Dark days in Ghana de Kwame Nkrumah

Dark days in Ghana de Kwame Nkrumah

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Histoire

Critiqué par Oburoni, le 6 juin 2009 (Waltham Cross, Inscrit le 14 septembre 2008, 41 ans)
La note : 8 étoiles
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Questions ouvertes

Un coup d'Etat

24 février 1966. Invité par Ho Chi Minh a des pourparlers avec les américains pour tenter de résoudre la crise au Vietnam, Kwame Nkrumah, président du Ghana, est en route pour Hanoi. Il est en escale en Chine lorsque, profitant de son absence, une junte militaro-policière s'empare du pouvoir à Accra. Le coup d'Etat a été bref. Les hommes qui l'ont orchestré annoncent le jour même la formation d'un Conseil de Libération Nationale dirigé par J.A. Ankrah. En clair : le pays tombe sous le coup de lois martiales et, après environs dix ans au pouvoir, Kwame Nkrumah, père de l'indépendance et l'un des leaders Pan-africains les plus respectés du continent noir, devient officiellement un homme déchu. C'est la fin d'un règne.

Trouvant refuge en Guinée où le président Sekou Touré lui offre asile, l'homme passera les dernières années de sa vie à ruminer sur ce qui lui est arrivé. Dans "Dark Days in Ghana", écrit durant les mois qui suivent sa chute, il donne en détail son interprétation des évènements.

Une machination néocoloniale ?

Pour lui, et c'est la l'idée centrale du livre, son renversement est avant tout un acte contre-révolutionnaire organisé et soutenu par les puissances néocoloniales.
L'accusation est grave et peut faire sourire mais, même s'il n'y a toujours aucune preuve pour l'étayer -laissant encore planer le doute sur sa véracité- au vu du contexte de l'époque elle n'est pourtant pas si absurde.

En 1966 nous sommes en effet en pleine guerre froide. Kwame Nkrumah n'hésite non seulement pas a dénoncer les politiques néocoloniales du bloc occidental -son livre le plus récent, "Neocolonialism", pointe son influence économique désastreuse- mais il ne cache pas non plus ses tendances pro-soviétiques. Ses travaux sont un prêche du socialisme scientifique; son idéologie ( le nkrumahisme, ou "consciencism", du titre d'un de ses livres ) est inspirée du marxisme. Il va même très loin : pour lui le capitalisme a été importé en Afrique avec le colonialisme, l'Afrique ne se débarrassera donc pas du colonialisme et ne sera pas libre tant qu'elle ne se débarrassera pas du modèle capitaliste. Pan-africain souhaitant de plus l'union du continent en une sorte d'Etats-Unis d'Afrique, beaucoup s'interrogent alors : essayerait-il de répandre le communisme sur le continent noir ? L'existence au Ghana de camps militaire où des "combattants de la liberté" viennent se former en inquiètent déjà plus d'un...

Lorsque l'on sait que les Etats-Unis n'hésitèrent pas à magouiller pour renverser ceux qui se rangent, ou sont soupçonnés de vouloir se ranger, au côté de l'Union Soviétique, le doute plane : la CIA a-t-elle joué un rôle dans le coup du 24 février ? Encore une fois : il n'y a aucune preuve pour soutenir une telle accusation; mais on sait maintenant que cette organisation s'est à l'époque salie les mains dans pas mal de pays : Somali, Sud du Soudan, Burundi etc... Le coup au Ghana serait-il, comme l'affirme Kwame Nkrumah, à prendre dans un large contexte incriminant une politique impérialiste des Etats-Unis et de ses alliés ?...

...Ou bien est-ce juste une affaire purement ghanéenne ? Un putsch qui n'a rien a voir avec la situation internationale mais touche plus simplement à la politique interne menée par ce dernier ?

Un dictateur renversé

D'après les orchestrateurs du coup, les leaders du Conseil de Libération Nationale, s'ils se sont emparé du pouvoir c'est avant tout pour restaurer la démocratie et éviter au pays de sombrer dans le "chaos économique".

Pour ce qui est de l'économie, la joute est propagande contre propagande. Oui, Nkrumah a apporté beaucoup aux ghanéens depuis l'indépendance : éducation, santé, construction d'infrastructures, modernisation, industrialisation etc... Il est aussi ( ce qu'il ne dit pas... ) à la tête d'un gouvernement corrompu qui laissera le pays endetté et, peu avant son renversement, il n'est pas rare de voir les gens faire la queue devant les magasins pour se procurer du savon, du lait, des médicament et autres produits de première nécessité devenu rares... Au lecteur de trouver un équilibre et de juger !

Le fait est qu'il était devenu un dictateur.
Le multipartisme, il l'affirme ici, est un système politique étranger à l'Afrique : comme le capitalisme il est une importation du colonialisme. Peu à peu, donc, il va plonger le Ghana dans un régime totalitaire. Le Prevention Detention Act de 1958 ( Acte de Détention par Prévention ) condamne à la prison ceux qui osent le critiquer ( près de 3000 ghanéens seront emprisonnés pour raison politique durant son régime ), lui qui se fait désormais appeler "Osagyefo" ( "le Redempteur" ) et dont le parti, le CPP, devient le seul parti politique autorisé.

L'action du Conseil de Libération Nationale sera certes violente, eux qui dans une grande euphorie de dé-Nkrumahisation -arrestations, procès politique, envoi dans des camps, meurtres etc...- se mettent en tête de nettoyer le pays des partisans de l'ancien leader, mais leur but est aussi de restaurer une démocratie perdue...

Ils créeront un Centre Civique pour l'Education dont le but est "d'éduquer les membres du public sur leurs droits et devoirs au sein d'une démocratie" dès 1967. Ils lanceront une Commission pour une Constitution, dont les architectes visiteront différentes parties du pays afin de collecter des memoranda pour savoir quel type de Constitution le Ghana devrait avoir. Cette Constitution sera ensuite débattue au sein d'une Assemblée spéciale de 140 membres en 1968, aboutissant à la mise en place d'une Commission Electorale. Mai 1969 marquera un tournant décisif : le multipartisme est rétabli; seuls le CPP ou tout parti se réclamant de l'idéologie de Kwame Nkrumah seront interdits. 6 partis politiques se formeront alors et des élections seront organisées, au terme desquelles la victoire de Kofi Busia, leader du Parti du Progrès ( d'obédience libérale ) assurera la transition du pays d'un régime militaire vers un régime civil.
Après trois ans au pouvoir, le Conseil de Libération Nationale a donc bel et bien tenu sa promesse : les excès de l'Osagyefo semblent être un lointain passé...

Conclusion

"Dark Days in Ghana" se referme avec un sentiment mitigé. Son interprétation du coup d'Etat reste plausible; il s'agit bien, en tous cas, d'une contre-révolution dont les auteurs ont reçu le soutient des puissances néocoloniales. Ces dernières l'ont-elles organisé ? La question reste ouverte. Quoi qu'il en soit il était devenu un dictateur. Ses critiques des actions brutales du Conseil de Libération Nationale sont justes, elles ne doivent pourtant pas diminuer l'ampleur de ses propres crimes. La gouvernance militaire qui suit son renversement peut apparaitre comme étant une suite de "jours sombres", les dernières années de son régime l'étaient tout autant la différence étant que, malgré tout, cette gouvernance accouchera d'une démocratie. Où en serait le Ghana aujourd'hui s'il n'avait pas été renversé ? Cette question, elle aussi, reste ouverte.

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