Bug : Livre 1 de Enki Bilal

Bug : Livre 1 de Enki Bilal

Catégorie(s) : Bande dessinée => Sci-fi & fantastique

Critiqué par Blue Boy, le 30 décembre 2017 (Saint-Denis, Inscrit le 28 janvier 2008, - ans)
La note : 6 étoiles
Visites : 3 615 

Coup de cafard

2043 : la panique s’est emparée du monde civilisé. Le grand bug informatique tant redouté en l’an 2000 a finalement eu lieu, avec des répercussions gravissimes sur les moyens de communication et de transports partout sur Terre. Kameron Obb, seul survivant d’une mission spatiale mise à mal par le bug, est victime d’un mystérieux virus électronique qui lui transmet toutes les données disparues. Un privilège dont il se serait bien passé. En effet, l’homme désormais le plus convoité du monde va devoir vivre caché pour échapper à ses poursuivants de toute nature…

La cause est entendue : Enki Bilal est une figure incontournable dans le monde du neuvième art et son style tout à fait unique a marqué depuis longtemps de nombreux bédéphiles. Cet auteur n’a cessé au fil de ses productions de faire évoluer son trait pour tendre vers une approche quasi picturale, aux contours de moins en moins marqués, n’hésitant pas à larder son dessin de stries éthérées, à le souiller de griffures charbonneuses, telles des blessures vénéneuses. La ligne claire, ce n’était pas pour lui. Son œuvre culte, « La Trilogie Nikopol », témoigne nettement de cette évolution, il suffit de comparer le tome 1 et le tome 3 pour s’en rendre compte. Cette série lui a d’ailleurs donné l’occasion de s’essayer au métier de scénariste, lui qui jusqu’ici avait presque toujours collaboré avec l’illustre Pierre Christin.

Depuis près de quarante ans, Enki Bilal est donc seul aux commandes. Au début des années 80, la reconnaissance critique et publique de la série précitée l’avait alors convaincu que son choix était justifié. Dès lors, Bilal a exercé son métier d’auteur en toute liberté et a pu en vivre, chose assez rare dans le domaine pour le souligner et s’en réjouir. Venons-en au premier volet de cette nouvelle série…

À 66 ans, Enki Bilal peut-il encore nous surprendre ? Une fois de plus, nous avons affaire à un récit d’anticipation, un genre que l’auteur a toujours affectionné et qui ne le quitte plus depuis ses Immortels…Sur le plan du graphisme, l’auteur semble avoir définitivement trouvé son style, toujours à l’aise pour créer des ambiances froides visant à dépeindre un futur anxiogène, dans des nuances allant principalement du bleu au gris. Comme toujours, certaines cases sont saisissantes, provoquant une fascination mêlée d’effroi. Magnifique et effrayant à la fois. Comme toujours, le découpage est plus tourné vers la lenteur que le mouvement, car Bilal est aussi un contemplatif subtil, un intellectuel inquiet marqué par la guerre en Yougoslavie, son pays d’origine. Les mêmes thématiques reviennent au gré de ses productions, en particulier la montée des intégrismes religieux et du terrorisme, la prépondérance du tout-technologique et son corollaire, la déshumanisation du monde.

Une fois qu’on a dit ça, il est une question qu’on est en droit de se poser. Enki Bilal n’aurait-il pas renoncé à se renouveler ? Car l’impression qui prédomine en découvrant cet opus, et ce n’est pas vraiment nouveau il faut bien l’avouer, est celle de déjà vu. Finalement avec Bilal, chaque nouvel album publié « La Trilogie Nikopol », encore davantage depuis « Le Sommeil du monstre », ressemble un peu au précédent. Ce qui est embêtant ici, c’est que la thématique de « Bug » n’a jamais été abordée par l’auteur. Comme son titre l’indique, il y est relaté dans un futur proche la grande panne numérique mondiale, une catastrophe sans cesse annoncée par les spécialistes scientifiques depuis les années 90. Une perspective inquiétante pour un sujet ô combien digne d’intérêt. Et pourtant… cette sensation de relire toujours la même BD, avec le même univers gris et morne, des personnages tristes et peu expressifs qui ne se distinguent guère les uns des autres (on croirait même que Nikopol et Jill Bioskop sont devenus « immortels », seuls leurs noms changent d’album en album), s’avère au final un peu sclérosante. Par ailleurs, on peut ressentir de la lassitude à la lecture de ce scénario qui s’étire et s’éparpille dans tous les sens, un des principaux défauts de l’auteur, alors que, traité de façon moins alambiquée, l’histoire aurait pu se révéler passionnante.

Dire qu’Enki Bilal est un auteur surestimé n’enlève rien à son talent de dessinateur - et désormais de peintre. Dans le neuvième art, les auteurs complets et talentueux se comptent sur les doigts de la main, et lorsque le scénario est excellent, il est rare que le dessin atteigne un niveau artistique élevé.
A défaut de voir renaître une collaboration avec Pierre Christin, laquelle fut des plus fructueuses lorsque Bilal démarrait sa carrière dans les « seventies », on pourrait espérer voir ce dernier rencontrer un nouvel alter ego, à supposer qu’il en cherche un… Un premier tome en demi-teinte, donc, et que seuls les admirateurs de l’artiste sauront défendre avec sincérité. Attendons la suite...

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