Revisitons le Paradis

Roger Munier m'a apporté plus d'une fois des instants de réconfort et la possibilité d'avoir un autre regard sur les autres et sur moi-même. Sa simplicité, l'acuité de sa vision du monde et de la présence du spirituel dans nos vies ont fait de cet homme un être assez exceptionnel, qui nous a malheureusement quittés en août 2010.
Théologien, philosophe, humaniste et poète, il s'est plongé dans une profonde méditation sur la Genèse, en particulier les chapitres 2 et 3 consacrés au Paradis et à la création de l'Homme.
Il suit le texte original, l'annote, y renvoie le lecteur, livre sa propre analyse des versets et nous convie à une nouvelle lecture de cet épisode fondamental dans notre spiritualité. Il s'interroge, nous pousse à faire de même en essayant d'adopter un regard neuf, non perverti par l'enseignement, les normes et la bonne morale. Pas simple à appliquer je dois dire, surtout quand l'éducation a forgé quelques idées bien ancrées dans le cerveau mais l'exercice est salutaire à plus d'un titre.

"Au Paradis, il ne savait pas le Jardin, ses ombrages, les arbres chargés d'oiseaux. C'est seulement maintenant qu'il les découvre (...)" (page 75)

Le premier homme était libre et solitaire, fragile, sans passé, sans personne. Pas quelque chose que l'on a forcément envie de connaître. Etait-ce déjà là la pénitence éternelle ?
Pas forcément, car comment souffrir de quelque chose que l'on ne connaît pas ? Adam savait-il seulement qu'il vivait au Paradis ? Il s'est ennuyé certes, mais n'est-ce pas plutôt Dieu qui s'est lassé de sa propre création, de cet être qu'il avait fait à son image ? Alors pour s'amuser, Dieu invente la femme. Patatras, voilà les ennuis diront certains ! Femme qui n'est pas considérée comme étant à l'image de Dieu, elle serait presque un ersatz de l'homme. Assez terrible tout de même !
Sauf que cette image quelque peu négative peut être balayée par la joie qu'éprouve l'homme à son arrivée. Car cette femme, c'est une partie de lui, l'expression d'un manque qui se trouve tout à coup incarné; mais là encore, Adam en a-t-il seulement conscience ? Comment manquer de ce que l'on ne connaît pas ? En affichant sa joie, l'homme affiche également le vide qui était en lui. Rien n'est parfait dans la Création.
Et il en ira de même avec la Chute du Paradis. La faute à la femme menteuse, à l'homme faible a-t-on entendu. C'est si facile. Quand Dieu a interdit l'approche de l'Arbre de la connaissance à Adam, la femme était-elle seulement là ? Et quand elle a goûté la pomme, était-ce vraiment par cupidité ou envie ou bien tout simplement par esprit de découverte ? Comment pouvait-elle développer des sentiments qui n'étaient alors liés à rien ? Comment créer un manque de ce que l'on ne connaît pas, à nouveau ? Peut-on être libre si on ne dispose pas de la connaissance ? Et si dès lors, la liberté ne nous est pas acquise, peut-on la transgresser ?

Roger Munier n'apporte pas de réponse toute faite mais il offre de multiple pistes de réflexion. Dans un langage accessible et argumenté, il nous invite à remettre en question certains fondements de notre culture. Avec le talent et la sincérité qui sont les siens. Remarquable, une fois de plus.

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  Esquisse du Paradis perdu [Texte imprimé] Roger Munier

  de Munier, Roger
  Arfuyen / Les Carnets spirituels (Orbey)
  ISBN : 9782845901537 ; 11,00 € ; 09/11/2010 ; 81 p. ; Broché

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