Wellington's smallest victory de Peter Hofschroer

Wellington's smallest victory de Peter Hofschroer

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Histoire

Critiqué par Micharlemagne, le 24 juin 2008 (Bruxelles, Inscrit le 26 décembre 2006, 73 ans)
La note : 2 étoiles
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Un historien assis au milieu du gué

Le titre complet de cet ouvrage est : "Wellington's Smallest Victory ; The Duke, the Model Maker and the Secret of Waterloo"
Voilà un titre bien alléchant : allons-nous enfin connaître le secret de Waterloo ?
Disons-le tout de suite : le livre d’Hofschröer ne nous apprend rien sur la bataille de Waterloo en elle-même. Mais il met en lumière un personnage étrange et pourtant universellement connu : le capitaine William Siborne. Les connaisseurs et ceux qui fréquentent les bibliographies ne connaissent que cet officier britannique. Il est en effet l’auteur d’une « History of the War in France and Belgium in 1815 », parue à Londres en 1844 et qui sera constamment rééditée sous le titre « History of the Waterloo Campaign » à partir de 1848. Etrangement, cet ouvrage que la plupart des auteurs citent dans leur bibliographie n’a jamais été traduit en français.
Présentons rapidement le personnage. Fils d’officier, né à Greenwich en 1797, Siborne est un des rares officiers de l’époque à avoir suivi les cours d’une académie militaire. Il s’était spécialisé dans un domaine particulièrement complexe : la cartographie. A l’époque où il fut question de créer un « monument » en souvenir de la bataille de Waterloo, il eut l’idée de construire une grande maquette représentant l’un des moments cruciaux de la bataille : l’attaque de la moyenne garde impériale sur la ligne alliée le 18 juin 1815 vers 19.30 hrs. Bénéficiant des encouragements de l’état-major britannique, Siborne vint passer huit mois en Belgique et prit logement à la ferme de la Haie-Sainte, sur le site de la bataille même, afin de lever la topographie du terrain. Il commit pourtant une erreur qui allait déterminer tout le reste de sa vie : il négligea de demander à l’état-major un ordre de mission en bonne et due forme. De telle sorte que par la suite, il ne put jamais obtenir les crédits dont il avait besoin pour construire sa maquette.
Dans le cadre de cette critique, il est évidemment impossible de résumer toute l’histoire de cette maquette que l’on peut voir actuellement à l’Imperial War Museum de Londres. Que l’on retienne seulement ici qu'elle devint une véritable obsession pour Siborne et qu'il se ruina pour la terminer. Ce qui est intéressant, c’est que pour avoir les données les plus exactes possibles sur les événements du 18 juin à 19.30 hrs, il envoya un questionnaire à tous les officiers survivants de la bataille. Le questionnaire était très précis : « Où était votre unité ? Qu’avez-vous à 19.30 hrs ? » Mais voilà, demandez à un ancien combattant de raconter ses souvenirs et vous aurez droit à un récit long, détaillé, mais pas nécessairement très objectif. C’est exactement ce à quoi Siborne se vit affronté.
Parallèlement, Siborne tirait à toutes les sonnettes pour trouver des sous et n’en trouvait que bien peu. Il commit alors l'erreur - lourde de conséquences imprévues - de demander aux officiers dont il demandait le témoignage une petite contribution financière.
Bref, malgré toutes les embûches, un beau jour d’octobre 1838, la maquette fut inaugurée à l’Egyptian Hall de Londres. Le duc de Wellington dont l’avis avait été sollicité à de multiples reprises refusa d’aller visiter la maquette. Son entourage ne s’en était pas privé et il avait eu les plans de la maquette sous les yeux. Son commentaire fut aussi bref que tranchant : « Si vous voulez mon avis, tout cela, c’est de la foutaise… » Et la maquette de Siborne prêtait en effet à contestation. Notamment, il représentait les Prussiens ayant atteint la Papelotte, alors qu’à 19.30 hrs, une demi-heure avant l’assaut effectif de la garde, ils n’avaient pas encore atteint Smohain. En fait, Siborne, confronté à ses multiples témoignages, afin de ne vexer personne, mélangeait allègrement les heures et les faits. Lorsqu’il essaya de vendre la maquette à l’État, sachant que l’on demanderait certainement son avis au duc, il proposa même de retirer les deux tiers des figurines représentant les Prussiens. Cette platitude ne plut pas du tout au Duc de Fer…
La publication de son livre, qu’il espérait vendre assez pour payer ses dettes, suscita une admiration quasi universelle. En effet, chacun des officiers contributeurs pouvait y voir rapporter ses hauts faits dans les moindres détails. Et il faut reconnaître que la précision de Siborne est assez étonnante. Mais les officiers qui avaient refusé de contribuer au financement de la maquette n’y trouvèrent absolument pas leur compte… La troisième édition de l’ouvrage, en 1848, rectifiait certains faits de détails mais ne tenait pas compte des remarques générales des uns et des autres. Le résultat final, c’est que, comme pour la maquette, Siborne essaie de confronter ses témoignages contradictoires et qu’il ne parvient pas à en tirer une synthèse valable. Il fait comme un enfant qui voudrait faire un puzzle et qui, n’y parvenant pas, s’armerait de ciseaux pour découper les pièces afin qu’elles « rentrent ». Il n’empêche que l’ouvrage de Siborne fut considéré comme « fondamental » et que les historiens anglais ne tardèrent pas à le considérer comme la « Bible » de la bataille de Waterloo. A l’étranger, en Belgique et aux Pays-Bas notamment, il n’en alla pas de même. Siborne, toujours pour plaire à ses contributeurs, diminuait radicalement le rôle de leurs alliés pour mettre en valeur celui des Britanniquesi. Mais, en Angleterre, on ne tint jamais compte des remarques très documentées des officiers belges ou néerlandais qui avaient contesté Siborne qu’ils accusaient, sans ambages, de mensonge. Ce n’est que très récemment que les historiens britanniques ont commencé à rétablir les faits dans leur vérité. Malgré tout, l’ouvrage de Siborne a servi de bases à des nuées de livres sur la campagne de 1815.
Hofschröer, dans tous les ouvrages qu’il a publiés jusqu’ici, a contribué puissamment à ces mises au point. La thèse qu’il défend – et dont, sur le continent, personne ne doutait – se résume au titre de son premier ouvrage marquant : « 1815, The Waterloo Campaign ; The German Victory ». Le chauvinisme des Anglais – ils disent « jingoism » - s’accommodait fort mal de cette thèse… C’est ici que survient le dérapage. Hofschröer considère que, puisque Wellington n’est pas le seul vainqueur de la bataille, que cette idée ne plaît pas aux Anglais, Wellington aurait tronqué la vérité pour augmenter son rôle et diminuer celui de ses alliés. Or c’est faux. Dès son compte-rendu du 19 juin, le duc mettait en avant le rôle déterminant de ses alliés, Prussiens, Néerlandais ou autres, alors que rien ne l’y obligeait puisqu’il s’agissait d’un rapport britannique concernant l’armée britannique et destinés aux autorités britanniques.
Voilà donc Hofschröer assis au milieu du gué : d’une part, il veut prendre la défense du pauvre Siborne, malgré ses platitudes constamment aux prises avec la sourde hostilité du duc de Wellington – ce qui reste à prouver – mais, d’autre part, il est logiquement obligé aussi de défendre Siborne quand il réduit à rien – ou à fort peu – la contribution des alliés à la victoire. Le terrain est plus que glissant : il faudrait pouvoir concilier deux points de vue absolument inconciliables. Soit Wellington se décerne, et à lui seul, les palmes de la victoire et alors Siborne a raison ; soit Waterloo est une victoire allemande, et alors Siborne a tort.
Le livre dont nous parlons aujourd’hui est donc une erreur de Hofschröer. Il est clairement motivé par une hostilité transparente à l’égard de Wellington qui, quoi qu’il dise ou quoi qu’on lui fasse dire, aura toujours tort…
C’est bien dommage. Le livre de Hofschröer est très bien documenté, très bien écrit et fort plaisant à lire. Il donne un éclairage très intéressant sur la « Bible » de la bataille de Waterloo. Mais même un historien – nous ne galvaudons pas le terme – peut commettre une erreur de parcours : essayer de résoudre la quadrature du cercle.
De là, notre perplexité quant au nombre d’étoiles à donner. Une seule – par charité – pour le contenu et cinq pour le contenant…

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