Mon Lénine de poche de Vénédict Erofeiev

Mon Lénine de poche de Vénédict Erofeiev
( Malaïa proza)

Catégorie(s) : Littérature => Russe

Critiqué par Stavroguine, le 29 avril 2010 (Paris, Inscrit le 4 avril 2008, 40 ans)
La note : 5 étoiles
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Nuits d'hiver et jours d'été

Venedikt Erofeïev est l’homme d’une seule œuvre, qui plus est interdite. Or, il se trouve que ladite œuvre, répondant au titre français quelque peu ridicule de Moscou-sur-Vodka – auquel les personnes de bon goût préféreront certainement le Moscou-Petouchki original –, m’avait procuré – par son insolence, sa verve, son humour éthylique – un des plus grands plaisirs de lecture de ces dernières années, et que je rafraîchis régulièrement en me plongeant à l’occasion dans ce texte fabuleux.

Les éditions Anatolia me donnent aujourd’hui le plaisir de reparler d’Erofeïev puisqu’elles publient « ses œuvres complètes », c’est-à-dire, outre l’unique Moscou-Petouchki (chez Albin Michel), un certain nombre de notes et de projets en cours que l’auteur, décédé, ne finira jamais. Mon Lénine de poche – notez la nette amélioration du titre : celui-ci est plus qu’acceptable – est un de ces ouvrages, une de ces compilations des écrits d’Erofeïev, voire même un peu moins. Moins, car si certains recueils de nouvelles, certaines compilations de textes, tentent d’établir un lien entre les différentes pièces qui les composent, on est ici en présence d’une sorte de fourre-tout où l’on trouvera notamment, en vrac, un tableau plein d’humour, un interview donné à une revue, une nouvelle de jeunesse avortée, un carnet de citation de Lénine (c’est lui qui donne son titre à l’ouvrage), divers articles, des morceaux de pièce de théâtre, et même un devoir d’université. Le moins que l’on puisse dire, c’est que c’est hétéroclite et l’on peut légitimement s’interroger sur la pertinence de publier certains de ces textes dont la moitié sont, en plus d’être parfaitement dispensables, tout simplement mauvais – la nouvelle de jeunesse en tête.

Parfois, cependant, on retrouve cette verve et ce cynisme débridé qui faisaient la grande force de Moscou-Petouchki, rarement à un niveau aussi intense que dans ce chef-d’œuvre mais, par bribes, on est heureux de retrouver cette douce mélancolie, une poésie désenchantée et magnifiée par l’alcool. C’est un peu le cas dans la première nouvelle du recueil, A ma fenêtre, dans laquelle l’auteur décrit tout simplement une scénette qu’il observe, comme le titre l’indique, depuis sa fenêtre. L’objet, certes, est limité, mais c’est le ton de l’auteur qui nous réjouit et ses digressions pleines de mordant et d’amertume : « Il faut signaler qu’il y a une centaine d’années, les gens qui n’aimaient pas ce que leur vie leur donnait à percevoir avaient la naïveté de tenter de transformer la réalité qu’ils percevaient. De nos jours, ces ‘‘insatisfaits’’ transforment la perception même qu’ils ont des choses : cela fait beaucoup plus d’effet et cela a en outre l’avantage d’être moins dangereux et moins coûteux. » Ou encore : « il est stupide de reprocher à l’alcool le fait que, sous son emprise, certaines personnes se mettent à avoir un comportement incorrect et agressif, à la limite de l’idiotie. Je pense que jamais nous ne nous résoudrons à parler des méfaits de l’oxygène ; pourtant, aucun scélérat ne serait un scélérat et aucun idiot ne serait un idiot s’ils ne respiraient pas de temps en temps un peu d’oxygène. »

Si ce mauvais esprit pince-sans-rire et corrosif est trop rare dans cette œuvre, on l’apprécie d’autant plus quand il se dévoile, notamment dans la pièce Fanny Kaplan – du nom de la révolutionnaire russe qui tenta d’assassiner Lénine (il est bon, ici, de rappeler qu’Erofeïev écrit du vivant de l’URSS) – qui met aux prises deux faux Dimitri – dont un qui s’appelle vraiment Dimitri, mais n’en est pas moins faux – à un guichet de recyclage de bouteilles qui n’ouvre jamais et dont aucun des personnage n’est sain d’esprit, sauf ladite Fanny Kaplan « atteinte d’idiotisme congénital mais émouvant ». Il va sans dire que tout ceci n’a bien entendu aucun sens, mais c’est en cela, justement, que c’est absolument jouissif lorsqu’au détour d’une page, l’un des protagonistes déclare que « s’ils forcent la porte, je filerai sur le balcon et ferai semblant d’être une fleur ».

Comme dit précédemment, cependant, ces moments de bonheur absurde relèvent ici plus de l’exception et n’atteignent que très rarement – pour ne pas dire jamais – le niveau de Moscou-Petouchki. Néanmoins, ce livre nous permet de découvrir en Erofeïev, derrière le farceur, un farouche opposant à l’autoritarisme en général et soviétique en particulier. Si sa consommation d’alcool invétérée et son humour dévastateur en étaient déjà une expression, ça apparaît ici de manière plus flagrante encore, notamment dans Mon Lénine de poche qui regroupe un ensemble de citations de Vladimir Ilitch Lénine qui, d'homme sympathique et habité par la révolution, laisse place au fil des ans à un monstre tyrannique et obsédé par l’idée de trouver, à chacun de ses revers, un responsable à envoyer en prison.

Erofeïev est donc toujours ce protestataire insolent qui transforme en acide tout l’alcool qu’il ingurgite et les amateurs auront plaisir à le retrouver inchangé tout en découvrant certains côtés plus sérieux de leur icône. Il est cependant indéniable que l’ouvrage ici proposé n’arrive jamais à la hauteur du chef-d’œuvre qu’est Moscou-Petouchki. Un ouvrage, donc, à réserver aux initiés qui veulent en savoir plus, mais en aucun cas aux néophytes qui, coupés dans leur ardeur par certains écrits médiocres, risqueraient de passer à côté du meilleur d’un auteur unique à plus d’un sens.

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