Eunolie Légendes du Black Métal de Frédérick Martin

Eunolie Légendes du Black Métal de Frédérick Martin

Catégorie(s) : Arts, loisir, vie pratique => Musique

Critiqué par Numanuma, le 1 octobre 2015 (Tours, Inscrit le 21 mars 2005, 51 ans)
La note : 8 étoiles
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Black is awful

On va tenter d’évacuer rapidement l’image d’Epinal même si elle colle non sans raison à la scène Black Metal : regardez le très drôle Pop Redemption, où les tribulations d’un groupe de Black Metal français de seconde zone qui finit au Hellfest. Tout y est : les tenues, le chant guttural, la saturation, la sueur, la bière. Il ne manque que la crédibilité, le rôle du chanteur étant tenu par Julien Doré, ancien échappé de je ne sais plus quelle émission de télé crochet. Le contraste est choquant mais le jeune homme s’y montre plutôt doué.
En fait, le film étant, on l’aura compris, une comédie, il ne cherche pas à exprimer ce qu’est le Black Metal, genre musical ultra spécialisé, globalement underground et pourtant connu mondialement pour de mauvaises raisons. Très mauvaises même : incendies d’églises, meurtre, néonazisme… Youhou… Le genre est tellement mal connu et jugé comme dangereux que même le Nouveau Dictionnaire du rock, pourtant une référence, rédigé par des pointures, en parle pour moitié du point de vue musical, sans pousser bien loin, et pour l’autre moitié du point de vue de l’imagerie morbide et radicale, cette partie arrivant en premier, évidemment.
Et c’est là qu’arrive ce bouquin à la couverture d’ébène et au lettrage impeccable : Eunolie, légendes du Black Metal, de Frédérick Martin.
Bouquin atypique que cet essai plein de passion mais d’une lecture pas toujours aisée, l’auteur, également musicien, compositeur, maniant nombre de termes techniques et se laissant parfois aller à une sorte de poésie dans son propos. Je lui laisse la parole : « Ceci n’est pas un livre sur le Black Metal, c’est un Black Book. Comme un album de Black Metal, mais avec un stylo à la place du micro. (…) Eunolie s’adresse aux fans, aux curieux, aux néophytes, à ceux que le Black Metal terrorisera (…) et à ceux qu’il emportera sur son tapis volant pathologique ».
Là, tout de suite, je me dis que je ne sais toujours pas ce que peut bien signifier « tapis volant pathologique »…
Quant au terme « eunolie », il est venu à l’auteur via Unholy, dont le sens est clair. Egalement, il lui fait penser à « un prénom féminin ; ensuite, par l’inclusion de « noli », l’impératif du verbe latin « nolere », ne pas vouloir, il forme un fond métaphysique à ce que véhicule l’art musical (…) un concept négatif parfaitement adapté ; ensuite encore, « eu » signifiant « hélas », toujours en latin, on pourrait à ce degré traduire eunolie par « hélas, veuille ne pas… » ; enfin il me fait penser à une discipline chorégraphique antique et oubliée réapparaissant dans la gestique propre au musiciens de Black Metal et réunit ainsi le nom, la volonté, la lamentation, l’interdit, la torsion corporelle, résumant assez bien ce qu’il faut entendre dans cette musique ».
Je ne sais pas si cet ouvrage est un essai au sens classique, universitaire du terme, tant par le fond que par la forme mais les fans, les curieux et les néophytes ont intérêt à avoir l’esprit alerte.
Le genre est né en Norvège, c’est donc sur ce pays que s’ouvre le premier chapitre, suivi d’un autre consacré à une analyse musicale, portées à l’appui, qui s’adresse principalement aux musiciens. Suit une partie consacrée à la Suède et à la Finlande et une autre de nouveau à la Norvège ; oui, le Black Metal est historiquement nordique. Le chapitre 5, sobrement intitulé « Ailleurs », n’est rien de moins qu’un tour du monde du BM !
A ce moment de ma critique, je dois tirer mon chapeau, et tous ceux que je possède, car Frédérick Martin réussit l’exploit de parler de chaque groupe dont il mentionne l’existence, non comme un élément parmi d’autres dans la grande et sombre famille du BM, mais comme d’un élément individualisé, particulier et très digne d’intérêt. Chaque notice est inspirée et pleine de respect pour chaque groupe. Pour faire simple, chaque groupe qu’il a sélectionné peut être considéré comme une porte d’entrée non négligeable, une référence ou, au moins, comme un très bon groupe. Je le redis, c’est un exploit tant la liste des groupes choisis est longue, très longue. Il réussit même à donner l’impression que le BM est une musique que tout le monde pourrait écouter. Allez sur You Tube chercher des vidéos de Burzum, Darkthrone, Finntroll, Mayhem et autres et laisser vos oreilles saigner ! On en reparle juste après.
Le chapitre 6 est consacré aux conditions d’émergence du BM. Peut-être le chapitre le plus intéressant et le plus difficile à lire. Le chapitre 7 fait la part belle à la très active scène française et le 8 rassemble des traductions de chansons dont l’intérêt littéraire est, disons, variable. Suivent un glossaire bienvenu et une liste des labels. Vient ensuite une Petite philosophie du Mal, là encore, pas facile et une énaurme liste des groupes par pays.
Evidemment, malgré toute l’érudition, toute la passion mise au service du texte, l’image est tenace, ne serait-ce que par le lettrage illisible qui semble être la norme de cette scène. A chaque entrée, le groupe est illustré par son logo, toujours son nom écrit en caractères gothiques, pour faire simple, tellement entremêlés qu’il faut être typographe pour déchiffrer quelque chose.
Choix éditorial, esthétique ou économique, je ne sais : aucune photo ne vient illustrer le propos. Avec le recul, c’est sûrement une bonne chose, les peintures corporelles, le cuir, les poignets cloutés, les cartouchières, le faux sang, les cicatrices et scarifications et autres artifices satanistes, même pleines de sens pour les musiciens de BM, sont la plupart du temps sources de sourires amusés de la part du grand public. Et il faut bien l’avouer, la frontière avec le ridicule est souvent franchie. Tapez « Black Metal » sur le Net, vous verrez. Et je n’évoque pas les surnoms des musiciens, on dirait un rassemblement de démons de 9 Enfers et de toute l’œuvre de Tolkien…
Or, le propos de l’auteur est de montrer que ce mouvement est bien plus intéressant et ouvert que les clichés qu’il véhicule. Les tenues noires, les croix inversées, les riffs viennent en ligne droite de Black Sabbath, probablement le seul groupe à faire l’unanimité dans tous les genres du Metal. L’imagerie cuir/maquillage vient d’un autre groupe anglais, Venom, légende vivante qui tourne toujours, on l’a vue au Hellfest cette année.
Musicalement, le BM se caractérise par l’absence de soli, ce qui le distingue du Death Metal, son cousin en pleine lumière, le BM préférant l’ombre. Nombre de formations sont en fait l’œuvre d’un seul homme. Le genre est ouvert à des mélanges : instruments folkloriques, claviers, boîtes à rythmes, le growl laisse parfois la place au chant clair, etc… Bon, de là à dire, comme l’auteur, que les mélodies sont envoûtantes… Je n’ai pas encore trouvé de groupe de BM que je pourrais qualifier de mélodique mais mon savoir dans ce domaine est des plus limité.
Violente, agressive, férocement anti système, le BM, au-delà de ses chapelles, national socialiste (et oui, ça existe malheureusement), pagan, sataniste, true black metal, symphonique, doom, voire white metal (la même chose mais avec Jesus à la place de Satan)…, ne serait finalement que le résultat de l’état de notre monde : « Le BM est la lueur occulte et musicale d’une puissance de destruction accompagnant d’autres événements symptomatiques de fin de la civilisation. Sa beauté vient des formes du déclin et de renversement spirituels traduits en son. »

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