Les Fantômes du roi Léopold : La terreur coloniale dans l'Etat du Congo, 1884-1908 de Adam Hochschild
Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Histoire
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Un holocauste oublié
Dix millions de morts. Différentes études s'accordent pour estimer que plus de la moitié de la population vivant au Congo a été décimée pendant la période pré-coloniale durant laquelle ce territoire était la propriété privée du roi Léopold II.
Tout a commencé par l'alliance entre le roi des Belges, obsédé par l'idée d'avoir une colonie pouvant lui rapporter d'importants revenus, et Henry Morton Stanley, un anglais avide d'aventures ayant participé à la guerre de sécession aux Etats-Unis en servant les deux fronts, puis en ayant retrouvé Livingstone en Afrique.
Stanley reçoit pour mission de réussir ce qu'aucun Occidental n'est parvenu à faire jusque alors: remonter le fleuve Congo, dont l'embouchure est barrée par 300 km de rapides infranchissables, afin d'explorer l'intérieur du continent noir pour le compte de Léopold. Loin de l'image d'Épinal du courageux explorateur au grand cœur, l'homme, colérique et sadique, progresse alors le long du cours d'eau avec la gâchette facile, accompagné d'une interminable colonne de porteurs enchaînés, sous-alimentés et épuisés.
Par un habile tour de passe-passe politique, Léopold parvient à faire reconnaître par les États-Unis, la France et l'Allemagne, les territoires découverts par Stanley comme sa propriété privée. Il utilise un motif récurent: la noble lutte contre l'esclavage arabe sévissant dans ces régions.
Commence alors l'exploitation à grande échelle de la première ressource découverte au Congo: l'ivoire. Des tonnes d'ivoire sont acheminées par porteurs jusqu'aux navires en partance pour Anvers attendant à l'embouchure du fleuve. En sens inverse, les porteurs longent les 300 km de rapides avec les pièces détachées des bateaux à vapeur qui sillonneront les parties navigables du Congo, ainsi que tous les biens nécessaires à la mise en place des postes avancés. Bien que Léopold prétendait haut et fort lutter contre l'esclavage, les conditions d'embauche et de travail de ces porteurs avaient toutes les caractéristiques du travail forcé: déplacements de population, réquisition dans les villages, porteurs enchaînés les uns aux autres, sous-alimentation, paie symbolique. Et puis, il y avait la chicotte, ce fouet cruel composé de lanières en peau d'hippopotame, dont l'appellation est intimement liée à l'histoire coloniale du Congo, qui s'abattait sans compter sur les travailleurs à qui il fallait « donner du nerf » ou qui servait de châtiment à la moindre incartade.
Les très rares témoignages d'autochtones qui ont pu être retrouvés, démontrent la violence inouïe à laquelle était confrontée la population locale. Comme celui de cette femme qui raconte comment les habitants de son village ont été capturés et enchaînés les uns aux autres pour une marche forcée de plusieurs jours en portant des charges conséquentes. Sa sœur, enchaînée à ses côtés, portait un bébé. Après cinq jour de marche, son bébé lui a été arraché des bras et a été jeté sur le bas côté du chemin où il est mort de faim, pour qu'elle puisse elle aussi recevoir un lourd colis. Les prisonniers à peine nourris qui s'effondraient de fatigue étaient abattus à coup de crosse. Si bien que toutes les routes servant à l'acheminement de l'ivoire et des vivres étaient jonchés de cadavres et d'ossements humains.
A la lecture des descriptions des conditions de travail, on ne peut s'empêcher de penser aux témoignages des prisonniers des camps de la morts sous le régime nazi: les marches forcées, le travail jusqu'à épuisement, la sous-alimentation et les maladies qui emportaient bon nombre d'entre eux en raison des conditions extrêmes dans lesquelles ils devaient survivre. La comparaison avec le régime autoritaire se poursuit dans la façon dont les Blancs ont participé à l'horreur: la justification de leurs actes ignobles au nom du « respect de l'autorité » et la distanciation qu'ils ont rapidement pris par rapport aux peines infligées. Exactement comme cinquante ans plus tard, des juifs étaient désignés kapos dans les camps de concentration, ce sont des Noirs qui se sont vu confier la tâche d'infliger les peines cruelles et les exécutions de leurs compatriotes.
Mais ce transport d'ivoire était encore bien peu de chose en comparaison avec la terreur qui sera mise en place lors de la découverte quelques années plus tard d'une autre source de revenus pour Léopold: le caoutchouc.
La récolte du caoutchouc nécessite d'envoyer les travailleurs loin dans la forêt où ils doivent escalader de longues lianes d'où est extrait le précieux liquide. La méthode de gestion du personnel en vigueur jusque-là qui consistaient à faire transporter des charges aux travailleurs en les enchaînant et les menaçant, n'était plus applicable pour cette nouvelle fonction. Une autre méthode s'est alors mise en place: la séquestration des femmes, des enfants et des vieillards d'un village, dont la libération ne pourrait avoir lieu que lorsque les hommes auraient rapporté chacun une quantité précise de caoutchouc. Mais quand ces hommes reviennent avec leur récolte plusieurs semaines plus tard, c'est généralement pour retrouver certains de leurs proches morts de faim par défaut de nourriture pendant leur captivité, des jeunes filles violées, et les rescapés malades et totalement affaiblis. Les quelques hommes qui n'ont pas ramené la quantité de caoutchouc ordonnée se voient infliger un châtiment exemplaire et parfois même la peine de mort.
Ce durcissement du régime a provoqué de nombreux soulèvements parmi la population locale commençant à prendre le maquis, auxquels l'administration de Léopold a réagi en mettant en place une armée de plus en plus nombreuse et l'importation massive d'armes et de munitions. Les années qui suivent ne sont qu'une succession de rebellions, d'expéditions punitives, de villages incendiés, de terres brûlées, de pillages et d'exécutions sommaires, dans le but de maintenir le rythme de production du caoutchouc. Afin d'éviter que les soldats congolais gaspillent leurs cartouches à la chasse ou les accumulent en vue d'une mutinerie, il leur sera alors demandé de rendre chaque soir leurs cartouches non utilisées et de justifier les cartouches manquantes en présentant les mains qu'ils ont coupées aux personnes qu'ils ont abattues. Outre le fait que des milliers de mains ont été comptabilisées démontrant la violence des combats, plusieurs témoignages évoquent des situations où des mains ont été amputées sur des personnes vivantes.
Voilà en quelques paragraphes un petit résumé de la réalité dans laquelle était plongé le Congo entre 1884 et 1908, à l'époque où Léopold II construisait des édifices grandioses à Bruxelles et vantait imperturbablement les bienfaits de son action en Afrique dans sa lutte contre les trafiquants d'esclaves, sur fond d'exotisme bon-enfant.
Mais ce livre n'est pas qu'une accumulation de témoignages d'horreur. C'est surtout une analyse fine et remarquablement documentée du système de Léopold, de sa personnalité et de ses intrigues politiques qui lui ont permis de mettre le grappin sur cet immense territoire et se maintenir à sa tête pendant 24 ans. Il évoque également toutes ses actions visant à réduire ses détracteurs au silence, ou à déjouer, par une propagande bien menée, les voix de plus en plus nombreuses dénonçant la situation au Congo. L'auteur s'attarde en effet sur les différentes personnes qui ont dénoncé, parfois très tôt, ces crimes contre l'humanité (ils utilisaient déjà cette expression), et sur la façon dont ils ont agi pour forcer le roi à mettre fin à ces exactions à grande échelle. C'est notamment le cas du jeune journaliste Morel qui a, des années durant, ameuté l'opinion publique anglaise et américaine sur la situation en Afrique, au point que Léopold, qui avait prévu de léguer à sa mort le Congo à la Belgique, s'est trouvé contraint de la lui céder plus vite. Avide jusqu'au bout, il l'a cédé non pas gracieusement, mais contre des deniers publics sonnants et trébuchants.
Cet essai est paru une première fois en 1998. L'auteur, un professeur de journalisme à l'université de Berkeley, a pu l'écrire notamment sur base de documents officiels belges libérés seulement après 1980, mais également sur base d'une impressionnante documentation mentionnée à la fin de l'ouvrage. Suite à l'important succès de son ouvrage traduit en plusieurs langues, il l'a réédité en y ajoutant un chapitre sur l'impact qu'a eu celui-ci depuis lors. Et de citer par exemple les timides allusions à ce régime de terreur ajoutées dans quelques salles du musée de l'Afrique centrale de Tervueren, qui, jusque-là, n'était qu'un catalogue lénifiant sur les espèces animales et végétales africaines, agrémenté de quelques références aux peuplades locales.
Une lecture indispensable pour tout ceux qui ne veulent pas se cantonner à la version officielle. Celle qui a perduré pendant un siècle sur « l'œuvre civilisatrice du roi bâtisseur ».
Les éditions
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Les fantômes du roi Léopold [Texte imprimé], la terreur coloniale dans l'État du Congo, 1884-1908 Adam Hochschild traduit de l'anglais (États-Unis) par Marie-Claude Elsen et Frank Straschitz épilogue inédit de l'auteur
de Hochschild, Adam Elsen, Marie-Claude (Traducteur) Straschitz, Frank (Traducteur)
Tallandier / Texto (Paris. 2007)
ISBN : 9782847344318 ; 12,00 € ; 05/04/2007 ; 617 p. ; Broché
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Les critiques éclairs (2)
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Une infamie qui ne manque pas d’intérêt.
Critique de Saint Jean-Baptiste (Ottignies, Inscrit le 23 juillet 2003, 88 ans) - 18 février 2019
Pourtant beaucoup d’auteurs ont écrit sur le sujet. La plupart se sont recopiés. Mais tous ceux qui ont confondu l’enquête historique et le réquisitoire n’ont retenu des archives que ce qui alimentait leur dossier à charge. C’est ce qu’a fait notre pseudo-historien, sauf qu’il n’a pas consulté les archives ! Il a trouvé plus simple de recopier servilement les célèbres rapports de Elmund Morel et de Roger Casement, datant de 1903, et que tous les intéressés par l’ancienne colonie belge connaissent parfaitement. (On sait que ces rapports étaient rédigés sur commande dans le but d’enlever la possession de Léopold II pour l’inclure dans l’Empire britannique).
Mais notre prétendu historien américain, dans son livre paru en 1998 et intitulé « Un Holocauste oublié », puis réédité en 2007 sous le titre « Les Fantômes du roi Léopold », ne s’est pas contenté, lui, de recopier ces rapports ; il y a ajouté une quantité de « témoignages » soigneusement triés dans les correspondances de personnages aigris qui n’ont pas su s’adapter à la vie rude des pionniers d‘Afrique ou, dans les ragots qui se transmettent de générations en générations dans les bistrots congolais, où aujourd’hui, à défaut d’avoir mangé, on boit.
Toutefois, reconnaissons honnêtement que si son but était de gagner beaucoup d’argent, c’est réussi.
Évidemment, ce recueil de témoignages est un peu court pour remplir un livre de 622 pages, écrit petit et bien serré. Notre illustre pseudo-historien américain n’a, alors, pas hésité à faire des copier-coller de biographies de Stanley, d’Edmund Morel, de Roger Casement, de médecins, de missionnaires… ah non ! que non ! surtout pas des médecins, ni des missionnaires... ni des ingénieurs, ni des entrepreneurs, ni des enseignants ! Ils auraient révélé des vérités incontestables sur les réalisations gigantesques que tant de pionniers belges ont réalisées au Congo pour en faire la colonie modèle, tant regrettée par tous depuis le funeste 30 juin 1960, jour de la proclamation de l’indépendance, et début d’un cataclysme économique et social dont on ne verra jamais la fin. Un livre qui aurait fait honnêtement la part des choses se serait moins bien vendu !
Il faut quand même remarquer que l’auteur, en fin de livre, a honnêtement donné le répertoire des biographies qu’il a consultées. Ça remplit 23 pages ! Et il nous dit que ce n’est qu’une sélection ! Ces extraits de biographies constituent la partie la plus intéressante de l’ouvrage, quoique, comme il fallait s’y attendre, elles ne sont nullement objectives : tous les amis du roi sont des salopards, et ses ennemis sont tous, comme par hasard, des gens tout à fait remarquables.
Finalement, ce livre est un monument d’infamies contre Léopold II. Si l’auteur croit réellement ce qu’il a écrit, il aurait pu le placer au sommet du podium des plus grands malfaiteurs de l’humanité. Personnellement, je pense qu’il aurait été plus intéressant d’écrire un livre qui aurait fait la part des choses. En réalité, Léopold II s’est rendu coupable de beaucoup de négligence et de précipitation. Les concessionnaires envoyés sur place n’étaient pas formés. C’était souvent des aventuriers sans foi ni loi ; et le roi aurait dû savoir que quand on donne un pouvoir à un minable on en fait un tyran. Ceux-la travaillaient pour des sociétés dont le roi était actionnaire et ils ont commis des crimes. Le roi s’est rendu coupable d’avoir négligé les quelques très rares rapports accablants qu’on lui envoyait. Quand il a enfin réagi, il l’a fait avec une fermeté exemplaire mais, c’était trop tard, le mal était fait.
Évidemment, ce livre a bénéficié d’un battage publicitaire inouï et bien dans l’air du temps. Il a ouvert une boite de Pandore dont sont sortis toutes sortes de publications, qui se recopient les unes les autres, avec toujours plus de surenchère dans la calomnie et la diffamation.
Finalement tout ça n’est pas innocent. ! Ce type de « fake-niews » à retardement finit par créer des rancœurs au sein des populations congolaises très nombreuses en Belgique ; ces populations ne font pas la différence entre le Congo, possession personnelle de Léopold II de 1884 à 1908, où il s’est passé des crimes, et la colonie de 1908 à 1960 qui fut un moment de prospérité et de développement social à peu près unique dans l’histoire du monde. On en arrive à déboulonner les statues du Roi Léopold II dans les parcs publics et on voudrait démanteler le splendide musée d’art africain de Tervueren, parce que le mot « colonie » y est prononcé !
Il est vrai que quand il s’agit de diffamer la monarchie et l’ex-colonie belges, on trouve toujours une multitude d’énergumènes, ignorants et manipulés, qui se précipitent à la curée sans la moindre tempérance ni le moindre bon sens.
Il reste à espérer que parmi tous les Américains qui ont acheté ce livre, très peu l’auront lu, parce qu’il n’est pas facile à lire ; et que ceux qui eu la patience de le lire jusqu’au bout, l’auront vite oublié. Sinon, l’envie leur prendra de pendre en effigie notre feu Roi Léopold II – qui a dû se retourner dans sa tombe à la parution du livre – et de pendre pour de bon tous les Belges qu’ils rencontreront sur leur chemin.
Un lecteur averti en vaut deux !
Un document exceptionnel
Critique de CHALOT (Vaux le Pénil, Inscrit le 5 novembre 2009, 76 ans) - 14 février 2019
La terreur coloniale dans l'Etat du Congo, 1884-1908
par Adam Hochschild
avril 2017
530 pages et 70 de notes
Une monstruosité dénoncée avec force
L'auteur rompt le silence qui existe encore de nos jours sur l'horreur de la politique coloniale du roi des belges.
Le lecteur apprend que le roi a acquis par rapines et grâce à des interventions colonialistes par ruse et par force cet immense territoire.
Le Congo , en dehors du Congo « français » de Brazza, sera sa propriété personnelle ;
Le Congo n'« appartiendra » à la couronne qu'en 1908 à la veille de la mort de Léopold II qui vendra ce pays à l'état belge .
Plus de 10 millions de congolais de tous les âges auront péri sous le joug du colonialisme porté et dirigé par un monarque qui jamais ne mettra les pieds dans ce vaste pays.
La création du pneu en caoutchouc va permettre au roi d'acquérir une fortune importante en exploitant les forêts .
Ce sera pour les uns une source d'enrichissement et pour les africains le développement d'un esclavage sans pitié.
Les adultes et les enfants étaient contraints de tout laisser pour « extraire » le précieux caoutchouc.
Le caoutchouc est de « la sève coagulée. Il provient d'un mot indien d'Amérique du Sud qui signifie « le bois qui pleure »...... »
La photographie qui illustre la couverture de ce livre montre des êtres humains mutilés …..
C'est par milliers que des mains ont été coupées....
Pour prouver que les cartouches distribuées servaient à tuer les personnes refusant d'aller à la récolte du caoutchouc, les soldats devaient ramener une preuve.
« La preuve habituelle était la main droite d'un cadavre. Ou dans certains cas, pas d'un cadavre » « Parfois, confia un officier à un missionnaire, les soldats tirent une cartouche sur un animal à la chasse ; ils coupent ainsi la main d'un homme vivant. »
Pendant que Léopold poursuit sa politique d'atrocités, il se fait passer dans l'Europe et jusqu'en Amérique comme un philanthrope luttant contre l'esclavage !? De fait il dénonce l'esclavage arabe pour y substituer le sien !
Un mouvement très minoritaire, sans moyens financiers va commencer à s'élever contre cette politique inhumaine, ce sont surtout Edmund Dene Morel et Roger Casement, membre du service consulaire britannique....
Ils vont recueillir des témoignages, les rassembler,les éditer, animer des conférences.
C'est l'émergence du premier mouvement de défense des droits de l'homme.
Ils finiront pas réussir à convaincre du bien fondé de leurs dires, de nombreux intellectuels mais, comme le précise l'auteur de ce monumental ouvrage, c'est l'oubli aujourd'hui, représenté par le musée royal de l'Afrique centrale qui possède à Bruxelles d'importantes collections venant d'Afrique.
Rien n'informe ni ne rappelle les massacres massifs qui ont eu lieu sous ce souverain qui est ici, dans ce musée, célébré.
Jean-François Chalot
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Quand un journaliste américain raconte le Congo. | 65 | Saint Jean-Baptiste | 3 janvier 2014 @ 19:15 |