Paresse et Révolution : Ecrits 1880-1911 de Paul Lafargue

Paresse et Révolution : Ecrits 1880-1911 de Paul Lafargue

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Economie, politique, sociologie et actualités , Sciences humaines et exactes => Histoire

Critiqué par Bolcho, le 6 août 2010 (Bruxelles, Inscrit le 20 octobre 2001, 76 ans)
La note : 10 étoiles
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Le marxisme en riant…

Comment vous inciter à déguster ce bouquin, bijou d’intelligence, de fureur, d’humour, de modernité ? Si je vous dis que Paul Lafargue a épousé une des filles de Marx ? Non, je vais faire fuir tous les démocrates bourgeois qui n’auront pas ainsi l’occasion de s’amuser, et c’est bien dommage pour eux. Si je vous dis que Lafargue, plus qu’un théoricien du marxisme, en est un propagandiste brillant, plein de verve, de sarcasmes : un pamphlétaire attachant ? Ou encore si je vous mets l’eau à la bouche en rappelant qu’il fut un des premiers féministes authentiques ? Un antipatriote convaincu ? Un antiraciste militant ? Un athée cinglant ?
Non ? Rien ne vous convainc de le lire ? Peut-être que les conditions de son décès toucheront les plus sensibles d’entre-vous ? Lafargue s’est suicidé en 1911, à 69 ans, avec sa femme Laura, laissant un message où il dit ne pas souhaiter connaître la vieillesse qui enlève « un à un les plaisirs et les joies de l’existence ». A son enterrement se retrouveront notamment Jaurès, Vaillant, Anseele, Kautsky, Alexandra Kolontaï, Lénine.

On a dans ce livre des écrits divers de Lafargue, des plus connus (« Le droit à la paresse », « La légende de Victor Hugo ») jusqu’à de simples articles parus dans les journaux socialistes de l’époque.

Son « droit à la paresse » est un plaidoyer pour que la machine, qui fait si vite ce que les hommes faisaient si lentement, permette à l’individu de ne plus travailler que trois heures par jour (lire sur ce titre l’excellente critique de Donatien, ici :
http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/19199)

Mais il n’oublie pas l’humour, loin de là (enfin, d’aucuns ne trouveront pas ça drôle) : « Jéhovah, le dieu barbu et rébarbatif, donna à ses adorateurs le suprême exemple de la paresse idéale ; après six jours de travail, il se reposa pour l’éternité. » Dans un autre texte, il dira : « Un Dieu unique en trois personnes est condamné à d’éternels barbarismes, à des je pensons, je me mouchons, je me torchons ! ». Ou bien, exposant son féminisme : « C’est l’amante, c’est l’épouse qui doivent implorer la vierge Marie : « Ô Vierge sainte, qui avez conçu sans péché, faites que je pèche sans concevoir ».

Et il a des visions qui sonnent toujours justes : le grand problème de la production capitaliste est de « découvrir des consommateurs, d’exciter leurs appétits et de leur créer des besoins factices ».

Dans « La légende de Victor Hugo », il renvoie le bon Victor à ce qu’il fut, un bourgeois richissime dont Heine disait qu’il resta toujours « hugoïste, ce qui est pire qu’égoïste ».

Des exemples de la modernité de Lafargue ?
- « Les idées dominantes d’une époque n’ont jamais été que les idées de la classe dominante ».
- « Le ministre socialiste est un homme perdu pour le socialisme, quoi qu’il fasse ».
- « La politique est aujourd’hui une profession plus lucrative et moins aléatoire que celle de l’industriel ou du commerçant »
- « La Bourgeoisie a pris possession de notre planète ; ses navires et ses vapeurs rapprochent les continents séparés par des océans ; ses chemins de fer, traversant les montagnes et les déserts, sillonnent la terre ; les fils télégraphiques, système nerveux du globe, relient toutes les nations et leurs palpitations retentissent dans les grands centres. L’histoire contemporaine du monde existe pour la première fois. Les événements d’Australie, du Transval, de la Chine sont connus à Londres, Paris, New York, au moment où ils se produisent, aussi rapidement que s’ils se passaient dans leur banlieue ».
Cette dernière citation est saisissante je trouve : nous clamons la même chose exactement aujourd’hui sous prétexte d’internet. Rien n’a changé en fait, ça va juste un peu plus vite, mais le résultat était déjà atteint en 1901, date de l’article.
- Dans une société communiste, on « encouragera les femmes à papillonner (…) au lieu de se condamner à être la propriété d’un seul mâle. (…) Les femmes, dans les tribus sauvages et barbares communistes, sont d’autant plus honorées qu’elles distribuent leurs faveurs sur un plus grand nombre d’amants ». Et je supplie les honorables membres de Critiques Libres de ne pas lire « communiste » en pensant au régime de l’URSS. Lafargue écrit cela en 1901.
- « La production capitaliste, en supprimant les fonctions domestiques de la femme, l’a rendue libre pour l’exploitation du capital » (…) « Sous prétexte qu’elle a moins de besoins que l’homme, son travail est moins rémunéré ; et quand son travail à l’atelier est terminé, son travail dans le ménage commence ».
- « Les hommes de science avaient échappé au salariat industriel ; ils y passeront ; ils deviendront les cerveaux à profits d’ignorants employeurs ».
- Pour défendre la république, les chefs de la bourgeoisie fourrent des socialistes dans les ministères, qui « doivent débiter du socialisme à jet continu et agir en ministres du capital »
Si l’un ou l’une d’entre-vous songe à cet instant aux partis socialistes d’aujourd’hui, je ne pourrais pas le leur reprocher…

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Les éditions

  • Paresse et révolution [Texte imprimé], écrits, 1880-1911 Paul Lafargue préfacé et annoté par Gilles Candar et Jean-Numa Ducange
    de Lafargue, Paul Candar, Gilles (Editeur scientifique) Ducange, Jean-Numa (Editeur scientifique)
    Tallandier / Texto (Paris. 2007)
    ISBN : 9782847346312 ; 10,00 € ; 12/11/2009 ; 431 p. ; Broché
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