Le diable de Jacques Duquesne

Le diable de Jacques Duquesne

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Spiritualités

Critiqué par Numanuma, le 7 janvier 2011 (Tours, Inscrit le 21 mars 2005, 51 ans)
La note : 9 étoiles
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Le Diable a du plomb dans l’aile, c’est en gros ce que nous dit Jacques Duquesne dans cet excellent ouvrage sur le Prince des Ténèbres. Pourtant, en vérifiant sur le site, j’ai trouvé plus de 70 entrées avec le terme Diable, ce qui laisse supposer que, même si l’Eglise n’en fait plus une affaire, le Diable reste un excellent sujet.
En 200 pages, l’auteur nous brosse un tableau finalement tragique du Diable et de ses acolytes maléfiques. Jacques Duquesne n’est pas un néophyte en matière de religion, il a déjà écrit sur Jésus, Marie et Judas et possède un talent rare : il est capable d’expliquer simplement des choses compliquées. Et la théologie n’est pas une matière qui se dompte aisément.
Pour faire simple, le Diable est la personnification occidentale et chrétienne du Mal mais bien des civilisations et des religions le reconnaissent sous d’autres noms. Mais, puisqu’il nous faut nous situer dans une optique chrétienne, l’auteur nous fait une révélation étonnante : le Diable est quasiment absent de l’Ancien Testament ! Rétrospectivement, il est vrai que je n’ai pas de souvenir de mention de son nom lors de ma lecture de l’Ancien Testament lors de mes études de lettres et, bizarrement, cela ne m’a pas frappé à l’époque.
Plus étonnant encore, c’est souvent Yahvé lui-même qui se charge de punir ses ouailles, ou l’un de ses anges. Le Diable n’est pas une préoccupation des Hébreux. Dans la Genèse, il n’y a aucune assimilation du serpent au Diable. Aucune. Dans l’Ancien Testament, le coupable, c’est l’Homme.
Ce qui change beaucoup avec le Nouveau Testament où le Diable prend les attributs qu’on lui connait traditionnellement : le tentateur, l’ennemi de Dieu, le pêcheur, etc.… En Hébreux, le Diable est symbolisé par trois lettres : s, t et n. Réunies, elles signifient « celui qui sépare ». C’est bien le rôle que le Nouveau Testament et toute l’Eglise chrétienne vont lui attribuer : le Diable, Satan, Lucifer, quel que soit le nom qu’on lui donne, est celui qui sépare l’Homme de Dieu.
Dans la tradition juive, dans les réflexions philosophiques grecques, le Mal ne peut être d’origine divine mais forcément humaine, terrestre. Il y aurait un dualisme fondamental du Bien et du Mal dont Dieu et le Diable seraient les incarnations. Mais la question fondamentale est la question de l’origine.
Le Livre d’Enoch donne une version de l’origine de Satan qui a survécu à toutes. A titre personnel, c’est celle que j’ai toujours connue, probablement parce que cette version sera retenue par le Concile de Latran en 1215.
Le Diable, et ceux qui l’ont suivi, serait un ange déchu car il aurait fauté. Là encore, la faute donne lieu à de multiples hypothèses : Lucifer, le porteur de lumière et d’autres anges auraient choisi de s’accoupler avec des humaines (ce qui implique dans le détail que la Femme est corruptrice, tentatrice et les anges se souillent à son contact, filon que l’Eglise exploitera sans vergogne pendant des siècles) ou auraient refusé de s’agenouiller devant Adam, arguant qu’ils existent avant l’Homme (il s’agit ici de mettre au jour la jalousie du Diable qui refuse d’admettre la créature créée à l’image de Dieu comme supérieure à lui).
Mais l’important est que, de par sa faute, le Diable est obligatoirement inférieur à Dieu. Parfois, d’ailleurs, Dieu l’envoie comme châtiment !
A partir de là, l’auteur propose un passionnant panorama des actes, incarnations et suivants du Diable au cours des siècles. On y croise, l’Enfer, le purgatoire, pure invention humaine absente de la Bible, les sorcières, les mages, les rebouteux, les hérétiques, les autres religions… Finalement, pour paraphraser Sartre, le Diable c’est les autres.
Le dernier chapitre est résumé bienvenu car les notions développées auparavant dans le livre ne sont pas forcément aisées à assimiler et retenir. Ce résumé présente le problème avec une effarante et évidente simplicité : si Dieu existe et qu’Il est infiniment bon, comment expliquer le Mal qui règne sur le monde. En général, le bon curé répondra que les voies du Seigneur sont impénétrables. Jacques Duquesne ne s’arrête pas là.
Dieu est bon mais Il est capable, parfois, d’agir de manière violente et radicale « selon ses caprices ou ses raisons ». Dieu reste au-delà de la compréhension humaine. Pour les Hébreux, Il peut être un bras armé défendant ses enfants, pour les chrétiens, c’est un juge qui rendra son verdict sur les actions et les pensées les plus secrètes des hommes.
Autre possibilité, il existe un royaume du Bien et un royaume du Mal qu’il faut combattre. Et les trois grandes religions monothéistes ont parfois combattu le Mal par le Mal…
Troisième hypothèse, il n’y a pas un Diable mais une diversité d’esprits malins qui influencent l’Homme. Ces diables sont inférieurs à Dieu mais Celui-ci n’intervient pas ou les utilisent.
Enfin, dernière possibilité : le Mal est une affliction purement humaine qu’elle vienne d’une faute originelle ou qu’elle résulte d’un enchaînement de fautes à travers les siècles.
Cette dernière est la plus répandue dans le monde chrétien et dans le monde musulman mais, de nos jours, l’Eglise a mis de côté le Cornu, allant jusqu’à se demander s’il existe. Rappelons que le Diable ne fait pas partie du Credo ce qui signifie, que même puissant, il n’est qu’un subalterne.
Baudelaire a dit que la plus grande ruse du Diable est de nous faire croire qu’il n’existe pas. Comme le pense Duquesne, il est possible de retourner la phrase et de considérer que son plus grand mensonge est de nous faire croire qu’il existe. Cela nous exonère-t-il de nos fautes ?

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