Léopold II, potentat congolais de Pierre-Luc Plasman

Léopold II, potentat congolais de Pierre-Luc Plasman

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Economie, politique, sociologie et actualités

Critiqué par Saint Jean-Baptiste, le 31 mars 2018 (Ottignies, Inscrit le 23 juillet 2003, 88 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 10 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (2 183ème position).
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Léopold II, un roi trop grand pour son pays

Il est des noms dans l’Histoire qui garderont à jamais une auréole de gloire, tels Louis IX, Jeanne d’Arc, La Fayette, le Maréchal Ney et, plus près de nous, les Churchill et de Gaulle... Il en est d’autres qui, pour toujours, porteront le poids de l’opprobre et du mépris. Léopold II, Roi des Belges de 1865 à 1909, est de ceux-ci. Un prétendu historien américain l’a placé au troisième rang des plus grands criminels de tous les temps, après Hitler et Staline mais avant Mao-Tse-Tung, Pol-Pot, Tamerlan et autres Attila. Excusez du peu !
Les Américains ne reculent devant rien !

Le livre ici présenté est plus sérieux. Son but est de rétablir la vérité sur Léopold II et sa possession personnelle du Congo, de 1885 à 1908. (Donc, avant qu’il ne lègue le Congo à la Belgique et que le Congo ne devienne une colonie belge).

Beaucoup d’auteurs ont écrit sur le sujet. La plupart se sont recopiés. Tous ceux qui ont confondu l’enquête historique et le réquisitoire n’ont retenu des archives que ce qui alimentait leur dossier à charge. D’autres ont servilement recopié les célèbres rapports de Elmund Morel et de Roger Casement datant de 1903. (On sait que ces rapports étaient rédigés sur commande dans le but d’enlever la possession de Léopold II pour l’inclure dans l’Empire britannique).

Le pseudo historien américain, Adam Hochschild, dans son livre paru en 1998 et intitulé « Un Holocauste oublié », ne s’est pas contenté, lui, de recopier ces rapports ; il y a ajouté une kyrielle de mensonges et de calomnies invraisemblables… Et, si son but était de ranimer les controverses au sujet de Léopold II et de la colonie belge, il faut le dire, c’est réussi.

Depuis lors, les calomnies les plus folles se sont données libre cours. Pour preuve, ce reportage filmé de la radio télévision belge francophone – chaîne subsidiée par l’État – visant à démontrer que le sida avait été introduit au Congo par un médecin belge en 1955… Plus stupide que ça, tu meurs ! Ce reportage a pourtant été diffusé un peu partout en Europe, y compris sur une chaîne française à grand public en 2004.
Il est des chaînes TV qui ne reculent devant rien !

Et comme la veine est porteuse on s’en donne à cœur joie : la BBC a réalisé, en 2004 encore, un film diffusé dans toute l’Europe et en Afrique sur « le génocide des Belges au Congo ».
Et la curée continue : en 2005, on réédite les pamphlets de Mark Twain, datant du XIXème, où l’on parle de dizaines de millions de mains coupées (sic), de génocides et de cannibalisme chez les exploiteurs belges de caoutchouc (re-sic) ; et ces ignobles joyeusetés sont reprises sans réserve par des journaux américains et, en France par « Le Monde » qui, lui aussi, ne recule devant rien !

Et, tout faisant farine au bon moulin, le petit jeu continue : Jacques Vergès, cet avocat français de sinistre mémoire, n’a pas hésité quant à lui à recopier mots pour mots les textes de Hochschild parlant du « génocide de Léopold II au Congo » dans son dernier livre « Les Crimes d’État ». On l’aura compris, tant que ça rapporte, on tapera sur le clou ! ...et on enfoncera, toujours un peu plus, Léopold II.

Tous ces clichés sur Léopold II sont reçus comme des vérités indiscutables ! Dans l’espoir d’y mettre fin, il était indispensable d’avoir une étude systématique sur les structures et les institutions du Congo quand il n’était encore que la possession de Léopold II. C’est sur ce travail que de Pierre-Luc Plasman, historien réputé et chargé de cours à l’université de Louvain-la-Neuve, s’est appliqué ; il nous le présente dans ce livre.

Ce prodigieux travail arrive au bon moment pour nous dire enfin la vérité. Et elle n’est pas rose, cette vérité, il faut bien le reconnaître ! Elle est même extrêmement tragique.
Ce livre ne nous épargne rien. Il se veut d’une objectivité totale, sans jugement, ce qui en fait l’originalité.

Il y a eu des mains coupées ! Mais l’auteur explique : il nous dit que les mains coupées étaient un châtiment des esclavagistes arabes : quand un esclave tentait de s’enfuir on lui coupait une main pour l’exemple. Dans les exploitations de caoutchouc il est arrivé qu’on coupât des mains mais, sur des cadavres. Les surveillants indigènes des exploitations recevaient des cartouches. Mais ils avaient tendance à les utiliser pour la chasse ; si bien qu’à chaque cartouche tirée sur un fuyard, le surveillant devait ramener une main comme preuve. La grande horreur, bien entendu, est qu’on obligeait les surveillants à tirer sur les fuyards.

Des villages indigènes ont été brûlés. Les commissaires envoyés sur place l’ont constaté. Mais personne n’a jamais su qui avait brûlé ces villages. Les indigènes interrogés ne comprenaient pas les questions qu’on leur posait ou refusaient de répondre ; et ces faits ne figurent évidemment jamais dans les rapports des sociétés exploitantes. Alors était-ce le résultat de luttes tribales, ou des représailles contre des villageois qui refusaient de travailler ? L’auteur ne nous cache rien mais, quand il ne sait pas, il n’invente pas.

Il y eu d’autres crimes horribles, ils sont relatés dans ce livre, mais l’auteur les remet dans leur contexte. Pas pour les excuser mais pour les expliquer : dans un pays grand comme 80 fois la Belgique, les exploitants des sociétés concessionnaires étaient à peine une dizaine dispersés sur tout le territoire. Ils n’étaient pas préparés. Ils n’avaient pas de compétence. Ils étaient la plupart du temps atteints par les épidémies qui ravageaient ces régions et n’avaient jamais aucun espoir de retour au pays. (Le trajet d’un poste d’exploitation au port le plus proche, prenait une douzaine de semaines et il fallait encore qu’un bateau soit là puis, compter encore une douzaine de semaines pour la traversée jusque la Belgique).

Les trop rares rapports des concessionnaires cachaient la vérité à Léopold II, parce que le porteur de mauvaises nouvelles n’est jamais bien reçu ; mais l’auteur, honnêtement, nous dit que le roi ne cherchait pas trop à savoir. Quand les commissions d’enquêtes anglaises, françaises et allemandes ont été connues, à partir de 1903, le roi a bien dû se rendre à l’évidence et il a pris des mesures extrêmement sévères. Il a été jusqu’à exiger que les sociétés arrêtassent leur exploitation.

Pourtant le roi était actionnaire de ces sociétés. Il avait investi pratiquement toute sa fortune personnelle dans le Congo. Il était même fortement endetté et les banques refusaient de lui accorder encore le moindre crédit. Les récoltes d’ivoire avaient été un fiasco et il devait se refaire sur le caoutchouc.

L’auteur s’est appliqué à décortiquer minutieusement les finances du roi. Le résultat est très intéressant. On apprend que, contrairement à la légende, le roi n’a pas fait fortune avec le Congo. Ses rentrées ont servi à financer l’installation des missionnaires qui avaient reçu l’ordre d’établir des écoles, des dispensaires et des lieux de culte. Pour son Congo, le roi poursuivait très sincèrement un objectif de civilisation ; mais, en même temps, il voulait, bien évidemment, récupérer ses investissements par l’exploitation des richesses de son domaine.

Léopold II s’était fermement donné pour idéal de créer en Afrique un « État modèle ». A défaut d’un État modèle, son Congo deviendra plus tard, et jusqu'au 30 juin 1960, la colonie modèle, admirée autant que convoitée, dans le monde entier.
S’il s’est un peu enrichi dans les dernières années, cet argent à servi à financer les grands travaux de prestige que Léopold II a voulus pour Bruxelles et pour la Belgique.
Il voulait faire de la Belgique un pays prestigieux. Il voulaient surtout que les Belges soient fiers d’être belges.

A-t-il réussi ? On peut en douter. Et je crois qu’il ne s’est jamais fait d’illusion : quand la mort lui a fait signe de replier ses ailes de géant, il a légué son Congo à la Belgique... qui l’a d’abord refusé ! Et, dans son dernier souffle, on l’entendit murmurer : « petit pays, petites gens, petit esprit… ». Aujourd’hui des excités, incultes et manipulés, déboulonnent ses statues sur les places de Bruxelles.
Décidément, encore et toujours, il en est qui ne reculent devant rien !

Alors, on peut entendre notre grand roi, trop grand pour son pays, se retourner dans sa tombe, en murmurant : « petit pays, petites gens, petit esprit... » !

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Un ouvrage objectif et nuancé

10 étoiles

Critique de VLEROY (, Inscrit le 9 janvier 2006, 45 ans) - 11 novembre 2018

Cet ouvrage intéressant, bien documenté et objectif est l'adaptation d'une thèse de doctorat en histoire présentée à l'Université Catholique de Louvain en 2015. Ce n'est pas une biographie du roi Léopold II, mais une étude du fonctionnement de l'Etat Indépendant du Congo.

Pierre-Luc Plasman commence par retracer le rêve colonial du souverain qui aboutit lors de la conférence de Berlin de 1885 par la création de l'Etat Indépendant du Congo. Il nous explique ensuite comment travaille le gouvernement congolais à Bruxelles, le rôle des secrétaires généraux, les rivalités et oppositions entre les uns et les autres, les différents canaux d'information du Roi. Il fait de même avec l'administration léopoldienne au Congo. Pierre-Luc Plasman revient aussi sur les atrocités commises que plus personne ne peut nier aujourd'hui.

Après nous avoir expliqué concrètement le fonctionnement de l'Etat Indépendant du Congo, l'auteur détaille les critiques et dénonciations contre les violences, les campagnes de presse anticongolaise qui aboutissent à la création d'une commission d'enquête. Léopold II décède en 1909 et lègue le Congo à la Belgique.

Quelle est la conclusion de Pierre-Luc Plasman sur ces violences?

"Les massacres ne sont pas ordonnés par le gouvernement léopoldien, mais ils se produisent dans un contexte d'incitation permanente à accroître la production tout en laissant le champ libre aux acteurs sur place. Hauts fonctionnaires territoriaux et directeurs de sociétés abusent largement de leurs prérogatives, tandis qu'agents subalternes et sentinelles africaines intègrent la bestialisation de leur comportement dans leur cadre de travail. Les violences ne se limitent pas aux régies de l'Etat. Elles se déchaînent même avec plus de brutalité dans les concessions, où la productivité permet toutes les exactions. Aussi horribles soient-elles, ces violences de masse ne peuvent pas être qualifiées de génocidaires. De même, la moitié de la population congolaise n'a pas été exterminée. Il existe cependant bel et bien un déclin démographique, dans lequel la terreur et la violence jouent un rôle primordial à côté d'autres facteurs, comme la dénatalité vénérienne".

Sur le rôle de Léopold II, l'auteur fait remarquer son manque d'objectivité :

"Avec l'âge, l'esprit et l'intelligence du monarque sont devenus rigides et teintés de misanthropie. A plusieurs reprises, il dénie l'existence des abus et il distingue dans la campagne anticongolaise l'expression d'une frustration de l'impérialisme anglais. Plus généralement, le Roi ne perçoit pas que la source des abus réside dans un système d'exploitation. Dès lors, son appréciation place la responsabilité sur des acteurs collectifs, à savoir les sentinelles africaines, les compagnies commerciales et la force publique. Léopold II se place dans une position défensive et offensive à l'égard des critiques et ne cherche plus dans les dernières années qu'à maintenir sans profonde modification le régime léopoldien. L'appareil étatique n'est pas non plus une pyramide sur laquelle le Roi règne sans partage, mais ressemble plus à une matriochka. Sentant le fil des jours s'écouler, Léopold II désire mettre une touche finale au programme de son règne : il veut une Belgique plus grande, plus forte et plus belle. Léopold II n'a donc pas cherché à s'enrichir personnellement, même si son train de vie est devenu - quoique tardivement - plus luxueux".

Bref, après avoir lu cet ouvrage, on ne peut plus parler ni de génocide, ni d'œuvre civilisatrice. La vérité historique est plus nuancée et est à mi-chemin entre ces deux extrêmes. Les responsabilités sont nombreuses. Et il faut aussi remettre les faits dans le contexte de l'époque.

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