Peau d'Homme de Hubert (Scénario), Zanzim (Dessin)
Catégorie(s) : Bande dessinée => Adultes
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UNE PETITE MERVEILLE
Ce roman graphique est une petite merveille !
Cela commence comme un conte, le titre d'ailleurs est un peu un clin d'oeil à Charles Perrault et son "Peau d'âne". L'action se passe dans une ville italienne de la Renaissance comme Florence. Bianca est en âge de se marier. Ses parents lui trouvent le fils d'un riche marchand, Giovanni. Il est beau et jeune, c'est déjà ça ! Mais Bianca aurait aimé donner son avis, faire son choix, ou au moins apprendre à connaître son promis avant le mariage qui aura lieu dans une quinzaine.
Bianca est triste et sa douce marraine l'emmène chez elle pour la préparer et lui parle d'un secret.
Dans sa famille depuis des générations se transmet un objet magique, une peau d'homme !
En l'enfilant, Bianca va avoir l'occasion de se glisser dans la peau de Lorenzo ce qui lui permettra d'approcher et de côtoyer son futur mari. Ce n'est pas tout, elle va découvrir ce que c'est d'être un homme et lui permettre de mieux comprendre comment ce monde fonctionne. Tout un programme qui lui fera découvrir le sexe et s'affranchir des limites imposées aux femmes.
Nous sommes à l'époque où l'inquisition sévit encore et la religion prend de plus en plus de place dans la société, c'est le frère de Bianca devenu Fra Angelico qui la représente. Il est devenu prêtre, prédicateur chassant à tout va les corps, les seins, les oeuvres d'art les représentant. Il est moralisateur devenant intégriste chassant et rejetant le sexe, la luxure et la concupiscence, s'attaquant tout d'abord aux femmes "pécheresses", punies, tondues, fouettées pour adultère. Il imposera par tous les moyens la bienséance morale.
Ce roman graphique est un magnifique plaidoyer défendant les femmes mais aussi le droit d'aimer qui l'on veut. Il défend la cause homosexuelle avec brio, le droit à la différence. Il met en avant le droit à la sexualité différente pour les femmes et pour les hommes, un droit à l'égalité.
Ce roman est une véritable pépite !
Les dessins sont colorés, les décors épurés et les visages très expressifs. Les couleurs adaptées au récit. Tous les ingrédients pour un arrêt dans le temps et une lecture magnifique. Un conte libertin cruel à lire absolument.
Gros coup de ♥
Les jolies phrases
Il serait fort utile pour une femme de connaître la vie et les sensations de l'autre sexe, tant les hommes sont pour nous un continent étranger, aux moeurs fort éloignées des nôtres.
Nos religieux sont bien oecuméniques ! Ils prient la Sainte Trinité le jour, Bacchus la nuit, et Manon tout le temps.
Tu sais ici les filles sont gardées sous clé, alors on passe sa vie entre garçons, on se baigne, on lutte, on dort dans le même lit... Ce corps ami qui ressemble tellement au nôtre et qui s'épanouit, comment ne pas s'en éprendre ? Les filles sont si loin, si étrangères ! On découvre son corps et les plaisirs qu'il peut nous donner, alors pourquoi ne pas partager ces plaisirs avec ses amis les plus proches ?
Eh bien, si on arrêtait de considérer les Femmes comme des êtres inférieurs, peut-être que ça irait mieux pour tout le monde.
Je suis jalouse du désir que vous avez pour lui et pas pour moi. J'aimerais être tout pour vous en tant que femme.
J'ai un corps et je n'en ai pas honte. En soi, il n'est ni bon, ni mauvais. Ce n'est pas lui le problème; c'est ton regard qui est sale ! Pourquoi crois-tu que la vue d'un corps nu puisse faire perdre aux femmes leur tempérance ? Parce que tu les crois semblables à toi !
Si tu étais aussi saint que tu le prétends, tu ne craindrais pas la vue d'un corps, même celui d'une femme nue ! C'est ta concupiscence qui te fait voir les femmes comme des tentatrices lubriques. C'est parce que tu es obnubilé par ton propre désir que tu les veux couvertes de la tête aux pieds.
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Très bon moment de lecture
Critique de Hervé28 (Chartres, Inscrit(e) le 4 septembre 2011, 55 ans) - 17 mars 2021
D'ailleurs nous restons sur le même genre, celui du conte philosophique avec ici un thème plus appuyé sur la tolérance.
C'est amené de façon originale avec cette "peau d'homme" endossée par la très moderne et libérée Bianca, même si parfois j'ai trouvé le message un peu répétitif voire trop appuyé.
On comprend dès l'approche de Lorenzo auprès de Giovanni où veut en venir le regretté scénariste, Hubert.
Je ne sais pas si cet album méritait le grand schelem au niveau des prix décernés par le monde de la bd, mais pour ma part, j'ai beaucoup aimé cette histoire qui prône une certaine liberté sexuelle sur fond d'obscurantisme clérical, décrit de manière assez caricatural , il faut l'avouer dans cet album.
Une histoire plaisante sur fond médiéval mais qui renvoie à notre époque, servie sur près de 160 pages par un dessin expressif, dans un grand format, et qui se lit d'une traite, bref que demander de mieux à une bande dessinée? En outre, gage de réussite, le lecteur ressent une certaine empathie avec Bianca.
Très bel album.
Le masque plutôt que le voile
Critique de Blue Boy (Saint-Denis, Inscrit le 28 janvier 2008, - ans) - 13 décembre 2020
Ce conte fantastique est l’une des dernières œuvres qu’Hubert, disparu en début d’année, nous aura léguée — avec « Les Ogres-Dieux » (tome 4) et peut-être « Le Boiseleur » (tome 2). Et qui nous fait d’autant plus regretter sa mort. Car « Peau d’homme » est une merveille d’intelligence, un vrai chef-d’œuvre qui, en situant le récit dans une Italie médiévale, s’avère d’une extrême modernité.
En utilisant les ressorts du conte populaire, notamment la fluidité narrative et toute la magie inhérente au genre, Hubert va y intégrer les problématiques les plus contemporaines, et c’est bien là que réside son génie. In fine, cette société médiévale ressemble étrangement à la nôtre, avec deux visions s’opposant radicalement. D’un côté la tradition et les mœurs religieuses rétrogrades, prôné par le frère obscurantiste de Bianca, de l’autre des idées progressistes alliées à un certain hédonisme et au respect de l’identité sexuelle. On ne « divulgâchera » pas le récit, mais Bianca va réussir, grâce à cette incroyable peau d’homme, à s’affranchir des conventions dont son futur mari Giovanni, qui n’est pas celui qu’elle croyait au départ, est resté la victime consentante. C’est en se métamorphosant en « passionaria gay » que Bianca va apprendre à lutter pour la liberté ! Face à son frère fanatisé Angelo dont la morale bigote a soumis les esprits jusqu’aux instances de pouvoir, ses objections, fondées sur une logique imparable que permet son innocence, sont très bien mises en relief et ne font que ridiculiser ce dernier, participant à la jubilation du lecteur. Le point d’orgue du récit sera ce joyeux carnaval où les corps et les âmes vont se déchaîner pendant toute une nuit et contribuer à l’éviction de Fra Angelo…
Sur le plan graphique, on apprécie la ligne claire élégante et stylisée de Zanzim, parfaitement en symbiose avec la narration, et le lecteur est immédiatement aspiré dans cet univers médiéval de conte de fées. La mise en page, simple en apparence, est très subtile, avec des cadrages et une composition qui par moment savent s’allier aux textes pour provoquer l’amusement, notamment avec cette scène où Bianca déstabilise Giovanni de son regard amoureux, tandis qu’un zoom se fait sur le postérieur de la statue géante d’un adonis nu, équipé d’un énorme gourdin reposant sur son épaule. La narration est également rendue dynamique par un agencement visuel très varié. Zanzim nous offre des pleines pages de toute beauté, dont certaines montrent les personnages évoluer à travers un décor unique, ce qui donne un côté très ludique au récit. Tout cela ajouté à la délicatesse du trait et au choix pertinent des couleurs, on se sent totalement comblé ! Et pour magnifier l’ensemble, la couverture est superbe, avec une très belle illustration en vernis sélectif, cernée d’arabesques en impression bleu doré.
« Peau d’homme » s’impose incontestablement comme le must venu illuminer cette année grise, tant par la forme que par le fond. Car en ces temps incertains où l’on assiste à une montée en puissance de l’intolérance, le propos à la fois malicieux et empathique de ce récit sème le trouble dans nos certitudes et nos préjugés quant à l’appartenance sexuelle, tout en taillant de profondes croupières au paternalisme si enraciné de nos sociétés, et ça, ça fait un bien fou. On ne peut qu’exprimer notre reconnaissance aux deux auteurs. Hubert, avec ce merveilleux album, testament conscient ou non, mérite bien de reposer en paix !
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