Ailefroide : Altitude 3 954 de Olivier Bocquet (Scénario), Jean-Marc Rochette (Scénario et dessin)

Catégorie(s) : Bande dessinée => Aventures, policiers et thrillers

Critiqué par Blue Boy, le 22 septembre 2019 (Saint-Denis, Inscrit le 28 janvier 2008, - ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (25 714ème position).
Visites : 3 234 

Le grisant vertige du danger

Dans cette biographie, Jean-Marc Rochette évoque les instants de son enfance qui ont déclenché sa passion pour l’alpinisme. Comme pour la mer, ce n’est pas l’Homme qui prend la montagne mais la montagne qui prend l’Homme… Car celle-ci grouille de dangers, et a tué nombre de ses compagnons de cordée. Mais il en fallait plus pour dissuader le jeune Jean-Marc. L’auteur raconte comment, entre la bande dessinée et les joies de l’escalade, c’est finalement la première qui aura le dessus. Il faut parfois un tragique accident pour « redescendre sur terre »…

Tout d’abord, il y eut Soutine et son « Bœuf écorché », que le petit Jean-Marc passait de longs moments à contempler lors de ses visites au Musée de Grenoble. Puis, le coup de foudre pour l’escalade au cours d’une promenade avec sa mère. Ces deux événements en rapport avec deux disciplines en apparence très éloignées scelleront le destin de Jean-Marc Rochette, dont le parcours semble avoir toujours oscillé entre son amour pour la montagne et celui pour le dessin.

Rebelle né, l’auteur grenoblois a toujours mené sa vie comme il l’entendait, malgré les remontrances de sa mère avec qui il entretenait des rapports parfois houleux, et celles de ses professeurs qui moquaient les « gribouillis » de cet élève peu docile avec l’autorité. Les multiples tentatives de découragement du système socio-éducatif n’auront fait que renforcer sa détermination à suivre ses envies, en s’échappant mentalement via le dessin, physiquement par l’escalade. On ne domestique pas les loups.

« Ailefroide » est la parfaite synthèse de ses deux passions, permettant d’une certaine manière à Rochette de boucler la boucle. Le senior à la barbe et aux cheveux blancs peut aujourd’hui parler de l’ado fougueux qu’il était alors, avec tendresse et sans reniement malgré les années écoulées. Dans une narration très fluide, il évoque avec une sincérité qui fait toute la force de cette autobiographie, son gravissement sisyphéen vers un sommet qu’il n’atteindra jamais, celui qui a donné son nom au titre. Comme une métaphore de sa propre vie, avec cette impression que rien ne pourra vous arrêter dans cette compétition vers les hauteurs (à moins que cela ne soit qu’une fuite…), jusqu’au jour où survient l’accident, celui qui en principe « n’arrive qu’aux autres » et remet les choses en perspective de façon radicale. Un événement grave mais qui sauvera peut-être la vie de notre casse-cou en précipitant son choix définitif vers la bande dessinée, et débouchera sur la création de son personnage fétiche, le cynique et teigneux Edmond le cochon… On l’aura compris, Rochette n’est pas du genre à s’avouer vaincu !

Graphiquement, le trait ne fait que confirmer le talent de cet auteur pour qui la montagne apparaît désormais comme un genre à part entière et a révélé une nouvelle facette de son art, après notamment l’humour punko-trash des années Actuel/L’Echo des savanes et son cultissime « Transperceneige », œuvre de SF adaptée dans une superproduction hollywoodienne au cinéma. Disposant d’une palette stylistique très étendue, Rochette recourt ici à son trait le plus âpre, où les stries rocailleuses des montagnes se retrouvent jusque dans les visages burinés par le soleil, toujours très expressifs, où l’on ressent quasi-physiquement la minéralité de la pierre et le coupant de la glace, à peine adoucis par le bleu pur des cieux.

Si Jean-Marc Rochette n’a pas vaincu le sommet tant rêvé, il est en passe, avec cette aventure humaine puissante, de se hisser au panthéon du neuvième art. « Ailefroide » fait partie de ces œuvres à forte persistance cérébrale, incontestablement un must de l’année 2018, un pavé qu’on se prend en pleine tronche. Et fort heureusement, à l’inverse de ce qui se passe dans la BD, ce n’est ici qu’une image (seuls ceux qui l’ont lu pourront comprendre).

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Réminiscences

8 étoiles

Critique de Radetsky (, Inscrit le 13 août 2009, 81 ans) - 29 août 2023

J'avais quitté l'univers de la BD en sortant de l'enfance, sans espoir de retour.
Mais voilà, il y a les anniversaires et autres fêtes... et ce "pavé", ainsi que le nomme BlueBoy, me tombe pareillement sur le museau !

Dubitatif de prime abord, je commence à rentrer littéralement dans un univers, épuré par le dessin et les tonalités, mais que je connais bien. Si bien que je m'entends marmonner des "tiens, j'y suis allé", "ils l'ont fait !", "je connais ce p... de couloir"... et ainsi de suite et la mémoire revient, avec le souvenir des images, des sons, du chaud et du froid, de la sueur, de la peur et de la joie, de la lassitude et de la volonté d'avancer, de l'ivresse, de la "gloire d'en-haut"...............

Les marches d'approche interminables sous les étoiles, le bivouac, le refuge bondé ou vide, les moraines croulantes, la neige pourrie du couloir qui fout le camp et vous avec (merci mon vieux piolet à manche de frêne !), les rochers de l'arête qui ont l'élégance de s'écrouler juste dans votre dos, quelques secondes après être passé dessous avec ce parfum âcre de soufre dégagé par les chocs, l'orage qui arrive en milieu de nuit au bivouac et le repli en "cata" sur le glacier, tandis que la foudre commence sa distribution....
Bref, "j'y" étais à nouveau en suivant le récit de Rochette.

Je pense que ceux qui "en" sont revenus apprécieront d'autant plus cet album, tout comme un voileux savourera les souvenirs d'un marin, ou quiconque a expérimenté une activité racontée par un autre.

Une réussite graphique et une palette surprenante dans les bruns et gris en tout cas, tempérées peut-être par quelques longueurs.

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