Les Procès de Moscou : 1936-1938 de Nicolas Werth
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Les Procès de Moscou : Une parodie de Justice dans laquelle des bourreaux condamnent..., d'autres bourreaux, mais pas seulement... !
La classique Historiographie des trois grands Procès de Moscou, entre 1936 et 1938, conduisant à la Grande Terreur ou « Grande Purge » Stalinienne de 1937-1938 (confer notamment Robert Conquest : « La grande terreur », précédé des « Sanglantes moissons : Les purges staliniennes des années 30 »), situe son origine dans l’assassinat, le 1er décembre 1934, de Kirov, premier secrétaire du Parti de la région de Leningrad, membre du Politburo et du Comité Central du Parti Communiste d’Union Soviétique. En effet, Kirov fut abattu d’un coup de revolver dans le dos par Léonid Nikolaev, membre du Komsomol (les jeunesses Communistes d’Union Soviétique). Pourtant, Nicolas Werth, suite à l’ouverture des Archives de Moscou depuis la chute de l’U.R.S.S. en 1991, démontre qu’en réalité le meurtre de Kirov ne fut qu’un prétexte, pour Staline, lui servant à « justifier » la monstrueuse violence généralisée : la Terreur de masse ininterrompue du Totalitarisme Stalinien depuis le début des années 1930. En effet, cette effroyable décennie débuta par la Collectivisation forcée (reprise du Communisme de Guerre de Lénine), la « Dékoulakisation » ou « liquidation des Koulaks en tant que classe », c’est-à-dire la déportation de plusieurs millions de paysans et les exécutions massives, puis le Génocide Ukrainien par la famine faisant 6 millions de morts en 1932-1933, etc..
Pour Staline, cette série de Procès avait pour objectif d’éliminer physiquement la « vieille garde bolchevique » (Communiste), issue de la période Léniniste entre le 25 octobre 1917 et la mort de Lénine en janvier 1924. Pour cela, les Procès truqués de Moscou furent organisés méthodiquement dans une parodie de Justice totalement délirante, faisant en sorte que chaque accusé s’auto-accuse de crimes plus aberrants les uns que les autres, en apprenant par coeur les questions des juges ainsi que leurs propres réponses.
En revanche, il est indispensable de préciser, au préalable, que TOUS les hauts dirigeants de cette « vieille garde bolchevique » : Trotski, Zinoviev, Kamenev, Boukharine, Toukhatchevski, etc., étaient responsables de la mise en place du système Totalitaire Communiste Soviétique et des odieux cortèges de Crimes de masse que cela engendra ; mais pas de ceux complètement extravagants, présentés lors de ces faux Procès.
Le premier des trois Procès publics de Moscou nommé « Centre terroriste trotskyste-zinoviéviste », débuta donc le 19 août 1936 à 12h10, dans la salle dite d' »Octobre » de la Maison des Syndicats à Moscou.
Parmi les 16 inculpés de ce premier Procès, les personnalités les plus connues, hauts responsables de l’Etat Totalitaire Communiste d’U.R.S.S., étaient : Grigory E. Zinoviev et Lev B. Kamenev.
Malgré le fait que ces inculpés n’avaient plus de poids politique depuis la fin des années 1920, Staline étant totalement paranoïaque et particulièrement rancunier, décida de s’en débarrasser (page 16) :
« Les inculpés sont accusés d’avoir constitué un « Centre terroriste trotskyste-zinoviéviste », en vue de « s’emparer du pouvoir à tout prix ». « L’organisation d’actes terroristes contre les chefs les plus éminents du Parti et du gouvernement, affirme l’acte d’accusation, fut choisie comme le seul moyen décisif pour atteindre ce but ». »
Ce premier Procès se termina dans une apothéose d’auto-accusations surréalistes de la part des ex-principaux dirigeants Bolcheviques : Zinoviev et Kamenev (page 21) :
« Après le réquisitoire de Vynchinski, les accusés prirent tour à tour la parole pour la dernière fois. Chacun s’accabla, se traitant de « monstre humain », d' »assassin fasciste », de « traître », de « débris contre-révolutionnaire », indigne de pitié, ne méritant que la mort. Kamenev termina son intervention par un message adressé à ses deux enfants : « Quel que soit le verdit, je le considère d’avance comme juste. Ne regardez pas en arrière. Continuez votre route. A l’instar du peuple soviétique, suivez Staline ! » Zinoviev « expliqua » longuement son glissement progressif du bolchevisme au fascisme et conclut : « Mon bolchevisme défaillant se transforma en antibolchevisme, et, par l’intermédiaire du trotskysme, j’en vins au fascisme. Le trotskysme est une forme de fascisme et le zinoviévisme est aussi une forme de trotskysme ».
Le 23 août, à 23 heures, la Cour se retira. A 2 heures 30 du matin, le président lut le verdict : les accusés étaient reconnus coupables sur tous les points. Ils étaient tous, sans exception, condamnés à mort. Ils furent exécutés dans les 24 heures, avant même l’expiration du délai qui leur était accordé par la loi pour faire appel. »
Puis sept mois plus tard eut lieu le second Procès contre dix-sept nouveaux accusés du « Centre antisoviétique trotskyste », le 23 janvier 1937. Les principales figures de l' »ennemi » les plus connues de ce Procès, étaient : Piatakov, Radek et Sokolnikov.
Voici donc à nouveau, un extrait du stupide acte d’accusation (pages 24 et 25) :
« En accomplissant des actes de sabotage, en provoquant des déraillements, des explosions et des incendies de mines et d’entreprises, les accusés (…) ne dédaignaient pas les moyens de lutte les plus ignobles, se décidant sciemment et d’une façon réfléchie à des crimes aussi monstrueux que l’intoxication et la mort d’ouvriers… ».
Sans surprise, comme lors du premier Procès, les accusés firent tous de faux « aveux complets ». Le verdict fut rendu le 30 janvier 1937 à trois heures du matin. Presque tous les accusés furent condamnés à mort, sauf Stroilov à huit ans de prison, Radek, Sokolnikov et Arnold à dix ans de détention. Encore une fois, les condamnés à mort furent exécutés dans les 24 heures qui suivirent le verdict.
Le troisième Procès fut nommé « Bloc des droitiers et des trotskystes » et s’ouvrit plus d’un an après le second Procès, le 2 mars 1938. Voici l’acte d’accusation relevant d’un délire colossal (page 34) :
« Le bloc des droitiers avait constitué, dès la fin des années 1920, un réseau serré de foyers de conspiration formés de zinoviévistes, droitiers, mencheviks, socialistes-révolutionnaires, gardes-blancs, koulaks et nationalistes bourgeois d’une demi-douzaine de républiques soviétiques de la périphérie ».
Le verdict fut rendu dans la nuit du 12 au 13 mars 1938. Tous les accusés furent à nouveau condamnés à mort, sauf Pletnev à vingt-cinq ans de réclusion, Rakovski à vingt ans et Bessonov à quinze ans.
Dans le même temps, la France votait dans le cadre du Front Populaire et une grande partie des Français voyait dans l’U.R.S.S. Stalinienne un « symbole de progrès, un rempart contre le fascisme, un espoir de paix ». Une grossière erreur, qui plus est…, complaisante, voire même, pour certains Communistes Français, volontairement ou involontairement, une certaine complicité vis-à-vis de la politique Terroriste du régime Totalitaire Soviétique !
Pendant ce temps en U.R.S.S., en 1937 et 1938, parallèlement aux Procès de Moscou se déroulait un horrible et immense Crime contre l’Humanité de l’Etat Soviétique CONTRE SON PROPRE PEUPLE, Crime de masse sans égal au 20ème siècle en temps de paix : celui de la « Grande Terreur » ; période de quinze mois durant laquelle 700 000 à 800 000 innocents furent fusillés arbitrairement et sommairement, et des centaines de milliers d’autres furent déportés au Goulag !
Pour clôturer cette sinistre décennie de 1930, cela se termina dans l’ignoble double Pacte Germano-Soviétique entre Hitler et Staline : des 23 août et 28 septembre 1939.
Pourtant quelques rares personnalités extérieures à l’U.R.S.S. furent autorisées à pénétrer dans l’antre du régime Totalitaire Soviétique ; mais en suivant des itinéraires particulièrement bien balisés, à la façon des « Villages Potemkine ».
Parmi ces élites, la plupart n’a pourtant rien vu et les autres n’ont rien voulu voir de la tragédie Soviétique.
L’exemple le plus flagrant et totalement incompréhensible est celui d’Edouard Herriot, alors responsable du Gouvernement Français, qui se laissa berner par la mise en scène du régime ; alors que les Peuples composant l’U.R.S.S. étaient en train de subir le Génocide Ukrainien organisé par Staline, en 1933. Edouard Herriot écrivit de manière hallucinante, ceci (page 50) :
« J’ai traversé l’Ukraine. Eh bien, je vous affirme que je l’ai vue tel un jardin en plein rendement. Je n’y ai constaté que la prospérité. »
En fait, comme l’écrit fort justement Nicolas Werth, la plupart des « voyageurs au pays des Soviets » (page 50) :
» (…) sont venus bardés de certitudes – la majorité – s’en retournent satisfaits. Les autres – une minorité – gardent le sentiment désagréable d’être passés à côté de ce qu’ils auraient dû voir. En réalité, chacun repart avec son image de la Russie, celle qu’il s’était forgée avant même de partir. »
Bref, la plupart des massacres de masse en U.R.S.S. n’eurent presque aucun retentissement dans le monde, jusqu’à l’effondrement de l’U.R.S.S. en 1991.
D’ailleurs, aujourd’hui, la « Communauté Internationale » (notamment à travers le Comité de Sécurité de l’O.N.U.) est parfaitement au courant de la tragédie qui se déroule depuis plus de 60 ans en Corée du Nord. Mais elle ne se préoccupe pas plus du terrible sort de ce malheureux Peuple Nord-Coréen (entre autres !) qui vit encore en 2012, sous le joug du régime Totalitaire Communiste de la dynastie des Kim.
En 1936, il n’y eut guère qu’André Gide pour dénoncer le régime Soviétique, dans son ouvrage « Retour de l’URSS ».
Car même s’il dénonça le régime, dans un premier temps avec parcimonie (car l’année suivante en 1937, il dénonça plus ouvertement le Stalinisme dans son livre « Retouches à mon retour de l’URSS), il écrivit malgré tout cette phrase d’une incisivité redoutable (page 60) :
« Je doute qu’en aucun autre pays aujourd’hui, fût-ce dans l’Allemagne de Hitler, l’esprit soit moins libre, plus craintif, plus vassalisé ».
L’idéologie Communiste étant en pleine floraison en France à cette époque, le journal du Parti Communiste Français (P.C.F.) : l’Humanité osa publier les infâmes mensonges de la propagande Soviétique, provenant du Comité central du P.C.F., à l’issue du premier Procès (pages 70 et 71) :
« Le peuple français a appris avec indignation les tentatives criminelles dont se sont rendus coupables les débris des groupes trotskystes-zinoviévistes qui ont cherché de concert avec les agents de la Gestapo à abattre les chefs aimés des travailleurs et des paysans russes et en premier lieu le camarade Staline. La vigilance des peuples de l’URSS unis autour du Parti bolchevik et de son Comité central on fait échouer ces tentatives criminelles et ce sont les accusés eux-mêmes, effondrés dans la honte, qui ont demandé que leur soit appliquée la peine de mort. Cela répond suffisamment à ceux qui, à l’occasion de ce procès, ont essayé de reprendre leurs vieilles calomnies contre la démocratie de l’Union soviétique… »
« Durant les débats que l’Humanité a largement couverts, l’organe du PCF s’est efforcé de présenter le procès comme un acte d’authentique justice populaire dans le « pays le plus démocratique du monde ». « C’est devant des milliers de délégués d’usine que se déroule un procès dont les juges sont d’anciens ouvriers choisis parmi les ouvriers. » Le verdict est accueilli « avec une immense satisfaction par des millions de travailleurs qui clament leur haine pour les ignobles espions et leur amour de la paix ».
Puis, dix jours après le second Procès, le P.C.F. déclara sa « pleine approbation » pour le verdict (page 71) :
« Aucun jugement ne peut être assez sévère pour empêcher de nuire les criminels et les traîtres qui cherchent à détruire la grande oeuvre de libération humaine de l’Union soviétique. » Le Comité central « remercie la justice du peuple soviétique pour avoir rendu un grand service à la France. La secte trotskyste n’a-t-elle pas essayé, en France même, de porter secours aux visées fascistes en contrecarrant la politique du Parti communiste ? ».
Parallèlement, l’Humanité se servit des Procès de Moscou pour, en France, développer la propagande provenant d’Union Soviétique.
Ce sont principalement ces trois Procès de Moscou qui sont restés dans l’Historiographie de l’Union Soviétique. Ils sont connus de nos jours, parce qu’ils concernaient les « vieux Bolcheviques » : Trotski, Zinoviev, Kamenev, Boukharine, Radek, etc.. Encore une fois, alors que ces derniers étaient presque tous coupables de Crimes de masse durant la période Léniniste, ces Procès permirent à Staline de régler leur compte à ceux qui, pour lui, représentaient une menace toujours vivace dans le cadre de la bataille pour la conservation du Pouvoir Absolu Totalitaire Communiste.
Suite à l’assassinat de Kirov, d’autres Procès eurent lieux et de nombreux innocents furent également exécutés. En fait, ces Procès n’ont rien d’étonnants : puisque c’est dans la « génétique » paranoïaque des systèmes Totalitaires (Communiste et Nazi), que de procéder à des « Purges » régulières au sein du Parti. D’ailleurs, en U.R.S.S., ces « Purges » commencèrent sous la dictature de Lénine, dès 1919. En effet, l’objectif de l’Etat-Parti-Unique Totalitaire Communiste concernant ses dirigeants, est : d’une part, de conserver uniquement les membres les plus « purs » idéologiquement, moralement et socialement ; et d’éliminer tous les autres ; tous ceux qui ne sont pas « dignes » de porter « le nom de Communiste ». D’autre part, les dirigeants veulent éviter tous risques de déviation, d’opposition réelle ou imaginaire à « l’idéal officiellement proclamé ».
D’ailleurs, Nicolas Werth précise qu’il y eut une myriade de Procès à cette époque : environ 700, de plus « petits » Procès politiques publics entourant les trois grands Procès de Moscou.
Également, l’auteur décrit parfaitement bien les différentes approches et analyses concernant l’énigmatique raison pour laquelle les prévenus confirmaient les accusations de crimes mensongers, de faux aveux (confer, entre autres, l’émouvant et terrible témoignage de Nien Cheng : « Vie et mort à Shanghai »).
Nicolas Werth nous présente la thèse qu’Arthur Koestler développa dans son célèbre roman réaliste « Le Zéro et l’Infini », dans lequel il présente son personnage principal Roubachev (largement inspiré de Boukharine), comme un vieux Révolutionnaire consentant à passer de faux aveux, se sacrifiant ainsi pour la « Cause », pour « l’intérêt suprême du Parti ».
Pour aller dans le sens de cette explication, on peut citer la célèbre phrase de Trotski : « Camarades, aucun d’entre nous ne souhaite ni ne peut s’opposer complètement à son propre Parti. En dernière analyse, le Parti a toujours raison, parce qu’il est le seul instrument historique accordé au prolétariat pour l’accomplissement de ses tâches fondamentales. »
Mais l’explication la plus satisfaisante, objective, réaliste et la plus complète semble pourtant être celle proposée par Nicolas Werth, en décortiquant le processus organisationnel préparant ces Procès. En effet, l’auteur, grâce à la description de la célèbre historienne du Communisme, Annie Kriegel, nous décrit les infâmes méthodes employées de lavage de cerveaux (pages 168 et 169) :
« La méthode la plus courante utilisée par le NKVD pour obtenir les confessions et briser la résistance des accusés était la « chaîne » – interrogatoire ininterrompu pratiqué, jour et nuit, pendant plusieurs jours, voire plusieurs semaines, par des juges d’instruction qui se relayaient et empêchaient l’inculpé de dormir. La privation de sommeil, parfois les tortures physiques, les interrogatoires inlassablement répétés, l’isolement des mois durant, les menaces sur les membres de la famille, généralement aussi arrêtés, la « rupture de solidarité avec le groupe de niveau originel – en prison, les co-inculpés se combattaient farouchement par aveux interposés » -, tout ceci désorganisait l’affectivité, obscurcissait le jugement, désarticulait le système de pensée et de références de l’inculpé, appelé à réorganiser progressivement « sa propre vision de lui-même dans la perspective de sa culpabilité ». Il s’agissait en effet non seulement d’arracher des aveux, mais de s’assurer que l’accusé ne se rétracterait pas au cours des débats publics. Des hommes brisés, physiquement et psychiquement, ainsi apparaissent les accusés, lorsqu’ils sont finalement, après plusieurs mois d’instruction, présentés au jugement public. La grande majorité des observateurs étrangers conviés au spectacle ont remarqué l' »absence », la « distraction » des accusés qui portent tous, écrit le correspondant du Matin , « un masque d’indifférence complète et de détachement presque inhumain » tel que certains ne manquèrent pas d’échafauder l’hypothèse selon laquelle les inculpés avaient été drogués. »
En conclusion :
L’obsession paranoïaque du complot, et la peur de perdre le Pouvoir Absolu sont à l’origine : des « Purges » et des faux Procès souvent publics.
Dans l’univers Totalitaire Communiste comme dans l’univers Totalitaire Nazi, l’être humain est totalement déshumanisé et les valeurs humanistes sont purement et simplement annihilées. L’irrationnel prend alors le pas sur la raison, ce qui ouvre un gouffre béant à l’arbitraire et à l’absurdité, déculpabilisant ainsi les bourreaux pour accomplir des actes de barbarie démentiels, et cela…, le plus « naturellement » du monde !
Les éditions
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Les Procès de Moscou : 1936-1938
de Werth, Nicolas
Éd. Complexe
ISBN : 9782804801014 ; 20,00 € ; 07/06/2006 ; 223 p. ; Broché
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