George Sprott : 1894-1975 de Seth
Catégorie(s) : Bande dessinée => Adultes
Moyenne des notes : (basée sur 5 avis)
Cote pondérée : (12 618ème position).
Visites : 3 637
Rappelez-vous George Sprott
Tout commence par une belle photo de famille, par le portrait d’une étrange famille aux gueules de speakerine, de vampire ou de clown. Au milieu, une silhouette plus épaisse, vaguement débonnaire, tout à fait passe-partout, une moustache et des bajoues rondelettes, un aspect rassurant, la figure du grand-père pour les enfants, du père pour les ménagères. Les ménagères, c’est qu’elles sont importantes dans ce média et dans ces années-là, celles où elles passaient encore plus de temps chez elles qu’à leur travail, celles où elles étaient vraiment ménagères en somme. Alors, forcément, une figure comme celle-ci, pour la télévision, c’est bien.
Cette silhouette rondouillarde, c’est celle de George Sprott, présentateur vedette de la petite chaîne locale canadienne CKCK et vedette de ce splendide livre-objet que Seth lui dédie à titre posthume car, en 1975, le poste de George s’est éteint pour la dernière fois. Mais avant cela, George a vécu, et il a d’ailleurs commencé par naître. C’est donc par là que Seth débute son (chef d’) œuvre dans une magnifique double page qui nous ramène en 1894, lorsque George naît, à moins que ce ne soit en 1975, lorsque George meurt : car, finalement « on s’attarde toujours sur la vie après la mort, mais on pense pas tellement à l’autre sens. C’est facile d’imaginer qu’avant nous ce soit le vide. Beaucoup moins de l’imaginer après notre existence. Et si c’était la même chose ? » Et de voir ce nourrisson chauve et dodu voguer dans les cases bleues et vides et se changer au fil de celles-ci en un vieillard, tout aussi chauve et dodu, et voguant aussi bien.
Entre ces deux bouts réunis d’une même existence, entre le 15 juin 1894 et le 5 octobre 1975, qu’y a-t-il eu ? Seth nous évoque cette période – une vie – en consacrant une page ou deux à quelques uns des protagonistes que George a croisés dans la sienne, protagonistes qu’il n’a d’ailleurs parfois pas remarqués, mais pour qui, à un moment ou à un autre, il a joué un rôle, aussi infime fut-il. Au détour des pages, on croise son assistant, ses collègues, une auditrice, sa nièce… qui, chacun, nous livre en toute subjectivité sa vision de George Sprott, ce qu’il en aura retenu. C’est une des grandes et belles trouvailles de cet ouvrage – par ailleurs splendide – de recourir à ces mini entretiens pour nous présenter son sujet principal. George nous apparaît parfaitement protéiforme, comme il se doit : pour certains, c’est un salaud et un profiteur, pour d’autres, au contraire, il aura été un oncle aimant et un puits de connaissance. Et pour le lecteur ? Pour le lecteur, il est tout ça, c’est-à-dire qu’il est incroyablement humain dans ses grandeurs et ses bassesses et que c’est justement par là que Seth nous le rend – on serait presque tenté de dire « tout de même » – particulièrement attachant.
En somme, George Sprott, c’est un peu le Steve Zissou de La Vie Aquatique transposé à la télé régionale canadienne : un de ces vieux présentateurs comme on n'en fait plus qui présente jour après jour un documentaire désuet sur l’Arctique et qui voit son public diminuer au fil des ans. Hors antenne, sa vie est à l’image de ces grands déserts de glace dans lesquels il a trop traîné. Oui, il y a des similitudes entre le chef-d’œuvre de Seth et celui de Wes Anderson, une même sensibilité, un même charme un peu désuet et presque mélancolique. Les mêmes effets spéciaux aussi : maquettes en cartons exposées pleine page chez l’un ; thon strass et crabes berlingots chez l’autre.
Des univers proches mais qui gardent néanmoins toute leur originalité et, pour en revenir à Seth et son héros – car ce sont eux, ici, qui nous intéressent – on appréciera ce trait de crayon tout doux, ces couleurs qui changent selon que l’on découvre George à travers un entretien avec ses proches, un flashback, ou en suivant en direct les dernières minutes qui précédèrent sa mort ; on appréciera le ton, l’humour délicat, la sobriété – le respect, même – avec lesquels il donne vie à son défunt personnage de fiction ; on appréciera aussi le narrateur qui apparaît de temps en temps pour nous exposer ses limites comme des maladresses, et qui saura autrement se faire parfaitement discret quand les choses parlent d’elles-mêmes.
L’œuvre de Seth est belle et douce, elle est aussi intelligente et dotée d’une vraie réflexion sur ce qu’est quelqu’un quand il n’est plus. Alors, on n’est plus que ce que les autres percevaient de nous, ou plutôt, ce qu'ils continuent de percevoir, on n’est plus qu’à travers les autres, parfaitement imparfait, la mémoire ne donnant plus qu’une image unique de la personne que l’on était : définitivement, pour eux, on sera un père, un oncle, un concurrent, un filou, un aventurier. C'est tout - et c'est angoissant. En recoupant tout cela, Seth nous donne-t-il, à nous, un aperçu de ce que George aura vraiment été ? Ou n’en aurons-nous qu’une image déformée, un patchwork fait de vignettes caricaturales ? D’où vient George ? Où ira-t-il après sa mort ? Et entre les deux ? George n’existe plus. Il existe pourtant dans les souvenirs de tous ceux qu’il a croisé pendant 81 ans. Mais est-ce encore George ? Vit-il encore ou a-t-il bien disparu pour ne laisser place qu’à une ombre, une ombre qui lui ressemble certes, mais ne demeure qu’une surface plate et uniforme, sans relief et sans vie ? Qu’importe ! Le plus important, c’est que, grâce à Seth, George a vécu et que c’est pour nous l’occasion, au fil des pages, de passer un bout de temps avec ce qui reste de lui, de bon et de moins bon, jusqu’à ce qu’il nous soit familier comme un grand-père disparu, comme une figure familière disparue, comme un souvenir. Et dès lors, puisqu’il vit en nous, George n’a plus besoin de mourir et de naître – à moins que ce ne soit l’inverse : il existe. La preuve : on s’en souvient !
Les éditions
Les livres liés
Pas de série ou de livres liés. Enregistrez-vous pour créer ou modifier une série
Les critiques éclairs (4)
» Enregistrez-vous pour publier une critique éclair!
La vie d'un homme fictif à travers le regard de l'autre
Critique de Pucksimberg (Toulon, Inscrit le 14 août 2011, 45 ans) - 13 juillet 2012
La bande dessinée a un support papier de qualité et joue sur divers formats de vignettes. Les couleurs varient, le trait est plutôt naïf. Cependant comme Benjamin, je n'ai pas été captivé par ce personnage plutôt commun. Je me suis même ennuyé. J'aurais aimé partager l'enthousiasme des autres lecteurs, mais le magie n'a pas opéré sur moi. De plus certaines bulles sont minuscules et difficiles à lire.
C'est sans doute les choix esthétiques et le dessin naïf qui m'ont intéressé.
George
Critique de Aaro-Benjamin G. (Montréal, Inscrit le 11 décembre 2003, 55 ans) - 22 mai 2012
Une vie
Critique de Koudoux (SART, Inscrite le 3 septembre 2009, 60 ans) - 21 février 2012
Très original, des dessins de formats différents et des couleurs rappelant les anciens journaux.
Un seul bémol pour moi, certains dessins plus petits rendent moins confortable la lecture.
Un livre à découvrir.
La pointe de l'iceberg
Critique de Nance (, Inscrite le 4 octobre 2007, - ans) - 3 décembre 2011
Une grande bande dessinée ! Elle pousse à la réflexion sur le côté éphémère de la vie, presque de sa futilité et fait se demander si on peut vraiment connaître quelqu’un. Est-ce qu’un point de vue en particulier peut révéler une personne ? Plusieurs points de vue ? Ou aucun ne le peut réellement ? En tout cas, le résultat ici donne un portrait imparfait, mais très humain. Même si j’ai adoré, j’ai quelques critiques cependant. Parfois, j’ai trouvé le narrateur trop présent, le personnage de George Sprott est fictif (est-ce vraiment important ?), mais je crois qu’on n’aurait pas dû le sentir autant, reste que son côté très assumé me rend l’auteur très sympathique (ça aurait pu facilement me faire détester la bande dessinée si ça aurait fait différemment). Aussi, purement technique, le format est plus grand que je m’y attendais, c’était un peu encombrant, et surtout, la police était parfois plus petite que désirée... mais ça ne m’a pas fait moins apprécié la bédé. C’est une oeuvre douce-amère, intelligente, imparfaite, que je recommande à tous.
Forums: George Sprott : 1894-1975
Il n'y a pas encore de discussion autour de "George Sprott : 1894-1975".