Léopold II, entre génie et gêne : politique étrangère et colonisation de Tanguy de Wilde d'Estmael, Vincent Dujardin, Valérie Rosoux

Léopold II, entre génie et gêne : politique étrangère et colonisation de Tanguy de Wilde d'Estmael, Vincent Dujardin, Valérie Rosoux

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Histoire

Critiqué par VLEROY, le 21 avril 2010 (Inscrit le 9 janvier 2006, 45 ans)
La note : 10 étoiles
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Des éclairages nouveaux sur son règne

En 2007, les Editions Racine avaient publié une biographie objective et intéressante de Léopold II par Matthieu Longue. Deux ans plus tard, ils complètent ce livre par un ouvrage collectif co-écrit par une quinzaine d'historiens du nord et du sud du pays (Vincent Dujardin, Mark Van den Wijngaert, Michel Dumoulin, Francis Balace, etc) et par Gustaaf Janssens, le responsable des archives du palais royal. Après avoir rappelé les grands événements de sa vie privée et publique, les auteurs se sont principalement intéressés à sa politique étrangère et coloniale.

Tout commence lors de ses voyages en tant que prince héritier. Léopold a évidemment vu de grands monuments, tels les pyramides de Gizeh ou le Taj Mahal, mais il concevait tous ses voyages comme des confrontations avec des modes d'administration, des opportunités commerciales et financières, des individus et des structures qui remplissaient une fonction de direction dans le monde politique et économique de l'époque. De retour en Belgique, il lit de nombreux livres et revues sur la géographie et le colonialisme.

On n'en parle pas souvent mais cinq ans après son accession au trône, Léopold II est confronté à la guerre franco-prussienne de 1870 qui met en péril notre indépendance. Sur le plan diplomatique, le Roi et ses ambassadeurs rappellent la neutralité de la Belgique à ses puissants voisins et tente d'obtenir des garanties qu'elle ne sera pas envahie. Parallèlement, il fait voter l'augmentation du budget de la Défense par le Parlement, et envoie des soldats tout au long de nos frontières. Malgré que la bataille de Sedan se passe à quelques kilomètres de chez nous, la Belgique n'entrera pas en guerre et aura réussi à préserver son indépendance et sa neutralité. De même, en 1904, Léopold II n'accepte pas les propositions d'alliance antifrançaise de l'empereur Guillaume II.

Un intéressant chapitre sur la religion montre que Léopold II tenait à de bonnes relations avec le Vatican pour des raisons plus politiques que religieuses. Il ne réagit pas à la prise de Rome par l'Italie. Ses relations sont très bonnes avec le pape Léon XIII qui est le chef d'Etat à qui il écrit le plus souvent après la reine Victoria, et qui suit ses conseils lors des nominations des évêques belges. A la demande du Roi, il réprimande le prêtre Daens mais refuse de trop se mêler de ce problème devenu politique. Le pape Léon XIII est le plus fidèle allié de l'oeuvre congolaise de Léopold II et encourage l'installation de missionnaires catholiques. Mais suite aux accusations sur le régime colonial, le Vatican prend définitivement ses distances avec le souverain belge à partir de 1905.

Les auteurs évoquent ensuite avec beaucoup d'objectivité les critiques internationales contre le régime colonial de Léopold II au Congo, et les résultats de la commission d'enquête de 1905. Une analyse minutieuse des caricatures présente le Roi comme un monarque autoritaire, un colonisateur sanguinaire ou un coureur de jupons. Laurence van Ypersele fait remarquer : "Sous le règne de Léopold II, la caricature rêve d'un roi Père de la patrie, tout entier offert au pays comme il le serait à sa famille, proche et aimant. Tout au long de son règne, les critiques se font de plus en plus sévères. Or, la frustration de l'opinion publique va creuser et renforcer l'attente d'un roi idéal. On comprend mieux, dès lors, la popularité dont a bénéficié son successeur dès son avènement : le roi Albert Ier apparaissait comme l'incarnation même de ce rêve".

Depuis l'indépendance du Congo, Léopold II n'est presque plus cité dans les discours officiels, sauf lors de l'hommage que lui a rendu le président congolais Joseph Kabila dans un discours prononcé au Sénat belge en 2004. L'analyse des manuels scolaires belges démontre que l'oeuvre coloniale y est glorifiée jusque les années 1980-1990, alors qu'on met désormais en évidence les abus qui y ont été commis. Stéphanie Planche place ce changement en parallèle avec l'évolution politique de notre pays : "Léopold II semble réussir le tour de force d'être désormais à la fois défendu et conspué, comme symbole et comme antisymbole, d'une Belgique unitaire et de son érosion : une qualité qui, dans le contexte belgo-belge, lui confère une charge et une portée toutes singulières, et lui prédit certainement encore une longue vie posthume". Quant aux jeunes Congolais, ils le considèrent comme le fondateur de leur pays, tout en rappelant les points négatifs de la colonisation.

Cet ouvrage collectif n'est pas destiné au grand public. Il permettra aux passionnés d'histoire d'avoir des éclairages nouveaux sur le règne et l'historiographie autour de Léopold II, un souverain très controversé. Les auteurs suggèrent également plusieurs pistes de recherche non encore explorées.

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