Légendes, prophéties et superstitions de la Grande Guerre de Albert Dauzat

Légendes, prophéties et superstitions de la Grande Guerre de Albert Dauzat

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Histoire

Critiqué par JulesRomans, le 5 novembre 2012 (Nantes, Inscrit le 29 juillet 2012, 65 ans)
La note : 10 étoiles
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Apollinaire au pays de Nénette et Rintintin

Les Français, à l’arrière et au front, ont vécu ce conflit de manière onirique, tant certains de ses aspects semblaient difficiles à comprendre et à accepter. Albert Dauzat, né le 4 juillet 1877 à Guéret, est en août 1914 un linguiste accompli et son "Argot de la guerre" s’imposera comme un ouvrage de référence dans l’Entre-deux-guerres, bien qu’il n’ait pas été le seul à s’intéresser au vocabulaire des poilus. Mobilisé comme infirmier dans un hôpital d’Eure-et-Loir pendant six mois, il est frappé par l’importance des rumeurs qui courent tant chez les combattants que les civils qu’il côtoie. Il les note, demande à ses amis de les lui rapporter et en cherche les origines. La dimension surnaturelle n’est pas à chercher uniquement dans les bobards mais aussi dans les prédictions, les prophéties, les superstitions et les talismans. L’avantage du livre c’est que Dauzat ne se limite pas aux données françaises, mais qu’il développe également assez la dimension anglaise et même un peu l’aspect germanique, italien et américain du phénomène. Ainsi il est assez incongru d’apprendre, qu’alors que la propagande outre-Vosges se rit et s’offusque des pratiques animistes des soldats africains servant sous l’uniforme français, est érigée à Berlin une statue de bois de Hindenburg (maréchal depuis le 27 novembre 1914) de douze mètres de haut qui pèse vingt-six tonnes. On venait y planter un clou pour se protéger ou épargner un être proche (page 289).
L’auteur donne ses sources orales ou écrites et les explications plausibles du phénomène, ainsi l’origine de la blanche colombe de la paix survolant les lignes américaines et françaises les 2 ou 3 novembre 1918 provient du passage d’un aéroplane d’un blanc absolu (page 264). On apprend également que la nouvelle, connue à Paris dès le 7 novembre 1918, de l’arrivée prochaine des plénipotentiaires allemands à Compiègne entraîne une succession de rumeurs sur la date et l’heure exactes de la signature de la fin des hostilités (page 99-101). Parfois deux évènements authentiques concomitants se conjuguent pour donner naissance à un sacré bobard. La mort de Gallieni (le 27 mai 1916) et le recul des Français à Verdun aux premiers temps de la bataille font que le général Herr (né en Alsace en 1855) responsable de la défense de Verdun de fin 1915 à début 1916 est considéré comme un traître. Selon cette rumeur, il avait reçu l’ordre d’abattre du vainqueur de la bataille de l’Ourcq, à qui on doit l’idée de l’utilisation des taxis parisiens pour amener des troupes vers la Marne (page 106).
Le 13 août 1915 le "Daily Mail" publie un interview d’un caporal des lanciers qui recoupe un article de fiction de l’"Evening news" du 20 septembre 1914. De là du haut des chaires catholiques et anglicanes, des ministres de culte tendent à souligner qu’une lumière, des archers et des anges sont intervenus aux côtés des soldats britanniques en Belgique (pages 52-53). L’auteur nous livre un petit catalogue des amulettes en usage chez les poilus : trèfle à quatre feuilles, fer à cheval, clou, objet quelconque en or, médaille religieuse, la main de fatma ou la coccinelle (connue comme bête à bon dieu) dans un médaillon pour les grands classiques mais aussi les poupées Nénette et Rintintin dont l’auteur évoque l’apparition à l’époque du conflit (pages 264-272). Des superstitions nées durant la Grande perdurèrent après, comme celle que si une même allumette sert pour trois cigarettes, l'un des trois fumeurs connaîtra un malheur. Il s’agit en fait de l’observation que les tireurs allemands d’en face ont le temps d’ajuster leur tir entre le moment où ils voient la flamme de l’allumette pour la première fois et où elle disparaît après son troisième usage. Apollinaire rapporte lui que la hantise des soldats est de rêver d’un autobus, cela vaut un décès prochain. Bien que Dauzat reprenne une autre explication provenant du poète, selon nous cette superstition n’a pu naître que dans une armée largement alphabétisée et elle provient du fait que les lettres du mot "obus" sont contenues dans "autobus".
On voit à travers la diversité de ces exemples la richesse de l’imaginaire qui se développe entre 1914 et 1918 et l’auteur commence toujours par rappeler ce que les guerres précédentes (essentiellement napoléoniennes et de 1870) avaient déjà véhiculé des idées dans chacun des domaines traités dans cet ouvrage. Ce livre permet d’approcher de façon sensible l’univers culturel des combattants ; il constitue un jalon très utile pour comprendre en particulier les ressorts qui les aidèrent à "tenir" et montre à quel point l’arrière vit au rythme d’une guerre dont il a dû mal à saisir les ressorts. Préface et notes de François Cochet, historien universitaire, apportent des informations utiles pour expliquer en particulier qui sont les personnages évoqués.

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