La République des censeurs de Jean Bricmont

La République des censeurs de Jean Bricmont

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Economie, politique, sociologie et actualités

Critiqué par Polouilems, le 22 avril 2015 (Bruxelles, Inscrit le 24 avril 2004, 66 ans)
La note : 7 étoiles
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L'impartialité est-elle accessible?

La République des censeurs est un essai qui aborde des questions de fond de première importance, mais qui repose sur des critiques quelquefois partiales. Il traite des moyens légaux utilisés pour lutter contre le négationnisme (traditionnel, qui nie l’extermination des Juifs) et qui se termine par une analyse et une dénonciation de l’évolution actuelle de la gauche en France en général, qu'il s'agisse de la gauche de gouvernement ou de la gauche anticapitaliste.
L'ouvrage traite des principales prises de position négationnistes qui ont fait débat et secoué l'opinion publique française depuis les années 70.
Il s'agit d'un livre qui a suscité une polémique et des critiques.
L’analyse et la critique des points de vue des négationnistes et des arguments négationnistes et de leurs contradicteurs sont assez fouillées et correctes. Le livre fait état de l'évolution de la compréhension des faits et des recherches rendues indirectement nécessaires par les critiques des négationnistes. Autrement dit, il rend compte de manière assez succincte du débat à ce sujet, en particulier de celui qui a cours depuis l'adoption de la loi Gayssot et les découvertes qui l'ont suivie.
L'auteur évoque cependant dans son ouvrage les cas où les arguments négationnistes ou révisionnistes en question ne paraissent pas réellement négationnistes. Et il lui semble que les condamnations de ces arguments sont avant tout imputables à l’appartenance politique (F.N., ou extrême droite) ou à l’origine de ceux qui les emploient. Il part également du point de vue qu'au moment de l'adoption de la loi Gayssot plus personne n'est antisémite et qu'il n'existe pas de législation et de discriminations raciste, et pour lui, le recours à la censure, en particulier le manque de critique et surtout de débat cohérent au sujet de la politique israélienne, est en partie la cause de la recrudescence de l’antisémitisme. Il déplore l'impact négatif du manque de débat.
Mais le fait de se cantonner à la critique des seuls propos qui ont suscité des plaintes en justice et entraîné des procès, et de ne pas analyser plus en profondeur l'idéologie du négationnisme, son contexte psychologique, et de ne pas se demander ce qu’il en aurait été si le négationnisme n’avait pas été sanctionné, rendu condamnable, lui enlève une partie de sa valeur critique. L'auteur n'est pas loin de se demander si la législation qu'il fustige ne sert pas à interdire tout débat dans la société, mais il ne traite pas de ce problème.
A mon avis, cependant, la gauche n’a pas véritablement le choix. Si elle n'avait pas adopté de loi censurant l'expression du négationnisme dans les années 80, en pleine crise, et en pleine récession, et changé de débat, les Français n’auraient-ils pas alors carrément sombré dans le fascisme ou le chaos, il est permis de se le demander? La gauche se serait faite reléguer dans l’opposition ce qui aurait permis à une idéologie néfaste de se répandre plus efficacement. Il n'est pas du tout cela que cela eut suscité un débat ouvert et en fin de compte positif.
Pour preuve, l'idée qu'il n'existe pas de législation raciste n'est pas partagée par une partie de la gauche, et il n'y a pas de débat à ce sujet, sans pour autant que cela ne nécessite l'utilisation de règles légales. Il s'agit tout simplement d'un a priori. Comment lutter contre les a priori dans cette société?
Le recul de la gauche, ayant abandonné le terrain de la lutte et de la critique sociales, et se bornant de plus en plus à critiquer et à censurer l’intolérance et le racisme, bref à traiter des valeurs, de conflits d'"identité", et son utilisation de moyens liberticides (qu’elle reproche paradoxalement à d’autres), font redouter à l'auteur, Jean Bricmont, un retour en force de la droite et même de l'extrême-droite et celui d'un nationalisme exacerbé. Il fustige la gauche morale à l'origine de la loi Gayssot. L’adoption d’une législation politique condamnant les propos négationnistes suscite à ses yeux une véritable dérive politique.
Bref, l’auteur reproche à la gauche, de pouvoir, mais aussi à une partie de la gauche militante, d’avoir contribué à la dérive existante et s’interroge sur les conséquences dévastatrices probables d’une limitation catastrophique de la liberté d’expression.
Le problème, c'est que pour l'auteur, nonobstant la législation qu'il critique, la liberté d'expression est un fait, autant qu'un droit. Je n'en suis pas aussi convaincu. A mes yeux, la condamnation légale du négationnisme a plutôt permis de susciter un débat qu’elle ne l’a rendu impossible, et elle l’a rendu utile, empêchant qu’il ne soit une pure pétition de principe, et un abus authentique.
A mes yeux, en l’occurrence, cette censure semble avoir joué un rôle d’autant plus positif qu’elle s’est exprimée de façon strictement légale, nuancée, et moyennant des débats contradictoires, ce qui n’est pas le cas de la censure autoritaire qu’elle soit de droite ou de gauche à laquelle l'auteur l'associe. Cette censure n’a pas donné lieu à un traitement violent, même si, pas seulement dans le cas de Dieudonné, elle a quand même débouché sur une sorte de chasse aux sorcières.
Bref, il est évident que rien n'est réglé, qu'il s'agit de prendre la mesure de la situation, et le livre de J. Bricmont représente un instrument parmi d'autres pour y parvenir.

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Les éditions

  • La république des censeurs [Texte imprimé] Jean Bricmont
    de Bricmont, Jean
    l'Herne / Cave canem (Paris)
    ISBN : 9782851974570 ; 38,60 € ; 05/02/2014 ; 168 p. ; Broché
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