Un coeur faible de Fedor Mikhaïlovitch Dostoïevski
( Slaboe serdce)

Catégorie(s) : Littérature => Russe

Critiqué par Bérénice, le 17 juin 2004 (Paris, Inscrite le 18 mai 2004, 37 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 5 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (11 763ème position).
Visites : 8 650  (depuis Novembre 2007)

Trop de bonheur pour un seul homme

C'est l'histoire simple et courte de Vassia Choumkov, petit fonctionnaire à qui tout sourit soudain, la carrière qui progresse, le mariage futur, l'ami fidèle. C'est une nouvelle typique Dostoïevski : de l'humour, de la vivacité, une profonde connaissance de l'âme humaine ; une intrigue pour le moins originale - Vassia devient fou à force de bonheur. Il est si reconnaissant à ceux qui l'aiment et l'aident, il se juge tellement indigne de leur attachement, qu'il panique. Il a si peur de décevoir tout le monde qu'il perd la tête. Il détruit son bonheur parce qu'il n'a pas la force de l'assumer, de le porter, d'y croire.
Il n'y a que Dostoïevski pour inventer une histoire pareille...et pour faire une si forte impression sur le lecteur en si peu de pages - moins de 80 ! Mais c'est du condensé, et ça vaut largement les 1000 pages des autres...

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Quelques excès

6 étoiles

Critique de Stavroguine (Paris, Inscrit le 4 avril 2008, 40 ans) - 17 juin 2010

Un cœur faible est une histoire d’excès. L’excès de bonheur, évident, qui assaille littéralement un Vassia Choumkov, petit fonctionnaire comme la littérature russe en compte des dizaines, sans ambition, pauvre, et qui plus est bossu, qui n’était absolument pas préparé à recevoir, comme ça, une fiancée et une avance de salaire coup sur coup. L’excès, il se trouve aussi dans les sentiments plus qu’exacerbés qui caractérisent les premières œuvres de Dostoïevski. Ici, on a droit à une véritable débauche : on s’appelle Arkacha et « Vassiouk, mon gros nounours » entre amis ; on aime littéralement la fiancée dudit ami en projetant d’emménager avec le couple pour ne pas en être séparé et pouvoir en permanence veiller sur eux ; on va jusqu’à se tuer (ou presque) par reconnaissance et on devient – littéralement encore – fou de bonheur… En peu de mots, Dostoïevski, en quête déjà de l’âme russe et de lui-même, n’a encore trouvé ni l’un, ni l’autre et reste sous l’influence de son modèle de toujours, Gogol, dont il s’inspire largement pour tirer à grands traits le portrait caricatural de la « Russie d’en-bas » de son temps. A ce titre, un parallèle peut facilement être tracé entre la nouvelle du jeune Dostoïevski et Le journal d’un fou, petit chef-d’œuvre d’un Gogol parvenu à pleine maturité et qui conte, lui aussi, l’histoire d’un fonctionnaire subalterne s’enfonçant au fil des pages toujours un peu plus profondément dans la folie.

Plutôt, Un cœur faible en constituerait la genèse, revenant sur les raisons pour lesquels le Poprichtchine de Gogol se retrouve ainsi à l’asile. Bien entendu, l’originalité de la déclinaison dostoïevskienne du thème réside aussi dans le fait que cette folie est due à un bonheur trop immense. Mais au-delà de cela, la nouvelle vaut surtout pour la forme qu’emprunte la dégénérescence de Choumkov : plutôt qu’un coup de foudre dû à de trop fortes et trop soudaines émotions, celui-ci n’est finalement qu’une victime précoce du stress qu’il s’impose pour finir à tout prix un travail insignifiant. Plus que l’exagération dans l’expression des sentiments, c’est cet aspect qui, surtout, retient l’attention. Dostoïevski, en fin observateur de son époque et des changements auxquels elle est soumise, anticipe donc pour ainsi dire le mal du vingt-et-unième siècle qui, le sanatorium étant passé de mode mais le problème demeurant le même, place une part toujours croissante de la population sous Prozac ou sur le divan d’un psy.

Si la nouvelle présente donc un certain intérêt, il est néanmoins limité et pâtit réellement de la lourdeur et de la mièvrerie du sentimentalisme des différents personnages. A côté d’elle, on sent cependant naître le style si caractéristique de Dostoïevski et poindre, déjà, ces digressions presque insolentes dans lesquelles l’auteur, faisant preuve d’une certaine malice, s’adresse à son lecteur comme à un complice qu’on prendrait à partie – la première page est un modèle du genre.

Un cœur faible doit donc être apprécié pour ce qu’il est : une œuvre de jeunesse, largement imparfaite et à la portée limitée, mais dans laquelle on distingue déjà un grand écrivain sur le point d’émerger. Derrière une lourdeur apparente, la finesse de l’observation frappe le lecteur attentif, tout comme ces belles pages de description, petits morceaux de poésie qui parsèment le long dialogue qui prend le pas sur la narration dans le reste du texte.

Le bonheur enfui

9 étoiles

Critique de Dirlandaise (Québec, Inscrite le 28 août 2004, 68 ans) - 21 septembre 2007

Une courte nouvelle datant des débuts de Dostoïevski en littérature. Je l’ai lu deux fois afin de bien savourer toute la richesse de l’écriture et du talent de l’écrivain. Encore une fois, des personnages qui doivent affronter des épreuves qui bouleversent leur vie d’une façon irréversible.

Le pauvre Vassia n’en revient pas qu’une jeune fille puisse l’aimer, lui qui n’est pas riche et de plus, qui est affligé d’une tare physique. Se sachant aimé, sa vie prend une toute autre couleur et il est impatient d’annoncer la nouvelle de ses fiançailles à son ami Arkadi qui habite avec lui. Les deux jeunes hommes entrevoient l’avenir avec optimisme et se complaisent à faire des projets de vie, une vie remplie de joie où ils habiteront tous les trois ensemble et fileront le parfait bonheur. Arkadi se voit déjà travaillant comme un forcené afin de ramener le plus d’argent possible à la maison pour la belle Liza dont il est lui-même amoureux. Mais, il y a une ombre dans ce bonheur qui semble parfait : Vassia a négligé un travail qui lui a été confié par son protecteur. Le jeune homme, tout à ses amours, a pris trois semaines de retard qu’il ne peut rattraper avant l’échéance. Rongé par le remords, honteux d’avoir trahi la confiance de celui qui l’a pris sous son aile et lui a fait obtenir son premier grade, ses nerfs flanchent.

Voilà pour le résumé de cette pathétique histoire d’un bonheur naissant étouffé dans l’œuf par une suite de négligences impardonnables. Très beau et émouvant !

Je me permets de reproduire un court extrait situé à la toute fin du récit. Dostoïevski laisse éclater son talent dans ses descriptions dont voici un exemple. Ça touche au sublime ! Quelle profondeur et le message qu’il nous passe… absolument génial !

« La nuit s’étendait sur la ville et toute l’incommensurable plaine de la Néva, boursouflée de neige gelée, avec le dernier reflet du soleil, essaima les infinies myriades d’étincelles des aiguilles du givre. Le froid tombait jusqu’à moins vingt. Une vapeur glacée jaillissait des chevaux poussés à mort, des gens qui couraient. L’air comprimé tremblait au moindre son, et, comme des géants, de tous les toits de l’un et l’autre quais, on voyait monter et courir vers les airs, à travers le ciel froid, des colonnes de fumée, qui se mêlaient et s’entretissaient en progressant, de sorte que, semblait-il, c’étaient de nouveaux bâtiments qui se dressaient au-dessus des anciens, une nouvelle ville qui s’agençait dans l’air… Il semblait, en fin de compte, que tout ce monde, avec tous ses habitants, les refuges des mendiants et les palais dorés – la joie des puissants de ce monde, en cette heure de ténèbres, ressemblait à un songe fantastique, magique, à un rêve qui, à son tour, devait disparaître d’un instant à l’autre, devait se fondre en vapeur dans le ciel bleu noir. »

Un coeur brisé par la "reconnaissance"

10 étoiles

Critique de Fee carabine (, Inscrite le 5 juin 2004, 49 ans) - 22 novembre 2005

Oui, c'est une histoire toute simple, et pourtant poignante que celle de Vassia Choumkov, qui devient fou de trop de bonheur, sous les yeux de son meilleur ami, impuissant et désespéré. Et Dostoïevski a trouvé des mots profondément justes et touchants pour nous dépeindre - mieux, nous donner à ressentir - les sentiments des deux hommes. L'exaltation et le bonheur débordant de Vassia lorsqu'il annonce ses fiançailles à son ami Arkadi Néfédévitch, et puis sa tristesse soudaine. La joie d'Arkadi, suivie de cet obscur pressentiment qui le fait considérer "déjà comme un malheur ce qui n'était, à l'évidence, que de petits désagréments domestiques, des choses, au fond, de rien du tout" et enfin de la réalisation du désastre.

Oui, vraiment, c'est un livre profondément juste et humain que ce petit livre-là!

Trop de bonheur!

8 étoiles

Critique de Sibylline (Normandie, Inscrite le 31 mai 2004, 73 ans) - 1 octobre 2004


Quels conteurs, ces Russes ! Moi qui aime tant qu’on me raconte des histoires, je me suis régalée. Ici, les personnages sont assez peu nombreux pour que j’aie pu éviter de me perdre dans leurs noms divers (raison pour laquelle j’abandonne d’ordinaire les romans de DostoÏevski)
Quant au récit, aujourd’hui, on appellerait cela une « névrose d’échec », mais on le raconterait peut-être moins bien ; et est-ce qu’on le comprendrait mieux ? Oui, sans doute. Mais est-ce qu’on le « ressentirait » mieux ? Sans doute pas. Il est d’une telle finesse, ce Dostoïevski, d’une telle habileté dans la peinture des scènes et des sentiments…
C’est une vraiment très belle histoire et très humaine. Quelle misère que celle, non dite, de cet homme qui ne peut faire face à un bonheur somme toute bien modeste.

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