que tu dois racheter ta faiblesse d’âme et libérer les matelots survivants de la mort. TU n’ajouteras pas cette marque d’infamie sur ta conscience. Va immédiatement exiger la libération des marins. Exige l’amnistie. Ne te salis pas avec l’assassinat de tes frères.
Lève-toi, Pétrogradois, lave ta honte, élève ta voix puissante pour sauver les Kronstadiens. LÈVE-TOI, LÈVE-TOI ENFIN, et va soulager ta conscience.
LES MARINS DE KRONSTADT ». (Note n°26, page 238 : Ibid., p. 445-446. Nous avons conservé les majuscules de l’original). »
Puis, dans cet ouvrage formidablement bien documenté, Alexandre Skirda consacre un chapitre « bien mérité » à celui que nos Communistes d’aujourd’hui voudraient faire passer pour un « Saint », qui plus est, martyrisé puisque assassiné sur la volonté de Staline ; je veux bien sûr parler de ce grand massacreur de masse et des masses : Trotski. Ce dernier représente la preuve qu’il est tout à fait possible d’être à la fois : un grand intellectuel, cultivé, érudit, grand orateur et dans le même temps, un grand manipulateur des foules et un grand Criminel. Cela ne signifie pas que Trotski fut intelligent. Bien au contraire, selon moi, il n’est pas possible d’associer les notions antinomiques d’intelligence et d’INhumanité ! Un criminel de masse comme Trotski ne peut pas prétendre à l’intelligence puisque sa Criminalité était exclusivement guidée par son Idéologie. Et Trotski ne « résonnant » qu’à travers un prisme Idéologique unique et intransigeant ne pouvait que finir par se fourvoyer dans les ténèbres de la barbarie…
En 1938, Ante Ciliga (confer son ouvrage : « Dix ans au pays du mensonge déconcertant »), un ancien communiste Croate dissident ayant vécu en U.R.S.S., et ayant été déporté dans les camps de concentration du Goulag Soviétique, déclara de manière cinglante au sujet de Trotski (pages 279 et 280) :
« (…) La réponse de Trotsky à Wendelin Thomas montre que, malheureusement, Trotsky – qui est, avec Staline, le seul des chefs d’Octobre qui soit encore en vie parmi ceux qui ont effectué la répression de Kronstadt – se refuse actuellement encore à regarder le passé objectivement. Bien plus, dans son dernier article : « Beaucoup de bruit autour de Kronstadt », il élargit encore le fossé qui s’était alors creusé entre les masses laborieuses et lui ; il n’hésite pas, après avoir ordonné leur bombardement en 1921, à présenter aujourd’hui les hommes de Kronstadt comme : « des éléments complètement démoralisés, des hommes qui portaient d’élégants pantalons bouffants et se coiffaient à la façon des souteneurs ».
Non ! ce n’est pas avec de telles accusations, qui puent la morgue bureaucratique à cent pas, que l’on peut apporter une utile contribution aux enseignements à tirer de la grande révolution russe.
[…] Pour ne pas nous contenter, comme Trotsky, de simples affirmations, soumettons aux lecteurs la Résolution qui servit de programme au mouvement de Kronstadt.
[…] Il n’y a pas de calomnie au monde qui puisse nier la liaison étroite qui existait entre les mouvements de Pétrograd et de Kronstadt. La tentative de Trotsky d’opposer les ouvriers de Pétrograd à ceux de Kronstadt afin de consolider la légende du caractère contre-révolutionnaire du mouvement de Kronstadt se heurte à Trotsky lui-même : en 1921, Trotsky, en effet, plaidant pour la nécessité dans laquelle Lénine s’était trouvé de supprimer la démocratie au sein des soviets et du Parti, accusait les grandes masses, dans le Parti et en dehors, de sympathiser avec Kronstadt (note n°3, page 285 : Ante Ciliga, « L’insurrection de Kronstadt et la destinée de la révolution russe », La Révolution prolétarienne, n°278, 10 septembre 1938).
De surcroît, Trotsky avait osé affirmer que la motivation des insurgés était d’obtenir de meilleurs rations alimentaires : « Ceux de Kronstadt exigeaient des privilèges. L’insurrection fut dictée par le désir de recevoir une ration privilégiée ». (Note n°4, page 285 : L. Trotsky, « À propos de Makhno et de Kronstadt », Bulletin de l’Opposition, n°56-57, reproduit en français dans V. Serge § L. Trotsky, La lutte contre le stalinisme, op., cit., p. 175). Indigné, Ciliga le rappelle à la réalité de la situation d’alors : « L’assertion de Trotsky suivant laquelle « l’insurrection aurait été inspirée par le désir d’obtenir une ration privilégiée » est encore plus effarante. Ainsi, c’est l’un de ces privilégiés du kremlin, pour lesquelles les rations étaient très supérieures à celles des autres, qui ose lancer un semblable reproche à des hommes qui, dans le paragraphe 9 de leur Résolution, réclamaient explicitement l’égalisation des rations ! Ce détail montre à quel point l’aveuglement bureaucratique de Trotsky est infini et désespéré ». (Note n°5, page 285 : A. Ciliga, op. cit., p. 2).

Trotsky revint encore sur la question de Kronstadt afin de tenter de dégager sa responsabilité personnelle dans la répression de l’insurrection :

« Souvarine transformé de marxiste mou en sycophante enthousiaste, affirme dans son livre sur Staline que j’ai volontairement tu dans mon autobiographie la question de l’insurrection de Kronstadt : « Il y a des exploits dont il vaudrait mieux ne pas se glorifier », ironise-t-il.
[…] En fait, je n’ai pas pris la moindre part, personnellement, ni dans la lutte contre Kronstadt ni dans la répression qui l’a suivie. À mes yeux, ce fait n’a aucune importance politique. J’étais membre du gouvernement, je considérais la répression nécessaire et, par conséquent, j’en porte la responsabilité… La décision d’écraser l’insurrection par la force armée, s’il n’était pas possible d’amener la forteresse à la reddition, d’abord au moyen de pourparlers pacifiques, puis au moyen d’un ultimatum, a été prise avec ma participation directe. Mais après avoir pris la décision, je continuai à rester à Moscou et ne pris part ni directement, ni indirectement, aux opérations militaires. Ce qui s’est passé après la répression de Kronstadt est l’affaire exclusive de la Tchéka. Pourquoi n’allai-je pas à Kronstadt personnellement ? La raison en était politique. L’insurrection éclata au moment de la discussion de ce que l’on a appelé « la question syndicale ».
Sur sa présence niée à Pétrograd, il utilise un artifice : en fait, il se trouvait à bord de son fameux train blindé qui parcourait le front sur le littoral du golf de Finlande et, plus précisément à Sestroretsk – comme indiqué plus haut -, où il prévoyait que les insurgés hisseraient le drapeau blanc au premier coup de canon. C’est indéniable, mais il était persuadé que personne n’aurait jamais accès aux preuves de sa présence. Comme par hasard, il oublie également de mentionner qu’il avait participé à la parade des vainqueurs de Kronstadt, le 3 avril à Pétrograd, et qu’un deuxième ordre du Drapeau rouge lui avait été décerné à cette occasion. Sa mémoire est sélective et ne retient que ce qui peut appuyer ses insinuations.
De plus, c’est jusqu’au cou que Trotsky baigne dans le mensonge car dans tous les communiqués et comptes rendus de l’époque, il est fait mention de sa présence à Pétrograd du 4 mars au soir jusqu’au 9, date de son retour à Moscou pour le Xe Congrès où, à la suite de son intervention, le présidium décida d’envoyer 320 délégués combattre les Kronstadiens. »
Comme tous les Criminels de tous les régimes Totalitaires, Trotsky tenta par tous les moyens les plus vils et les plus lâches, de se dégager de sa responsabilité en tant que Criminel Contre l’Humanité.
Jusqu’à sa mort en 1940, non seulement il n’eut ni regret, ni remords mais de surcroît, il méprisa les kronstadiens et plus largement les MILLIONS de victimes civiles et militaires de son régime Totalitaire Communiste (pages 283 et 284) :
« Nul regret ni remords manifestés par Trotsky pour avoir parrainé le massacre des insurgés, ni d’une manière plus large la décimation des troupes et encore moins les massacres de la population civile, citadine ou paysanne. Pour lui, ce sont des quantités négligeables, des abstractions dans un monde de chimères. Son ancien partisan Max Estman confia un jour au Français Alfred Rosmer, membre du Comité exécutif du Komintern et proche de Trotsky, que celui-ci manquait fondamentalement « du sens de l’autre en tant qu’individu », ce à quoi Rosmer lui répondit : « C’est tout à fait vrai. Il manque d’humanité. C’est un sentiment dont il est totalement dépourvu ». (Note n°9, page 285 : Robert Service, Trotsky, Paris, Perrin, 2009, p. 372). Il en fit encore la démonstration lors de sa tentative d’autojustification dans Leur morale et la nôtre, où il reprit des paroles de Lénine pour préconiser : « la « ruse » et la « dissimulation de la vérité », qui ne sont en l’occurrence que les moyens d’une légitime défense contre la perfidie de la bureaucratie réformiste ». (Note n°10, page 285 : L. Trotsky, Leur morale et la nôtre, Paris, Le Sagittaire, 1939, p. 63). Cette réadaptation du principe jésuitique selon lequel « la fin justifie les moyens » fut critiquée par Victor Serge, traducteur et auteur du « prière d’insérer » de ce livre, qui rappela que, « pour toute une catégorie d’intellectuels et d’écrivains de gauche, la ruse et la violence en soi sont toujours des choses mauvaises qui ne peuvent qu’engendrer le mal. Pour Trotsky, la ruse et la violence, si elles sont mises au service d’un but justifié, doivent être employées sans hésitation et représentent alors, au contraire, le bien ». (Note n°11, page 285 : V. Serge § L. Trotsky, La lutte contre le stalinisme, op. cit., p. 241).
Bien qu’il condamne la politique que Staline lui avait empruntée, consistant à prendre en otages les familles de ses adversaires, Trotsky défend encore, en 1939, son décret de 1918 sur la prise en otages des familles des insurgés ou des officiers à son service, ceci au nom de « l’objet historique de la lutte ». Pour se justifier, il se réfère à la Commune de Paris de 1871 qui avait fait fusiller 64 otages et, parmi eux, l’archevêque de Paris, ce qu’avait approuvé Marx lui-même. Il est bon de préciser que cette mesure stupide et inutile, prise par des blanquistes sans concertation avec les autres membres de la Commune, avait provoqué et justifié en rétorsion le massacre de 30 000 communards parisiens par les Versaillais. C’est typique de la démarche anachronique auto-justificative et inconséquente de Trotsky : il compare tout ce qui pourrait le favoriser mais oublie les conséquences de ses actes. Sa morale à double fond consistait, selon Victor Serge, à trouver moral, lorsqu’il était au pouvoir, de prendre et fusiller des otages, mais lorsque c’était Staline qui l’ordonnait, ça ne l’était plus. Trotsky ne fit preuve de compassion qu’à l’égard de ses proches et partisans lorsqu’ils furent eux-mêmes victimes de la « violence » de Staline… Staline, le « plus grand trotskyste de tous les temps » ! selon l’historien russe Volkogonov. Se défendant à longueur de pages à coup de sophismes, d’allusions, de sous-entendus personnels et de mensonges répétés, il révèle sa personnalité de Staline manqué. On est alors loin du Trotsky de 1903 qui dénonçait « Maximilien Lénine » et les « robespierrades », c’est à un fanatique dévot de la « Terreur » que l’on a affaire, craignant en permanence un « Thermidor » à venir, au nom de quoi il ne cesse de se justifier. »
Pour terminer voici les témoignages de quelques personnes qui étaient présentes et/ou ont participé aux évènements d’une façon ou d’une autre : d’abord avec le témoignage de Emma Goldman et de Alexandre Berkamn, des libertaires et anarchistes américains d’origine russe et expulsés des États-Unis pour leur soutien aux Bolcheviques. Voyant le drame qui se préparait, ils ont participé, en vain, aux négociations entre le Pouvoir Communiste et les Kronstadiens. Après le massacre de Kronstadt, ils réussirent à s’enfuir de Russie et s’employèrent à faire savoir au monde, l’immense danger que représentait le Communisme (pages 290, 291, 297 et 320) :
« Les hommes de Kronstadt ne possédaient que leur courage et le sentiment de se battre pour une cause juste, pour des soviets libres, contre la dictature. Ils étaient épuisés par la faim, le froid et les nuits de veille. […] Tous les défenseurs de la liberté, les poètes, les écrivains étaient comme nous, paralysés par l’inutilité de leurs efforts. D’ailleurs, la plupart étaient déjà en prison. Je me tournai alors vers les communistes que je connaissais, les suppliant de faire quelque chose. Certains comprenaient qu’un crime monstrueux était en train de s’accomplir. Que Kronstadt n’était pas contre-révolutionnaire et réclamait seulement le droit de choisir ses propres représentants au soviet. Nos amis communistes passèrent des nuits entières à parler avec nous, à parler, et encore à parler, mais pas un n’osa protester ouvertement. Le risque était trop grand pour eux : exclusion du Parti, suppression de leur travail et de leurs rations, ce qui équivalait à condamner leur famille à la famine. […] ».

Ce fut Lénine lui-même qui révéla la vraie signification de la « liquidation » de Kronstadt, trois jours plus tard, au cours du Xe Congrès du parti communiste. À la stupéfaction générale, il transforma son discours enflammé sur le communisme en une nouvelle doctrine, la Nouvelle politique économique. Le commerce libre et le salariat privé qui avaient été dénoncés pendant trois ans, punis de prison et même de mort, étaient maintenant réinscrits par Lénine sur le glorieux drapeau de la dictature. Et avec un cynisme impitoyable, il déclara publiquement, ce que toutes les honnêtes gens savaient fort bien, « que ces hommes de Kronstadt ne voulaient pas vraiment la contre-révolution. Mais ils ne voulaient pas de nous non plus ! ». La confession publique de Lénine ne mit pas pour autant un terme à la chasse aux marins, aux soldats et aux ouvriers de la malheureuse ville. Ils étaient arrêtés par centaines et la Tchéka avait repris ses « séances d’entraînement au tir » (note n°5, page 294 : Emma Goldman, Épopée d’une anarchiste – New York 188-Moscou 1920, Paris, 1979, Hachette Littérature, p. 283-285).

Son compagnon Alexandre Berkman fit part de la même indignation :

« Kronstadt fut écrasée aussi impitoyablement que Thiers et Gallifet massacrèrent les communards parisiens. Et avec Kronstadt, c’est le pays tout entier et son dernier espoir qui fut anéanti. Ma foi dans les bolchéviks disparut en même temps. Je rompis finalement avec les communistes et ma décision fut irrévocable. Il était devenu clair que je ne pourrais jamais, en aucun cas, accepter cette dégradation de la personnalité et de la liberté humaine, ce chauvinisme du Parti et cet absolutisme d’État qui étaient devenus l’essence de la dictature communiste. Je réalisai enfin que l’idéal bolchévik était un mythe, une désillusion dangereuse, fatale à la liberté et au progrès ». (Note n°6, page 294 : Alexandre Berkman, Le mythe bolchévik – Journal 1920-1922, Quimperlé, 1987, La Digitale, p. 295).

« (…) Le soulèvement de Kronstadt est d’une grande signification historique. Il sonne la fin de l’idolâtrie du bolchevisme avec sa dictature de parti, sa centralisation démentielle, le terrorisme de sa Tchéka et sa caste bureaucratique. Il porte un coup fatal au cœur de l’autocratie communiste. Il fait voler en éclats le mythe de l’État communiste et du gouvernement « ouvrier-paysan ». Il prouve que la dictature de parti et la révolution russe sont incompatibles ; il démontre que le régime bolchévik n’est qu’une implacable et tyrannique réaction, et que l’État communiste est lui-même la plus dangereuse contre-révolution ». (Note n°5, page 316 : Alexandre Berkman, The Kronstadt Rebellion, Berlin, 1922, 42 pages et une carte du golfe de Finlande).

« (…) Le Frankenstein des bolchéviks prouva que c’est une fanatique illusion de croire que le petit groupe de conspirateurs qu’ils constituaient pouvait accomplir une transformation sociale complète. Erreur qui les poussa à d’innombrables infamies et barbaries. Les méthodes d’une telle théorie, ses moyens inévitables sont de deux sortes : décrets et terreur. Les bolchéviks n’en épargnèrent aucun et, comme le prêchait Boukharine, idéologue des communistes : « La terreur est la façon dont on transforme la nature humaine capitaliste en citoyen bolchévik. La liberté est un préjugé bourgeois [expression favorite de Lénine], la liberté de parole et de presse inutile et nuisible. Le gouvernement central est le seul dépositaire du savoir et de la sagesse. Il ordonnera tout ce qu’il faut faire. Le seul devoir du citoyen est l’obéissance. La volonté de l’État est souveraine ». (Note n°4, page 323 : A. Berkman, « La révolution russe, in a. Skirda, Les Anarchistes russes, op. cit., p. 285). »
Un autre témoignage est celui d’Ida Mette (Gilmann) ex-anarcho-communiste Russe qui, en 1949, fit paraître une étude sur Kronstadt (page 300) :
« Entre le Kronstadt de 1917 et celui de 1921, il n’y avait pas de rupture de tradition comme veulent le faire croire ceux qui ont participé à la tuerie des marins en 1921. La théorie de Trotsky selon laquelle Kronstadt était écrémée de ses meilleurs éléments ne tient pas debout […]. Il nous apparaît comme logique de chercher les origines de la grande catastrophe russe dans cet épisode saillant et symptomatique, à un moment où la répression des couches laborieuses s’exerçait non pas par un Staline, mais par la fine fleur du bolchevisme, par Lénine et Trotsky. »
En 1973, Alexandre Skirda retrouva, suite à une petite annonce, Viatcheslav Yakovlévitch Zemskov un contemporain de l’époque Léniniste et qu’il côtoya jusqu’en 1989. Zemskov fut un insurgé rescapé de Kronstadt, d’où l’importance unique de son témoignage. De plus, il confia des photos inédites de Kronstadt, des Kronstadiens et de leur exil en Finlande. Ces photos figurent dans le présent ouvrage.
À la fin du livre Alexandre Skirda présente également l’essentiel témoigne de Stépan Maximovitch Pétritchenko qui fut le Président du Revkom (Comité provisoire de Kronstadt).

En conclusion :
Comme le dit fort justement Alexandre Skirda : comment parler de préméditation de l’insurrection de Kronstadt, lorsqu’il suffisait aux marins de Kronstadt, d’attendre fin avril, la fonte des glaces pour que l’île de Kronstadt devienne inaccessible ?
De plus, comme nous l’avons vu, le mouvement s’est voulu pacifique dès le début en proposant la Résolution du Pétropavlovsk, afin de négocier avec les Autorités Soviétiques. En unique réponse, les Kronstadiens n’ont eu que : les arrestations de leurs délégués et pour nombre d’entre eux, leurs exécutions sommaires ; pour terminer finalement dans le gigantesque bain de sang de l’écrasement de Kronstadt par l’Armée Rouge de Trotski et la Tchéka de Dzerjinski. Le temps que les marins de Kronstadt passaient à vouloir négocier, le Pouvoir Soviétique et Trotsky, quant à eux, l’utilisait à rapatrier les troupes de l’Armée Rouge, pour préparer le massacre.
De surcroît, les marins de Kronstadt se voulurent les catalyseurs et les représentants de l’exaspération des ouvriers grévistes de Pétrograd, des paysans et plus généralement de toute la population Russe révoltés par la Terreur de masse du Parti Totalitaire Communiste.
Malheureusement, avec le recul historique, il est évident que toute tentative de négociation avec le Pouvoir Totalitaire Communiste de Lénine et Trotski, était d’avance vouée à l’échec.
Après l’écrasement de Kronstadt et de la dernière grosse poche de résistance paysanne, celle de la région de Tambov en juillet 1921 ; plus rien n’empêchait désormais le Pouvoir Communiste de peaufiner et de développer son système Totalitaire, ainsi mis en place, par Lénine et Trotsky. Et ceci, non seulement, en Russie avec Staline à partir de 1925, mais également à travers les nombreux pays qui devaient adhérer aux « 21 conditions » de l’Internationale Communiste (Komintern puis Kominform), dans le monde entier… !

Les marins de Kronstadt ont été réhabilités par le Président Boris Eltsine après l’effondrement de l’U.R.S.S., le 10 janvier 1994, soit 73 ans après le massacre.
D’ailleurs, cela rappelle également l’officialisation du massacre de Katyn par Staline toujours après la fin de l’U.R.S.S..

P.S. : Par ce très long commentaire, et grâce à ce formidable ouvrage de Alexandre Skirda (en espérant qu’il ne m’en veuille pas trop pour les longues citations et fondamentaux textes originaux !), je suis honoré et heureux de pouvoir rendre hommage à la Mémoire des Kronstadiens massacrés impitoyablement par Trotsky, Lénine, Dzerjinski et leurs séides bourreaux Communistes, ainsi qu’à toutes les victimes des régimes Totalitaires…

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Les éditions

  • Kronstadt 1921 [Texte imprimé], prolétariat contre dictature communiste Alexandre Skirda
    de Skirda, Alexandre
    les Éd. de Paris / Essais et documents (Paris. 1996)
    ISBN : 9782846211574 ; 23,00 € ; 30/11/2012 ; 376 p. ; Broché
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