Ni Dieu, ni Darwin : Les Français et la théorie de l'évolution de Dominique Guillo

Ni Dieu, ni Darwin : Les Français et la théorie de l'évolution de Dominique Guillo

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Scientifiques , Sciences humaines et exactes => Economie, politique, sociologie et actualités

Critiqué par Elya, le 4 décembre 2011 (Savoie, Inscrite le 22 février 2009, 34 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (13 224ème position).
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Croyance collective et connaissance scientifique

Dominique Guillo est un sociologue du CNRS qui utilise ici avec brio la méthodologie des sciences humaines et sociales afin de nous éclairer sur la vision de l'évolution par le grand public français.

La thèse est annoncée dès les premières lignes : nous, français lambda, avons tendance à voir d'un mauvais oeil le créationnisme américain. Que nous soyons athée ou non, nous affirmons pour la plupart croire en la théorie scientifique de l'évolution initiée par Darwin. Selon D. Guillo, les schèmes cognitifs que suscite notre conception de l'évolution seraient semblables à ceux soulevés par la croyance créationniste.

Le premier chapitre résume de manière très claire et synthétique ce qui fait consensus dans la communauté scientifique concernant la question de l'évolution mais aussi ce qui fait débat. Il met ainsi en évidence que ce qui fait débat chez les scientifiques (poids du hasard versus de l’adaptation, cible de la sélection (génome, cellule, population…) ) est inconnu du grand public et à l’inverse ce qui fait débat dans le grand public (sélection naturelle, finalité…) est pourtant admis par la majorité des scientifiques.
L’ouvrage vaut le détour rien que pour cette partie rigoureusement référencée et au ton impartial. L’auteur bat en brèche avec les idées reçues concernant l’évolution et les raisonnements contre-intuitifs qu’elle suscite ; l’homme ne descend pas du singe mais en est un cousin, deux êtres vivants ayant un lien généalogique proche appartiennent au même groupe quelles que soit leurs différences… En termes plus concis – termes très bien explicités tout au long de l’ouvrage- le néo-évolutionnisme de manière indubitable a rompu avec le fixisme, le finalisme, l’échelle des êtres, l’anthropocentrisme et la conception essentialiste de l’espèce.

Pour tester sa thèse de manière expérimentale, l’équipe de Dominique Guillot a constitué et disséqué différents corpus.
Le premier regroupe des ouvrages issus de manuels scolaires destinés aux enseignants et/ou élèves de l’école au lycée abordant l’histoire et la théorie de l’évolution. Le second est constitué de copies d’examen d’élèves en bac+3 issus de formation scientifique devant tracer un arbre généalogique de différents individus. Le troisième corpus reprend les courriers des lecteurs de Sciences&Vie en réponse à un numéro ayant pour sujet l’évolution. Enfin le dernier corpus est la retranscription d’entretiens oraux avec des professeurs d’école répondant à deux questions concernant l’évolution.

Les résultats et leur analyse sont édifiants pour différentes raisons. D’abord par la manière dont ils nous sont présentés ; d’une manière limpide, rationnelle et sans jugement.

« Nous ne nous demandons pas ici si les auteurs ont, dans leur for intérieur, une représentation exacte ou non de ces thèses scientifiques, encore moins si l’évolution est « bien » ou « mal » enseignée dans ces manuels : tel n’est pas notre propos ; et l’on ne saurait sous-estimer toute la difficulté de l’entreprise qui consiste simplement à mettre au jour la nature des schèmes qui sont privilégiés, qui resurgissent ou qui deviennent saillants dans le discours lorsque les auteurs sont amenés à simplifier – et donc, nécessairement, d’une manière ou d’une autre, à transfigurer – la conception savante. »

Mais aussi parce que nous nous retrouvons forcément dans les propos tenus ou rapportés dans ces différents recueils.

Surtout, parce que les conclusions que l’auteur peut en tirer semblent remarquables bien que surprenantes.

En fait, dans la croyance collective, la conception de l’évolution est proche de la conception non darwinienne du 19ème siècle. Elle se présente comme rythmée par des étapes bien précises, allant vers des complexifications et des adaptations croissantes, donnant naissance à des espèces de plus en plus élaborées et spiritualisées. Si le fixisme a laissé sa place au transformisme, notre conception du vivant est toujours teinté d'anthropocentrisme, et d'une finalité latente.
La science et la religion ou plus largement la métaphysique, loin d’être perçues comme antagonistes, semblent plutôt complémentaires, l’une ne pouvant se substituer à l’autre. Finalement, la différence de conception entre créationnisme et évolutionnisme dans le grand public vient donc plutôt des convictions qui les fondent (la morale, les autorités sacrées versus les autorités scientifiques garantes d’objectivité) plutôt que du contenu cognitif.

Comme souvent après avoir lu ce genre d’ouvrage, on ressort avec une liste colossale de livres à lire traitant sur des sujets similaires. Cependant, peu d’auteurs, de surcroit français, peuvent, je pense, prétendre à autant de rigueur, d'exhaustivité et d'éloquence sur un sujet aussi vaste, polémique et à l’encontre de nos convictions.

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Les éditions

  • Ni Dieu, ni Darwin [Texte imprimé], les Français et la théorie de l'évolution Dominique Guillo,...
    de Guillo, Dominique
    Ellipses
    ISBN : 9782729851774 ; 21,30 € ; 25/11/2009 ; 214 p. ; Broché
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De la difficulté de penser autrement

9 étoiles

Critique de Avada (, Inscrite le 26 avril 2007, - ans) - 21 janvier 2012

Ce livre traite de la manière dont les Français, qui se montrent très critiques envers le créationnisme, comprennent la théorie de l'évolution. Comme on pouvait s'en douter, ils ne la comprennent pas ou plutôt la comprennent très mal. Leur conception du vivant n'est pas darwinienne, elle s'apparente plutôt au transformisme de Lamarck : les êtres vivants évoluent et se perfectionnent car le milieu les pousse à s'adapter.

Le vocabulaire et les représentations utilisés dans une revue de vulgarisation scientifique, dans le courrier de ses lecteurs, dans des manuels scolaires et même dans un exercice réalisé par des étudiants en science témoignent de la difficulté de se détacher de certaines croyances que la théorie de Darwin a totalement remises en cause : l'anthropocentrisme, l'essentialisme, l'existence d'une échelle des êtres, le finalisme.
Chez Darwin, en effet, l'homme n'est pas le point culminant de l'évolution , il n'y a pas de hiérarchie synchronique ou diachronique entre les êtres vivants : tous sont adaptés à leur milieu tant qu'ils sont en vie. La limite entre les espèces est floue, en constante mutation. L'évolution n'a pas de but, n'est guidée par aucune force, aucune cause finale ; il n'y a pas de progrès, seulement du hasard.
Les principes contre-intuitifs de la théorie de l'évolution ne sont pas faciles à saisir, surtout si, comme le précise Guillou, on n'y a jamais sérieusement réfléchi. Les exemples choisis par l'auteur montrent que le langage, expression d'un mode de pensée millénaire radicalement différent, résiste à exprimer cette conception du vivant. Il révèle et trahit également l'ambiguïté du point de vue des opposants et des défenseurs du darwinisme.

Ainsi, dans cet extrait du courrier d'un lecteur de Science et Vie, qui défend le lamarckisme, on perçoit un glissement amusant et significatif du sens du mot "hasard" :
"la condamnation du néo-créationnisme par les néo-darwinistes... ne manque pas de cocasse : une théorie de l'Evolution se trouve accusée de faire intervenir Dieu par une autre théorie de l'Evolution faisant elle-même intervenir un autre agent pas plus prouvé, en l'occurrence, le hasard."
Ce lecteur personnifie le hasard et en fait un agent c'est-à-dire un "être agissant" car il ne peut concevoir un monde sans causalité, sans créateur et sans finalité. Ce type d'erreur se retrouve même chez les adeptes du darwinisme qui n'échappent pas à une pensée finaliste. L'un d'entre eux dit à propos de la théorie de l'évolution qu' "un principe supérieur aurait difficilement pu faire mieux pour aboutir au résultat obtenu." On n'est pas loin du "Dieu vit que cela était bon" de la Bible ...


Pour aborder cette étude, il est préférable de connaître les grandes lignes de la théorie de l'évolution car la première partie est parfois complexe. La deuxième partie se lit plus facilement.

Un livre très intéressant pour qui s'intéresse aux implications philosophiques de la théorie de l'évolution et au rapport qu'elle entretient avec le langage.

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