Quand le capitalisme perd la tête de Joseph Eugene Stiglitz

Quand le capitalisme perd la tête de Joseph Eugene Stiglitz
(The roaring nineties)

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Economie, politique, sociologie et actualités

Critiqué par Heyrike, le 11 novembre 2012 (Eure, Inscrit le 19 septembre 2002, 57 ans)
La note : 10 étoiles
Visites : 4 006 

Ici le peuple n’existe plus

Dans ce réquisitoire virulent contre le monde de la finance, l'auteur nous entraîne dans l'aventure financière des folles années 1990, période durant laquelle les acteurs de l'activité économique des Etats-Unis croyaient que tout était permis et ils ne s'en sont pas privés.

1989, chute du mur de Berlin, l'ogre soviétique vient de tomber. Le capitalisme a triomphé du communisme. Le régime soviétique (qui à vrai dire relevait plus de la dictature que de l'idéal communiste) a échoué dans sa prétention à fédérer une communauté basée sur le partage et l'équité, de l'autre côté le capitalisme à l'Américaine, fondé sur l’exaltation de l'individualisme pur et dur, devient la seule voie à suivre désormais.

Avant d’aller plus en avant, un petit retour en arrière s’impose. Années 1980, Ronald Reagan et Margaret Thatcher sont à l’œuvre, celui-ci proclame : "L'Etat n'est pas la solution aux problèmes, parce que l'Etat est le problème", tandis que celle-ci affirme : "There Is No Alternative". L’hallali est désormais lancé contre le secteur public (le budget militaire sera préservé, et sera en hausse chaque année), le démantèlement des services publics s’accompagne d’une réduction drastique des aides sociales aux plus démunis. Parallèlement les impôts des plus riches sont fortement réduits et les subventions se déversent sur les entreprises (certaines de ces subventions sont recouvertes du vernis de budgétisation du ministère de la défense). La déréglementation et la libéralisation des marchés vont être le principal axe de la politique du gouvernement des Etats-Unis durant cette période.

Retour aux folles années 1990. Le plateau du monopoly est posé sur la planète redevenue plate pour la circonstance, il n’y a plus qu’à lancer les dés. Les grandes multinationales et les banques n’ont plus qu’à jouer dans cette immense arène de la mondialisation.

Joseph Stiglitz nous plonge dans l’univers totalement irrationnel et schizophrénique du marché mondialisé. Il met à nu tous les mécanismes de cette immense machine infernale qui n'a que pour seul objectif le profit immédiat. Toutes les promesses des ténors du capitalisme déchaîné n'ont jamais été tenues dans la mesure où ce système renferme tous les maux qui accablent l'humanité depuis toujours comme la cupidité et l'égoïsme.

Les PDG des grandes multinationales se sont octroyé des salaires mirobolants en spoliant les actionnaires au titre qu'un gros salaire est synonyme d'une bonne gestion. Un hold-up largement facilité par les comptables sans scrupules et la collaboration des banques peu soucieuses de connaître la fiabilité et la bonne santé économique de ces entreprises.

L'auteur reconnaît toutes les erreurs commises par l'administration Clinton (auprès duquel il a été un des conseillers "avisé") et donc de ses propres erreurs. Trop influencé par les lobbyistes qui ont tout fait pour acculer le pouvoir politique à laisser faire le marché, elle a contribué au délitement des réglementations moribondes encore existantes. Ces groupes d'influence ont toujours prôné le non-interventionnisme de l'état sans pour autant en refuser son aide à coup de subventions (dumping) lorsque leurs affaires tournaient mal. Face je gagne, pile tu perds.

Le financement par les multinationales des campagnes électorales des représentants démocrates et républicains n'ont fait que décupler la mainmise de celles-ci sur le pouvoir politique, qui n'a pu que constater le peu de marge de manœuvre qu'il lui restait. Mais trop tard. L'injection de plusieurs millions de dollars dans la sphère politique s'est accompagnée de restrictions draconiennes pour la population qui a vu la plupart des aides sociales et les services publics fondre comme neige au soleil. Pendant que la minorité la plus riche s'enrichissait, la majorité des plus pauvres s'appauvrissait. La main invisible, censée profiter à tous, était devenue de fait totalement invisible pour la masse laborieuse. Tout cela avec la collaboration active des organisations internationales du commerce comme le FMI et de la place forte de Wall Street qui firent tout pour exporter ce modèle dans les pays émergents, exigeant d'eux ce que les Etats-Unis refusaient de s'appliquer à eux-mêmes.

Pendant que la masse laborieuse américaine tirait la langue et que les travailleurs exotiques étaient exploités, les patrons comptaient au coin du feu leurs stock-options et autres dividendes obtenus par le siphonnage des revenus salariaux. Ces illusionnistes s'en mettaient plein les poches, alors même que leurs entreprises étaient pour certaines au bord de la faillite, l'exemple le plus significatif étant celui d'ENRON. Ses dirigeants ont, durant plusieurs années, falsifié les comptes par divers artifices, pour la plupart totalement illégaux, sans que personne ne s'en rende compte jusqu'à ce que la bulle spéculative éclate au grand jour. Laissant le champ de bataille parsemé de victimes collatérales plus connues sous le nom de travailleurs, les dirigeants s'expatrièrent dans des villas cossues à l'abri des regards et de la justice. Tenir les comptes n'étaient pas leur fort, en rendre compte l'était encore moins.

L'asymétrie de l'information relative à la gestion de l'entreprise associée à l'opacité de ses activités sont des éléments majeurs qui expliquent en partie les nombreuses dérives qui ont conduit à la faillite d'un système uniquement dédié au profit maximum à court terme. Et la fusion des banques de dépôts et des banques d'affaires dans les années 1990 n'ont fait qu'amplifier le phénomène spéculatif dans des investissements qui s'apparentaient à une science occulte, sans tenant ni aboutissant.

Que retenir de tout cela ? Le système de gouvernance prétendument communiste a montré ses limites au point de s'effondrer, mais pour autant l'idéal communiste doit-il être jeté aux orties sous prétexte qu'une poignée d'autocrates, plus soucieux de conserver le pouvoir que de répondre aux besoins du peuple, ont annihilé l'espoir de jours meilleurs ? Dans cette seule alternative du grand capital que nous reste t-il ? Où se situe la marge de manœuvre ? La liberté peut-elle se faufiler au travers des coups de semonce des canons de la mondialisation sauvage ? L'oligarchie a coopté toutes les strates de la nomenklatura issue des grandes écoles technocratiques et des urnes. Les luttes pour le droit à la justice, à l'égalité et à la liberté marquent le pas, aujourd'hui. Mais demain, une fois le constat amer de l'échec des luttes menées durant plusieurs décennies pour la conquête d'une reconnaissance de la dignité du genre humain et de ses droits inaliénables réalisés, place sera faite à une renaissance d'une condition humaine libérée du joug de l'oppresseur quel soit le nom dont il se pare.

Une voie nouvelle est possible, elle adviendra lorsque la conscience collective s'emparera des armes pacifiques de la parole et de la réflexion constructive au service du plus grand nombre.

Et l'oligarchie viendra tondre nos pelouses avec le sourire aux lèvres !

Connectez vous pour ajouter ce livre dans une liste ou dans votre biblio.

Les éditions

»Enregistrez-vous pour ajouter une édition

Les livres liés

Pas de série ou de livres liés.   Enregistrez-vous pour créer ou modifier une série

Forums: Quand le capitalisme perd la tête

Il n'y a pas encore de discussion autour de "Quand le capitalisme perd la tête".