Épistémologie et médecine

   Les sciences possèdent leur mentor ; ce héros dont l’histoire a retenu le nom car il a forgé une théorie inédite ou bouleversé une méthode ; celui dont plusieurs siècles après sa mort on lit encore les œuvres en s’exclamant « quel précurseur ! ». On pense immanquablement à Darwin pour l’évolution, Newton pour la physique, mais moins à Claude Bernard pour la médecine.

   En 1865, ce médecin et physiologiste au Collège de France rédige un essai dont le contenu est toujours d’actualité. Et pour cause, il y rapporte non pas des théories ou des connaissances, vouées à évoluer voire disparaître face à l’épreuve du temps mais une méthode. Méthode qu’il applique à la médecine mais qui exaltera tous ceux qui s’intéressent aux sciences, par son caractère universel.
L’auteur défend avec fougue l’idée que la médecine ne doit pas rester une science d’observation (doctrine Hipprocratique) mais bien une science expérimentale, dont l’investigateur peut non seulement observer les phénomènes, et donc diagnostiquer les maladies, mais aussi les modifier, et donc potentiellement les guérir. Il rejette le vitalisme, encore fortement présent au 19ème (et sous d’autres formes, également au 21ème), que Cuvier, parmi d’autres, soutient : les êtres vivants, contrairement aux corps minéraux, posséderaient une force occulte, la force vitale, qui neutraliserait les forces physico-chimique de l’être vivant. Tout phénomène incompris peut alors être expliqué par l’existence de la « vie ». Mais qu’y a-t-il de plus obscur que la vie ?
Le principe du déterminisme absolu des phénomènes réfute l’existence de cette force vitale propre aux êtres vivants, ou plutôt, certifie qu’il n’y a pas plus de force vitale que de force minérale. En effet, « les manifestations des corps vivants sont liées à l’existence de phénomènes physico-chimiques qui en règlent l’apparition ». En tant que principe, il s’agit d’une vérité immuable, à l’inverse des théories, qui sont des hypothèses plus ou moins vérifiées par les faits, et donc des vérités relatives.
Evidemment, l’auteur argumente et illustre, à l’aide notamment de ses expériences de vivisection.
   Le point de départ d’une étude doit être une observation, un sentiment ou une hypothèse. Il faut ensuite soumettre celle-ci à l’expérience comparative et à la contre-épreuve (si on supprime la condition accompagnant le phénomène, alors le phénomène ne se montre plus). Mais si l’on considère seulement le sentiment, cette vérité subjective de l’esprit, et qu’on raisonne logiquement sans expérimenter, alors on obtient un système logique sans réalité scientifique (c’est le cas des systèmes philosophiques). Claude Bernard se bat d’ailleurs contre ces systèmes, prônant plutôt l’esprit philosophique, celui qui montre les questions qui tourmentent l’humanité mais sans chercher à y répondre par le discours.
Soulignant le danger du tact médical et des idées fausses encore véhiculées, l’auteur explique aussi comment agir dans la pratique si l’on veut avoir une démarche de scientifique. Il faut simplement « faire usage de tous les moyens thérapeutiques que l’empirisme conseille », sans les employer d’après une autorité ou une superstition, en doutant. Administrer un traitement dont on doute, ce n’est pas manquer de moralité. Mais se convaincre qu’il est efficace, c’est se tromper soi-même afin de tromper les autres sans scrupule.

Si la médecine veut sortir de l’empirisme pour s’ancrer dans la science, alors elle doit employer la méthode expérimentale.

   Grâce aux notions qu’il spécifie (théorie, principe, empirisme, expérience, induction, déduction, science absolue…), ce livre pourra séduire tous les amateurs de science au sens large. Il ne nécessite aucun pré-requis, de par sa clarté, si ce n’est une curiosité envers les sciences. Claude Bernard se répète un peu, mais cela permet de retenir des éléments fondamentaux.
Si le nombre d’études expérimentales médicales s’accroît depuis le 19ème, on est pourtant loin d’un siècle où chacun accorde de l’importance à l’expérimentation et sait se déjouer des pièges des ressentis et des intuitions. Pour cela, il faut sensibiliser, et l’Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, bien que datée de 1865, saura sans doute remplir ce rôle.

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  Introduction à l'étude de la médecine expérimentale [Texte imprimé] Claude Bernard chronologie et préface par François Dagognet

  de Bernard, Claude Dagognet, François (Préfacier)
  Flammarion / Champs. Classiques
  ISBN : 9782081217935 ; 4,63 € ; 25/08/2008 ; 381 p. ; Poche

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