Quand les hommes vivront d'amour...

Avec cet album, Jacques Tardi et Jean-Pierre Verney plongent leurs lecteurs au cœur de la Première Guerre mondiale et de ses atrocités. Nous suivons donc un simple combattant français qui travaillait dans la vie civile comme ouvrier tourneur en métaux aux établissements Biscorne de la rue des Panoyaux à Paris. Voilà donc notre homme obligé de combattre les Allemands en première ligne durant la sanglante bataille de la Marne. Cette bataille, il nous la raconte dans la première partie intitulée « 1914 ». Notre soldat combat aux côtés de ses compatriotes français mais il fait aussi parfois équipe avec les « Tommies », les soldats britanniques. La deuxième partie « 1915 » est la continuation de la guerre mais cette fois ce sera les tranchées et toutes leurs horreurs. Il y a aussi de nouveaux combattants puisés dans l’empire colonial de l’Angleterre. La France n’est pas en reste avec ses troupes d’Afrique du nord et sa «force noire », les Sénégalais. Notre gentil soldat a droit à une permission mais il réalise que son odeur et sa crasse dérangent les civelots. Il retourne bien vite au front, au massacre… Finalement la troisième partie « 1916 » voit notre gars combattre dans la neige et le froid. Cette fois, il rencontre des Américains. La guerre fait rage, la technologie se développe et de nouvelles armes terrifiantes prennent du service. Nous assistons à la terrible bataille de Verdun.

J’ai beaucoup aimé cette bande dessinée malgré le sujet peu réjouissant. Les textes sont prenants et souvent très émouvants. Notre soldat français jette un regard désabusé sur l’enfer qui l’entoure. Il est là mais pas entièrement. Il ne se sent pas tout à fait à sa place dans cette boucherie. Comme il le dit, il est un homme peu instruit donc il ne comprend pas toujours l’enjeu des batailles auxquelles il participe. Il n’y a pas de dialogues mais seulement les réflexions et descriptions du personnage principal. Cela place le lecteur dans le rôle d’un spectateur qui assisterait à la projection d’un documentaire. Notre homme s’exprime avec beaucoup de termes argotiques mais heureusement, à la fin de l’album, on retrouve un petit dictionnaire du vocabulaire des tranchées. J’ai trouvé ce langage tout à fait savoureux. Quelques exemples : on appelle les chars d’assaut britanniques « crème de menthe » ! Une « abeille » est une balle ou un petit éclat d’obus, le sac à dos est appelé « as de carreau », un fusil devient une « canne à pêche », les fils barbelés se nomment « corde à linge » et ainsi de suite. Je trouve cette façon de s’exprimer si humaine et attachante !

Les dessins de Jacques Tardi sont excellents et m’ont beaucoup plus. Les détails sanglants ne manquent pas mais ce qui m’a enchantée, c’est le fait que dans toute cette boucherie, monsieur Tardi dessine des coquelicots tout mignons de poésie et de délicatesse. Les scènes dans la neige sont particulièrement réussies et je pouvais presque ressentir la morsure du froid. Les dessins créent une atmosphère lugubre mais combien évocatrice de ce qu’ont vécu ceux qui sont morts durant ce terrible affrontement.

Le travail de documentation de Jean-Pierre Verney est remarquable tant au niveau du déroulement des événements que des détails pratiques comme les uniformes, les armes, les conditions du terrain et de vie des soldats.

Je me suis demandé en abordant cet album réalisé en 2008, pourquoi encore parler de la guerre ? Après quelques recherches, j’ai appris que la Première Guerre mondiale a toujours hanté les rêves d’enfant de monsieur Tardi et est un des thèmes majeurs de son œuvre. Jean-Pierre Verney quant à lui est un historien spécialiste de la Première Guerre. On retrouve donc à la fin de cet album plusieurs pages, signées par l’historien, qui résument la genèse et le déroulement de ce conflit.

Il est donc impossible pour moi d’enlever des étoiles à un travail d’une aussi grande qualité artistique et documentaire.

« Pour enlever les cadavres des copains, il nous fallait attendre la nuit en espérant ne pas se trouver piégés par une fusée éclairante, à jouer les ombres chinoises qu’on tire pour un kilo de sucre ou un panier garni à la foire du Trône. En janvier, on a eu de la neige, ça faisait plus propre mais des morceaux de viande humaine retombaient quelquefois en flocons rouges sur le linceul dégueulasse du champ de bataille. »

« Il y avait ceux qui se laissaient doucement accompagner aux postes de secours, sans leurs yeux, sans leur visage, sans leur bouche et leur langue, leurs tripes dans les pognes, ne pouvant plus faire sortir d’eux-mêmes que de faibles râles. Et puis il y avait, bien plus nombreux, ceux qui restaient sur le terrain… »

• 

  Putain de guerre ! [Texte imprimé], 1914-1915-1916 Tardi, Verney

  de Tardi, Jacques (Scénariste) Verney, Jean-Pierre (Scénariste)
  Casterman
  ISBN : 9782203017399 ; 16,00 € ; 07/11/2008 ; 67 p. ; Album

  Go Amazon