L'homme gribouillé de Serge Lehman (Scénario), Frederik Peeters (Scénario et dessin)
Catégorie(s) : Bande dessinée => Légende, contes et histoire , Bande dessinée => Sci-fi & fantastique
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Un max de menaces
Entre sa mère Maud et sa fille Clara, Betty Couvreur semble mener une vie tout à fait normale, si ce n’était pour les crises d’aphasie (perte de la parole) dont elle est parfois victime, et la récente inondation de son appartement qui l’a conduit à se faire héberger temporairement chez sa mère. Un matin, alors que Paris est noyé sous des pluies diluviennes, un inquiétant personnage masqué se présente, furieux que Maud ne soit pas venue comme d'habitude lui livrer le « paquet ». Et pour cause, la grand-mère ne s’est pas réveillée et vient de tomber dans un profond coma. Betty découvre alors que l’inconnu est un maître-chanteur qui harcèle Maud depuis des années. Dès lors, sa vie va basculer vers une dimension insoupçonnée la poussant irrésistiblement, en compagnie de sa fille, vers le mystère de ses origines.
Fruit d’une collaboration entre deux pointures de la bande dessinée, ce beau pavé inaugure à merveille cette année 2018. D’emblée, le lecteur est captivé par cette histoire à l’atmosphère très particulière, quasi apocalyptique, qui voit Paris littéralement noyé sous les eaux, alors que la pluie tombe en permanence. Grâce à son formidable coup de crayon et son sens du cadrage, Frederik Peeters sait parfaitement distiller le mystère dès le début, accentuant l’aspect fantastique du récit par un gros plan sur une gargouille de Notre-Dame, sur un crapaud égaré sur un trottoir, ou sur le chat noir peu amène confié à Betty par ses voisins… L’auteur de « Lupus » fait preuve ici d’une grande virtuosité tant dans le dessin - magnifique, ces paysages de montagne dans la brume, avec un beau rendu à l’aquarelle - que dans la mise en page, très dynamique, tandis que le choix du noir et blanc est tout à fait adapté au climat menaçant de ce conte moderne.
Le dessinateur genevois fait ainsi honneur au scénario de Serge Lehman, très maîtrisé de bout en bout et ne souffrant d’aucun temps mort. Pour ce faire, Lehman a puisé dans la mythologie juive et la littérature fantastique française du début du XXe siècle, en organisant une rencontre explosive entre le légendaire golem et une sorte de cousin du Fantôme de l’Opéra prénommé Max Corbeau, avec en toile de fond un antique secret lié à la sorcellerie. Comme il le dit lui-même, l’auteur cherche par son travail à redonner au fantastique français la place qu’il a perdue au profit des Américains, en raison notamment de l’état d’esprit trop cartésien qui règne dans l’Hexagone. Et on se rend compte en effet que ce thriller terrifiant, qui ne se contente pas de singer les comics d’outre-Atlantique, n’a absolument rien à leur envier, bien au contraire !
Outre l’aspect fantastique du récit, les personnages ne sont pas négligés pour autant. Qu’ils soient principaux ou secondaires, ils sont tous bien campés, qu’il s’agisse des héroïnes, très attachantes, ou à l’inverse de Max Corbeau, créature vicieuse et cauchemardesque sortie tout droit d’un tableau de Jérôme Bosch. C’est bien ce qui rend cet ouvrage tout à fait unique, comme si le genre fantastique avait fait alliance avec le récit psychologique à la française. Car la quête à laquelle se livre Betty est finalement un peu celle de tout un chacun : remonter à ses origines pour comprendre qui l’on est, chasser ses vieux démons pour, peut-être, enfin trouver l’apaisement…
Entre roman graphique, légende urbaine et conte immémorial, « L’Homme gribouillé » s’impose déjà comme un classique du genre. La synergie entre les deux auteurs semble avoir fonctionné à plein, et laisse véritablement espérer qu’ils n’en resteront pas là.
Les éditions
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Homme gribouillé
de Peeters, Frederik (Illustrateur) Lehman, Serge (Scénariste)
Delcourt
ISBN : 9782756096254 ; EUR 30,00 ; 17/01/2018 ; 320 p. ; Album
Les livres liés
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Les critiques éclairs (5)
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Une quête famililale surnaturelle !
Critique de Frunny (PARIS, Inscrit le 28 décembre 2009, 59 ans) - 13 mai 2021
328 pages et autant de "planches" (c'est le terme me semble-t-il en BD) éblouissantes.
Une enquête passionnante teintée de surnaturel, servie par un dessin en noir et blanc fouillé, créant des ambiances angoissantes (des paysages sous la pluie, le froid, la neige,.... )
Une mère et sa fille se lancent sur les traces de l'Histoire familiale pour le moins torturée et dangereuse.
Un monstre imaginaire (?)... l'Homme-corbeau aux pouvoirs maléfiques qui tente de perpétrer un rite millénaire doit faire face à une adolescente espiègle et 2.0.
Un thriller fantastique que j'ai avalé en 2 jours.
Seule "petite" déception; la fin qui semble un peu bâclée.
Une belle découverte que je n'aurais probablement jamais lue sans le Prix CL 2021.
Les conteuses
Critique de Fanou03 (*, Inscrit le 13 mars 2011, 49 ans) - 18 février 2021
Je rejoins par contre Vince et Hervé sur la gestion du scénario. Je trouve personnellement dommage pour commencer que l’origine de Max reste confuse. C’est soi-disant un golem : pourquoi ne pas lui avoir donné clairement donné cette origine, monstre d’argile à qui on a donné une âme ? Il me semble que cela aurait été plus cohérent. Le combat final était une bonne idée mais peut-être réglé trop rapidement. Cela n'aurait-il pas mérité qu'on y passe un peu plus de temps ? C'est quand même le combat des Titans, le bouquet final ! Bref il y a quelque chose qui m’a gêné dans l’articulation des deux fils narratifs principaux. Il y a aussi un paradoxe: le titre de l'album fait référence au deuxième monstre mais qu'on voit moins et qui est moins charismatique au final que l’impitoyable Max. J’ai été aussi surpris par la violence explicite des pages où Max massacre Salomon et ses amis.
Je suis néanmoins très heureux d’avoir lu cet L’Homme gribouillé qui avait effectivement reçu beaucoup de louanges et dont le titre et la couverture étaient très attirants. Tout en noir, blanc et gris, avec une certaine rondeur dans le trait, il est très agréable à lire graphiquement et les deux « Monstres » de l’album, assez saisissants, sont très réussis.
Histoire familiale
Critique de Vince92 (Zürich, Inscrit le 20 octobre 2008, 47 ans) - 10 mars 2020
Très vite, Betty et Clara au cours de leur enquête découvrent à la fois le passé mystérieux de Maud, qui est ce personnage la persécutait, un certain Max Corbeau, réincarnation maléfique d'un personnage du passé et surtout retracent le passé étrange de leur famille véritable, les Singer, une famille de femmes liée par un mystère profond et une sorte de mysticisme juif européen...
Le dessin de Peeters d'abord: Comme je le disais, il est excellent, très évocateur. Il est parfaitement adapté la nature du scénario, le noir et blanc seyant admirablement au caractère très sombre de l'histoire. Les cases de décors sont magnifiques: ainsi cette vue de l'église Saint-Maimboeuf de Montbéliard émergeant de la brume est-elle particulièrement belle... Paris sous le déluge est également très bien rendue...on frissonne en suivant Max Corbeau dans ses oeuvres. Ce personnage rempli parfaitement son office: lancé à la poursuites des héroïnes, il a la tête de l'emploi... tête et corps de corbeau, il est horrible et constitue sans doute la belle trouvaille des auteurs.
La belle trouvaille car malheureusement, j'ai été un peu déçu par cet album du fait d'un scénario qui, plein de promesses jusqu'au deux tiers de l'album, soudain se délite un peu lorsque Betty et Clara rentrent en contact avec les Traversants sur le lieu de l'affrontement final des forces maléfiques. J'ai trouvé que ce scénario sombrait dans le grand guignol en donnant corps à la menace, en incarnant le danger. Comme Tolkien qui laissait deviner à ses lecteurs la puissance de Sauron, Lheman, le scénariste aurait sans doute gagné à faire de même avec le Géant, puissance tellurique qui se réveille tous les trente ans.
Malgré cette déception, la lecture de cet épais roman graphique est tout de même agréable... les dessins étant le principal motif de satisfaction.
L'homme gribouillé
Critique de Nathavh (, Inscrite le 22 novembre 2016, 60 ans) - 26 juin 2018
Trois générations de femmes :
- Maud la grand-mère, écrivain pour enfants
- Betty, la mère, aphasique qui perd la voix et utilise l'écrit, pas étonnant, elle travaille dans une maison d'éditions.
- Clara, la petite-fille qui raconte très bien des histoires, le point commun de cette famille.
Une étrange visite nocturne d'un personnage surprenant, inquiétant homme oiseau en pleine nuit, c'est Max qui sonne à la porte. Il vient chercher le paquet que Maud ne lui a pas apporté, et pour cause celle-ci se trouve dans le coma victime d'un AVC.
Mais qui est Max le corbeau ? Que cherche-t-il ?
Un secret, un chantage vieux de plusieurs années.
Je ne vous en dis pas plus si ce n'est que ce gros roman graphique de 330 pages en noir et blanc se dévore. C'est super bien conçu, le graphisme est magnifique, l'univers oscille à la frontière du réel et de l'imaginaire fantastique.
Un récit puissant, surprenant, mélant psychologie, folklore juif, fantastique. C'est envoûtant. La tension monte au fil du récit, les personnages sont intrigants.
J'ai adoré. A découvrir de toute urgence.
C'est encore un ♥
Une jolie phrase
Mais le néant se croit vivant quand on lui donne un nom.
Angoisses et mystères garantis
Critique de Hervé28 (Chartres, Inscrit(e) le 4 septembre 2011, 55 ans) - 16 avril 2018
Je dois dire que j’ai adoré le dessin en noir et blanc de Peeters, qui mérite amplement qu’on s’y attarde. Il excelle aussi bien dans les scènes d’actions, que celles se déroulant à Paris et même les planches muettes sont superbes ! Vraiment du très bon Peeters sur le coup. Superbe travail !
Côté scénario, la première partie va crescendo et l’intrigue nous tient en haleine constamment au fil des pages, on sent la tension monter. Et puis vers la fin, j’avoue que le recours aux légendes du Judaïsme, même si je m’y attendais, a un peu refroidi ma lecture. C’est sans doute mon côté rationnel qui en prend un coup.
En mêlant le destin de Max le Corbeau à celui de la mystérieuse créature, on finit par ne plus savoir le rôle de chacun, comme si le scénariste Serge Lehman ne savait pas comment achever son récit de manière linéaire. A trop mélanger les légendes, on finit par s’y perdre et avoir un goût d’inachevé, une fois le livre reposé. Le rôle de Max depuis encore plus obscur au final , et je ne crois pas avoir vu d’explication précise sur l’origine de ce personnage.
Reste un très bon travail des deux auteurs, une réflexion sur les origines, et les silences au sein d’une famille assez particulière, il faut dire.
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