Laterna magica de Ingmar Bergman
(Laterna magica)
Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Divers
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Briser le moule
Merveilleux livre de souvenirs ( plus auto-analyse qu'autobiographie, rien n'est chronologique, mais tout a une logique et tout est réfléchi..) .
Ingmar Bergman n'a, semble-t-il, jamais pu parler à sa mère. Dans le dernier chapitre, l'écoute de l'oratorio de Noël de Bach ( Le choral avançait, confiant, dans l'espace de plus en plus sombre : la piété de Bach apaise la douleur que nous inflige notre impiété.) dans une église lui inspire une ultime rencontre imaginaire avec sa mère, morte longtemps auparavant , en rentrant dans le presbytère de l'église qui le retransporte dans son enfance . Il sait que ce n'est pas le bon moment..
- Je sais que je dérange , que c'est le moment où mère désire être seule, je le sais. Avant le dîner, père se repose et mère lit ou écrit dans son journal, je viens de l'église où j'ai écouté l'oratorio de Noël de Bach, c'était tellement beau, la lumière était belle, je me suis dit tout le temps: aujourd'hui, je vais essayer encore une fois et cette fois ça va réussir.
Essayer de poser les questions qui le minent :Pourquoi a-t-on fait de mon frère un infirme? Pourquoi ma soeur a-t-elle été réduite à un cri? Pourquoi ai-je vécu avec une blessure toujours infectée qui ne s'est jamais refermée et qui me transperçait tout entier? ..Tout ce que je veux savoir, c'est pourquoi derrière cette fragile façade du prestige social nous avons vécu une aussi effroyable misère. .
Et sa mère lui répond qu'elle est si fatiguée..
Les réponses à ses pourquoi enfantins , il les donne lui-même . Ce que je vois avec certitude , c'est que ma famille était composée d'êtres de bonne volonté qui ployaient sous un héritage catastrophique d'exigences trop hautes, de mauvaise conscience et de culpabilité.
Sa mère aussi, répond finalement , et cette réponse constitue les dernières phrases de ce livre tourmenté, et intelligent:
Dans son journal , le mois de la naissance de son fils Ernst Ingmar, elle écrit: Je prie Dieu, sans confiance. Il faudra, sans doute, se débrouiller tout seul, comme on pourra.
Comme on pourra..
Et les trois enfants ont fait comme ils ont pu également, chacun à sa manière.
Je crois être celui qui s'en est le mieux tiré, avec le moins de dégâts, en me faisant menteur. Je me suis créé un personnage qui avait fort peu à voir avec mon véritable moi. Comme je n'ai pas su séparer ma création et ma personne, les dommages qui en découlèrent eurent longtemps des conséquences à la fois sur ma vie d'adulte et sur ma créativité. Il m'arrive parfois de me consoler en me disant que celui qui a vécu dans le mensonge aime la vérité.
Laterna Magica est un livre touffu , à lire à petite allure sous peine de se perdre dans ce flot de souvenirs personnels et professionnels. Avec beaucoup, pour moi , de références inconnues surtout en matière de mise en scène de théâtre. Mais on ne s'ennuie à aucun instant tant l'écriture est brillante, le récit des échecs et des failles honnête :
Je veux être embarrassant , irritant et difficile à situer..
Mais aussi au sujet de son oeuvre:
Dans sa vieillesse , Euripide , le bâtisseur de pièces, est exilé en Macédoine. Il écrit Les Bacchantes. Pierre après pierre, il assemble furieusement: les contradictions entrent en collision avec les contradictions, l'adoration avec le blasphème, la vie quotidienne avec le rituel. Il en a assez de faire la morale, il se rend compte que la partie avec les dieux est définitivement hors-jeu. Les commentateurs ont parlé de la fatigue du vieux poète. C'est le contraire. La lourde sculpture d'Euripide représente les hommes, les dieux et le monde pris dans un implacable et absurde mouvement sous un ciel vide.
Les Bacchantes témoigne du courage qu'il y a à briser les moules.
Brillant " briseur de moules", analyste fin et très souvent ironique de sa vie - et vie et travail sont chez lui totalement imbriqués-qui redevient un enfant totalement démuni quand rejaillissent les souvenirs et les mystères de malheurs jamais éclaircis, et bien d'autres choses encore , voilà tel que m'apparait après cette lecture Ingmar Bergman, un des rares cinéastes à m'avoir fait pleurer .
Le problème , avec les livres que j'aime, c'est que j'aimerais en recopier beaucoup d'extraits qui m'ont émue ou fait sourire. Car c'est souvent drôle! La rencontre avec Karajan, par exemple qui lui propose de mettre en scène Turandot. Allez, juste un petit peu..
( Ordinairement, je trouve que Turandot est une mauvaise bouillie, difficile à maîtriser et perverse, l'enfant de son époque.) Mais le regard hypnotique et clair du petit homme m'aspirait et je m'entendis dire que c'était pour moi un grand honneur, que j'avais toujours été fasciné par Turandot, que la musique en était énigmatique, qu'elle m'avait toujours subjugué et que je ne pouvais rien imaginer de plus stimulant que de pouvoir collaborer avec Herbert von Karajan.
La date de production fut fixée au printemps 89... Soudain tout devint irréel . La production de Turandot était la seule chose concrète. Je savais que l'homme devant moi avait soixante-quinze ans, moi-même j'en avais dix de moins. Un chef d'orchestre de quatre-vingt-un ans et un metteur en scène de soixante et onze ans allaient donner vie ensemble à cette curiosité momifiée. Ce que ce projet avait de grotesque ne m'effleura pas l'esprit. J'étais irrémédiablement fasciné.
Et le début du tournage de Sonate d'automne:
Ingrid Bergman lisait son rôle d'une voix de stentor, avec des gestes et des mines. Tout avait déjà été répété, fixé devant un miroir. Quel choc! Ca m'a déclenché un mal de tête et la scripte s'en est allée dans l'escalier pleurer d'effroi: jamais depuis les années trente, elle n'avait entendu autant de fausses intonations. La vedette avait fait ses propres coupures. Elle refusait de prononcer des mots inconvenants.
L'histoire, expliqua-t-elle, était assez ennuyeuse, il fallait la ragaillardir avec quelques drôleries. Pourquoi es-tu aussi assommant quand tu écris, Ingmar? Toi qui peux être si drôle quand tu veux. Elle écouta le prélude de Chopin qui est un sommet au cours du premier acte du film. Il est d'abord joué par la fille, puis par la mère: mon Dieu, mais est-ce qu'on va jouer cette musique ennuyeuse deux fois! Mais c'est de la folie, Ingmar, le public va s'endormir, tu aurais pu au moins dégoter quelque chose de joli et d'un peu court, ça va être trop ennuyeux, je vais bâiller à en mourir..
Ingrid Bergman joue le rôle d'une pianiste célèbre. Tous les pianistes ont souffert du dos, excepté, peut-être Rubinstein. Un pianiste qui souffre du dos s'allonge volontiers par terre.
Je voulais qu'Ingrid soit couchée par terre, sur le dos, au cours d'une de ses explications. Elle rit: Mais tu es complètement fou, mon bon Ingmar. C'est une scène sérieuse. Je ne peux pas jouer une scène sérieuse en étant couchée par terre. Ca va être ridicule. Le public rira. Déjà qu'il n'y a guère de choses qui fassent rire dans cette lamentable histoire, mais pourquoi faut-il absolument que tu fasses rire les gens au mauvais moment, peux-tu me le dire?
Ca partait mal..:)
Les éditions
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Laterna magica [Texte imprimé] Ingmar Bergman trad. du suédois par C. G. Bjurström et Lucie Albertini
de Bergman, Ingmar Bjurström, Carl Gustaf (Traducteur) Albertini, Lucie (Traducteur)
Gallimard / Collection Folio
ISBN : 9782070383382 ; 9,70 € ; 31/03/2001 ; 380 p. ; Poche
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Dans les coulisses d'Ingmar Bergman par lui-même
Critique de Pucksimberg (Toulon, Inscrit le 14 août 2011, 44 ans) - 10 août 2024
Ce texte m'a passionné car j'aime beaucoup le cinéma de Bergman, même si ce n'est pas le point le plus développé dans "Laterna magica". Je ne savais pas que le théâtre avait occupé une aussi grande place dans sa vie, et cela se ressent à la lecture de l'ouvrage. Bergman manifeste une franchise déconcertante. Il n'hésite pas à juger son travail sévèrement parfois, à émettre des jugements quelque peu cruels comme cette remarque sur la bouche vieillissante d'Ingrid Bergman et à critiquer clairement certains confrères quand il le juge nécessaire. A l'image de cette sincérité affichée, il ne se cherche pas à se montrer sous son meilleur jour. Il évoque ses problèmes intestinaux, souvent sujet à des diarrhées et ne cachera pas l'épisode où au sommet de la Tour Eiffel il n'est parvenu à atteindre à temps des toilettes et le retour en taxi qui s'est ensuivi. Je suis désolé d'évoquer un tel épisode, mais je trouve que cela montre cette sincérité dans ses confidences et un regard ironique sur lui-même et l'entourage. Certains génies du cinéma auraient sans doute tu un tel épisode, ce n'est pas le cas pour Bergman. Il parle de lui avec objectivité en reconnaissant certains succès et certains échecs. Parfois, il parle de lui à la troisième personne du singulier, ce qui peut faire sourire et rappeler un de nos grands comédiens français qui a cédé à cette tentation.
J'ai trouvé cet ouvrage passionnant, bien écrit et rythmé. On ne s'y ennuie pas à condition de s'intéresser aussi au cinéma et au théâtre. Dans certains passages, il imagine certaines scènes comme cette rencontre avec le fantôme de sa mère qui ne pourra que marquer l'esprit des lecteurs. Même si le cinéma occupe une place moindre dans ce roman autobiographique non-linéaire, on peut voir ce qui dans son vécu a pu alimenter ses films. Il y a des scènes de son enfance qui m'ont éclairé sur "Fanny et Alexandre". En lisant ses mémoires, ou antimémoires, tout fait sens, éclaire le personnage et son œuvre. Le ton utilisé dans l'écriture, l'enfance, son regard sur le monde artistique, la maladie, tout permet de donner du lien entre toutes ses productions et l'on réalise combien son œuvre est homogène.
Bergman se raconte
Critique de Falgo (Lentilly, Inscrit le 30 mai 2008, 85 ans) - 10 janvier 2019
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