La France périphérique, Comment on a sacrifié les classes populaires de Christophe Guilluy

La France périphérique, Comment on a sacrifié les classes populaires de Christophe Guilluy

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Economie, politique, sociologie et actualités

Critiqué par AmauryWatremez, le 16 octobre 2014 (Evreux, Inscrit le 3 novembre 2011, 55 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (13 271ème position).
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La France méprisée

Décrivant la petite ville où l'absurdité de l'administration m'a conduit depuis septembre, une de ces villes où il n'y a personne dans les rues passé dix-sept heures excepté les poivrots locaux ou des bandes éparses de « punks à chiens », où les jeunes s'ennuient, un ami a évoqué ce livre que je me suis empressé de lire.



L'auteur est géographe, il est également celui de « l'Atlas des nouvelles fractures sociales en France » avec Christophe Noyé, ouvrage indispensable pour comprendre ce que devient notre pays, l'abîme dans lequel il risque de tomber. Finalement, et bien que Guilluy soit plutôt apparemment de gauche, son propos rejoint celui de Zemmour quant au suicide du pays. Il dresse dans ce livre qui sera perçu comme très polémique et qui est éminemment politique le tableau d'une France presque irrémédiablement cassée en deux :



la France des CSP ++ et des « rurbains » qui habitent et, ou travaillent dans de grandes métropoles régionales ou nationales, celle où l'on trouve les « bobos », voisinant avec les immigrés qui sont « leurs pauvres » et les milieux « issus de la diversité » selon la formule hypocrite à la mode, et la France de ce qui reste de la classe moyenne, la France des petites gens, souvent rurale, méprisée par les élites, c'est elles qui se nomment ainsi, et le pouvoir, celle des petites et moyennes villes qui ont fini après cinquante ans de détricotage systématique de la Nation et des liens traditionnels par perdre presque totalement leur identité, et leur dynamisme.

Cette France périphérique est celle d'une précarité sociale sans cesse accrue, une précarité matérielle mais aussi culturelle et intellectuelle, les éducateurs n'y faisant plus leur travail et encore moins les politiques, sans parler des églises, dont la catholique qui l'a laissé tomber également. Les français qui y vivent sont considérés comme trop riches pour bénéficier des aides sociales et sont trop pauvres pour arriver à se sortir du marasme économique. C'est un cercle vicieux qui implique un chômage endémique dont personne ne s'inquiète, une sous-éducation n'étant le souci de qui que ce soit, et la cause principale du vote Front National, vote qui n'a rien à voir à la base avec un vote protestataire ou un vote raciste. Les français ne sont pas racistes, ils demandent juste pour ceux de la zone périphérique l'équité sociale, et les mêmes aides que des primo-arrivants...



Nos élites autoproclamées vivant dans la France privilégiée ont tendance à considérer que les pauvres ce sont surtout les populations immigrées ou français de deuxième ou troisième génération qu'ils côtoient, qu'ils n'aident pas beaucoup plus se contentant de les faire bénéficier des minima sociaux sans éducation à la citoyenneté et aux valeurs républicaines. Bien sûr, elles ont du mal à considérer qu'elles bénéficient de privilèges exorbitants les considérant comme légitimes, et rajoutant aux prétentions matérielles de leurs ancêtres du XIXème siècle des prétentions sociales et culturelles (voir l'essai de Domecq et Naulleau sur la culture en France). La plupart auront d'ailleurs le culot ou la bêtise de dire qu'être bourgeois c'est surtout un sentiment, qu'ils ne ressentent pas, et non une situation objective...



Les dirigeants, et les oligarques, n'ont plus le souci de l'intégration économique des plus faibles socialement de leurs compatriotes, se donnant bonne conscience en favorisant plutôt les « minorités », les « communautés », ce qui leur permet de se donner d'eux-mêmes une image flatteuse. Ils n'ont toujours pas compris que cette cassure favorise le vote FN, cela ne correspond pas à leurs schémas, pour eux, ce vote est le fait de nostalgiques de Vichy et du fascisme, de skins bas du front et autres groupuscules le plus souvent infiltrés à 50 % par la BCRI (un militant, un indic...etc). La colère gronde pourtant dans ce pays abandonné à son sort, et bientôt il sera trop tard. Etre pauvre ou précaire ce n'est pas forcément faire partie d'une communauté visible...

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Prophétique

9 étoiles

Critique de Vince92 (Zürich, Inscrit le 20 octobre 2008, 47 ans) - 5 mai 2017

Lire La France périphérique à la lumière des élections présidentielles est une expérience assez édifiante. Le lecteur voit les théories de Guilluy presque exactement confirmées par la décomposition politique qui s’exécute sous nos yeux... Les grands partis de gouvernements (LR-Bourgeois conservateur- PS- Bourgeois progressistes) sont les porte-voix de cette France d’en haut qui cohabite avec les classes populaires mais ont perdu au cours des années la plupart de leurs électeurs, au fur et à mesure de la disparition des classes moyennes. Cette disparition des classes moyennes et le grossissement des classes populaires s’effectue au profit au premier chef du Front National qui progresse partout en France, suivant la géographie des plans sociaux, de la désertification des campagnes et de la disparition des services publics.
On pourrait être tenté de penser que le « phénomène Front National » peut être simplement combattu par un accroissement des richesses de cette France périphérique, or, tout n’est pas si simple. Plus qu’un problème de « pouvoir d’achat », les classes populaires ont le sentiment d’être les sacrifiés de la marche à la mondialisation : relégués dans la périphérie des grandes métropoles françaises (qui génèrent 80 % de la richesse nationale), leur membres ont la nette impression de ne compter pour rien : exclus des politiques de la Ville dirigées avant tout vers les banlieues de ces métropoles, victimes de la disparition des services publics comme de l’offre médicale, éloignés des bassins d’emplois, ils sont, plus que la catégorie souvent plus choyée des immigrés, les nouveaux parias de cette société qui peine à faire prospérer le fameux vivre-ensemble. Car qu’on ne s’y trompe pas, c’est bien la question identitaire qui semble motiver le vote FN dans les coins reculés de la France périphérique comme le montre à la fin de son ouvrage Christophe Guilluy. Est-ce à dire que les Français sont racistes, et qu’ils voudraient simplement vivre entre eux, qu’ils rejettent l’autre etc...? Le géographe montre qu’en fait, les Français de la France périphérique réagissent exactement comme toutes les populations au travers la planète lorsqu’elles sont confrontées à l’insécurité culturelle née de l’immigration massive. La crainte de « devenir minoritaire » dans son quartier, dans sa région ou son pays est un puissant levier du vote FN.
Voilà donc un ouvrage fondamental pour qui veut comprendre les phénomènes politiques qui, selon tous les observateurs dans les media, sont en cours actuellement : du clivage traditionnel droite-gauche nous sommes passés au clivage intégrés-désintégrés de la mondialisation. Le pays ne forme plus un tout et il est à craindre que recoller les morceaux prendra des années. L’autre conclusion possible (et il est un peu effrayant que cela émane de Guilluy étant donné l’acuité de son observation) que tout ceci débouche vers un affrontement physique, la violence étant parfois dans l’histoire, l’ultime recours de ceux qui veulent se faire entendre.

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