… on a les mêmes à la maison !

Ce sont des histoires publiées par un professeur d’Harvard et un historien des sciences de la Nasa au terme de 5 ans de recherches. Leurs enquêtes sont minutieusement relatées : dates, contextes, protagonistes, institutions, événements, conséquences, avec en notes bibliographiques les identifiants des documents pertinents en ligne. Pendant des décennies sur fond de guerre froide, quelques faucons conservateurs américains militaires ou conseillers se sont opposés à des soi-disant écologistes progressistes, en réalité à une grande majorité de la communauté scientifique dont des prix Nobel. Grâce à une poignée d’amis scientifiques éminents de leur bord, ils n’ont cessé de manipuler les opinions, de dénigrer leurs contradicteurs malgré les preuves, allant jusqu’à contester la compétence des institutions scientifiques elles-mêmes. Ils ont réussi au-delà de toute rationalité contre la santé et la sécurité publiques en retardant des décisions politiques nécessaires. Leur leitmotiv était qu’« on ne peut pas certifier le lien entre » … : tabac – puis tabagisme passif – et cancer du poumon, CFC et trou d’ozone, rejets industriels de soufre et pluies acides, gaz à effet de serre et changement climatique, guerre nucléaire et hiver nucléaire sur fond de « guerre des étoiles ».
Dès les années 50, scientifiques et médecins se sont inquiétés du tabac. Branle-bas des fabricants de cigarettes pour trouver au plus vite la parade : en recrutant leurs propres chercheurs, en leur baillant des fonds au nom de la santé. Avec de puissantes campagnes et la complicité de médias économiques ou populaires, au nom d’un doute « scientifique » et du droit à l’impartialité de temps de parole, ils ont contesté bec et ongles toute déclaration ou publication mettant en cause leur activité si lucrative. Que des millions de personnes dans le monde rendues dépendantes à la nicotine, soient décédées prématurément ne les a pas freinés.
Le scénario s’est reproduit plus tard à propos du changement climatique. Les mêmes procédés souvent activés par les mêmes personnes se sont déployés contre des membres du GIEC à l’échelle internationale. Le gouvernement américain qui s’était inquiété de l’environnement beaucoup plus tôt qu’on ne croit, a laissé sur cette question s’installer le déni, la désinformation et permis de bloquer pendant des années les décisions préconisées par les experts, preuves à l’appui.
En dépit d’un tableau assez sombre où priorité est donnée à la liberté et au marché, ces enquêtes détaillent en contrepoint les processus fortement balisés entre instances gouvernementales et institutions scientifiques. C’est ensemble qu’elles travaillent à faire la loi, décider une régulation, définir des réglementations dans l’intérêt général. Il n’empêche, la fragilité tout comme la lenteur des décisions prises par nos démocraties donne à réfléchir, car en paraphrasant ironiquement une ancienne publicité, «… on a les mêmes à la maison !»

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  Les marchands de doute [Texte imprimé], ou comment une poignée de scientifiques ont masqué la vérité sur des enjeux de société tels que le tabagisme et le réchauffement climatique Naomi Oreskes & Erik M. Conway traduction de Jacques Treiner

  de Oreskes, Naomi Conway, Erik M. Treiner, Jacques (Traducteur)
  le Pommier / Poche (Paris. 2006)
  ISBN : 9782746507272 ; 12,00 € ; 09/04/2014 ; 541 p. ; Broché

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