Le labyrinthe belge de Geert Van Istendael

Le labyrinthe belge de Geert Van Istendael
( Het Belgisch labyrint)

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Economie, politique, sociologie et actualités

Critiqué par Mieke Maaike, le 24 septembre 2006 (Bruxelles, Inscrite le 26 juillet 2005, 51 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 10 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (3 748ème position).
Visites : 5 175  (depuis Novembre 2007)

La Belgique expliquée aux étrangers

Comment définir et expliquer ce phénomène particulier qu’est la Belgique, son histoire complexe, sa situation linguistique abracadabrante, ses institutions surréalistes, ses courants philosophiques inextricables mais aussi toutes les petites choses qui fondent la particularité du Belge ? C’est le défi que relève Van Istendael avec brio, humour et une bonne dose d’autodérision.

D’abord un long chapitre « Histoire », ou plutôt « Histoires » tant les faits historiques qui jalonnent le passé de la Belgique depuis le 16ème siècle sont revus et corrigés au gré des revendications politiques, courants nationalistes et dérives identitaires. Il y a bien sûr la question linguistique qui voit notre pays osciller d’une domination francophone à une tentation revancharde flamande, mais aussi son passé colonial, le poids du catholicisme ou encore la méfiance viscérale des Belges à l’égard de toute forme d’autorité, parfois pénible en temps de paix, mais qui a fortement compliqué les manœuvres de l’occupant nazi pendant la seconde guerre mondiale, y compris leurs plans de déportation des juifs, parce que tous juifs qu’ils étaient, ils en étaient néanmoins Belges : « Ainsi, lors du seizième convoi de 999 juifs qui part de la caserne Dossin de Malines en direction de la Pologne, 177 s’échappent. Lors du vingtième, c’est au total 231 juifs sur les 1631 qui arrivent à prendre la poudre d’escampette. Les déportés ont introduit subrepticement dans les wagons des burins, des pieds-de-biche et autres outils qu’ils ont emportés de Malines. Mais avant même qu’ils ne commencent à forcer les portes des wagons, ils reçoivent une aide inattendue. Trois jeunes gars d’une vingtaine d’années attaquent inopinément le train au plus noir de la nuit, près du village de Boortmeerbeek. Ils sont venus à bicyclette de Bruxelles. Armés en tout et pour tout d’un revolver pour trois, ils parviennent à libérer quinze juifs. Ces trois hommes s’appellent Robert Maistriau, Jean Franklemon et Georges Livschitz. Plus tard, les Allemands arrêteront et fusilleront Livschitz. L’attaque de Boortmeerbeek est la seule et unique attaque d’un transport de juifs dans toute l’Europe ».

Vient ensuite l’analyse détaillée de la complexe et surréaliste situation linguistique : les trois langues officielles, Bruxelles bilingue mais dont un tiers de la population est étrangère, la frontière linguistique tracée en 1962, les communes à facilités, les Fourons, les tentations communautaires, l’architecture institutionnelle aux sept parlements et gouvernements, tout cet imbroglio pas toujours clair pour les Belges, mais totalement incompréhensible pour les étrangers, que l’auteur parvient néanmoins à expliquer simplement et avec beaucoup d’humour.

Le livre aborde enfin une série de spécificités belges qui cette fois rassemblent les Belges que tant de choses semblent séparer : ce sens de l’architecture aux maisons démesurées, leur fameuse « brique dans le ventre », leur coté bon-vivant, mais aussi leur profonde tolérance. Et de relever que le chef de file des socialistes wallons, homme politique actuellement incontournable, est pourtant « fils d’un mineur italien immigré, ouvertement homosexuel de surcroît », situation qui en dissuaderait plus d’un de se lancer en politique dans beaucoup de pays. Ajoutons encore ce sens inné du compromis et la façon abracadabrante dont le pays apaise les tensions religieuses, jusqu’à en prévoir un enseignement spécifique dans chaque école (dont il existe quatre réseaux…) : « Si un seul élève de l’école demande un cours de religion protestante, aucun problème : le pasteur est déjà en route. Il n’est même pas nécessaire d’adhérer à l’idéologie demandée : aucun contrôle ne peut être effectué. Ma fille a demandé un rabbin, et elle a obtenu un rabbin, tous accessoires compris : chapeau noir, anglaises et légendes hassidiques, et nous sommes pourtant de véritables goïm ».

Van Istendael est sociologue et philosophe. Il est également présentateur vedette du journal télévisé flamand, romancier, poète, essayiste et traducteur de Goethe, Heine et Bertolt Brecht.

La première version néerlandaise du « Labyrinthe belge » était destinée aux Hollandais. Avec cette traduction réactualisée, l’auteur vise les lecteurs français. Mais vu son foisonnement d’informations, la multiplicité de clins d’oeil et toutes les petites nuances liées au point de vue d’un flamand critique mais néanmoins profondément amoureux de la Belgique, ce livre est également particulièrement savoureux et intéressant pour les Belges. Incontestablement un coup de cœur.

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Un ouvrage très intéressant sur la Belgique

10 étoiles

Critique de VLEROY (, Inscrit le 9 janvier 2006, 45 ans) - 27 décembre 2009

Au cours des premiers chapitres, l'écrivain Geert Van Istendael (né à Uccle en 1947) revient sur l'histoire de notre pays, et s'attarde longuement sur la première et la deuxième guerres mondiales. Il fait remarquer : "Depuis la conquête de nos provinces par les Espagnols, depuis la fin du XVIème siècle donc, nos lois nous arrivaient de villes lointaines, inconnues et insolites, comme Madrid ou Vienne. C'est le sort historique que Flamands et Wallons ont partagé, ce qui explique en partie pourquoi personne n'est plus semblable au Wallon que le Flamand, et vice-versa".

Il prend ensuite la défense des Flamands qui se sont battus pour la reconnaissance du néerlandais, et des soldats qui ne comprenaient pas, durant la première guerre mondiale, les ordres donnés en français par des officiers francophones.

Mais Geert Van Istendael souligne : "Le mouvement flamand s'est inventé un passé exagérément romantique, qui s'appuie sur la période, glorieuse mais courte, du comté de Flandre au XIVème siècle. C'est de là, en réaction à l'Etat belge et francophone, qu'est né le concept de la Flandre, à laquelle appartiennent, au mépris total de l'histoire, le Brabant et le Limbourg : avant 1830, la chose aurait été totalement incompréhensible. La Flandre est donc un dérivé de la Belgique (...) L'idée de Wallonie est à son tour une réaction. La Wallonie est l'effet secondaire d'un dérivé. Le nom de Wallonie pour la partie francophone de la Belgique (sans la partie francophone de Bruxelles) a été trouvé en 1842 par le poète populaire namurois Joseph Grandgagnage".

L'auteur explique ensuite (en défendant le point de vue flamand) la frontière linguistique, les communes à facilité, les différences entre le flamand et le néerlandais, la multiculturalité et la francisation de Bruxelles. Puis, il rend hommage à l'histoire industrielle et à la culture wallones, et rappelle qu'il a écrit un recueil de poésies sur son amour du Borinage! Dans les derniers chapitres, Geert Van Istendael nous présente la peu connue communauté germanophone de Belgique, les différentes institutions, les partis, les syndicats, ainsi que l'évolution du rôle de la religion au sein de notre société.

Ce livre bien écrit et très intéressant permet de mieux comprendre la complexité du "labyrinthe belge" d'une part, et d'avoir le point de vue d'un Flamand modéré d'autre part. Bravo à l'éditeur qui a eu la très bonne idée de le faire traduire en français.

Je laisse le soin de conclure à Geert Van Istendael :
"La Belgique, c'est un modèle de l'Europe en miniature. La Belgique, c'est le terrain où le nord se heurte au sud, où l'élément latin rencontre l'élément germanique, où l'on se rend compte que ces rencontres ne sont pas du tout évidentes. La Belgique parvient à organiser le rapport de forces qui est inévitable entre les langues et les cultures. La capitale de la Belgique est aussi une des dernières villes bilingues qui nous restent en Europe. Je suis très attaché à la Belgique, ce pays imprévisible, légèrement chaotique, maladroit, attendrissant, parfois moche, parfois sublime, ce pays toujours un peu fou. Si la Belgique disparaît, un signal d'alerte clignotant perpétuellement disparaîtra. L'existence en soi de la Belgique est un avertissement. Voyez comme c'est difficile, la rencontre entre langues et cultures. Voyez aussi comme c'est passionnant. L'Europe sera belge ou ne sera pas".

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