Asterios Polyp de David Mazzucchelli

Asterios Polyp de David Mazzucchelli
(Asterios Polyp)

Catégorie(s) : Bande dessinée => Adultes

Critiqué par Stavroguine, le 6 juin 2011 (Paris, Inscrit le 4 avril 2008, 40 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 10 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (3 754ème position).
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Lignes de fuite

Mal rasé, affalé sur son lit à regarder un porno au fond d’un appart design laissé à l’abandon depuis plusieurs semaines, Asterios Polyp est une épave alors qu’il s’apprête à fêter son cinquantième anniversaire. Là-dessus, voilà que le tonnerre gronde pour, lui aussi, prendre part à l’événement, et que Zeus décoche une de ses foudres sur la façade de l’immeuble d’Asterios. Alors que l’incendie se déclare, Polyp n’a le temps que d’empocher quelques billets et de se précipiter dehors. Sans attendre son reste, ni que les pompiers aient fini leur travail, il part comme un voleur, s’engouffre dans les couloirs du métro encore tout dégoulinant de pluie, et prend un billet de Greyhound pour le plus loin possible qui, en l’occurrence, s’appelle Apogee – un coin perdu au milieu de nulle part et des Etats-Unis.

De ce point de départ assez classique, David Mazzuchelli crée un petit chef d’œuvre. L’histoire dans ses grandes lignes est presque aussi classique que son amorce : suite à un événement déclencheur, Asterios doit refaire sa vie, et le lecteur à mesure qu’il suivra Asterios Polyp dans sa nouvelle vie, en apprendra plus sur celle qu’il a laissé brûler avec ses meubles, une vie dans laquelle il était un célèbre « architecte de papier » – c’est-à-dire un architecte dont la qualité des plans et les innovations étaient reconnues, mais dont aucune des maquettes ne fut effectivement construite – avec sa chaire à l’université, un train de vie enviable et une femme qu’il aime, Hana. Si on imagine sans trop de difficulté ce qui a pu se passer pour que cette incarnation insolente de la réussite ait pu se transformer en l’épave découverte sur les premières planches, c’est que l’important est ailleurs. Plus que dans la trame proprement dite, l’intérêt de ce roman graphique réside – ce qui tombe plutôt bien – tout autant dans son propos que dans son graphisme.

Pour se convaincre de la qualité de celui-ci, il n’est même pas nécessaire d’ouvrir le livre : il suffit d’un regard jeté à la silhouette d’Asterios Polyp qui apparaît sur la couverture. L’élégance de la silhouette, la fluidité des traits, ce maintien droit et ce port haut avec la tête imperceptiblement rejetée en arrière donnent toute la mesure du personnage. Par ce seul coup d’œil, on le sait à la fois intelligent et hautain, légèrement imbu de lui-même, séducteur et ne rechignant pas à se laisser séduire par ses étudiantes subjuguées, mais par-dessus tout, élégant et racé. Le reste du roman est du même acabit : le graphisme colle littéralement au texte. Le tout est dessiné dans un encrage violet et parsemé de grands aplats de couleurs qui sont préférés aux traits noirs et aux zones grisées – votre œil appréciera. Mais il y a mieux encore : non seulement chaque personnage dispose de son propre lettrage comme d’une voix unique, mais il possède en plus une identité graphique qui lui est propre et qui permettra à l’auteur de faire ressortir un trait de caractère ou une individualité (de manière particulièrement efficace dans certaines scènes de couple entre Asterios et Hana), le tout sans jamais nuire à l’homogénéité de l’ensemble de l’œuvre. L’aspect graphique du roman est tout autant une claque visuelle qu’une réussite, une prouesse qui à elle seule vaudrait le détour.

Mais si on fait le détour pour le graphisme, c’est bien le propos qui nous fait rester et tourner consciencieusement les unes après les autres ces pages non-numérotées. Le découpage de l’œuvre et la narration sont parfaitement maîtrisées, réservant elles aussi leur lot de surprises et de trouvailles ingénieuses. Ainsi, le cours de l’histoire laisse la place à des apartés intelligents n’hésitant pas à prendre à bras le corps certaines questions existentielles ou métaphysiques et offrant des petites pauses dans le récit. Au centre du récit, le thème de la dualité est omniprésent, que ce soit par la conception manichéenne de l'existence par notre héros, par sa représentation toujours de profil, par l'absence de gris dans le dessin, par les références aux mythes grecs sur le thème, l'importance du couple et la recherche de soi dans un autre, l'opposition entre l'intellectuel (Asterios est un architecte de papier) et le pratique (il deviendra mécanicien), la vie et la mort, comme les deux faces d'une seule pièce, surtout lorsque, comme Asterios, on est si intimement lié depuis la naissance à un mort qui maintenant conte votre vie. Au-delà, en surface, les personnages sont crédibles et la trame de fond, si elle n’échappe donc pas à un certains classicisme, remplit son office en fournissant un prétexte pour permettre à l’auteur de laisser libre cours à sa créativité et en donnant envie au lecteur de tourner les pages. Il le fera toujours avec plaisir, heureux de se replonger parmi cette galerie de personnages attachants et de se perdre avec volupté parmi les diverses références artistiques, littéraires et mythologiques dont l’auteur parsème son récit.

Astérios Polyp est donc à tout point de vue une réussite. Sensible et intelligent, il rappellera à certains moments le George Sprott, de Seth, un autre chef-d’œuvre récent du roman graphique. Le tout est servi par une inventivité et une qualité graphique hors du commun. Un véritable chef-d’œuvre pour les amateurs de BD et les autres.

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Les éditions

  • Asterios Polyp [Texte imprimé] David Mazzucchelli traduit de l'anglais (États-Unis) par Fanny Soubiran
    de Mazzucchelli, David
    Casterman
    ISBN : 9782203029774 ; 35,00 € ; 08/09/2010 ; 260 p. ; Relié
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9 étoiles

Critique de Hervé28 (Chartres, Inscrit(e) le 4 septembre 2011, 55 ans) - 4 septembre 2011

Asterios Polyp est un livre bien singulier, aussi bien sur la forme que sur le fond. Le choix d'une couverture cartonnée n'est certes pas heureuse à mon goût (j'ai dû faire plusieurs librairies avant de trouver un exemplaire en bon état, sans les coins écornés) mais David Mazzucchelli a su élaborer un dessin et un scénario très original et surtout une mécanique bien huilée. D'ailleurs, je rapproche cet album du fameux "Jimmy Corrigan" tant rien n'est laissé au hasard dans cette histoire: chaque personnage possède sa propre charte graphique, Astérios n'apparait que de profil pendant tout l'album,chaque période possède ses propres couleurs (le bleu ou le rouge pour la période avec Hana, le jaune pour son errance après l'incendie de son appartement) Un roman graphique d'une très grande qualité où les références mythologiques sont nombreuses. Astérios Polyp c'est évidemment une adaptation d'Orphée et de sa descente aux Enfers- comme par hasard, il rencontre Willy Illium qui veut adapter "Orphée underground"-, c'est aussi Ulysse résistant aux sirènes (ses élèves). Un roman graphique très exigeant , tant rempli d'allusions et de références, qu'une relecture est à conseiller.
Couronné par de nombreux prix, cet album était l'album incontournable de l'année 2010.

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