Made in local : Emploi, croissance, durabilité : et si la solution était locale ? de Raphaël Souchier

Made in local : Emploi, croissance, durabilité : et si la solution était locale ? de Raphaël Souchier

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Economie, politique, sociologie et actualités

Critiqué par Elya, le 29 novembre 2013 (Savoie, Inscrite le 22 février 2009, 34 ans)
La note : 9 étoiles
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Manger local, vivre local

Ce livre est paru récemment (septembre 2013) aux éditions Eyrolles et est également disponible en téléchargement (légal) en epub.

Je suis depuis des années convaincue qu’il est « écologiquement » et sanitairement plus viable de consommer des aliments provenant de notre pays, voire de notre localité, et de saison. Cette croyance s’appuie sur un raisonnement qui me paraît « logique » : en consommant des aliments qui viennent de moins loin, on réduit l’impact environnemental de leur transport. On peut également mieux contrôler la chaîne production-transformation et sa conformité aux règles sanitaires. Cependant, économiquement et pratiquement, cela n’est pas évident de se fournir des aliments locaux. Et puis, ce qui nous paraît au premier abord « logique » ne s’avère pas forcément vrai ; on peut oublier plein de facteurs qui entrent en jeu. Je cherchais donc depuis quelques semaines un livre sérieux sur ce sujet. Si possible, pas un livre d’un convaincu comme moi, mais plutôt celui d’un scientifique, ou d’une personne lambda mais qui a poussé la réflexion un peu plus loin et qui est allée se renseigner dans la littérature scientifique sur le sujet. Je ne cherchais pas non plus un livre « pratique », qui explique comment trouver plus facilement des aliments locaux ; ceci viendra dans un second temps, lorsque j’aurai un peu plus d’éléments objectifs prouvant qu’il est à l’heure actuelle plus cohérent d’être, comme on l’entend depuis quelques années dans la presse, « locavore ».

Le livre de Mr Souchier a pleinement correspondu à mes attentes et renvoie également à de nombreux ouvrages, sites internet et revues qui me permettront d’approfondir mes lectures sur le sujet. Il ne porte pas uniquement sur l’intérêt d’une alimentation locale. Il serait nécessaire de relocaliser beaucoup plus d’éléments de notre quotidien : les placements financiers, l’accès aux livres, les médias, les entreprises, l’énergie… Il prône et démontre autre chose à laquelle je crois ; l’impact que peuvent avoir des actions citoyennes d’individus non organisés politiquement, qui peuvent être les précurseurs d’actions politiques plus grandes et surtout de changements sociétaux profonds. Il insiste également sur l’importance de se déconnecter un peu du système capitaliste et du processus de mondialisation (et pour cela il y a d’autres alternatives à l’autarcie !) pour être éthiquement, économiquement et écologiquement plus censé ; cela passe par des résolutions concrètes et des justifications objectives (à relativiser dans ce domaine) qui nous seront longuement détaillées.

Passons sur la préface qui, en présentant « la théorie des systèmes » d’un point de vue philosophique, ne permet pas de se faire une idée de ce qui va suivre, ni de cette théorie qui a mon avis n’est pas résumable sans simplifications à outrance en quelques pages. L’introduction dresse un mini-constat de notre société du XXIème siècle, mais sans s’étaler sur le sujet, car, et c’est ce qui est un des points forts de l’ouvrage, l’auteur préfère proposer des solutions concrètes et employer un ton optimiste plutôt que de se larmoyer durant trois plombes sur la situation dans laquelle nous sommes et qui conduira « aux pires catastrophes ». L’ouvrage de Raphaël Souchier s’articule ensuite en 3 parties, toutes 3 intéressantes, bien que j’ai préféré la seconde.

La première présente des théories et des principes qui sortent de « la théorie économique conventionnelle », si tant est que l’on puisse définir et catégoriser celle-ci. Celles-ci sont défendues et étayées par deux auteurs américains dont Souchier nous résume et traduit les thèses : David Korten et Michael H. Shuman. Je pense que leur positionnement sont critiquables mais cette partie a le mérite de nous exposer des théories du milieu « localiste-altermondialiste ». Ces deux personnalités sont des acteurs du réseau auquel Souchier se réfère énormément, le réseau BALLE (Business Alliance for Local Living Economies) qui regroupe des entrepreneurs des Etats-Unis dont la volonté est d’interconnecter des économies locales afin d’améliorer la qualité de vie et de diminuer l’empreinte environnementale.
Raphaël Souchier dément certains arguments souvent véhiculés lorsqu’on aborde ces sujets, tels que celui-ci : « Oui, mais si chaque communauté est plus autonome, n’y aura-t-il pas, globalement, moins d’échanges ? Et s’il y a moins de commerce, n’y aura-t-il pas moins de richesse ? ». Etudes à l’appui, le réseau BALLE montre que la localisation peut en réalité augmenter le commerce, on parle d’ « effet multiplicateur » de l’achat local, qui impacte positivement les emplois, les revenus et les richesses. Il faudrait bien sûr se référer à ces études car en science économique je suppose qu’il est difficile d’être aussi affirmatif. Il n’empêche, ceci est séduisant, et la seconde partie illustrera un peu plus concrètement ce qui est raconté ici.

Raphaël Souchier nous présente donc dans un second temps des initiatives individuelles ou collectives principalement aux Etats-Unis mais aussi en France ou dans d’autres pays européens qui illustrent la possibilité, l’utilité, la praticité des achats et investissements locaux. Avant cela, il démontre à chaque fois en quoi les tendances majoritaires actuelles sont néfastes et entretiennent voire majorent les inégalités (entre pays mais aussi au sein de chaque pays).
Concernant le système alimentaire par exemple, il déplore la prédominance du recours aux supers et hyper marchés. Aux Etats-Unis, c’est l’entreprise Walmart qui détient 25% du marché. La grande distribution paie très mal ses employés et l’espérance de vie des travailleurs agricoles est de 49 ans contre 78 ans pour « l’américain moyen ». La monoculture intensive abîme les sols et contribue à accélérer l’effet de serre. Raphaël Souchier postule qu’il existe des alternatives viables ; le recours à une agriculture biologique diversifiée (pas forcément labellisée) et locale (les agriculteurs doivent intégrer les étapes générant de la plus-value : transformation, production ; la distance séparant le lieu de culture du lieu de consommation ne doit pas excéder 150km). Il y a des preuves comme quoi l’agriculture biologique a un rendement comparable à l’agriculture conventionnelle dans les pays développés, et un meilleur rendement dans les pays en voie de développement ; l’auteur renvoie à une méta-analyse de 2007 et une autre étude américaine. Une multitude d’initiatives allant dans ce sens ont vu le jour aux Etats-Unis : coopérative Organic Valley, ferme urbaine Evergreen, comté de Washtenaw… En France, c’est en particulier le réseau des AMAP qui joue ce rôle.
Chaque domaine exploré (finance, énergie, médias, librairies, gouvernance d’entreprise) est donc présenté de manière similaire : constat du système prédominant, alternatives théoriques, alternatives pratiques, résultats. L’auteur s’appuie systématiquement sur des mesures et études réalisées aux Etats-Unis, mais n’oublie pas de témoigner d’initiatives françaises dès qu’il en a l’occasion. Par exemple, au sujet des énergies, il présente les mesures prises à Chambéry et dans le pays du Mené, ainsi que l’association Négawatt.

Difficile de s’arrêter de parler de ce bouquin tellement son contenu est riche et renvoie à de nombreux sujets. Pour terminer, citons cet extrait qui reflète très bien les positions et les engagements du livre, résolument optimiste :

« Les entrepreneurs et acteurs locaux n’ont pas attendu qu’interviennent des changements à l’échelle planétaire pour commencer à changer le monde à l’échelle locale. S’il doit se produire, le changement de paradigme s’opérera plutôt à travers l’émergence d’un cadre différent, non plus centralisé, globalisé et soumis à l’impératif de rentabilité financière maximale ; mais localisé, systémique, contrôlé et orienté par les producteurs et les consommateurs. Un système en train d’éclore, à côté du système actuellement dominant en cours d’obsolescence accélérée, est peut-être destinée à prendre sa relève. »

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Les éditions

  • Made in local : emploi, croissance, durabilité : et si la solution était locale ?
    de Souchier, Raphaël
    Eyrolles
    ISBN : 9782212557701 ; 20,00 € ; 26/09/2013 ; 312 p. ; Broché
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