La Bastoche : Une histoire du Paris populaire et criminel de Claude Dubois
Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Histoire
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L'identité parisienne en voie de disparition ?
"On ne voit plus, on ne vit plus, on se regarde exister, on s'admire, s'adore à réfléchir sur son vécu de pacotille., jusqu'à en somatiser, tomber malade pour de bon !...
A sa manièrette, chacun est devenu moraliste, tantinet psychanalyste,tout part de là !
On ne se laisse plus emporter par Paris, on juge d'abord.
Bref on s'emmerde..."
extrait du livre, p 37
L'auteur de « la Bastoche » est un vrai parisien. Et quand on le lit on entend l'accent parigot, pas celui un peu grasseyant popularisé dans les films noirs des années 50, mais un accent un peu canaille, gouailleur, plus libre, moins stéréotypé. De plus Claude Dubois est bien de Paris-Pantruche où l'on aime bien se moquer des prétentieux et railler les sots qui sont comme des grenouilles voulant se faire aussi grosses que l'Éléphant en plâtre et stuc, où habite Gavroche dans « les Misérables, qui trônait au milieu de la place de la Bastille
L'espèce des vrais parisiens existe encore mais est pratiquement en voie d'extinction, principalement du fait de l'embourgeoisement de la capitale où se loger est réservé aux plus riches. Les anciens quartiers populaires de la ville, à cause de leur cachet pittoresque, ou réputé tel, sont colonisés progressivement par les « bourgeois bohèmes » qui croient alors pouvoir encore s'encanailler et avoir le sentiment fallacieux d'être demeurés de « vrais » gens alors qu'ils restent surtout des bourgeois, et ce même s'ils n'ont pas le sentiment de l'être.
Montmartre y est passé en vingt ans, la rue des Martyrs ou le passage des Abbesses sont devenus des lieux côtés, les bistrotiers y ont laissé la place à des bars à « tapas » ou à « smoothies », à des restaurants où l'on sert une cuisine insipide et sans personnalité, et bien sûr où l'on boit surtout des eaux minérales.
Le pittoresque de toutes façons a toujours été frelaté à Montmartre où, par exemple, les croûtes vendues place du Tertre, « so romantic » pour les touristes américains, sont en fait fabriquées à la chaîne en Chine.
Et derrière le pittoresque de Montmartre, il y avait aussi les odeurs de pisse ou de chou cuit, les concierges méfiantes et tous les exploités qui travaillaient pour des salaires de misère.
Maintenant à Montmartre, l'on croise surtout des touristes ou des créatifs de pub et autres espèces nuisibles, du genre à être pendus à leur smart-phone ou vissés à leur ordinateur portable à la table des cafés, ceci pour se sentir un peu hommes et femmes du XXIème siècle, pour paraphraser un dialogue d'Audiard.
Bizarrement, Audiard est d'ailleurs à la mode chez les « bobos » (pour qui le bobo c'est toujours le voisin). « Les Tontons flingueurs » est devenu un film de référence dont on cite un peu partout les dialogues certes brillants, car Audiard, qui était comme Claude Dubois un authentique « titi » parisien, savait bien recueillir tous les parfums et la saveur du « jus de la rue » et en restituer la substantifique moèlle.
Audiard est aussi un moyen commode pour des anciens petits garçons sages et des anciennes petites filles raisonnables de jouer les affranchis et de se donner des airs d'« apaches » (je parle de ce genre d'apaches).
Mais ils sont très éloignés de sa verve et de son talent car comme il le dit :
« Quand un type comme ça se retire,
y'a pas de place à prendre,
c'est la fin d'une époque. »
On parle tellement d'Audiard que ça en devient suspect et frelaté. Quant aux auteurs parisiens, on oublie souvent Alphonse Boudard, qui parle souvent et particulièrement là de la Nuit à Paris, Marcel Aymé qui décrit très bien le Paris populaire de son époque, Antoine Blondin dont on rappelle encore les exploits éthyliques et légendaires dans les établissements de la rue Bonaparte. On parle encore moins d'Albert Simonin, encyclopédie vivante de l'argot tel qu'il se « jaspinait » vraiment, sans forcer, contrairement à ceux qui voudraient nous faire croire comme Pierre Perret qu'ils « l'entravent » comme des durs de durs alors qu'on voit bien qu'ils font semblant. On veut bien citer Céline à la rigueur, pour le parfum de souffre qu'il y a autour de lui.
Didier Daeninckx décrit lui aussi le Paris populaire et interlope, mais il le fait en anthropologue, et on a du mal à croire que cela parte du coeur.
Après Montmartre, c'est Belleville
Le Paris de Claude Dubois, et « la Bastoche » dont il part dans son ouvrage, ont presque complètement disparu, les voyous ne sont plus les mêmes et il reste très peu de quartiers populaires. Pour raconter l'histoire de ces lieux chargés de mémoire, Claude Dubois part de la Bastille, celle du Faubourg Saint-Antoine, qu'il appelle « la Bastoche » comme Bruant, celle des rues borgnes et mal famées, signalées par « la guillotine à bourgeois », une simple palissade de bois que le citoyen respectable n'avait pas intérêt à franchir, s'il tenait à la vie et sa bourse.
Parfois, il arrivait qu'on ne distingue pas les voleurs des honnêtes gens ou réputés tels, particulièrement quand ils se retrouvaient dans les « musettes », qui étaient à l'origine des bals pour les auvergnats de Paris.
Ceux-ci se retrouvaient en costume régional. S'y sont mêlés petit à petit les « gros bras » et « mistoufles » du quartier, et de « bons messieurs » et « belles dames » en grands habits.
Les « musettes » attiraient alors des « filles » de mauvaise vie », souvent des petites provinciales montées à Paris pour chercher une place de domestique et qui finissaient sur le trottoir, tout comme des filles-mères qui n'avaient plus que cette solution pour survivre. Elles envoyaient pour la plupart toujours de l'argent à leurs parents qui n'y voyaient pas toujours malice.
Pour sortir de la misère, et narguer les autorités incapables de les aider, certains choisissaient des voies radicales pour s'enrichir : dévaliser le bourgeois, lui faire les poches, faire "travailler" des filles, ce qui permettait de "relever les compteurs", obtenir un crédit au bout d'un revolver, un crédit « revolving » d'un genre plus radical.
Tous ces criminels faisaient aussi partie du vrai Paris populaire d'antan qu'il faisaient vivre, faisant partie du système finalement, compensant ses manques.
C'était une ville moins frelatée que maintenant par le goût de l'"authentique".
De l'authentique, le Paris canaille en avait à revendre, de manière quelques fois très dure. Les truands ont d'ailleurs inventé d'autres langages très rapidement pour ne pas être compris des flics ou de leurs sbires « en bourgeois » : "verlan", argots régionaux divers, « louchébem » parlé par les bouchers des Halles, et aussi par les voyous et les putains du quartier, et autre javanais.
Il y avait aussi une mémoire politique, les souvenirs de ce quoi les bourgeois sont capables quant on conteste leur autorité, à commencer par la répression "versaillaise", positiviste et « républicaine » contre les "communards" qui venaient souvent de Montmartre et du Faubourg Saint-Antoine.
Le banditisme se doublait alors parfois de revendications politiques ainsi pour la « Bande à Bonnot », certes plus ou moins floues, du moins au départ, ensuite ce n'était souvent que vénal. Cette bande et son chef faisaient tellement peur aux gouvernants et aux bourgeois de la « Belle époque » envoyèrent pas moins de trois-cent gendarmes pour le tuer lors de son arrestation.
Ce livre est excellent car il montre qu'une ville, ce n'est pas seulement les monuments, ce qui est considéré canoniquement comme "beau", mais ce sont aussi ces marges, dont la fréquentation, bien que dangereuse pour la santé, est passionnante. Ces truands participent du brassage social et sont de temps en temps moins immoraux que bien des gouvernants.
Et l'on sait bien que pour comprendre la logique d'une société, il y a toujours intérêt à étudier ses classes à la lisière.
Sur le goût qu'à pour moi Paris, j'aime beaucoup ces lignes de Simenon dans « Cécile est morte » qui décrivent très bien effectivement l'atmosphère et l'ambiance de cette ville :
« Il passait devant un petit bistro. La porte s'ouvrit, car c'était la première fois de la saison que la fraîcheur de l'air obligeait à fermer la porte des cafés. Au passage, Maigret reçut une bouffée odorante qui demeura pour lui la quintessence même de l'aube parisienne : l'odeur du café-crème, des croissants chauds, avec une très légère point de rhum ; il devina, derrière les vitres embuées, dix, quinze, vingt personnes autour du comptoir d'étain, faisant leur premier repas avant de courir à leur travail. »
Depuis quelques temps, malheureusement, et cela abîme un peu plus la ville, on voit se multiplier à Paris comme le mildiou sur les vignes les cafés « Starbuck », à peine le temps de cligner des yeux qu'il y en a un qui sort du sol. Dans une ambiance fadasse et frelatée qui aux États Unis passe pour européenne, on y écoute du Jazz -très- easy listening, pas trop dissonant, on boit toutes sortes de cafés dont une bonne sœur ne voudrait pas, de la lavasse à peine colorée, un jus dont ma chaussette aurait honte.
Quand les acteurs des séries ou des films américains boivent ça, on a presque l'impression que c'est bon, et ce sont des héros.
Dans les mains des adeptes grégaires de n'importe quelle nouveauté superflue, on voit de plus en plus de gobelets à cette enseigne, des trucs gélifiés pleins de bons colorants et de bons conservateurs, des machins glacés que l'on trouvait avant pour moins de trente centimes (des « mister freeze » quoi).
Cela fait top-moderne d'avoir ça à la main.
Ils se croient presque en couverture des magasines pipeaules à la mord-moi-le-noeud qu'ils lisent assidûment, même si quand tu les interroges ils prétendent tous se plonger dans Proust et ne regarder qu'Arte.Le Starbuck café c'est aussi un non-lieu exportable, qui remplace progressivement, comme tous les autres non-lieux, tout ce qui pouvait avoir encore un reste d'identité dans une ville.
Actuellement, on parle beaucoup de construire encore dans Paris, c'est un peu une constante chez les démagogues ou les populistes jouant aux hommes providentiels, laisser leur trace dans le paysage. On veut en somme, au vu des plans, multiplier les non-lieux, amener "la campagne en ville" selon la vieille boutade d'Alphonse Allais, mais cette fois seulement pour les plus riches, malgré les bonnes intentions que l'on prétexte encore. Paris est une emmerdeuse, une chieuse, une de celles vers lesquelles on revient toujours, malgré tout. Et c'est une personne, ou plutôt des personnes, des fantômes charmants que je croise partout, surtout l'un d'eux qui me hante délicieusement quand je suis à Montmartre ou place Clichy, vers "la Maison Rose" à côté du "Lapin Agile".
La "Ville-lumière", ville tentaculaire, ville centralisatrice de tous les pouvoirs, cristallise bien des fantasmes : Babylone moderne où le vice est partout, ville refuge des arts et de l'intelligence, et quelques idées bien pires en phobes ou en ites. Paris a cela de bien qu'elle ennuie profondément les imbéciles et les médiocres, les ploucs et les bourgeois fats et satisfaits d'eux-mêmes. Elle semble engendrer aussi beaucoup de complexes d'infériorité, sociaux et culturels, de certains provinciaux ou des banlieusards de la grande couronne - pris pour des parisiens en province ! - qui pensent indispensable de rivaliser absolument avec la capitale.
Les médiocres n'aiment pas Paris, elle leur fait peur. On peut reconnaître à cette ville qu'elle brasse les milieux et les origines plus facilement qu'ailleurs en France, mieux que les autres grandes villes françaises.
Il est certainement plus facile d'être différent que dans d'autres endroits. Quant à moi, je ne saurais être objectif, aimant passionnément Paris, de Montmartre à Bastille, du canal Saint-Martin aux Champs Elysées.
Les éditions
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La Bastoche [Texte imprimé], une histoire du Paris populaire et criminel Claude Dubois
de Dubois, Claude
Perrin / Collection Tempus
ISBN : 9782262035471 ; 11,50 € ; 07/04/2011 ; 615 p. ; Poche
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