Kiki de Montparnasse de José-Louis Bocquet (Scénario), Catel (Dessin)
Catégorie(s) : Bande dessinée => Légende, contes et histoire
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A tomber à la renverse !!!
J’avais bien entendu Juliette chanter les qualités d’une certaine Kiki de Montparnasse, mais je ne voyais pas de qui elle parlait… Un soir, lors d’un cocktail officiel, vous savez ces petits moments où l’on ne sait jamais s’il faut manger, s’asseoir ou parler, et où l’on finit par tout faire de façon imparfaite, Catel Muller, la co-créatrice de Lucie, me confie qu’elle est en train de travailler sur Kiki de Montparnasse avec José-Louis Bocquet… Je me dis alors qu’il est grand temps de savoir qui est cette femme… C’est dans un ouvrage de peinture, Artistes de Montparnasse, que je découvre quelques lignes qui m’ouvrent, que dis-je, m’entrouvrent la porte de la connaissance de Kiki. Mais c’est très succinct :
« Kiki est l’égérie de Montparnasse. Timide et gouailleuse à la fois, follement amoureuse de Man Ray, mais libre de ses nuits, Kiki était une figure de proue de toutes les fêtes de Montparnasse. Elle vivait entre les cafés et les ateliers où elle posait, modèle aux mille visages qui fit les belles heures de Foujita ou Kisling. Lee Miller disait d’elle : C’était une vraie gazelle, elle avait un teint extraordinaire sur lequel on pouvait mettre n’importe quel maquillage. »
Bien sûr, l’ouvrage proposait quelques illustrations dont quelques photos de Man Ray, cet homme dont elle était raide amoureuse. Je découvris ainsi Le violon d’Ingres, photo-collage de 1924 qui nous fait découvrir Kiki nue de dos…
Je savais qui était Kiki mais je ne voyais pas encore ce que Catel et José-Louis pourraient bien faire de ce destin de femme légère, de modèle… Mais je n’allais pas tarder à le savoir, car, un jour, je reçus cet ouvrage, Kiki de Montparnasse, une biographie en bédé au format roman dans la collection Ecriture de chez Casterman…
Dès la première planche, on est touché, saisi par le ton de la narration graphique. C’est sobre, efficace, ça sonne juste, ça nous parle au cœur, c’est pur, bouleversant… et nous faisons connaissance avec la mère de Kiki, au moment où elle s’apprête à accoucher… enfin, presque !
Kiki va grandir, enfin, on l’appelle encore Alice à cette époque… Catel a réussi à lui donner une âme, un corps, une vie, un mouvement, en simplifiant les traits mais en permettant de l’identifier tout au long de son cheminement terrestre, elle va prendre des ans, les traits la feront vieillir, mais on la connaît, on la reconnaît, enfin, on l’aime tout simplement…
C’est d’ailleurs une performance bien délicate pour la dessinatrice tant on a l’habitude dans la bédé de ne pas faire vieillir ses personnages. Là, c’est le contraire, chaque chapitre elle vieillit, 1901, 1911, 1913, 1916, 1918, … jusqu’en 1953, année de sa mort…
Le gros de cette biographie va nous plonger dans les années vingt, les années resplendissantes de Montparnasse mais de Kiki aussi. C’est toujours intéressant de lire un tel ouvrage car chaque fois que Kiki rencontre un personnage célèbre, et ils ne vont pas manquer, Catel le dessine et nous donne un avant goût de son travail, revu et corrigé par elle. Il s’agit donc d’un travail humain – un destin de femme exceptionnel – d’un livre historique – indiscutablement bien documenté – d’un ouvrage artistique – nous saurons tout des photographes et peintres de cette époque, du moins ceux qui sont passés par Montparnasse – et, enfin, d’un livre littéraire – Eluard, Aragon, Tzara, Breton, Desnos sont tous là pour nous ramener à ces textes que nous aimons tant…
Oui, j’ai été séduit par la vie de Montparnasse malgré ses excès, par ces artistes qui avaient souvent perdu le sens des réalités, par cette Kiki qui ne sut, tout au long de sa vie, que vivre à fond sans jamais prendre de précaution. Elle en mourra, alcoolique, droguée, sans voix, seule, abandonnée, sans le sou, mais en ayant toujours vécu libre sans se soucier du lendemain. J’ai aussi été fasciné par la qualité de ce récit, par la narration graphique, cet usage merveilleux du noir et blanc, par les informations distillées à bon escient, avec talent… Catel et José-Louis nous montrent qu’il est vraiment possible de faire du documentaire en bédé et je suis heureux de vous conseiller cet ouvrage magnifique, Kiki de Montparnasse !
L’ouvrage est complété par une chronologie complète et une série de petites monographies sur les acteurs les plus importants de la vie de Kiki… C’est parfait !
Les éditions
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Kiki de Montparnasse [Texte imprimé] dessin, Catel scénario, José-Louis Bocquet...
de Catel, Bocquet, José-Louis (Scénariste)
Casterman / Écritures (Bruxelles. 2002)
ISBN : 9782203396210 ; 18,50 € ; 22/03/2007 ; 374 p. ; Roman
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Les critiques éclairs (4)
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Un portrait haut en couleur
Critique de Nance (, Inscrite le 4 octobre 2007, - ans) - 15 janvier 2013
Biographie graphique de Kiki de Montparnasse, modèle et muse célèbre (entre autres), de la France d’entre-deux-guerres (1921-1939). Amie (et parfois amante) de plusieurs artistes bohèmes comme Man Ray, Tsugouharu Foujita, Chaïm Soutine, Tristan Tzara, Jean Cocteau, Moïse Kisling, Amedeo Modigliani, Ernest Hemingway...
La bande dessinée est romancée, mais je crois qu’il y a une grande documentation derrière. À la fin on retrouve la (longue) liste de tous les ouvrages consultés, ainsi qu’une chronologie fournie de la vie de Kiki, en plus de courtes bibliographies d’artistes que l’on croise dans le livre.
J’avoue qu’avant d’entamer la bande dessinée, je connaissais peu Kiki, à part les photographies connues « Le violon d’Ingres » et « Noire et blanche » de Man Ray, mais c’est sûr qu’après cette lecture, j’ai eu le goût de voir les peintures qu’elle a inspiré, ses toiles à elle, ses films, ses biographies... Ça m’a donné le goût d’en voir plus, aller plus loin. La bande dessinée la met en valeur dans son excentricité, c’est un personnage à qui on s’attache facilement. J’ai beaucoup aimé.
Un beau portrait de femme ! Et quelle femme !
Critique de Pucksimberg (Toulon, Inscrit le 14 août 2011, 44 ans) - 9 avril 2012
Grâce à elle, l'on découvre le Montmartre qu'elle a côtoyé. Kiki pose nue pour des artistes, chante des chansons grossières, séduit par son franc parler et par son physique. Elle sera la maîtresse de Man Ray qui l'a immortalisée dans ses plus célèbres photographies. Mais nous croisons aussi Foujita, Desnos, Picasso, Tzara, Hemingway, Modigliani, Soutine, Cocteau ... Le début du surréalisme est décrit avec précision, tout comme les divergences d'opinion qui ont opposé Breton, Desnos Tzara.
Cette BD se dévore et permet au lecteur de visualiser cette époque tout en la contextualisant. On est sous le charme et séduit par ces personnages qui échappent à toute entrave et qui explorent tous les sujets possibles.
Voilà une bande dessinée intelligente, qui mêle Histoire, peinture et littérature, une femme qui a fait de son corps une arme et une époque révolutionnaire sur le plan esthétique. Un très beau portrait de femme.
la bohême....
Critique de Hervé28 (Chartres, Inscrit(e) le 4 septembre 2011, 55 ans) - 10 septembre 2011
La vie de bohème
Critique de Stavroguine (Paris, Inscrit le 4 avril 2008, 40 ans) - 8 mai 2010
Kiki est une légende, quoiqu'un peu oubliée, mais que le fameux Violon d'Ingres de Man Ray - reproduit sur la couverture du livre - a inscrit dans les mémoires de tous les amateurs d'art, qui la regardent, dès lors, avec une certaine familiarité. Grâce à l'excellent roman de Bocquet et Muller, Kiki deviendra réellement une des nôtres : comme le tout Montparnasse des années 20, on craque littéralement pour cette fille au long nez, un peu dodue, ne correspondant pas tout à fait aux canons de beauté universels, même de l'époque, mais dont tout, absolument tout, séduit et sera sublimé tantôt par Man Ray et Fujita, tantôt ici, donc, par Bocquet et Muller.
On découvre donc Kiki - et on l'aime - dans sa petite province, enfant espiègle élevée par sa mémé et son tonton, loin d'un père absent et d'une mère partie goûtée aux affres la vie parisienne. Kiki la rejoint bientôt et est vite abandonnée elle-même, crève la faim dans les rues de Paris pendant la Première Guerre Mondiale. Le tournant arrivera d'ailleurs à la fin de celle-ci quand, errant dans les rues de Paris comme une âme en peine, sans le sou, elle refusera de se prostituer pour des soldats américains. Aux abois, elle se réfugie chez une amie, puis chez Chaïm Soutine, lui aussi sans le sou, qui s'affame dans son atelier puant le cadavre où il laisse pourrir des carcasses d'animaux pour les peindre plutôt que de s'en repaître. Pour Kiki, au-delà d'un toit, c'est un premier pas dans le monde de l'art et des nuits parisiennes qu'elle est encore bien loin d'imaginer. Car Soutine, homme introverti et misérable, est la porte d'entrée pour le grand Montparnasse : il lui présente d'abord un de ses amis - un certain Amedeo Modigliani - avec lequel il boit beaucoup. Puis, viendront Fujita et Man Ray dont elle sera la maîtresse et l'égérie et qui l'introduira dans les cercles dada : Tzara, Picabia, et surréaliste : Aragon, Breton, Elouard, Ernst.
Avec eux, Kiki vit les nuits folles de l'entre-guerre, entre coco et alcool, dans les cabarets montparnassois et les lofts d'artistes. Elle boit, elle chante, elle danse, elle aime Man Ray, elle baise, elle rencontre l'élite intellectuelle de l'époque à la Rotonde, elle pose pour la fine fleur de l'art de l'entre-guerre qui l'immortalise et font tous de son corps leurs plus beaux chefs-d'oeuvres. Ce sont les années folles et elles durent pour Kiki jusqu'à la guerre, quand un Man Ray un peu trop juif pour l'occupant doit repartir vers ses Etats-Unis avec Lee Miller (la relation avec Kiki s'est terminée lorsqu'elle l'a abandonné pour Broca). Quand ils se reverront, après guerre, ils auront vieilli et Kiki, la reine de Montparnasse, aura depuis longtemps perdu son trône, sa voix et son argent. Obèse et alcoolique, elle meurt oubliée de tous - la plupart l'ont précédée - sauf d'un Fujita en pleurs.
L'ouvrage de Bocquet et Muller raconte magnifiquement tout cela, nous plonge dans le tourbillon de ces années folles où Paris était, pour tout le monde, the place to be . Il prend le temps de nous présenter tous les personnages qu'elle rencontre dans des monographies auxquelles on se reporte avec plaisir tant on est heureux de (re)découvrir ces peintres et ces intellectuels qui ont contribué à donner à Paris son aura dans le monde de l'art et de la culture. C'est un véritable bonheur de les croiser, d'être mêler, le temps d'un livre, à ce bouillonnement, cette effervescence. C'en est un plus immense encore de le faire aux côtés de Kiki !
Quand, avec regret, on referme le livre, on a passé un superbe moment, on a appris quantité de choses (faut-il insister sur l'excellent travail de documentation sur lequel repose le projet tout entier ?) et, surtout, on court se plonger dans les catalogues d'expositions et les ouvrages consacrés au courant dada, à Man Ray, à Modigliani, à Fujita, à Soutine. C'est un signe qui ne trompe pas : indéniablement une grande réussite !
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