Trois essais sur le comportement animal et humain de Konrad Lorenz
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L'ouvrage fondateur de l'éthologie, dont l'apport dans les sciences sociales reste trop méconnu
Ce livre réunit 3 essais (écrits entre 1937 et 1954) qui constituent une synthèse détaillée des travaux et études pour lesquels Konrad Lorentz a reçu en 1973 le prix Nobel de médecine et de physiologie. Contenant peu d’anecdotes et développant en détail les méthodes spécifiques et le corpus scientifique de l’éthologie, il est d’une lecture plus ardue que celle de ses autres ouvrages et ne saurait être une initiation à l’éthologie ou à la réflexion sociale de Lorentz, qu'il vaut mieux découvrir avec « Il parlait avec les mammifères, les oiseaux et les poissons » et « Les 8 pêchés capitaux de la civilisation ».
Il est très difficile de rédiger un résumé compréhensible de ce livre sans déformer, par excès de simplification, les thèses présentées et soutenues par Lorentz. Je vais néanmoins m'efforcer de dégager les points essentiels, qui reviennent de manière récurrente dans chacun des trois essais :
1/ La connaissance scientifique du vivant a souffert de préjugés idéologiques qui ont longtemps empêché une étude inductive et objective dans le domaine de la biologie du comportement. Ainsi, le concept d’instinct n’a pas encore été clairement défini. Au XXème, des écoles opposées (les «behavioristes» et les «vitalistes») ont monopolisé le débat et se sont affrontées en s’appuyant sur des hypothèses et des théories radicales qui se révèlent erronées. Les «vitalistes», aveuglés par les théories de la totalité et de la finalité, considèrent l’instinct comme une force mystérieuse guidant le comportement animal vers la réalisation d’une finalité biologique dont l’animal peut, par l’expérience individuelle, améliorer l’accomplissement ; les «behavioristes», qui considèrent que le comportement instinctif est constitué d’une succession d’actes réflexes déclenchés par des stimuli, viennent à considérer comme représentatif du comportement animal le comportement pathologique d’animaux soumis à des expériences de laboratoire. Seule l’observation minutieuse et prolongée du comportement naturel des animaux (tâche fastidieuse longtemps jugée indigne de l’effort des savants) suivie d’une approche comparative sur la base inductive la plus large possible permet l’étude des comportements instinctifs.
2/ Les comportements automatiques instinctifs doivent être distingués des comportements acquis et des mouvements réflexes. Ils sont constitués d'un mouvement automatique endogène (= un acte invariant non acquis par l’apprentissage) et d'un mécanisme de déclenchement inné (= un nombre faible d’excitations dont la combinaison provoque une réaction unique et déterminée). Le mécanisme de déclenchement inné provoque un mouvement automatique endogène lorsqu’il génère une excitation supérieure au seuil d’excitabilité de l’animal, qui peut être précisément mesuré mais qui diminue avec le temps écoulé depuis le dernier déclenchement du comportement instinctif. La phylogenèse d'un comportement automatique instinctif et son développement par l'individu sont exactement identiques à ceux d'un organe anatomique et ont la même valeur taxonomique pour la classification des espèces.
3/ Les spécificités et les conditions d’apparition de l’homme dans le règne animal sont au nombre de trois :
• la représentation de l’espace, poussée à sa perfection chez les animaux dotés d’une vision binoculaire et qui grimpent en se servant de leurs mains : la pensée humaine s’appuie sur des représentations spatiales qui montrent qu’elle s’est formée par la nécessité d’anticiper nos déplacements dans l’espace
• le comportement de curiosité active, qui ne se développe pleinement que chez les espèces non-spécialisées (ex cités par Lorentz : l'homme, le rat, le grand corbeau) et entraîne une capacité d’interrogation de l’individu par rapport à son environnement : l’homme possède en outre une capacité de corrélation permanente entre son comportement et son environnement (on peut apprendre à un chimpanzé l’utilisation d’un marteau pour enfoncer un clou ; en revanche, on ne peut lui apprendre à doser son coup pour enfoncer la pointe en corrigeant les écarts de latéralité sur la pointe, etc.) qui semble liée à l’existence dans son cerveau d’une circonvolution temporale qui lui est spécifique et qui est aussi le centre de la parole : sa destruction accidentelle provoque d'ailleurs de façon concomitante des troubles du langage et du comportement.
• l’autodomestication (prouvée par l'existence chez l'homme de traits physiologiques et psychologiques caractéristiques des espèces domestiquées), qui a entraîné la néotonie partielle de l'homme (= maintien à l'âge adulte de comportements infantiles - ex : ronronnement du chat domestique adulte) et le maintien du comportement curieux exploratoire jusqu’à la fin de la vieillesse alors qu'il est chez les animaux limité à une courte période au début de la vie ; l’autodomestication, en provoquant la dégénérescence des instincts, a également doté l’homme d’une liberté dans l’action qui a facilité le développement des capacités cognitives ; néanmoins, elle met l’humanité en danger car la force compensatoire de la morale est insuffisante.
4/ L’observation des espèces animales domestiquées révèle que la domestication génère une régression phylogénétique, avec une hypertrophie des comportements primitifs (ceux liés à la nourriture et à la sexualité) et une atrophie des comportements évolués (ceux liés à la sociabilité), qui peuvent expliquer la dégénérescence du lien social dans les sociétés civilisées. Seule la fonction compensatrice de la morale peut endiguer les dysfonctionnements des comportements spécifiques innés et éviter l’apparition de comportement psychopathologique. Cette situation est aggravée par le progrès technique, qui dote l’humanité de capacités pour lesquelles la sélection naturelle n’a pas doté l’homme de comportements innés adaptés. Tous les animaux sociaux ont développé des mécanismes inhibiteurs de l’agression contre les congénères ; l’homme possède des armes destructrices et les utilise contre ses congénères car les mécanismes inhibiteurs n’existent pas : seule la force compensatrice de la morale peut retenir un homme de tuer d’autres hommes.
Les psychologues et les sociologues, par excès de spéculation intellectuelle, méconnaissent l'apport fondamental de l'éthologie. Or seule cette connaissance peut permettre, au-delà de la constatation de la situation inquiétante dans laquelle se trouve l’humanité, de traiter les causes de cette situation périlleuse. Aujourd'hui, les psychologues de l’enfant et les psychanalystes (ie les psychologues des profondeurs) ont commencé à comprendre l’apport fondamental de l’étude comparée phylogénétique pour élaborer une connaissance scientifique de l’homme ; néanmoins, un immense travail de recherche inductive et de synthèse reste à fournir.
Les éditions
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Trois essais sur le comportement animal et humain
de Lorenz, Konrad
Seuil
ISBN : 9782020006262 ; 8,30 € ; 01/01/1970 ; 240 p. ; Poche
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