Dette : 5000 ans d'histoire de David Graeber
(Debt : the first 5000 years)
Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Histoire , Sciences humaines et exactes => Economie, politique, sociologie et actualités
Visites : 3 626
Vision anthropologique de l’histoire économique, tendance altermondialiste
Le récit anthropologique des origines de la monnaie et du commerce fait passer la thèse d’Adam Smith(1) admise sans plus de preuves comme un dogme par la suite, au mieux pour un pur fantasme dû à l’ignorance au pire pour un gros mensonge. Considérer le troc comme stade premier de l’échange économique précédant la monnaie dans les peuples sans écriture est un mythe par rapport aux observations des anthropologues rapportées plus récemment(2) à Madagascar, au Brésil, dans des tribus amérindiennes, chez les Nuer et les Tiv du Nigéria, les Inuit du Groenland, les Lele du Congo etc.
Sur tout l’espace eurasiatique depuis le néolithique un même schéma originaire de Mésopotamie transparait avec ses variantes. On le retrouve en Inde, en Chine, dans les provinces grecques, plus tard dans l’empire romain. La minuscule péninsule de l’extrême ouest, hors circuit, n’émergera qu’après les grandes découvertes pour dominer le monde jusqu’au siècle dernier. A l’origine prévaut une forme de communisme égalitaire fondé sur le partage et la solidarité au sein d’un même groupe. Le crédit, monnaie virtuelle, apparait ensuite dans le cercle restreint du voisinage pour les échanges au quotidien. Ce qui fait office de monnaie ensuite n’a de valeur que pour s’acquitter à distance des tributs, des impôts, organiser des fêtes rituelles, des noces, des funérailles, autrement dit pour fixer une échelle quantitative dans des échanges occasionnels entre groupes séparés dont certains ne sont même pas mesurables. Une telle monnaie a pu prendre diverses formes d’objets, coquillages, perles, plumes, baguettes, pièces artisanales de tissus ou de raphia, plaquettes de sel avant de s’uniformiser en pièces métalliques revêtues d’un signe ou d’un poinçon.
A partir de l’âge de fer cette histoire mondiale est reconstituée en quatre périodes :
- entre 800 av. JC et 600 ap. JC l’Âge axial(3), à la fois celui des courants spirituels et religieux à vocation universelle encore présents à ce jour, et le plus violent à l’égard des débiteurs en défaut contraints de se vendre parfois avec leurs familles,
- jusque vers 1450 le Moyen Âge(4) pendant lequel les pièces ont en partie disparu de la circulation et l’esclavage a régressé,
- jusqu’en 1971(5), période des grands empires capitalistes illustrés principalement par la domination britannique,
- depuis lors une interrogation quant à l’avenir qui nous attend, marquée en 2008 par l’affaire des subprimes qui n’est autre qu’une crise de la dette renflouée par les contribuables.
Sur plusieurs siècles à chaque fois des cycles entrecoupés d’accalmies se répètent un peu partout. Des cités-états, des monarques, des princes, aujourd’hui des banques centrales, battent monnaie pour payer des soldats dont les dépenses iront alimenter des marchés et reviendront par ce biais à leurs émetteurs. Entretemps les esclaves capturés pendant les guerres sont affectés à l’extraction des métaux servant à fabriquer la monnaie. La dette, jamais remboursée des puissants, finance la guerre, la monnaie émise finit dans d’immenses trésors conservés dans les monastères et lieux sacrés. Les autres débiteurs n’ont aucun recours.
Cette histoire, celle d’un terme synonyme de ou associé à culpabilité, péché originel…, déboulonne d’autres mythes : la conscience morale exigeant remboursement quoi qu’il advienne, une dette primordiale à l’égard des dieux ou des ancêtres, le déshonneur ainsi que la punition s’abattant sur celui qui se trouve mis en défaut, une apparition simultanée et en opposition du marché et de l’Etat. Elle promeut des réflexions opposées à la doxa communément admise. Le travail signifiant liberté pour les uns est vécu comme aliénation par ceux qui finissent étouffés sous les crédits. En dépit des incertitudes, des hypothèses à vérifier, ce récit riche de 80 pages de bibliographie d’un universitaire militant met en garde contre l’extrême libéralisme financier qui se satisfait lui pleinement de la création de monnaie « à partir de rien ».
1. « Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations » publiée en 1776, inspirée par des auteurs persans musulmans du XIIe siècle
2. Parfois aussi par les missionnaires
3. Terme forgé par le philosophe allemand Karl Jaspers dans les années 1950
4. Période qui n’a rien à voir avec l’obscurantisme dont l’ont affecté les Lumières
5. A la fin de la convertibilité du dollar en or en raison de la dette consécutive à la guerre du Vietnam
Les éditions
-
Dette [Texte imprimé], 5000 ans d'histoire David Graeber traduit de l'anglais par Françoise et Paul Chemla
de Graeber, David Chemla, Paul (Traducteur) Chemla, Françoise (Traducteur)
les Liens qui libèrent
ISBN : 9791020900593 ; 29,90 € ; 21/09/2013 ; 624 p. ; Broché
Les livres liés
Pas de série ou de livres liés. Enregistrez-vous pour créer ou modifier une série
Forums: Dette : 5000 ans d'histoire
Il n'y a pas encore de discussion autour de "Dette : 5000 ans d'histoire".