La république contre le Peuple

La révolution de 1848, en France, se fait en deux temps : le rejet de Louis-Philippe en février, la répression du mouvement social en juin. Louis Ménard en est un des acteurs et raconte les événements en se basant sur de nombreux témoignages. Il a été l'ami de Baudelaire, Lacordaire, Leconte de l'Isle et a eu des échanges intellectuels avec des gens comme Louis Blanc, Engels, Marx, Marie d'Agoult (Daniel Stern), Berthelot... En plus d'être poète et historien, il est un excellent chimiste puisqu'on lui doit la découverte du collodion.

C'est une époque où les utopies fleurissent : Fourier, Saint-Simon, Considérant, Cabet. 1848 a vu se produire une articulation entre ces idées et les rêves du peuple, dans le souvenir de 1793.

Ce n'est pas le lieu ici de raconter les événements en détail. Retenons que la république s'installe en février sous forme d'un gouvernement provisoire, très largement bourgeois, et que la crise profonde que traverse la France mène aux révoltes populaires de juin (sciemment provoquées par le gouvernement provisoire) lesquelles sont réprimées dans le sang avec une brutalité inouïe. La préfecture de police de l'époque parle de 1460 morts, Ménard en avance 3500 et des historiens contemporains vont jusqu'à trente mille. Comme le dit Ménard : « Pour trouver quelque chose de pareil, il faut remonter jusqu'à la Saint-Barthélemy (...) ». Et c'est bien la république qui inflige cela au Peuple.
Ce délire meurtrier ouvre la porte à l'élection de Louis-Napoléon comme président et donc au second empire qui suivra.

Il est intéressant de noter les écarts entre le récit de Ménard et l' « histoire officielle », notamment en ce qui concerne les causes de la révolte de juin. Mais il est parfaitement clair que les forces de la réaction (républicains et royalistes) se sont entendues sur ce seul point : infliger une défaite au Peuple et couper court à toute menace « communiste » (comme on disait déjà à l'époque).

Le récit de Ménard est précédé d'une importante et passionnante mise en perspective de Filippo Benfante et Maurizio Gribaudi.

Je ne résiste pas à l'envie de vous citer un extrait du texte de Ménard :
« [La corruption] était arrivée à un tel degré qu'elle n'avait plus conscience d'elle-même : le sens moral était atrophié, la tyrannie du capital érigée en dogme, le vol légalisé et pratiqué impudemment au grand jour par tout ce qu'on appelait alors le pays légal, depuis le notaire, l'agent de change et le banquier, s'enrichissant de la ruine des familles, et spéculant sur la disette des grains, jusqu'au petit marchand, fraudant sur le poids et la qualité de sa marchandise, et falsifiant les aliments du Peuple avec des drogues vénéneuses (...).
La corruption avait passé des mœurs dans la politique. La Chambre des députés, devenue une armée disciplinée et salariée de fonctionnaires, ne servait plus qu'à couvrir d'une apparence de légalité la honteuse politique du pouvoir exécutif.
(...) On vit un ministre, convaincu de concussion, condamné à la dégradation civique. En abandonnant ainsi comme un bouc émissaire un collègue maladroit, le ministère crut avoir apaisé l'opinion ; l'opposition insista et demanda une enquête : les ministres opposèrent une dénégation pure et simple, et la Chambre se déclara satisfaite de ces explications. (...)».

Gageons que ces quelques lignes auront un écho chez ceux et celles d'entre-nous qui suivent la politique en France !

1848, 2010, au fond, rien n'a vraiment changé...

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  Prologue d'une révolution [Texte imprimé], février-juin 1848 Louis Ménard présenté par Filippo Benfante et Maurizio Gribaudi

  de Ménard, Louis Benfante, Filippo (Editeur scientifique) Gribaudi, Maurizio (Editeur scientifique)
  la Fabrique éd. / Utopie et liberté
  ISBN : 9782913372696 ; 11,35 € ; 01/12/2007 ; 299 p. ; Broché

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