De Révolution en République: Les chemins de la France de Mona Ozouf

De Révolution en République: Les chemins de la France de Mona Ozouf

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Histoire

Critiqué par Colen8, le 16 juin 2015 (Inscrite le 9 décembre 2014, 82 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (22 898ème position).
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Une identité composée, controversée, un héritage en devenir

Bretonne, normalienne, philosophe, historienne, Mona Ozouf nous livre ce best-of de 50 ans d’écrits consacrés à la Révolution française et à ses conséquences au-dedans du pays comme au dehors jusqu’à nos jours. Ses premiers travaux, publiés en 1976 portaient sur la fête révolutionnaire. Outil de propagande utilisé aussi dans le but pédagogique d’instruire les esprits, besoin de réaliser l’unité de la nation en la faisant communier à un objectif commun, soutien de l’action contre l’Eglise, nécessité de fixer un terme à la période révolutionnaire, la fête a mobilisé des ressources, a occupé un espace temporel et géographique que l’on peut avoir du mal à comprendre. Ce qui nous est livré ici dans une reproduction in extenso est un travail de chercheur minutieux, rigoureux, créatif et en même temps vivant. Fondés sur les procès-verbaux des communes, sur les témoignages des acteurs et des spectateurs, sur les discours, sur les journaux, ce sont des récits restitués comme des reportages dont il ressort une impression mitigée : la fête souvent vécue comme un demi-échec dans son déroulement emprunt de médiocrité ayant perdu le recueillement présent dans la fête religieuse, ou basculant hors de contrôle dans des épisodes que l’on voudrait bien effacer. C’est aussi toute l’histoire de la Révolution abordée sous un angle différent.
Héritière en partie des Lumières, principalement de Rousseau, la Révolution est aussi une foi utopique dans les capacités de l’action politique à faire naître un homme nouveau. A trop vouloir se libérer de la domination d’un pouvoir absolu, elle a plongé dans ce qu’elle combattait puis conduit à la Terreur. Selon les interprétations et les représentations, ses partisans y ont trouvé une justification totalement récusée par ses ennemis. Y replonger avec les yeux contemporains, en dissertant sur les analyses de nos prédécesseurs philosophes ou historiens, réfléchir aux sens multiples de la devise nationale devenue officielle en 1848, interrompue par le 2nd Empire, ses revendications, ses ambiguïtés voire ses contradictions est un aspect intéressant de ce travail sur notre histoire : Liberté conquise et vite confisquée au motif de salut public, Egalité sous couvert de respect de la propriété, Fraternité au sens « des frères maçonniques » au moins autant que de solidarité envers les pauvres
Des monographies sont consacrées au destin inespéré de plusieurs figures de la Révolution : Robespierre le « rimailleur aimé des femmes », Danton « l’avocat obscur », Marat le « plumitif frustré », Saint-Just « l’archange-procureur », Mme Roland illustration de la condition féminine avec son côté romanesque plus que politique. L’exécution de Louis XVI dans une indifférence mêlée de désenchantement est restée perçue par les historiens comme un non événement. Le conflit des Girondins et des Montagnards, initiateur de la Terreur marque l’opposition du fédéralisme au jacobinisme dans une lutte de pouvoir quand la patrie en danger doit affronter en même temps les armées étrangères et les menaces intérieures. La nation une et indivisible à l’intérieur devient un credo du temps long tandis qu’elle se veut modèle universel à l’extérieur.
L’idée républicaine évoquée par les philosophes du 18ème siècle, encore jugée inapplicable dans un pays des dimensions de la France par la Constituante, apparait comme évidente après Varennes. Instaurée dès 1792, vite remplacée par la dictature avant le retour monarchique, le régime républicain mettra presque un siècle à être naturalisé. Les analyses d’auteurs du 19ème siècle montrent Taine hostile aux excès de la Terreur, Jaurès jugeant positivement les acquis révolutionnaires, Stendhal observateur partagé selon les circonstances. La Révolution s’est pourtant voulue porteuse du bonheur social pour tous. Lors des commémorations du centenaire, du cent-cinquantenaire, du bicentenaire les oppositions n’ont pas désarmé sur le sens à donner à ce qui fut vécu comme une onde de choc, aux dates à retenir, à l’ambiguïté du rôle du Panthéon, resté un espace vide et triste. Un siècle plus tard sous la 3ème République qui s’affirme fille de la Révolution accompagnée par l’engagement des instituteurs sous la férule de Jules Ferry, les manuels d’histoire transmettent à l’école l’image d’un régime indépassable par sa grandeur, par ses valeurs, convaincu de couvrir de ses bienfaits les peuples de la colonisation.
Cette compilation d’une grande richesse constitue une référence. Elle reconnait les lignes de partage de longue date de la société encore observables aujourd’hui : socialisme-libéralisme, bien commun-individualisme, laïcité-prégnance religieuse, jacobinisme-fédéralisme régional, universalisme-communautarisme. Les voir opposées conduit au conflit, quand il suffirait de les considérer dans leur complexité pour parvenir à s’entendre. La postface en forme d’autobiographie d’une cinquantaine de pages constitue une synthèse brillante et vivante. Elle invite à redécouvrir notre patrimoine commun où l’unité de surface coexiste avec la plus grande diversité.

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Les éditions

  • De Révolution en République [Texte imprimé], les chemins de la France Mona Ozouf
    de Ozouf, Mona
    Gallimard / Quarto (Paris)
    ISBN : 9782070145614 ; 33,00 € ; 05/02/2015 ; 1376 p. ; Broché
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Des fêtes, symboles et territoires de la République

9 étoiles

Critique de Veneziano (Paris, Inscrit le 4 mai 2005, 46 ans) - 13 septembre 2018

Cette intellectuelle de renom, historienne avant tout, devenue philosophe, a regroupé une série de textes épars rédigés durant sa carrière, notamment universitaire. Elle traite essentiellement du passage de la Révolution à la République, de l'héritage de l'une vers l'autre, de la célébration de la seconde par la première. Elle y traite longuement d'un thème de recherche qui s'est avéré central dans ses travaux, à savoir les fêtes révolutionnaires, leur valeur pédagogique, leur héritage et leur évolution dans le temps, car il fallait marquer les esprits sur le changement de régime, voire d'ère. Elles furent initialement assez austères, le but originel ayant été d'asseoir les nouvelles valeurs, appuyés par l'instauration de nouveaux symboles. Puis il a fallu éluder les stigmates de la guerre civile, de la Terreur, de cet héritage ambivalent.
Et ce fut paradoxalement à ce moment qu'on s'est intéressé à la diversité des territoires, à l'heure où il était recherché une homogénéisation au nom de l'égalité, à laquelle devaient contribuer la constitution et le dessin des départements et l'érection d'une seule langue unique officielle. Aussi la fête de la Fédération a-t-elle été suivie d'un rejet d'une fédération, porteuse du maintien des particularismes, là où était recherché l'égalitarisme centralisateur.
Sont dépeints les différents mouvements révolutionnaires de la Convention et les trois grands principes de la devise républicaine.

Cette somme de plus mille trois cents pages permet de se (re)faire une idée précise des valeurs et symboles de la République, de leurs origines et évolutions et de leurs places respectives, ce qui devient très important, face aux exigences communautaristes de reconnaissance spécifique, à la baisse du sentiment civique et de la culture générale. C'est un livre important.

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