Le malaise dans la culture de Sigmund Freud

Le malaise dans la culture de Sigmund Freud
( Das Unbehagen in der Kultur)

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Psychologie

Critiqué par NQuint, le 6 octobre 2009 (Charbonnieres les Bains, Inscrit le 8 septembre 2009, 52 ans)
La note : 10 étoiles
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Un Freud méconnu mais essentiel et passionnnant

1929. Un Sigmund Freud âgé de 73 ans dont l'essentiel de l'oeuvre est désormais derrière lui est en vacances à Berchtesgaden (oui le même que ...). Pour "passer le temps pendant ses vacances" (car il dit dans sa correspondance en avoir marre de jouer aux cartes et faire de la marche - on peut le comprendre), il écrit un court ouvrage (moins de 100 pages) qu'il vit comme (je cite) "tout à fait superflu", ne parlant que de "culture, sentiment de culpabilité, du bonheur et d'autres choses élevées du même genre" et ayant découvert "les vérités les plus banales". Humilité, coquetterie ? Nul ne le saura jamais et peu importe.
Ce qui importe est qu'à mon sens ce livre est une oeuvre essentielle de Freud. Certes, il n'a pas eu le même impact sur son temps que ceux traitant des découvertes fondatrices de la psychanalyse (Psychopathologie de la vie quotidienne, Totem et Tabou, ...) et c'est peut-être en cela que Freud le considère comme une oeuvre mineure. Mais le grand mérite de ce livre est d'ouvrir la perspective de Freud et de présenter une pensée englobante, là où la focale habituelle de Freud est l'homme et non l'humanité (même si l'"Avenir d'une Illusion" sur le rôle de la religion en 1927 préfigurait ce tournant).
C'est donc un Freud vieillissant qui disserte sur la civilisation (le titre du livre peut aussi, et devrait être traduit en civilisation et non culture) et commet ici un essai plus philosophique que psychanalytique. Et c'est en cela qu'il me passionne.
Comment suis-je tombé sur ce livre ? En fait, je poursuis mon cycle "Le monde et la civilisation telle que nous la connaissons sont-ils condamnés à disparaître à plus ou moins brève échéance ?"(je penche pour le oui et le bref). Je tiens à dire que j'évite l'angle bien trop réduit et hystérisant de la simple écologie-défense des petits oiseaux. Je lis des ouvrages sur le thème selon plusieurs angles, par exemple l'angle écologique/sociologique de Jared Diamond. J'ai également relu "Ravages" de Barjavel qui donne une vision particulière mais qui ne manque pas d'acuité. Freud, lui, fournit d'autres clefs tout aussi essentielles (plus ?).
Car il est ici question du "Pourquoi ?". Il est bien joli de constater que la planète entière danse sur ses futures ruines en se fichant comme de l'an 40 (pardon, bien plus en fait) de sa proche déchéance. On peut s'en émouvoir, vitupérer, manifester (selon sa sensibilité écologiste plus ou moins radicale - il existe encore théoriquement la possibilité de ne PAS être écologiste mais elle se réduit et va bientôt disparaître, bannie par la Religion Occidentale Contemporaine pour citer Debray) ... ou essayer de comprendre pourquoi l'Homme est ainsi (à commencer par soi-même), quelle est la dynamique civilisationnelle qui nous entraîne là ?
Le tour de force du livre est d'arriver en moins de 100 pages à condenser les questions essentielles. Freud s'intéresse notamment à la construction de la civilisation. Au fond, qu'est-ce qui pousse l'Homme à s'agréger et à fonder des civilisations (des "cultures" pour Freud) ? Qu'est-ce qui l'a amené de passer de la solitude à la tribu puis à la mégalopole ? Le souci de survie ? Certes, il en fait partie. Est-ce suffisant pour comprendre pourquoi 80% de la population de la planète vivra bientôt dans des conurbations? Non. Il y a bien là une pulsion chez l'homme (que Freud associe à une pulsion de vie, l'Eros - à ne pas prendre au pied de la lettre comme étant une pulsion érotique pure ... si elle s'appuie sur l'énergie sexuelle, la Libido, le Ca, son objet en est détourné ...) qui le pousse à se rassembler. Mais cela n'est pas gratuit. Il le fait au prix d'un renoncement à des pulsions primaires (liberté individuelle vs la loi) qui a un coût dans l'"économie libidinale". Ce renoncement va se faire par une contrainte externe (l'"éducation") et va être intégrée dans le SurMoi.
Mais cela ne se fait encore pas gratuitement (décidément, tout a un coût en ce bas monde ...). Parallèlement à cela, et à cause de cela, l'homme va développer un instinct de mort, une pulsion de mort, destructrice et/ou auto-destructrice (que Freud dénomme "Thanatos"), qui est mise sous le boisseau mais qui, sous certaines conditions, explose de la façon la plus spectaculaire (génocides par exemple). De cette façon étonnante, Freud renoue finalement avec un sentiment proche du religieux (qu'il honnit pourtant - cf l'Avenir d'une Illusion) en retrouvant le Bien et le Mal commun à tous les monothéismes.
La question finale étant qui, d'Eros ou de Thanatos, va gagner au final.
Il est intéressant que Freud, en 1929, écrive cette dernière phrase au livre : "Et maintenant, il faut s'attendre à ce que l'autre des deux puissances célestes, l'Eros éternel, fasse un effort pour s'affirmer dans son combat contre son adversaire tout aussi immortel". Optimisme sorti de la verdure des montagnes allemandes .... qui sera douché en 1931 car Freud sent et pressent que Thanatos est train de fomenter une offensive sans précédent avec le parti Nazi. Aussi, il ajoute dans une réédition "Mais qui peut présumer du succès et de l'issue ?".
Je me rend compte que malgré la longueur de ma dissertation, j'ai outrageusement simplifié la pensée du maître. A défaut de pouvoir et savoir les résumer, je me contenterai de dire que Freud "digresse" si l'on peut dire (et de quelle manière !) sur des sujets essentiels tels que la place du travail ou de l'art dans la société et en quoi répondent-ils à un besoin de l'homme (là, on se dit que Martine Aubry aurait du lire Freud - penser que le travail se réduit à un "temps donné" dont on fait un décompte mathématique et dont la flèche de l'Histoire orienterait le temps à la baisse de façon inéluctable - est d'une bêtise crasse, mais passons) ou encore sur la formation de la conscience morale.
E-S-S-E-N-T-I-E-L

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