Le cimetière des innocents: Victimes et bourreaux en Russie soviétique 1917-1989 de Alexander Yakovlev

Le cimetière des innocents: Victimes et bourreaux en Russie soviétique 1917-1989 de Alexander Yakovlev
(A century of violence in Soviet Russia)

Catégorie(s) : Littérature => Russe , Sciences humaines et exactes => Histoire

Critiqué par Anonyme11, le 18 août 2020 (Inscrit(e) le 18 août 2020, - ans)
La note : 10 étoiles
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Description de l'apocalypse totalitaire communiste soviétique !

« Le cimetière des innocents » est le récit d’un oligarque du régime Totalitaire Communiste Soviétique, Alexander Yakovlev, qui a été Communiste jusqu’à l’effondrement de l’U.R.S.S. en 1991, et qui a terminé sa carrière sous Gorbatchev, à l’une des fonctions les plus élevées de l’organigramme Soviétique, en 1986, en tant que : Secrétaire du Comité Central et membre du Politburo (bureau politique).
Pourtant, et contrairement à Molotov par exemple qui est resté un fervent militant Communiste jusqu’à la fin de ses jours, depuis la chute de l’U.R.S.S., Alexander Yakovlev, n’a eu de cesse de dénoncer le Bolchevisme (Communisme) et ses incommensurables Crimes individuels et de masse.
L’auteur a pourtant participé au développement du système Soviétique durant toute la durée de ce régime Totalitaire.
Par conséquent, en ce qui concerne l’auteur, la première chose que le lecteur se demande est : qu’est-ce qui lui a fait prendre conscience de la nature intrinsèquement Totalitaire du Communisme ; et pourquoi si tardivement, après la fin de l’U.R.S.S. ?
Plusieurs raisons semblent se dégager de ce livre : prise de conscience morale tardive, désillusion après l’enfermement et l’aveuglement Idéologiques, pusillanimité, peur, soumission, remords, culpabilisation, honte… Bref, on comprend que c’est suite à sa prise de fonction en tant que Président de la Commission de réhabilitation des victimes des mesures de répression politique, et grâce à l’ouverture partielle des Archives de Moscou, après 1991, que Yakovlev a décidé de dénoncer le Totalitarisme Communiste en racontant l’Histoire du Soviétisme et des innombrables Crimes contre l’Humanité et Génocides de ce régime monstrueux.
Ils sont rares, les Russes qui ont participé à l’Internationalisation du Totalitarisme Communiste dans le monde, et qui l’ont dénoncé publiquement, même sur le tard.
Dans l’avant-propos du livre, Paul Hollander, cite l’extrait d’une interview de Yakovlev, en 1994, durant laquelle il donnait son explication personnelle de sa prise de conscience tardive (page 16) :

« L’élément qui a surtout transformé ma vision du monde, c’est que mon idéologie faisait aussi partie de mon métier […] Je prenais ce travail au sérieux. Et petit à petit, palier par palier, ce travail a fini par m’écœurer de plus en plus. Ensuite, je suis revenu aux sources […] L’âge venant, la foi seule ne suffit pas, vous avez envie d’aller regarder plus en profondeur. Et dès que vous commencez à analyser ce en quoi vous croyez, la croyance commence à se lézarder. »

Comme le souligne avec pertinence Paul Hollander, on peut se demander comment, dans un système aussi répressif et Totalitaire, aussi peu de gens aient fait défection ? (page 17) :

« Il n’est guère surprenant que de telles expériences aient peu à peu fini par saper la foi politique de Yakovlev. Ce qui est plus étonnant, c’est qu’elles n’aient pas exercé un impact similaire sur d’autres que lui et qu’elles n’aient pas entamé leur capacité à œuvrer pour ce régime. »

Mais en étudiant le phénomène Totalitaire (comme pour le Nazisme), on se rend compte, justement, qu’il est très difficile, voire quasiment impossible de résister, de se révolter, tout du moins ouvertement, dans un univers aussi répressif, fermé, propagandiste, vicieux car basé sur le mensonge, l’endoctrinement obligatoire et la barbarie.

Alexander Yakovlev a été l’un des principaux instigateurs de la Glasnost et de la Perestroïka Gorbatcheviennes. En ce sens, il a largement contribué à tenter de réformer le système Soviétique, qui, du coup, s’est effondré sous le poids de ses propres contradictions : Totalitarisme Étatique, même de basse intensité (pour reprendre l’expression de l’historien Stéphane Courtois), et semblant de Démocratisation basé sur un début de liberté d’expression et d’ouverture à l’économie de marché, sont foncièrement incompatibles, voire totalement antagonistes.

En reprenant l’Histoire du Communisme, Yakovlev fait le lien direct entre Marxisme, Léninisme (ce qui deviendra, officiellement, à travers tout le Monde Communiste, la doctrine : Marxiste-Léniniste), Stalinisme et donc Totalitarisme Bolchevico-Communiste.

Alexander Yakovlev nous fait donc descendre dans les tréfonds des persécutions de l’ère Soviétique de Lénine à Gorbatchev.
C’est ainsi que l’auteur pose dès le début de l’ouvrage, le constat de 74 années d’horreur Communiste et de sa, désormais, totale prise de conscience (page 23) :

« Tard dans mon existence, j’ai été appelé à prendre part à la marche de mon pays vers la liberté. Nous pourrions appeler cela le destin. J’ai eu pour responsabilité d’assumer une mission écrasante : prendre la direction d’une commission – initialement sous la tutelle du Politburo du CC [Comité Central] du PCUS [Parti communiste de l’Union soviétique], et ensuite sous l’autorité du président de la Russie – pour la réhabilitation des victimes de la répression politique organisée par notre ancien système.
Cette tâche a été éprouvante. Descendre marche après marche l’escalier de soixante-dix années de domination bolchevik, s’enfoncer dans cette sorte de donjon jonché d’ossements humains et infesté de la puanteur du sang séché, voilà qui a de quoi annihiler toute votre foi en l’humanité.
Les documents ne subissent jamais aucune destruction ; seuls les humains disparaissent. Ce sont ces documents maculés de sang qui s’entassent sur mon bureau. Ils proviennent des archives du président de la Russie et de celles de la Loubianka, le quartier général du KGB. Si seulement ces dossiers pouvaient brûler et ces hommes et ces femmes revenir à la vie !
Mais ils ne reviendront jamais à la vie. Et la chronique éternelle de leurs souffrances sans fin continue d’attiser ses flammes, sans miséricorde. Rien de ce que j’ai pu jamais lire ne saurait approcher l’horreur de ces compositions de quasi-analphabètes rédigées par la police secrète et de ces dénonciations anonymes d’indicateurs ou de sympathisants du régime. Je devrais m’être habitué à eux, à présent. Je ne me suis pas habitué. Trop d’émotions m’en empêchent : la pitié, l’amertume, l’indignation, la désillusion.
Quand vous êtes jeune, vous ne savez pas grand-chose, vous débordez d’idées romantiques, tout le monde vous paraît bon et honnête, et vous croyez aveuglément à tout ce que vous racontent vos aînés, sans jamais penser que les gens puissent mentir, tromper, se conduire en hypocrites.
Ensuite viennent les doutes, les doutes terribles. Ils s’insinuent lentement. »

C’est surtout lors du célèbre XXème Congrès du P.C.U.S., pendant le surprenant discours (mais non désintéressé, nous le verrons plus loin…) de Khrouchtchev sur la Déstalinisation, dénonçant le Culte de la Personnalité de Staline et les Crimes du Stalinisme, que le désarroi fut immense pour Yakovlev (pages 29, 30 et 31) :

« Ce fut là une prise de conscience pour le restant de mes jours : tout système social basé sur l’effusion de sang doit être balayé de la surface du globe, car il prêche une religion démoniaque, la religion du mal.
Dans la foi qui m’avait animé jusque-là, j’avais été sincère. Je l’étais tout autant dans mon rejet. J’ai fini par détester Staline, ce monstre qui m’avait si cruellement trompé et qui avait piétiné mes rêves les plus romantiques. A partir de ce moment, je me suis consacré à la recherche d’un moyen de mettre fin à ce système inhumain. La difficulté, c’était de ne pas s’égarer dans le choix du nouveau système. Tout cela a revêtu d’abord la forme de l’espoir, sans se traduire en actes, mais il est une chose dont j’étais convaincu à l’époque déjà : cette nouvelle voie devait être strictement non violente si nous voulions qu’elle mène à la liberté.
J’ai vécu un vrai supplice, une double vie de dissimulation, je me suis conformé à tout, j’ai fait semblant, en tâchant durant tout ce temps de ne jamais perdre mon sans-froid et de ne pas m’exposer à la défaveur. Plus guère intéressé par mon travail au CC, j’ai cherché une issue et j’en ai trouvé une, davantage le fruit d’une intuition que d’un dessein bien arrêté. J’ai ressenti le besoin de reprendre mon éducation, de relire tout ce que j’avais déjà lu, de revenir aux origines – Marx, Engels, Lénine, les philosophes allemands, les socialistes français, les économistes britanniques, toutes les sources de ma vision du monde.
(…) On m’a souvent demandé quand j’ai opéré, au juste, un virage dans ma pensée, quand j’ai réellement commencé à réexaminer ma conception du marxisme. Je ne puis apporter de réponse aussi précise – ces choses-là n’arrivent pas du jour au lendemain. Le processus est long et tortueux. Mais c’est à l’Académie, en m’immergeant dans l’étude de ces sources premières, que j’ai pleinement pris conscience de la vacuité et de l’irréalité du marxisme-léninisme, de son inhumanité et de son artificialité, de ses contradictions inhérentes, de sa démagogie et de ses pronostics abusifs. Cette découverte, et d’autres du même ordre, a fortement contribué à guérir les blessures creusées par le XXe Congrès. J’ai fini par admettre que Khrouchtchev avait raison, même si je ne comprenais toujours pas pourquoi il avait choisi, dans les faits, de porter un coup aux fondements idéologiques de la nouvelle société soviétique. Et plus j’explorais en profondeur les tirades théoriciennes des classiques du marxisme, mieux je voyais les raisons de l’impasse dans laquelle le pays s’était fourvoyé.
J’ai aussi commencé à comprendre en quoi l’évolution de la Russie avait été déterminée par un autre aspect du marxisme.
En sa qualité d’héritier pragmatique des visions utopiques du marxisme, passé maître dans la traduction de toutes sortes de schémas théoriques en prose politique, Lénine n’avait extrait des projets hautement contradictoires du marxisme que les éléments qui répondaient à son objectif principal – la prise du pouvoir.
(…) Le discours de Khrouchtchev, ainsi que je l’ai souligné, est demeuré un secret officiel durant les trois décennies qui ont suivi. Quelques semaines après le congrès, quelqu’un l’a transmis à l’Ouest, mais il est resté caché du peuple soviétique, et pour une raison très simple : la classe dirigeante ne voulait pas que l’idée de la déstalinisation aille au-delà de l’élite du Parti, car elle redoutait son caractère dangereux, explosif pour l’ensemble du système. »

Il est temps maintenant d’en venir à la raison de cette Déstalinisation par Khrouchtchev… A la mort de Staline, le 5 mars 1953, la saignée humaine par la barbarie du régime Soviétique était si importante en U.R.S.S., qu’il était grand temps de régénérer le système Totalitaire Communiste, en revitalisant la doctrine Marxiste-Léniniste et donc le fondateur du Communisme réel : Lénine.
Staline mort, il était désormais facile de faire reposer tous les Crimes contre l’Humanité et Génocides sur sa seule personnalité. Or, Khrouchtchev et les oligarques-bourreaux Soviétiques, qui n’avaient pas encore été purgés (déportés en camps ou fusillés) par Staline, étaient couverts du sang de ces massacres de masse. Et en premier lieu…, Khrouchtchev lui-même qui avait établi, en tant que responsable en Ukraine, lors de la Grande Terreur de 1937-1938, des listes de victimes à déporter dans les camps de concentration du Goulag ou à fusiller ! (Confer, entre autres, les ouvrages de Nicolas Werth : « L’ivrogne et la marchande de fleurs : autopsie d’un meurtre de masse 1937-1938 » ; et de Tomasz Kisny : « La Grande Terreur en URSS 1937-1938) ».
D’ailleurs, dans ses Mémoires, Khrouchtchev reconnaît à mi-mot, sa responsabilité et celle de ses homologues de l’« élite » Soviétique, sous la période Stalinienne (page 34) :

« Certains passages des Mémoires de Khrouchtchev nous fournissent un indice sur la perception qu’il avait du cours des événements après la mort de Staline et le XXe Congrès. Il écrit notamment : « [Nous] étions incapables de rompre avec le passé, nous avions peur de soulever le rideau pour regarder dans les coulisses. Pour voir ce qui se passait derrière le spectacle, la façade de l’époque stalinienne […] On eût dit que nous étions paralysés d’avoir servi sous Staline, de n’être toujours pas libérés de son pouvoir ». »

Plus loin, Alexander Yakovlev reviendra sur le cas Khrouchtchev…
La Déstalinisation par Khrouchtchev n’empêcha évidemment pas l’Union Soviétique, de persévérer à faire régner la Terreur de masse en faisant intervenir l’Armée Rouge pour réprimer les révoltes populaires, même à l’extérieur de l’U.R.S.S., comme dans la Hongrie Communiste à Budapest, en octobre 1956. Voici d’ailleurs une note du Praesidium du Comité Central du P.C.U.S., sous la direction de Brejnev, datant du 19 décembre 1956, concernant l’insurrection Hongroise (page 33) :

« Le CC du PCUS ne saurait trop insister sur le fait qu’aucun doute ne doit subsister quant à la manière de traiter les populations ennemies. Dans son attitude envers les éléments antisoviétiques, la dictature du prolétariat doit être sans pitié. Tous les communistes qui travaillent au bureau du procureur, dans les tribunaux et les services nationaux de sécurité doivent veiller à défendre les intérêts de notre État socialiste, ils doivent se montrer vigilants et combattre les intrigues des éléments hostiles, et ils doivent prendre les mesures qui s’imposent, en accord avec la loi soviétique, contre toutes ces activités criminelles. »

Malgré tout, la mort de Staline en 1953 et le discours du XXe Congrès en 1956 ont permis la libération de millions de prisonniers du Goulag, et donc de passer, jusqu’à l’effondrement de l’U.R.S.S., d’un Totalitarisme de haute intensité à un Totalitarisme de plus basse intensité.

Mais revenons aux origines du Mal… : pour Alexander Yakovlev, l’Histoire démontre clairement que la responsabilité de la formation du Totalitarisme Communiste repose, en premier lieu, sur son fondateur : Lénine ! (pages 38 et 39) :

« Fondamentalement, la responsabilité du génocide – ou plutôt, du « démocide » – qui eut lieu en Russie et dans toute l’Union soviétique repose sur l’idéologie du bolchevisme, sous la forme qu’elle revêtit au sein de diverses organisations communistes et sous différents noms. Avec l’étroite participation de Bronstein (alias Trotski), de Rosenfeld (alias Kamenev), d’Alfelbaum (alias Zinoviev) et de Dzerjinski, ces crimes furent commis sous le contrôle direct d’Oulianov (alias Lénine) et de Djougachvili (alias Staline).
Vladimir Ilitch Oulianov, dit Lénine : président du premier gouvernement soviétique après la prise du pouvoir par la violence en 1917. Partisan de la terreur de masse, de la violence, de la dictature du prolétariat, de la lutte des classes et d’autres concepts tout aussi inhumains. Organisateur de la guerre civile russe fratricide et des camps de concentration, y compris des camps pour enfants. Exigeant sans relâche l’arrestation et le peloton d’exécution ou la potence. Personnellement responsable de la mort de millions de citoyens russes. En vertu de toutes les règles du droit international, passibles de poursuites à titre posthume pour crimes contre l’humanité.
Josef Vissarionovitch Djougachvili, dit Staline : organisateur des arrestations en masse de victimes innocentes. Architecte du système du goulag, pour une destruction totale de la vie humaine. A poursuivi le projet criminel de Lénine d’extermination systématique des paysans, de l’intelligentsia, du clergé et de toutes les autres « classes d’éléments étrangers ». Inventeur de toute une catégorie d’ « ennemis du peuple » soumis à l’annihilation, ainsi que leurs familles. Directement responsable de l’impréparation du pays à la guerre contre l’Allemagne nazie et, par conséquent, de la mort de presque trente millions d’individus. Partage avec Lénine la responsabilité de la division des peuples de Russie en camps hostiles, créant ainsi un état de guerre civile permanente. Organisateur du démocide du peuple de Russie et d’autres peuples de l’URSS. En vertu de toutes les règles du droit international, passible de poursuites à titre posthume pour crimes contre l’humanité.
Outre Lénine et Staline, les principaux idéologues et metteurs en œuvre de ce programme de meurtres de masse qui s’étendit sur des années, depuis la fin des années 1920 jusqu’au début des années 1960, furent Beria, Molotov, Kaganovitch, Andreïev, Souslov, Kossior, Boulganine, Iagoda, Yezov, Abakumov, Vichinsky et Ulrikh. »

Alexander Yakovlev nous apporte donc les précisions concernant l’implication de Khrouchtchev dans les arrestations arbitraires, les déportations dans les camps du concentration et de travaux forcés du Goulag et les fusillades de masse, lors de la Grande Terreur de 1937-1938 (page 41) :

« Nikita Sergueïevitch Khrouchtchev : on possède la preuve, étayée par des documents, d’arrestations de masse organisées par Khrouchtchev dans la période de l’avant-guerre à Moscou, dans l’oblast de Moscou et en Ukraine. A l’occasion, il envoya lui-même des propositions écrites d’arrestation de permanents occupant des positions en vue au sein du soviet de Moscou et du comité du Parti pour l’oblast de Moscou. Pour la seule période 1936-1937, 55 741 personnes furent arrêtées à Moscou. En janvier 1938, Khrouchtchev fut nommé chef du Parti pour l’Ukraine. Plus de 106 000 personnes furent arrêtées en Ukraine cette année-là, 12 000 l’année suivante, et 50 000 en 1940. »

Contrairement à ce que les Communistes du monde entier ont toujours essayé de nous faire croire, et de s’auto-persuader eux-mêmes à force d’aveuglement Idéologique, durant des décennies, l’Idéologie Communiste est bel et bien intrinsèquement Totalitaire depuis son origine, et par conséquent totalement exempte de la moindre once d’humanité (pages 43 à 46) :

« Voilà qui étaient nos dirigeants. Ils méritent tous d’être traduits en justice pour crimes contre l’humanité.
Un autre commentaire à cet égard. Il existe encore des gens pour ajouter foi au mythe selon lequel ces répressions de masse étaient l’œuvre du seul Staline et de ses affidés. Au temps de Lénine, prétendent-ils, tout était différent. D’autres soutiennent que les mesures prises du temps de Lénine furent le fruit du hasard ou rendues nécessaires par certains événements précis. Hélas, ces assertions ne sont pas étayées par les faits. La vérité, c’est que dans ses opérations punitives, Staline n’innova rien qui n’ait déjà été présent en acte sous Lénine : exécutions, prises d’otages, camps de concentration et tout le reste.
Dès janvier 1918, seulement deux mois après son coup d’État contre-révolutionnaire, Lénine écrivait d’un ton approbateur :

« Ici, ils vont emprisonner dix individus bourrés aux as, une dizaine de filous, une demi-douzaine d’ouvriers qui se dérobent à leurs devoirs (avec le même je-m’en-foutisme que bien des typographes de Saint-Pétersbourg, surtout des imprimeries du Parti). Là, ils les forcent à nettoyer les latrines. Ailleurs, les gens ouvriront l’œil sur eux, les considérant comme nuisibles tant qu’ils ne se seront pas amendés. Autre part, c’est un de ces coupables de parasitisme sur dix qui sera fusillé sur place.
Enfin, en quelque autre lieu, on échafaudera tout un ensemble de mesures diverses. »

« Un sur dix » : une formule funeste. Plus tard, elle sera aussi du goût de Hitler, lorsque les SS abattront des civils soviétiques pris en otage. Le style est le même. Entre les actions des êtres non humains, les similitudes sont légion.
Après l’assassinat de Volodarsky, chef de la Tcheka (la police secrète) de Petrograd, le 21 juin 1918, Lénine écrivait à Zinoviev :

« Aujourd’hui même, nous, membres du CC, avons appris que les ouvriers de Saint-Pétersbourg voulaient réagir au meurtre de Volodarsky par la terreur de masse et que vous (non pas vous personnellement, mais ceux du CC et du Comité du Parti de Saint-Pétersbourg), les avez freinés. Je proteste solennellement ! Nous nous compromettons… nous entravons l’initiative révolutionnaire des masses, qui leur appartient tout à fait. C’est im-pos-si-ble ! Les terroristes vont nous prendre pour des lavettes. Nous livrons une guerre à mort. Nous devons aiguillonner l’énergie et le caractère de masse de la terreur pour faire barrage aux contre-révolutionnaires, surtout à Saint-Pétersbourg, dont l’exemple sera décisif. »

L’appel de Lénine à aiguillonner « le caractère de masse de la terreur » a en effet entraîné une action à l’échelle des masses. En réaction à l’assassinat d’Uritsky, un autre chef de la Tcheka de Petrograd, cinq cents otages furent abattus. Le 9 août 1918, Lénine envoya deux télégrammes, plus monstrueux l’un que l’autre. Pour Fiodorov, à Nijni Novgorod :

« Nous devons déployer tous les efforts possibles, former un triumvirat de dictateurs (toi, Markin, et un autre), imposer la terreur de masse immédiatement, fusiller et déporter des centaines de ces prostituées qui ont amené à se saouler des soldats, d’anciens officiers et ainsi de suite. Pas une minute de délai… Nous devons nous jeter dans l’action à fond : perquisitions en masse, exécutions pour dissimulation d’armes, déportation en masse des mencheviks et des individus sujets à caution. »

Et le même jour, pour Bosh, à Penza :

« Essentiel d’organiser une garde rapprochée renforcée, composée des gens fiables triés sur le volet, de lancer une terreur de masse sans pitié contre les koulaks, les prêtres et les Gardes blancs. Les individus suspects doivent être enfermés dans un camp de concentration à l’extérieur de la ville. »

Le lendemain, également à Penza :

« Aux camardes Kouraïev, Bosh, Minkin et aux autres communistes de Penza. Camarades ! Le soulèvement de cinq districts de koulaks doit être écrasé sans pitié. Les intérêts de la révolution tout entière l’exigent, car le « combat final » contre les koulaks se déroule partout. Besoin d’un modèle pour passer à l’action.
1. Pendez (dans tous les cas de figure, la pendaison, pour que le peuple voie) pas moins de 100 koulaks bien connus, des profiteurs, des sangsues.
2. Publiez leurs noms.
3. Confisquez-leur toutes leurs céréales.
4. Sélectionnez des otages, en accord avec le télégramme d’hier. Faites-le pour qu’à des centaines de kilomètres à la ronde les gens voient et tremblent…
Accusez réception de ce télégramme pour action.
Bien à vous, Lénine.
P.-S. : Trouvez des gens plus durs. »

L’aspect le plus tragique et le plus méprisable de notre histoire, c’est que, de ces « gens plus durs », il s’en est présenté des cohortes.
Et voici encore d’autres instructions émanant du chef. Au comité exécutif de Livny :

« Essentiel […] de confisquer toutes les céréales et les propriétés des koulaks rebelles, de pendre les instigateurs parmi ces koulaks, de mobiliser et d’armer les pauvres en les faisant encadrer par des responsables fiables issus de nos rangs, de prendre des otages parmi les riches et de les détenir jusqu’à ce que l’on ait vidé leurs districts de leurs céréales, jusqu’au dernier grain… Il est diablement important de se débarrasser de Youdénitch (s’en débarrasser au sens propre, le liquider). Si l’offensive a commencé, est-ce qu’on ne peut pas mobiliser environ 20 000 ouvriers de Saint-Pétersbourg de plus, et à peu près 10 000 bourgeois, mettre des mitrailleuses en batterie derrière eux, en abattre quelques centaines et faire subir à Youdénitch la vraie pression des masses. »

Et cela ne se limite pas à Lénine, même si son rôle personnel dans le meurtre de millions de citoyens russes, surtout durant la guerre civile, est évident. Au fond, on retrouve là tout le système qu’il a commencé par créer. Un système fondé sur l’idéologie de la violence.
(…) Supprimer une vie humaine est le plus ancien des péchés. Le XXe siècle a créé un nouveau caïnisme. Le démocide. L’annihilation d’un peuple, de peuples entiers. Un nouveau secteur industriel – démocidaire, une chaîne de montage ininterrompue, meurtrière. A Auschwitz, pour appartenance à une « race inférieure ». Dans les prisons et les camps du goulag, pour « infériorité de classe ». »

Yakovlev pose alors la question fondamentale, effaré face à cette barbarie Communiste de masse (pages 49 et 50) :

« Notre époque réclame une réponse honnête à cette question essentielle : comment se fait-il que les lubies d’une poignée de criminels arrivés au pouvoir aient suffi à annihiler la vie de millions d’innocents, et que des millions d’autres aient été condamnés à subir des souffrances sans fin, à vivre une existence de parias, victimes d’une machine étatique inhumaine ?
L’une des raisons fut, naturellement, que le peuple russe, épuisé par un millier d’années de pauvreté et d’humiliations continuelles, s’est laissé griser et abuser par la promesse d’un paradis sur terre immédiat, tout en devenant de plus en plus sourd à ses propres doutes et en plaçant sa foi dans le mensonge. L’essentiel, c’était de parvenir à une vie meilleure, quel qu’en fût le prix. D’une vilenie infinie, l’idéologie Lumpen du marxisme-léninisme a joué sur cette foi.
(…) La pratique des arrestations de masse a infligé des pertes incalculables à tous les peuples de Russie, elle a vidé la société de son influx vital, et elle a entraîné un effondrement moral. Durant les soixante-dix années du bolchevisme, les formes de la répression ont connu des modifications, mais les causes et la nature du despotisme sont restées inchangées. Le régime et ses principaux dirigeants étaient prêts à commettre n’importe quel crime contre l’humanité pour asseoir leur monopole sur le pouvoir, sur l’idéologie, sur la propriété et pour créer un troupeau soumis, le tout avec une mentalité de « peuple monté sur des barricades ».
Et les bolcheviks d’aujourd’hui (nos communistes actuels, nos patriotes nationaux et autres groupes russophobes et anti-patriotiques) sont toujours en position de couper court au développement démocratique et de le renvoyer dans la fosse d’aisances. Je suis convaincu que seule une débolchevisation conséquente de l’État et de la société pourrait épargner au peuple sa ruine finale, tant physique que spirituelle.
Le XXe siècle s’est achevé. Pour la Russie, ce fut le siècle le plus terrible, le plus sanglant, imprégné par la haine et l’intolérance. Il semblerait que le moment soit venu de reprendre nos esprits, de nous repentir, de demander pardon aux survivants des camps de concentration qui sont encore de ce monde, de nous agenouiller devant les tombes des millions de gens qui ont été fusillés ou qui sont morts de faim, et de comprendre, enfin, que nous avons vécu dans un État criminel, en l’aidant à nous réduire en esclavage – tous ensemble, et chacun de nous pris individuellement.
Au fond, ce fut le réveil de 1956 qui a conduit à la perestroïka de 1985, à l’ère de la réforme – tardive, mais bien réelle.
(…) La moisson de croix du goulag… illimitée dans l’espace, et pourtant si récente. Le plus grand cimetière sur terre, et de toute l’histoire. Pas entretenu, envahi de mauvaises herbes, souillé par les dénonciations, pollué par les déchets chimiques et radioactifs, profané encore et encore par des simples d’esprits, des écervelés armés de portraits de Lénine et de Staline.
Le cimetière des espoirs humains. Un sceau éternel d’infamie sur notre terre infortunée. »

Alexander Yakovlev a recopié pour nous, le monstrueux ordre n°00486 émit par le chef de la Police Politique (N.K.V.D.), Yezov, le 15 août 1937, concernant la répression envers les enfants et les épouses des « ennemis du peuple » (pages 52 à 54) :

« Se préparer à passer à l’action. Commencer par une vérification minutieuse de chaque famille candidate à la répression. Réunir des éléments compromettants supplémentaires. Sur cette base, on échafaude ce qui suit :
a) un rapport d’ordre général sur la famille ;
b) un bref rapport rédigé à part sur les enfants de plus de quinze ans qui sont socialement dangereux et susceptibles d’actions antisoviétiques ;
c) une liste séparée des noms des enfants de moins de 15 ans, en âge préscolaire ou scolaire.
Ces rapports sont soumis au commissariat du peuple aux Affaires intérieures des républiques et aux chefs des bureaux d’oblasts et de districts du NKVD.
Ensuite :
a) autoriser l’arrestation et la fouille des épouses des traîtres à la mère patrie ;
b) décider des mesures à prendre par rapport aux enfants des épouses arrêtées.
Effectuer des arrestations et des perquisitions. Les épouses en situation de mariage légal ou d’union de fait avec une personne condamnée sont elles-mêmes mises en état d’arrestation dès que cette personne est appréhendée.
Les épouses qui sont divorcées de la personne condamnée au moment de son arrestation seront mises en état d’arrestation si elles sont impliquées dans les actes contre-révolutionnaires de la personne arrêtée, si elles le cachent tout en connaissant ses menées contre-révolutionnaires, et en ayant omis d’en informer les autorités.
Après l’arrestation et la fouille, les épouses de condamnés qui auront été arrêtées sont envoyées en prison, par convois.
Simultanément, les enfants seront déplacés, suivant la procédure énoncée plus bas.
Procédure d’enregistrement des dossiers. Les enquêtes sont ouvertes pour chaque épouse arrêtée et chaque enfant socialement dangereux âgé de plus de 15 ans. Ces enquêtes sont transférées pour examen par le conseil spécial du NKVD d’URSS.
Examen des dossiers et des peines. Le conseil spécial examine les dossiers des épouses de traîtres à la mère patrie et des enfants âgés de plus de 15 ans qui sont socialement dangereux et susceptibles de mener des actions antisoviétiques.
Selon leur âge, le degré du danger, et l’éventuelle capacité à s’amender, les enfants socialement dangereux des condamnés seront soumis à emprisonnement dans les camps des colonies de rééducation par le travail du NKVD ou dans les orphelinats sous régime spécial du commissariat du peuple à l’Éducation des républiques.
Procédure d’application des sentences. Les enfants socialement dangereux qui auront été condamnés sont conduits dans les camps, les colonies de rééducation par le travail ou dans les orphelinats sous régime spécial du commissariat du peuple à l’Éducation des républiques, dans le respect des ordres personnels du goulag du NKVD, s’agissant des deux premières institutions, et du département de l’administration et de l’économie du NKVD d’URSS s’agissant de la troisième institution.
Placement des enfants des condamnés. Toutes les autres catégories d’enfants devenus orphelins après condamnation doivent être placées comme suit :
a) enfants entre 1 an et 1 an et demi à 3 ans, dans les orphelinats et les crèches des Commissariats du peuple à la Santé situés sur les lieux d’habitation des personnes condamnées ;
b) enfants entre 3 et 15 ans, dans les orphelinats du commissariat du peuple à l’Éducation des autres républiques, districts et oblasts (en respectant l’ordre d’attribution préétabli), mais à l’extérieur de Moscou, de Leningrad, Kiev, Tbilissi et Minsk, en excluant également les villes côtières ou frontalières.
Les cas des enfants âgés de plus de 15 ans doivent être tranchés sur une base individuelle. Les nouveau-nés seront envoyés en camp de concentration avec leur mère condamnée. Là, une fois qu’ils auront atteint l’âge de 1 an à 1 an et demi, ils devront être confiés aux orphelinats et aux crèches des commissariats du peuple à la Santé des diverses républiques.
Dans l’éventualité où des parents (s’ils n’ont pas été sujets à répression) souhaiteraient prendre les orphelins à leur charge, on ne soulèvera aucune objection.
Dispositions pour la réception et la répartition des enfants. Dans chaque ville engagée dans cette opération, des mesures spéciales instaurent des centres d’accueil et de répartition où les enfants seront conduits immédiatement après l’arrestation de leur mère. A partir de ces centres, les enfants seront envoyés dans les orphelinats.
Les chefs de bureau du NKVD et des centres où sont localisés les orphelinats des commissariats du peuple à l’Éducation, ainsi que les directeurs ou les représentants des départements de l’Éducation des oblasts (OBLONO), contrôlent le personnel des orphelinats et démettent de leur fonction tous les individus politiquement instables, antisoviétiques et décadents. Ceux qui sont relevés de leur poste sont remplacés par des équipes dignes de confiance et politiquement fiables, capables de prendre en charge l’éducation et l’instruction des enfants dès leur arrivée.
Procédure d’envoi des enfants dans les orphelinats. Au centre d’accueil et de répartition, les enfants sont reçus par le directeur ou le chef de centre et par un expert de la Direction de la sécurité d’État (UGB) spécialement choisi.
Chaque enfant, dès qu’il est accepté, est enregistré dans un cahier spécial, et son ou ses papiers sont placés sous scellés dans une enveloppe à part.
Les enfants sont ensuite répartis en groupes, en fonction de l’endroit où on doit les envoyer, et conduits par des fonctionnaires spécialement choisis dans les orphelinats des commissariats du peuple à l’Éducation, où ils sont ensuite confiés, avec leurs papiers, au directeur, sous sa signature personnelle.
Les enfants âgés de moins de 3 ans sont confiés personnellement aux directeurs des orphelinats ou des crèches des commissariats du peuple à la Santé, sous leur signature personnelle. Le certificat de naissance leur est remis avec l’enfant.
La surveillance des enfants des condamnés. Le contrôle des attitudes politiques des enfants des condamnés, leur éducation et leur instruction sont confiés aux commissariats du peuple aux Affaires intérieures des républiques et aux chefs des bureaux de district et d’oblast du NKVD. »

Déjà sous Lénine et Trotski, le régime Bolchevico-Communiste incluait les enfants dans le cadre de la persécution des soi-disant « ennemis du peuple » ! (pages 58 et 59) :

« Dès 1918, sur ordres de la Tcheka de Petrograd, on fusilla cinq cents otages. L’année suivante, toujours à Petrograd, on abattit les membres des familles (y compris les enfants) des officiers du 86e régiment d’infanterie qui étaient passés du côté des Blancs. En mai 1920, les journaux se firent l’écho de l’exécution, à Elizabethgrad, de la vieille mère et des quatre filles, âgées de trois à sept ans, d’un officier qui avait refusé de servir le régime prolétarien. En 1920, on avait baptisé Arkhangelsk, où la Tcheka avait abattu des enfants de douze à seize ans, de « ville des morts ». Entre 1918 et 1922, les bolcheviks retenaient fréquemment des enfants en otages, dans leur lutte contre les paysans qui tentaient de résister à la politique agraire du régime. L’automne 1918 vit la création des camps de concentration où les prisonniers étaient d’abord traités comme des otages, notamment les femmes avec des nouveau-nés, considérées comme parentes des « rebelles ».
Les minutes de la réunion du 27 juin 1921 de la Commission d’entretien des enfants otages dans les camps de concentration de la province de Tambov souligne un afflux notable de mineurs, y compris des nouveau-nés, dans les « camps de concentration de terrain », et on y évoque aussi l’inadéquation de ces camps à la détention des enfants, avec les maladies respiratoires et gastro-intestinales qui en résultent. La commission recommande que les enfants âgés de quinze ans et moins soient détenus séparément des adultes, dans des installations spéciales, à l’intérieur du périmètre du camp lorsque c’est possible. Dans les cas extrêmes, avec le concours des antennes locales de certains ministères, les enfants pourraient être placés dans des structures adjacentes aux camps, « sous la surveillance obligatoire de gardiens ». Des documents montrent que même après la campagne visant à « dégraisser » les camps de concentration en juillet 1921, les camps de la province de Tambov détiennent encore plus de quatre cent cinquante otages âgés de un à dix ans.
(…) Un appel aux autorités sur la question des otages fut lancé par Tikhon, le patriarche de Moscou et de toutes les Russies ; cet avertissement fut rédigé en ces termes : « Nous frémissons à l’idée que de telles choses soient possibles, que dans le cours des hostilités un camp défende ses positions grâce à des prises d’otages de femmes et d’enfants du camp opposé, Nous frémissons face à la barbarie de notre temps ».
Les analystes ont évalué le nombre de foyers koulaks décimés dans les années 1930 et 1940, partout dans le pays, à un total de presque sept millions. Avec des familles de paysans composées en moyenne de cinq à sept personnes, la moitié d’entre elles étant en bas âge, nous pouvons imaginer la magnitude des crimes du régime contre les enfants. La plupart de ces familles de paysans furent déportées en masse vers des colonies de peuplement spéciales ou des colonies de travail dans des régions reculées du pays (rebaptisées « exil koulak » ou « exil par le travail forcé »). Des millions d’individus furent traînés, menés en troupeau en direction du nord et de l’est, comme du bétail. »

Dès le coup d’État militaire Bolchevique du 25 octobre 1917, les lois liberticides s’abattirent sur Petrograd et la Russie, notamment en réprimant la liberté d’expression et en censurant la presse en faisant fermer, purement et simplement, les journaux (pages 77 et 78) :

« Vers la fin janvier 1918, une nouvelle loi dite de « Réglementation provisoire pour la publication des titres périodiques et non périodiques de Petrograd » stipulait que les journaux de nature « clairement contre-révolutionnaire » pourraient être fermés et leurs équipes éditoriales arrêtées. Rien qu’en janvier-février 1918, deux mois tout juste après le coup d’État contre-révolutionnaire, ce furent presque soixante-dix journaux que l’on ferma à Petrograd et à Moscou. Il suffisait qu’une publication exprime le plus léger doute sur la moindre décision des bolcheviks pour qu’elle se retrouve marquée du sceau de la contre-révolution.
(…) Le problème posé par la liberté de la presse fut résolu simplement et pour longtemps. La nouvelle « liberté » demeura en vigueur jusqu’en 1985, quand les premiers soubresauts de la réforme préparèrent la voie de la glasnost. »

Puis la répression Communiste s’intensifia encore, pour finalement se généraliser à toute la Russie (pages 81, 82 et 86) :

« Le printemps 1918 vit les premières arrestations d’anarchistes et de maximalistes, fidèles frères d’armes des bolcheviks lors du coup d’État d’Octobre et du démantèlement de l’Assemblée constituante. Dans la nuit du 11 au 12 avril, des unités de la Tcheka de Moscou et des Gardes rouges menèrent une opération pour désarmer les groupes anarchistes, en arrêtant plus de quatre cents personnes. En même temps, on passa à l’action à Izvesk pour réprimer une « mutinerie », en réalité une opposition farouche des maximalistes face aux bolcheviks au sein du soviet local, où ils avaient remporté la majorité.
(…) Dans les provinces, les choses étaient encore plus crues et encore plus cyniques. En décembre 1918, des émeutes éclatèrent à Motovilikha, un village de la province de Perm. Les ouvriers insistaient pour que soit mis fin aux exécutions sommaires et aux privilèges spéciaux en matière de ravitaillement pour les permanents du Parti et du gouvernement du Soviet ; ils exigeaient que soit assurée la liberté de parole et de réunion ; ils réclamaient enfin le transfert des pouvoirs aux députés des soviets de paysans et de travailleurs. Dans l’hypothèse où leurs demandes seraient rejetées, ils menaçaient de se mettre en grève.
Comme les méthodes de pression ordinaires n’apportaient pas de résultats – lors des assemblées et des réunions des ouvriers, les représentants des autorités se voyaient tout simplement refuser le droit de prendre la parole -, on fit porter la responsabilité de ces troubles au SR de gauche, qui détenait la majorité au conseil des députés de Motovilikha. Le comité exécutif du conseil fut dissous, on déclara l’état d’urgence dans le village, l’usine fut fermée, et tous les ouvriers furent licenciés.
Voilà pour l’évolution démocratique à la bolchevik.
(…) Dès février 1919, la répression des socialistes reprit avec une force redoublée. Les socialistes-révolutionnaires de gauche furent de nouveau proscrits. Le régime mit en place un système de perquisitions quotidiennes dans les maisons afin de « relever les identités » et de détentions prolongées sur des mois – sans jamais parvenir à produire la moindre charge. Ces arrestations motivées non seulement par l’appartenance à un parti socialiste, mais basées aussi simplement sur le seul « soupçon » d’une telle appartenance finirent par s’inscrire dans une véritable routine. »

La Terreur de masse est une constante incontournable dans un système Totalitaire comme le Communisme, mis en place par Lénine et Trotski en Octobre 1917 (pages 113, 114, 115, 116, 117, 118 et 119) :

« Dès le mois de mai 1918 – avant même le début officiel de la Terreur rouge -, les tribunaux révolutionnaires, ainsi que la Tcheka, reçurent l’autorisation de condamner à mort tous ceux qui refusaient de livrer leurs céréales aux brigades chargées de réquisitionner la nourriture. Composées pour une bonne part d’individus louches – aux côtés de la Tcheka, des troupes des services de sécurité intérieure (VOKhR) et des unités régulières de l’Armée rouge des ouvriers et des paysans (RKKA) -, cette force de charognards fut renforcée en août 1918 par les sous-divisions du Bureau militaire des produits alimentaires (des détachements spécialisés dans la moisson et la réquisition des moissons), totalisant plus de vingt mille hommes. Au printemps 1919, ils furent rejoints par des unités spéciales (les TChON), une « garde du Parti » créée à l’échelon provincial et de district par décision du CC de « fournir assistance aux organes du pouvoir soviétique dans sa lutte face à la contre-révolution ». Dès 1921, cette garde comptait quarante mille membres.
L’Armée rouge elle-même, selon les propres termes de Lénine, approuvait en grande partie les « opérations militaires systématiques de confiscation, de collecte et de livraison de céréales et de combustible ». Vous noterez surtout : des opérations militaires systématiques. En développant « leur plan consistant à aller chercher le blé à la mitrailleuse », les bolcheviks poursuivaient des objectifs essentiellement politiques. Leurs arguments selon lesquels ces mesures étaient nécessitées par la famine n’étaient qu’un rideau de fumée.
(…) Le chef de l’État [Lénine] répétait à tout le monde ses ordres cannibales : « Guerre sans merci contre les koulaks ! A mort ! » Telles étaient ses instructions aux responsables de ces réquisitions. « Terreur de masse sans merci contre les koulaks, les prêtres et les Gardes blancs ; tous les individus suspects doivent être enfermés dans des camps de concentration […]. Il est essentiel d’écraser les soulèvements de koulaks avec la plus grande énergie, vite et sans pitié, en dégarnissant Penza d’une partie de ses troupes, en confisquant tous les biens des koulaks insurgés et toutes les céréales » – tels étaient ses ordres aux autorités locales de Penza. En août 1918, Lénine inaugura la pratique des prises d’otages parmi les « koulaks, les sangsues et les profiteurs », qui répondraient de leur vie pour « la livraison de leur contribution, telle qu’elle a été estimée, aussi rapidement que possible ».
Cette politique poussa prématurément la paysannerie au bord de la tombe. Selon les rapports de la province de Tambov, dans un certain nombre de volosts des districts d’Ousmansk, de Lipetsk, de Kozlovsk et de Borisoglebsk, « la population ne se nourrissait pas que de balles de blé et de mauvaises herbes, mais d’écorces et d’orties ». Dans d’autres provinces aussi, la condition paysanne devenait catastrophique. Un rapport transmis par le commissaire en chef Sergueï Kamenev en octobre 1920 évoque des foules de paysans affamés dans les provinces de Voronej et Saratov implorant les autorités locales de leur laisser au moins un peu de blé prélevé dans les centres de collecte. Souvent, Kamenev écrit : « Ces foules ont été fauchées par les mitrailleuses. »
La guerre contre les paysans a produit les effets additionnés d’une baisse drastique des plantations et d’un effondrement des moissons – ce qui ne conduisit toutefois pas à la moindre diminution du volume des réquisitions inaugurées en janvier 1919. Au contraire, après avoir soustrait 107 900 000 balles de céréales dans les villages en 1918-1919, l’État en préleva deux fois plus – 212 000 000 balles – en 1921-1922, au beau milieu de la famine. Qui plus est, à partir de 1920, ces réquisitions ne se limitèrent plus aux céréales, mais touchèrent pratiquement tous les produits de la ferme et, dans certaines oblasts, comme celle de Kouban, les objets d’usage quotidien (les pots, les oreillers, les fourchettes, etc.).
La dévastation des villages et l’écroulement des foyers paysans ne résultèrent pas seulement des réquisitions de nourritures menées par des brigades ad hoc, mais aussi des interventions de détachements créés pour combattre la désertion, chargés de recruter de force les paysans au sein de l’Armée rouge. Ceux qui étaient capturés étaient fusillés ou envoyés en camp de concentration et en prison. Leurs biens et ceux des familles soupçonnées d’abriter des déserteurs étaient confisqués.
(…) La procédure ordinairement appliquée par les détachements de réquisition de nourriture impliquait des passages à tabac, le recours au fouet, à la torture et à l’exécution des paysans, sans enquête ni procès. Même parmi leurs pairs, certains commissaires de province à l’alimentation finirent par se tailler une réputation de tortionnaires. Et les membres de la Tcheka n’étaient pas en reste. « Les commissions extraordinaires, témoignait M. Latsis, traitaient ces animaux voraces [les paysans] sans merci, afin de les guérir une fois pour toutes de leur appétit de rébellion. »
Dans les terres frontalières du pays, les agents de la Tcheka se livrèrent à des atrocités sanglantes en toute impunité. En octobre 1920, le représentant spécial du Caucase du Nord, K. Lander, ayant reçu ses instructions de Lénine avant de partir pour cette région, promit d’écraser « toutes les attaques des bandes blanches-vertes » avec une « dureté implacable ». Sur ses ordres, des villages et des colonies de peuplement cosaques abritant des Blancs et des Verts furent soumis à la destruction, et leur population adulte décimée par de véritables exécutions.
Les familles des insurgés étaient prises en otages, et elles s’exposaient elles aussi à être fusillées quand les « bandes » passaient à l’offensive. Les enfants furent exilés dans les provinces du centre. Dans les cas de manifestations de masse dans les villages ou les villes, écrivait cet émissaire de Lénine, « nous soumettrons ces lieux à la terreur de masse : pour chaque militant soviétique assassiné, des centaines d’habitants paieront de leur vie ».
(…) A la fin du mois de février et au début du mois de mars, une commission plénière du PC(b)R, dirigée par V. Antonov-Ovsenko, fut intronisée au rang de directorat suprême de la lutte contre l’Antonovtchina. A la fin avril, sur l’initiative de Lénine et en réaction à sa demande d’une « répression des plus rapides et des plus exemplaires » de l’insurrection, Mikhaïl Toukhatchevski, le vainqueur de Cronstadt, fut promu seul et unique commandant des troupes du district de Tambov et se vit confier la responsabilité d’écraser les bandes rebelles. Les commandants militaires et les chefs de la police secrète I. Uborevitch, G. Kotovsky, G. Iagoda et V. Ulrikh le rejoignirent à Tambovtchina.
Le « régime d’occupation », comme on le baptisa officiellement, veilla à la « saturation » de troupes des zones insurgées, à la destruction des maisons des rebelles (certains villages furent incendiés et rasés) et à la répression, y compris par la peine de mort, dans les cas de désobéissance, d’hébergement des « bandits » et de dissimulation d’armes. Sur ordre du représentant du tribunal révolutionnaire V. Ulrikh, tous les « chefs, inspirateurs et instigateurs » du mouvement paysan, tous les commandants de l’armée paysanne, tous les individus directement responsables de la mort de militants communistes et soviétiques, les « déserteurs nuisibles » et les « communistes, les militants soviétiques et les commandants de l’Armée rouge qui rejoignent les bandes d’Antonov » s’exposeront à la peine capitale.
Un ordre de la commission plénière du PC(b)R en date du 11 juin 1921 prévoyait l’exécution des otages dans les districts ayant pris part à l’insurrection. Par le même ordre, les personnes refusant de donner leur nom seraient fusillées sans procès. Le lendemain, Toukhatchevski ordonna que les « forêts où les bandits se cachent soient nettoyés par les gaz toxiques ». Apportant quelques précisions, le commandant de l’armée exigea que « le nuage de gaz toxiques soit propagé dans toute la forêt, afin de tuer tous ceux qui s’y cachent ».
Jusqu’en juin 1921, alors que la rébellion refluait déjà, les autorités « déplacèrent » 16 000 « bandits-déserteurs », confisquèrent les biens de 500 foyers paysans et incendièrent 250 fermes. La province fut dotée d’un réseau de camps de concentration où furent enfermés non seulement les insurgés, mais aussi les otages, y compris des femmes et des enfants en bas âge. Un rapport sur le « gros afflux » d’enfants figure dans les minutes d’une réunion de la Commission sur les enfants otages dans les camps de concentration de terrain, dans la province de Tambov. Même après une opération menée en juillet 1921 pour « désengorger » les camps de concentration, ils retenaient encore plus de 450 enfants otages âgés de un à dix ans.
De même, en Sibérie occidentale, la police secrète laissa son sillage sanglant. Dans leur lutte contre la paysannerie insurgée, les autorités locales n’observèrent aucune retenue dans leurs prises d’otages et imposèrent le principe de responsabilité collective. Les otages devaient être abattus non seulement quand les centres des districts et des volosts étaient approchés par les forces insurgées ou quand les permanents communistes ou soviétiques étaient assassinés, mais aussi en cas de perturbation des trains ou des lignes du télégraphe ou lorsque circulaient des « rumeurs provocantes » (ordre applicable dans le district de Tobolsk), ou même quand on constatait « la moindre intention de fouler aux pieds les droits des représentants du gouvernement » (ordre valable dans le district de Kourgan). Le principe de la responsabilité collective fut étendu à des zones d’habitations et à des villages entiers, dès lors que quelqu’un participait à l’insurrection ou fournissait un soutien aux insurgés.
(…) Toute l’affaire fut couronnée par la grande famine de 1921-1922, qui entraîna la mort de cinq millions de personnes et mit tragiquement en lumière les résultats calamiteux de trois années de mauvaise administration bolchevik dans les villages.
L’expérience du « communisme de guerre » était un échec total. »

Pour Alexander Yakovlev, il est donc évident qu’il existe une « simple » continuité entre le régime Communiste Léniniste et Stalinien (page 120) :

« Pendant des années, la formule « Staline est le Lénine de notre temps » fut martelée dans les têtes du peuple soviétique. C’était l’invention personnelle de Staline lui-même. A l’inverse de bien d’autres formules de cette période, celle-ci est à la fois exacte et juste. En fait, Staline se révéla le digne élève de Lénine dans sa haine et son goût du sang. Non seulement il poursuivit avec ténacité les entreprises criminelles de Lénine, mais il acheva la destruction de la classe paysanne, dans les années terribles de la collectivisation et de la dékoulakisation, les plus tragiques de l’histoire russe. Avec le fracas des exécutions au fusil et à la mitrailleuse, le pays entra dans une phase épouvantable de son développement, uniquement comparable peut-être aux années de la Seconde Guerre mondiale.
Le régime bolchevik infligea des dommages colossaux à l’économie nationale, détruisit les traditions et les fondements séculaires du village russe, et créa pour l’essentiel un système féodal de kolkhozes et de sovkhozes. La paysannerie était anéantie – anéantie avec cruauté, dans le sang. Mis à part les seigneurs et maîtres de la nomenklatura, le pays tout entier fut contraint pendant des années de faire la queue pour le pain et la viande. »

L’effroyable usage de la politique de Terreur de masse du « Communisme de Guerre » de Lénine à l’encontre de la paysannerie Russe et des Koulaks, a été perpétuée sous Staline avec le Crime contre l’Humanité, en 1930, que fût la Dékoulakisation (déportation généralisée des paysans) débouchant sur le Génocide par l’Arme de la Famine de masse que fût l’Holodomor en 1932-1933, engendrant la mort de 6 000 000 d’innocents (pages 129 et 130) :

« Dans sa guerre contre le peuple, la clique des criminels staliniens avait tout organisé à l’avance. En août 1932, elle avait promulgué une loi rédigée par Staline en personne. Ce texte législatif monstrueux autorisait l’emprisonnement et même la mise à mort de quiconque ramasserait quelques gerbes de blé dans un champ moissonné. Ce châtiment était même applicable pour quelques granules que des paysans mourant de faim iraient gratter dans les trous creusés par les mulots en plein champ.
Le résultat direct de cette politique de dékoulakisation fut une famine de masse qui s’empara du pays en 1932-1933. Les cas de cannibalisme n’étaient pas rares. Les autorités eurent ce qu’elles cherchaient : plus de cinq millions d’individus périrent dans cette famine.
En règle générale, la dékoulakisation est volontiers associée aux années 1930. Mais le 10 février 1948, le Politburo écouta Khrouchtchev donner lecture d’une proposition d’exiler d’Ukraine les « éléments villageois nuisibles ». Le même jour, le Conseil des ministres d’URSS créait une commission composée de Beria, Khrouchtchev, Souslov et d’autres, afin de mettre les détails au point.
(…) L’initiative de Khrouchtchev fut imitée dans d’autres régions de l’URSS de l’après-guerre. Les « purges » ne balayaient pas seulement les villageois, mais aussi tous ceux qui étaient considérés comme éléments suspects, ennemis potentiels des autorités. L’envergure de cette campagne est attestée par les chiffres sévères des statistiques officielles, maintenus secrets pendant des décennies.
Le 1er janvier 1949, le registre des déplacés spéciaux recensait 2,5 millions de déportés. Entre 1949 et 1952, on en relâcha jusqu’à 250 000. Malgré cela, le nombre total des déplacés spéciaux ne diminua pas, au contraire. Après la guerre, des centaines de milliers de personnes, essentiellement des villageois, furent déportées des États baltes, de l’ouest de l’Ukraine, de Biélorussie occidentale, de Moldavie et de Sibérie ».

Intrinsèquement, le Communisme voue aux gémonies et se fixe comme objectif : l’extermination totale de catégories sociales entières. Avec les « bourgeois », les « contre-révolutionnaires », « les ennemis du peuple », les « éléments socialement dangereux », etc., Lénine avait décidé, dès 1919, de « génocider » les Cosaques du Don et du Kouban. Ce Génocide porte désormais le nom de : Décosaquisation (pages 130, 131, 132 et 133) :

« La politique criminelle de dékoulakisation a inondé la terre russe de sang et de larmes. Cette campagne sanguinaire a débuté dès les premières années du pouvoir soviétique, avec pour but avoué d’éradiquer des institutions cosaques vieilles de plusieurs siècles, et de procéder à l’annihilation physique de sa composante la plus industrieuse et la plus amoureuse de la liberté.
Les tout premiers actes de transformation « socialiste » du village placèrent les Cosaques, à l’été 1918, en opposition directe au nouveau gouvernement. Dans toutes les principales oblasts cosaques – le Don, Kouban, Orenburg, les monts Oural -, des groupes armés se formèrent pour résister à la dictature bolchevik. A partir de cette période, les Cosaques furent considérés par le gouvernement comme les membres de la « force de frappe » des armées blanches et, pire encore, comme ayant été « achetés » par l’impérialisme allemand, anglais et français. Le 24 janvier 1919, le CC du Parti adressa un télégramme à ses sections locales en leur ordonnant de « mener une terreur de masse contre les riches Cosaques, de tous les exterminer ; et de conduire une terreur de masse contre tous les Cosaques prenant part d’une manière ou d’une autre, directement ou indirectement, à la lutte contre le pouvoir soviétique ».
Mis à part les exécutions prescrites, les réquisitions et l’exil, les comités révolutionnaires locaux, heureux de se livrer tout entier à des accès de flagorneries et à la barbarie révolutionnaire, accablèrent de leur mépris les coutumes cosaques, conspuant le nom même des Cosaques.
(…) En 1920, les territoires cosaques furent privés en totalité de la propriété privée, les paysans furent abandonnés avec leurs oripeaux sur le dos, sans nourriture et sans semence. Il n’y avait plus rien à planter. Qui plus est, les propriétaires terriens ne voyaient pas l’utilité de planter, puisque l’expérience leur avait enseigné qu’ils auraient beau ensemencer tout ce qu’ils pourraient, on leur volerait leur moisson, ils seraient dépouillés de tout et passés à tabac pour faire bonne mesure.
Au printemps 1921, les villages cosaques avaient consommé leurs derniers stocks de nourriture. Cela déclencha une vague de famine qui, à l’été, s’était propagée jusqu’à toucher près de la moitié de la population rurale. A la fin de 1921, 250 000 personnes mouraient de faim sur le territoire du Don et, en juin de l’année suivante, leur nombre dépassait 500 000 – sur une population rurale de 1,3 millions d’individus. Dans les faits, une personne sur deux mourait de faim. Mais le Kremlin ne considérait pas que la région du Don était frappée par la famine et, par conséquent, il ne l’exempta pas d’impôts. Pris de démence à cause de la faim, les gens se résignèrent au cannibalisme.
Cette famine était artificielle, l’œuvre des gouvernants bolcheviks.
Elle se reproduisit durant les années 1930. Dans le Don, la moisson de 1932 fut totalement confisquée. Comme dans les autres régions céréalières – l’Ukraine, la Volga, le Kouban, l’Oural méridional -, le blé était réservé à l’exportation.
(…) Déjà vidés de leurs ressources, les villages tombèrent dans le règne de la violence. Des centaines de milliers de Cosaques furent assassinés, beaucoup émigrèrent, les villages furent vidés de leurs habitants, et des millions d’hectares de terre furent envahis par les mauvaises herbes.
C’est ainsi que la paysannerie russe fut détruite, c’est ainsi que le paysan russe fut anéanti. »

Comme les lois Liberticides se généralisaient, qu’il n’y avait plus aucune liberté d’expression possible en Russie et que les journaux non autorisés par le Pouvoir Bolchevique étaient fermés arbitrairement, la soi-disant volonté de Lénine de limiter l’illettrisme n’était en fait qu’une manipulation de plus consistant à faire en sorte qu’il ne reste plus qu’au Peuple, la possibilité de lire uniquement la Propagande Communiste, notamment à travers l’organe de presse officiel du Parti Bolchevique : La Pravda ; et non, d’avoir accès à la Culture générale (sur ce thème confer l’ouvrage de Dominique Colas : « Lénine : Mieux vaut moins, mais mieux, et autres textes de 1923 ») (page 135) :

« En 1921, posant pour un portrait de lui exécuté par le peintre Iouri Annenkov, il livra très clairement le fond de sa pensée : « De manière générale, vous ne l’ignorez probablement pas, je n’apprécie pas particulièrement l’intelligentsia, et notre slogan « Éliminer l’illettrisme » ne doit en aucun cas être compris comme l’expression du souhait de favoriser la naissance d’une nouvelle intelligentsia. « Éliminer l’illettrisme » n’est utile que pour permettre à tous les ouvriers, à tous les paysans de lire nos décrets, nos ordres, nos appels sans l’aide de personne d’autre. Cet objectif est d’ordre purement pratique. Cela s’arrête là. »
La première priorité des bolcheviks consistait à lancer une campagne sans merci contre la liberté d’expression, en fermant tous les journaux d’opposition (décret du CCP, « Sur la presse », 28 octobre 1917). »

De surcroît, pour imposer toujours davantage la Pensée unique de l’Idéologie Communiste devenue obligatoire, Lénine persécuta également les intellectuels, les artistes, les écrivains, les philosophes, les avocats…, afin d’étouffer, en Russie, tout accès : à la littérature, à la Culture, à l’art, à la connaissance, à la réflexion, à la liberté d’expression et d’opinion, à la liberté de réunion, à l’opposition, etc.. Cette intelligentsia fut arrêtée, exilée, déportée et/ou exterminée, dès la période Léniniste (pages 137, 138 et 142) :

« Étouffée par le sang de la terreur, la Russie des années 1920 souffrit peut-être avant tout de la perte de son capital intellectuel. Plusieurs centaines de représentants éminents de son intelligentsia quittèrent le pays. Lénine insista sur la nécessité de leur exil. Il s’en enquit auprès de Staline :

« A-t-on pris la décision d’ « éradiquer » tous les socialistes populistes ? Pechekhonov, Myakotine, Gornfeld ? Petrichev et les autres ? A mon avis, il faudrait tous les exiler. Ils font plus de mal que n’importe quel socialiste-révolutionnaire, parce qu’ils sont plus malins. Sans oublier A. N. Potresov, Izgoïev et tous ceux de l’Economist (Ozerov et les autres, beaucoup d’autres). Les me[nchevi]ks Rozanov (un ennemi rusé) […] ; N. A. Rozhkov (doit être exilé ; il est incorrigible) ; S. A. Frank (l’auteur de Méthodologie). La commission supervisée par Mantsev, Messing et les autres doit dresser des listes, et plusieurs centaines de ces messieurs seront bons pour l’exil à l’étranger, sans merci. Nous allons nettoyer la Russie pour un bon moment. […] Tous – jetez-les hors de Russie. Il faut s’en occuper tout de suite. D’ici la fin du procès des socialistes-révolutionnaires, et pas plus tard. Arrêtez-en plusieurs centaines, et sans se perdre dans les motifs – on vous a assez vus, messieurs ! ».

Ce faisant, Lénine exerçait un rôle lamentable, décidant de qui serait autorisé ou non à rester en Russie, chassant ses victimes de leur foyer – et « sans se perdre dans les motifs ». On bannit donc, en les condamnant à l’exil par-delà les frontières, les philosophes, les écrivains, les avocats, les artistes. Les phares de la culture russe quittèrent le pays – Fédor Chaliapine, Ivan Bounine, Ilya Répine, Leonid Andreïev, Konstantin Balmont, Dimitri Merejkowsky, Korovine, Marc Chagall, mais qui pourrait dénombre tous ces noms, la liste de toutes les gloires de la Russie ?

(…) Lénine se débarrassait de tous ceux qui étaient plus intelligents, plus talentueux et plus instruits que lui. »

Yakovlev conclut son chapitre concernant l’intelligentsia sur cette terrible réflexion (page 187) :

« Le régime bolchevik est coupable de la mort de millions de gens avec les tragiques conséquences que cela représente pour leurs familles. Il est coupable d’avoir créé une atmosphère où la peur et le mensonge sont omniprésents. Surtout, il est coupable d’un crime contre la conscience en ayant produit sa fameuse « nouvelle communauté historique du peuple » déformée par la malveillance, les contradictions flagrantes, la suspicion et la mauvaise foi. Avec cynisme et persévérance, Lénine, Staline et leurs hommes de paille ont détruit le patrimoine génétique de la nation, sapé en toute conscience notre potentiel d’épanouissement scientifique et culturel. »

Après la mort de Staline, le régime Soviétique remplaça une partie des camps de concentration du Goulag, par l’enfermement des « ennemis du Peuple », dans de sordides et tout aussi horribles…, pseudo- « hôpitaux psychiatriques » (page 183) :

« A cette époque, les autorités recouraient de plus en plus à la psychiatrie comme moyen de maîtriser la dissidence. Cette initiative est surtout liée au nom de Iouri Andropov. Dans les années 1960, un nouveau type de mal, susceptible d’être utilisé pour déclarer n’importe qui malade si les autorités l’ordonnaient, fut concocté sur l’insistance du KGB. Cette maladie possédait un « fondement scientifique » et reçut le nom de « schizophrénie rampante ». Le nombre de pensionnaires dans les hôpitaux psychiatriques se mit à croître. Selon ceux qui furent soumis à ce type de traitement, alors qu’ils étaient en parfaite santé, les maisons de fous (psikhushkis) étaient encore plus effrayantes que les prisons ou les camps de concentration.
Parmi les « procédures » employées, selon des témoins, citons notamment : application d’une camisole de force au détenu jusqu’à ce qu’il ou elle ait les extrémités engourdies ; des injections de sulfazine, un médicament dont l’emploi était interdit partout, sauf en URSS – parfois deux à quatre injections à la fois en différentes parties du corps, provoquant non seulement une violente migraine et une perte temporaire des fonctions motrices, mais aussi une forte fièvre et la soif ; des injections sous-cutanées d’oxygène sous forme gazeuse, entraînant des œdèmes et des douleurs plusieurs jours de suite, et des injections d’animazine, les plus douloureuses de toutes, facteur de cirrhose et d’amnésie. »

Comme nous l’avons vu plus haut, sous un régime Totalitaire, seule l’Idéologie au Pouvoir doit s’imposer à tout le Peuple. D’où l’impérieuse nécessité pour l’État-Parti unique de faire disparaître rapidement de la société civile (qui du coup n’en est plus une), toutes les autres : Idéologies, croyances, pensées multiples, courants et Partis politiques, etc..
La domination et l’imprégnation Idéologiques du Peuple par la Terreur de masse, représentent le fondement du régime Totalitaire Communiste, qui deviendra système, mis en place par Lénine. En effet, le Totalitarisme a pour objectif, non seulement, d’imposer son Idéologie, mais de surcroît, il s’octroie comme mission de créer un « Homme nouveau » totalement « pur ». Et pour en arriver à ce résultat « parfait », le Totalitarisme doit même transformer l’esprit humain, et la façon de penser de chaque individu.
Pour Lénine, il fallait donc éliminer, en Russie, un autre « ennemi » de taille et ancestral : la religion, l’Église et donc le Clergé !
La répression envers le Clergé, les prêtres, les nonnes et les moines fut, encore une fois, d’une profonde barbarie (pages 188, 189, 190, 191, 192 et 193) :

« Dès le printemps 1918, une campagne de terreur ouverte était lancée contre toutes les religions, en particulier contre l’Église orthodoxe russe. Là encore, Lénine en fut l’inspirateur.
Ses actions contre la religion et l’Église sont d’une férocité et d’une immoralité diaboliques.
(…) Le clergé qui était à la tête du diocèse de Perm subit un anéantissement total. Dans le diocèse d’Orenburg, plus de soixante prêtres furent arrêtés et quinze d’entre eux furent fusillés. Au cours de l’été 1918, quarante-sept hommes d’église du diocèse de Iekaterinbourg ont été passés par les armes, abattus à coups de haches ou noyés.
(…) Le terme officiel d’exécution n’était souvent qu’un euphémisme pour désigner de véritables meurtres. Par exemple, le métropolite Vladimir de Kiev fut mutilé, castré avant d’être fusillé. Son corps fut laissé nu, exposé à la profanation publique. Le métropolite Veniamine de Saint-Pétersbourg, candidat possible à la succession du patriarche, fut transformé en un pilier de glace : on le passa sous une douche d’eau froide par un temps glacial. L’évêque Germogène de Tobolsk, qui avait accompagné le tsar en exil de son plein gré, fut sanglé vivant à la roue à aubes d’un bateau à vapeur et déchiqueté par les pales en rotation. L’archevêque Andronnik de Perm, qui s’était acquis une réputation de missionnaire et qui avait œuvré au Japon, fut enseveli vivant. Et l’archevêque Vassili a fini crucifié et brûlé.
Les documents témoignent des atrocités les plus sauvages commises contre les prêtres, les moines et les nonnes : ils étaient crucifiés aux portes centrales des iconostases, jetés dans des chaudrons de goudron brûlant, scalpés, étranglés avec leurs étoles, on leur administrait la communion avec du plomb fondu, on les noyait dans des trous creusés au milieu des glaces. Selon les Statistiques sur les persécutions de l’Église orthodoxe russe au XXe siècle, réunies par l’Institut de théologie orthodoxe Saint-Tikhon, ce sont près de trois mille membres du clergé qui ont été fusillés dans la seule année 1918.
(…) La propre attitude de Lénine envers la religion et le clergé est éclairée par nombre de ses notes, remplies de sa haine de la foi orthodoxe. Dans l’une d’elles (25 décembre 1919), il écrit : « Tolérer « Nikola » [une fête religieuse commémorant les reliques de saint Nicolas] serait une stupidité – la Tcheka tout entière doit être mise en alerte pour veiller à ce que ceux qui ne se présentent pas au travail à cause de « Nikola » soient fusillés ».
(…) Dans bien des cas, l’Église s’est docilement soumise aux exactions des voyous de l’administration léniniste. Mais en 1921, elle ne pouvait tolérer la manière dont le gouvernement des ouvriers et des paysans considérait avec l’insensibilité d’un Néron un pays mourant de la famine. Le patriarche Tikhon envoya à Lénine une lettre lui proposant de faire don de certaines richesses de l’Église pour permettre l’achat de blé au profit des affamés.
(…) Alors que la patriarche attendait une réponse, Lénine signa le décret du 23 février 1922, « A propos de la confiscation des biens de l’Église pour soulager les affamés ». Cette initiative enchanta tous les lumpen-révolutionnaires, qui avaient fini par se laisser gagner par leur désillusion envers Lénine. La tâche qui les attendait était infernale. Le pays possédait presque quatre-vingt mille églises chrétiennes, presque toutes orthodoxes.
Des détachements de la Guépéou firent irruption dans les temples et les monastères. Les icônes furent dépouillées de leurs incrustations de métaux précieux. Les églises furent pillées, les saints récipients d’or et d’argent disparurent, y compris les tabernacles sertis de pierreries et les chandeliers datant du XVe au XVIIe siècle. Des croix en or massif de l’époque d’Ivan le Terrible et des premiers Romanov furent entassées dans des malles et des sacs. Les pierres précieuses furent desserties, les couvertures des bibles arrachées, toutes les pièces d’or et d’argent que l’on pouvait trouver furent confisquées. D’anciennes icônes fournirent le combustible des bûchers, des livres écrits à la main datant de l’ancienne Église slave périrent dans les flammes. Des autels s’écroulèrent sur le sol.
(…) L’appel de Sa Sainteté fut lu en chaire, dans les églises, il se répandit de bouche à oreille et fut affiché aux murs des maisons, appelant les gens à résister. Dans tout le pays, des églises étaient le théâtre de scènes de carnage. Mais les croyants désarmés ne pouvaient opposer aucune espèce de résistance organisée aux brigades spéciales armées. En bien des endroits, la foule fut simplement dispersée sous le feu des mitrailleuses, et les citoyens arrêtés fusillés le jour même.
(…) Lénine était au sommet de sa forme. Il avait récupéré toute son énergie et son élan combatif de naguère. Son hypocrisie trouve une illustration saisissante dans le fait que le 19 mars 1922- avant même l’appel gouvernemental -, il avait envoyé la directive secrète suivante aux membres du Politburo et aux chefs de la Guépéou, le commissariat du peuple à la Justice et du Tribunal révolutionnaire, qui s’apprêtaient à se consulter sur une action coordonnée pour la mise en application du décret disposant de la saisie des biens de l’Église : « La conférence doit adopter une décision secrète en vue de la confiscation des biens, et surtout de ceux des abbayes, des monastères et des églises les plus riches, qui sera mise en œuvre avec une détermination impitoyable, sans s’arrêter sur rien, et dans le délai le plus court possible. C’est pourquoi plus nous parviendrons à éliminer de représentants du clergé réactionnaire, mieux cela vaudra. Nous devons administrer à ces gens, et tout de suite, une leçon telle que pour des décennies à venir, ils n’oseront même plus songer à résister. »
« Plus nous parviendrons à fusiller de représentants du clergé réactionnaire, mieux cela vaudra. » Ce legs de Lénine fut parachevé par Staline à plus vaste échelle, et avec le plus grand enthousiasme.
D’après les estimations les plus modérées, le bénéfice net de la confiscation des biens de l’Église s’élevait à 2,5 milliards de roubles or. Selon les spécialistes occidentaux, ce chiffre pourrait aisément être triplé. Par contraste, avec un fonds de 137 millions de dollars consacré à la nourriture, l’American Relief Administration fondée par Herbert Hoover a sauvé dans la région de Povoljia plus de vingt millions d’êtres humains menacés de mourir de faim. Les statistiques soviétiques montraient que dans les années 1922-1923, le gouvernement ne dépensa que un million de roubles en achats de céréales à l’étranger – et en semences uniquement. Quant aux acquisitions de bétail et d’équipement, elles étaient nulles. Alors à quoi ont-ils servi, ces innombrables trésors volés par les maraudeurs bolcheviks ? Après tout, si ces 2,5 milliards de roubles avaient été partagés équitablement, comme les bolcheviks avaient promis qu’ils le seraient, même une Russie en pleine déchéance aurait pu rapidement prospérer.
(…) Non seulement les églises étaient pillées, comme l’avait ordonné Lénine, « avec une détermination impitoyable » et « dans le délai le plus court possible », mais des dizaines de milliers de prêtres, de diacres et de moines, et plus de cent mille fidèles furent fusillés. Le patriarche Tikhon lui-même fut arrêté en mai 1922, avec des membres du saint-synode. Trente-deux métropolites et archevêques furent exécutés. »

Bien évidemment, sous la Grande Terreur Stalinienne de 1937-1938, le clergé ne fut pas épargné par les fusillades de masse (page 199) :

« Au sein du clergé russe orthodoxe, c’est en 1937 que l’on enregistra le plus grand nombre de victimes : près de 140 000 personnes ont subi la répression cette année-là, et sur ce nombre total, 85 300 personnes ont été fusillées. En 1938, les chiffres s’établissent à 28 300 victimes de la répression et 21 000 fusillés ; en 1939, respectivement 1 500 et 900 ; en 1940, 5 100 et 1 100. Et enfin, en 1941, 4 000 personnes connurent les foudres répressives et 1 900 furent exécutées.
En 1918, l’Église orthodoxe russe comptait 48 000 paroisses et, en 1928, un peu plus de 30 000. Des 500 églises de Moscou, il en restait 224 le 1er janvier 1930, et, deux ans plus tard, 87 seulement. On fit même sauter la cathédrale du Christ-Sauveur. Avant la révolution, il y avait 28 monastères dans la province de Iaroslav. En 1938, ils étaient tous fermés, et plus de 900 églises avaient été détruites.
Le même traitement fut réservé aux mosquées. En 1937, il y avait 1375 organisations religieuses en Tatarie, contre 2 550 avant la révolution. En 1936, dans la république socialiste soviétique autonome du Daghestan (RSSA), la moitié de tous les sites religieux étaient déjà fermés. Dans la république socialiste soviétique autonome de Kabardino-Balkarsk, 59 %, et 69 % en Bachkkirie.
Durant la Seconde Guerre mondiale, les autorités furent contraintes de faire des concessions vis-à-vis du clergé, mais cela ne signifiait pas pour autant une cessation de la répression. Le nombre des ecclésiastiques orthodoxes russes victimes de la répression s’élevait en 1943 à plus de 1 000, et la moitié d’entre eux furent passés par les armes. De 1944 à 1946, ce furent plus de 100 exécutions qui eurent lieu chaque année.
Après la guerre, la fermeture des églises se poursuivit avec un enthousiasme égal. En 1963, le nombre des paroisses orthodoxes russes avait été réduit de moitié par rapport au chiffre de 1953. »

Et l’auteur termine son chapitre sur le Clergé, en se demandant comment, aujourd’hui, des gens (néo-Communistes), en toute connaissance de cause, peuvent encore voter pour des Partis Communistes ; et pourquoi ce régime Totalitaire Soviétique n’a pas été condamné par les hautes instances comme l’Église, qui fut pourtant tout particulièrement persécutée ? ! (pages 202 et 203) :

« Je ne puis trouver les mots pour décrire l’immoralité des gens qui votent pour les héritiers des bolcheviks. Il est impossible que tous ceux qui votent pour eux soient des athées élevés dans l’idéologie marxiste-léniniste. Quelle est l’ignorance qui nous entraîne vers le vide ?
Parce qu’il avait critiqué l’Église, le synode orthodoxe a excommunié Léon Tolstoï, un génie, le père spirituel du peuple russe. Alors, pourquoi les estimables et très respectables hiérarques de notre Église ne déclarent-ils pas anathème le Parti qui, en son temps, a détruit l’Église, en déclarant la religion chrétienne notre ennemie ? N’oublions pas les propos du patriarche Tikhon, qui dénonçait « l’Antéchrist au pouvoir ». »

Durant toutes les décennies de sa Dictature, Staline fit déporter d’innombrables minorités ethniques et nationales. Et après la Seconde Guerre Mondiale, il décida de continuer la persécution des Juifs, reprenant ainsi l’effroyable flambeau Totalitaire de Hitler. Seule, sa mort, le 5 mars 1953, stoppa ce nouveau projet génocidaire. Cette nouvelle opération de déportation et d’extermination de masse des Juifs, était intitulée, avec ses consonances antisémites et totalement paranoïaques : « les assassins en blouse blanche » (page 243) :

« Les préparatifs de ces déportations en masse des Juifs de Moscou et d’autres grands centres industriels vers les régions du nord et de l’est du pays débutèrent en février 1953. Ils furent engagés de la manière suivante : sur ordre de Staline, un groupe de Juifs envoya une lettre à la Pravda demandant au gouvernement de séparer les « bons » Juifs des « mauvais ».
Khavinson, alors directeur de l’agence Tass, l’agence de presse soviétique, et l’académicien Mints firent alors des ravages, invitant les gens à se rendre dans les bureaux de la rédaction de la Pravda, à lire la lettre et à la signer. C’est triste à dire, mais ils purent réunir un nombre considérable de signatures.
Seule la mort du dictateur évita un nouveau bain de sang.
L’antisémitisme attisé par Staline après la guerre ne laissa pas le pays indemne. Ses conséquences malignes sont encore logées dans la conscience collective. Les plans stratégiques de Staline visaient aussi à nourrir un antisémitisme de base et, à cet égard, il a réussi, comme les événements de la Russie actuelle ne le confirment que trop clairement. »

Puis, dans son avant-dernier chapitre, Alexander Yakovlev revient sur l’un des massacres de masse le plus connu de la période Léniniste et qui a le plus entaché la réputation du chef de l’Armé Rouge, Idéologue Terroriste et bourreau de masse : Léon Trotski, celui de l’écrasement de l’insurrection des ouvriers et marins de la base navale de Kronstadt, en mars 1921. (Sur ce sujet, on peut se reporter au très complet ouvrage de Alexandre Skirda : « Kronstadt : Prolétariat contre dictature communiste ») (page 255) :

« La réaction des autorités bolcheviks aux événements de Cronstadt révélait en toute clarté l’essence totalitaire du Parti et démontrait la trahison que la clique au pouvoir infligeait aux idéaux pour lesquels des millions d’individus se sont fourvoyés en donnant leur vie. »

Avec le recul du temps et la fin de l’U.R.S.S., la prise de conscience de ce que fût le régime Totalitaire Communiste Soviétique auquel Alexander Yakovlev a participé durant des décennies, l’auteur nous fait part de sa très profonde amertume et même de l’écœurement face à cet effroyable gâchis en vies humaines (pages 263 à 266) :

« D’un bout à l’autre de l’horizon, la Russie est semée des croix et des tombes anonymes de ses citoyens, fauchés par les guerres, tués par la famine ou fusillés sur un caprice du régime fasciste lénino-stalinien. Ces croix marquent les restes ultimes de millions d’êtres, et des sépultures sans noms en abritent bien d’autres millions encore. Ils gisent dans des fossés et des tranchées, dans des marais, dans des crevasses de montagne, tandis que d’autres ne sont que des squelettes épars dans les forêts de la terre russe.
Il n’existe pas de statistiques étayées par des documents susceptibles d’attester l’ampleur de la tragédie. Toutes sortes de chiffres circulent. L’académicien Vernadsky, en observateur perspicace, notait dans son journal personnel de janvier 1939 que le nombre des exilés ou des citoyens envoyés en prison ou en camp de concentration dans la dernière moitié des années 1930 s’établissait entre 14 et 17 millions.
(…) A ces catégories, il faut ajouter les victimes de la répression léniniste, que personne n’a comptabilisées, et les 13 millions de victimes tuées durant la guerre civile – plus les 3,4 millions de citoyens arrêtés pendant la campagne de collectivisation et les 3,3 millions de ressortissants de nationalités opprimées ou de rapatriés des camps de prisonniers allemands et d’autres pays d’Europe.
Mes nombreuses années d’expérience consacrées à la réhabilitation des victimes de la terreur politique me permettent d’affirmer que le nombre des victimes qui, en URSS, ont été supprimées pour motifs politiques ou qui sont mortes dans des prisons et des camps pendant toute la période du pouvoir soviétique totalisent 20 à 25 millions d’êtres humains. Et il convient sans nul doute d’y ajouter tous ceux qui sont morts de la famine – plus de 5,5 millions pendant la guerre civile et plus de 5 autres millions dans les années 1930.
Des documents qui ont déjà été publiés donnent une certaine idée de l’ampleur de cette politique punitive. Dans la seule Fédération de Russie, selon des données incomplètes, entre 1923 et 1953, le nombre des condamnés atteignait plus de 41 millions. Bien entendu, il y avait parmi eux des individus qui avaient commis de vrais crimes – mais aussi des millions de gens emprisonnés pour être arrivés en retard sur leur lieu de travail, pour n’avoir pas respecté les quotas de production dans les kolkhozes, et pour d’autres infractions mineures. Sur ordres adoptés entre le 26 juin et le 15 avril 1942, le nombre des condamnés, en 1940, pour de tels délits, atteignait plus de 2 millions ; pour l’année 1946, ce chiffre était de 1,2 million, pour 1947 de plus de 938 000, et ainsi de suite.
Même en 1953, plus de 308 000 personnes furent condamnées en vertu de ces textes de loi.
Durant les années de l’après-guerre, le nombre des condamnés pour retard au travail et non-respect des quotas de travail s’élevait à plus de 6 millions de personnes. Beaucoup purgèrent leur peine au goulag.
Mais qui pourra les dénombrer tous ?
Fiodor Dostoïevski avait prédit l’avènement du bolchevisme en Russie quand il écrivait dans « Les Possédés » que « cent millions d’individus périront ».
Qu’est-ce que le bolchevisme a apporté au monde, à ses peuples, aux individus ?
Au monde : révoltes, destructions, révolutions violentes, guerres civiles, violences envers l’individu.
A ses peuples : pauvreté, indigence, non-respect des lois, un esclavage à la fois matériel et spirituel.
Aux individus : une souffrance sans fin. L’État bolchevik a privé l’individu de liberté, d’honneur, de moralité, de prospérité, et même de sa foi en Dieu.
Le bolchevisme est une folie démoniaque aux multiples facettes, une mascarade anti-humaniste militante. Ses modèles idéologiques étaient le marxisme d’origine allemande et son équivalent anglais. Mais sa première réelle victoire, le bolchevisme la remporta en Russie.
(…) La tragédie de la Russie réside avant tout en ceci : pendant des millénaires, elle a été gouvernée par des hommes, et non par des lois. Ses gouvernants étaient des princes, des tsars, divers présidents et secrétaires généraux. Ils ont régné de façon inepte et sanguinaire. Le peuple existait pour le gouvernement, et non le gouvernement pour le peuple. La Russie a évité l’esclavage classique. Mais elle n’a pas encore émergé du féodalisme. Elle est encore esclave d’une idéologie impériale officielle, qui dans son essence considère que l’État est tout et l’individu rien.
La Russie s’est retrouvée aux marges de la civilisation, dans la mesure où elle n’a jamais connu l’instauration d’un régime normal de la propriété privée. La propriété a toujours appartenu à l’État, à son élite féodale – et aujourd’hui à l’oligarchie de la nomenklatura des anciens apparatchiks. L’absence de propriété privée, surtout celle de la terre, est la cause première de ses maux, de son destin cruel.
(…) Au début du printemps de 1917, le tsar abdiquait et une république était proclamée.
Elle ne dura que neuf mois : les bolcheviks la noyèrent dans le sang, en fomentant une contre-révolution. Trois générations de Russes ont enduré un esclavage économique et une terreur inimaginable, tant physique que psychologique, tout au long de la Seconde Guerre mondiale, du stalinisme, de la dictature du Parti communiste et de ses dirigeants. »

Comme avait déjà tenté de le faire le célèbre dissident du Soviétisme, Vladimir Boukovski (confer son ouvrage : « Jugement à Moscou »), après la chute de l’U.R.S.S., Alexander Yakovlev a essayé lui aussi de faire condamner l’Idéologie Bolchevico-Communiste, mais en vain… (pages 266 et 267) :

« En août 1996, j ‘an ai appelé à l’opinion publique russe et mondiale, au président de la Russie, à la Cour constitutionnelle, au gouvernement, au bureau du procureur en chef et à l’Assemblée fédérale pour entamer une procédure contre l’idéologie fasciste-bolchevik et ses partisans. Je n’ai reçu aucune réponse, sauf de la part d’un groupe de députés communistes qui déposèrent une requête devant le procureur en chef pour que je sois inculpé de persécution et de dissidence. Les démocrates ont limité leur soutien à quelques coups de téléphone de félicitations.
Mais alors que les forces bolcheviks, avec leurs gesticulations, leurs simulations et leurs protestations d’innocence, font tout ce qu’elles peuvent pour promouvoir une restauration rampante, je crois encore que le peuple russe aura assez de bon sens pour se guérir définitivement de sa maladie persistante.
(…) Dans ces circonstances, et avec la pleine conscience de l’histoire tragique de la Russie, je suis convaincu que :
Le bolchevisme ne peut pas échapper à sa responsabilité de la contre-révolution, du coup d’État violent de 1917.
Le bolchevisme ne peut pas échapper à sa responsabilité dans l’instauration d’une dictature nourrie de la haine de l’individu. Conséquence de ses actions criminelles, plus de soixante millions d’êtres humains ont été exterminés. Le bolchevisme, en tant que variante et précurseur du fascisme, s’est constitué comme la force principale dans le génocide de son propre peuple.
Le bolchevisme ne peut pas échapper à sa responsabilité dans le déchaînement d’une guerre civile fratricide qui a dévasté le pays. Ces batailles sanglantes et dénuées de sens, ces destructions ont touché plus de treize millions de personnes, abattues, mortes de faim ou poussées à l’émigration.
Le bolchevisme ne peut pas échapper à sa responsabilité dans la destruction de la paysannerie russe. La paysannerie russe a été démolie, sa morale, ses traditions et ses coutumes piétinées. La capacité productive du village a été sapée si profondément que depuis des années maintenant, afin d’éviter la famine, le pays importe des produits alimentaires.
Le bolchevisme ne peut pas échapper à sa responsabilité dans la destruction des églises chrétiennes et des monastères, des mosquées, des synagogues et d’autres lieux de culte, pour l’exécution de masse du clergé, pour la persécution des fidèles, autant d’actes qui n’ont apporté au pays qu’un éternel déshonneur.
Le bolchevisme ne peut pas échapper à sa responsabilité dans la destruction de couches entières de la société russe – la caste des officiers, la noblesse, la classe des marchands, la véritable intelligentsia, la communauté universitaire, celles des scientifiques et des artistes.
Le bolchevisme ne peut pas échapper à sa responsabilité pour ses violations des droits élémentaires, pour ses falsifications, ses fausses accusations et ses sentences prononcées hors de tout cadre juridique à une échelle sans précédent dans l’histoire, pour les exécutions sans enquête ni procès, pour les tortures et les tourments, pour l’organisation d’un système de camps de concentration, y compris des camps pour enfants retenus en otages, pour l’emploi de gaz toxiques contre de paisibles populations civiles – pour avoir mis en œuvre le hachoir des répressions lénino-staliniennes, au cours desquelles plus de vingt millions d’individus ont péri.
Le bolchevisme ne peut pas échapper à sa responsabilité pour l’abolition de la liberté de parole, pour son élimination de tous les partis et mouvements démocratiques, y compris ceux qui avaient adopté une orientation socialiste.
Le bolchevisme ne peut pas échapper à sa responsabilité pour sa conduite inepte de la guerre contre le fascisme hitlérien. Seul le sacrifice de trente millions de nos concitoyens et l’héroïsme du peuple ont sauvé le pays de l’asservissement.
Le bolchevisme ne peut pas échapper à sa responsabilité pour ses crimes commis contre les anciens prisonniers de guerre soviétiques et les rapatriés, qu’il a directement acheminés, après le conflit, dans des camps soviétiques, en les exploitant dans le seul but de les conduire à la mort par le travail forcé.
Le bolchevisme ne peut pas échapper à sa responsabilité pour avoir conduit un génocide contre les citoyens non russes d’URSS, pour avoir déplacé par la force, dans les régions les moins peuplées du pays, les Allemands, les Polonais, les Tatars, les Tchétchènes, les Ingouches, les Karachaev, les Coréens, les Balkars, les Kalmouks, les Turcs Meshketians, les Arméniens, les Bulgares, les Grecs et les Gagaouzes.
Le bolchevisme ne peut pas échapper à sa responsabilité pour l’organisation de la chasse aux universitaires et aux écrivains, de tous ceux qui travaillaient dans le cinéma, le théâtre et la musique, des médecins et de bien d’autres encore, pour les dommages colossaux infligés à la culture et à la science de la nation. Pour de simples motifs idéologiques et criminels, des généticiens et des cybernéticiens, ainsi que les courants progressistes de l’économie, de la linguistique, de la littérature et de l’art ont été réduits à l’ostracisme.
Le bolchevisme ne peut pas échapper à sa responsabilité pour la tenue de procès racistes – contre l’EAK, contre les « assassins en blouse blanche » – visant à susciter l’inimitié entre les groupes nationaux du pays et en jouant sur les instincts les plus vils des masses.
Le bolchevisme ne peut pas échapper à sa responsabilité dans l’organisation de campagnes criminelles contre toute espèce de dissidence, dont les nombreux partisans ont été soumis à une vaste panoplie de châtiments – la prison, l’exil, le déplacement spécial, l’expulsion, à l’étranger, l’internement psychiatrique, la perte d’emploi, les attaques calomnieuses dans la presse et autres indignités.
Le bolchevisme ne peut pas échapper à sa responsabilité dans la militarisation totale du pays, qui a entraîné l’indigence du peuple et qui a radicalement entravé le développement de la société.
Le bolchevisme ne peut pas échapper à sa responsabilité dans la mutinerie antigouvernementale d’août 1991, qui a conduit à la dislocation de l’État et au désordre, et à des épreuves inimaginables pour tous le peuples de l’ancienne Union soviétique.
Comme nous avons la mémoire courte, même encore aujourd’hui. Nous avançons en rampant pitoyablement, englués dans ce cloaque. La source principale de nos tourments nous attend encore : sans la débolchevisation de la Russie, le rétablissement du pays, sa renaissance et son retour à la place qui est la sienne dans la civilisation mondiale sont impossibles. Ce n’est qu’après s’être affranchie du bolchevisme que la Russie pourra espérer guérir. »

Après l’effondrement de l’U.R.S.S. en 1991, et l’ouverture des Archives, Alexander Yakovlev a réellement pris conscience de l’immensité des Crimes du régime Totalitaire Communiste Soviétique.
Lui, au moins, face aux témoignages de victimes, et au déroulement de l’Histoire de la Russie (l’U.R.S.S.) tout au long du XXe siècle, a été capable de remettre toute son existence en question. Il n’a alors eu de cesse de dénoncer l’horreur que fut ce régime et ces innombrables Crimes ; même si, les millions de victimes déportées dans les camps de concentration du Goulag, les millions d’innocents et anonymes fusillés, et toutes ces innombrables familles persécutées, auraient sûrement préféré que lui (et les autres membres de l’élite Soviétique), les dénonce, lorsqu’il était membre du Comité Central et du Politburo du Parti Communiste d’Union Soviétique.

Mais un grand Merci à vous, Monsieur Yakovlev, pour cet ouvrage essentiel envers la Mémoire des dizaines de millions de victimes du Totalitarisme Communiste Soviétique, et plus généralement, pour Notre Mémoire Universelle !

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