Le Roi est mort, vive... Mithra?

Dans ce deuxième volume de la trilogie qui nous est proposé par Pierre Bordage, les événements se précipitent : Louis XVI a été exécuté et le couperet de la guillotine tombe avec une effrayante régularité sur le cou de tous les malchanceux pris par la Sûreté Générale. Les premiers mois de la République sont ensanglantés, violents, injustes et il ne fait pas bon afficher une trop grande réserve quant à la légitimité des droits de la nation.
C’est au milieu de ce chaos qu’arrive Milo à Paris, transporté par le cheval Mallet, bête prodigieuse surgie des contes et légendes de Vendée, du monde invisible pour être plus précis, ce monde que la Raison, d’un côté, et la Foi, d’un autre côté, ont contribué à faire disparaître de l’esprit des gens. Ce monde caché se meurt et Milo est l’un de ses derniers messagers.
Le citoyen Belzébuth, lui, toujours envoûté par la sorcière vaudou, se sert de l’ambiance mortelle de la capitale pour proférer ses crimes toujours plus odieux. Ses relations au sein des diverses factions qui s’affrontent lui permettent d’échapper à la mort et de continuer à la donner sous couvert de légalité républicaine.
Dans toute trilogie, le second volume se doit d’être le plus prenant, le premier étant une introduction et le dernier un dénouement ; il s’agit donc pour l’auteur de lier le tout grâce à ce second épisode qui, s’il est raté, échoue à relancer l’intérêt du lecteur.
Ici, Bordage excelle à nous présenter cet ogre affamé qu’est le Paris de 1793. L’ombre tutélaire et charismatique de Robespierre, qui n’est depuis le début que cité mais jamais mis en scène, couvre toutes les bassesses des révolutionnaires. L’époque y est décrite avec une grande lucidité : impitoyable pour les faibles, les sans appui, les tenants de l’Ancien Régime, pour ceux qui doutent ou qui critiquent. Bref, il n’y a rien de glamour ici et le patriotisme possède cet arrière-goût répugnant du despotisme attentivement absent de nos manuels d’histoire.
Le culte de Mithra, ce Mal qu’on suppose absolu, étend encore ses ramifications et l’on sent l’affrontement entre ce culte, Milo et Emile sur le point de trouver un dénouement tragique.
Dans ce volume, l’auteur a moins l’occasion de mettre en avant son savoir-faire concernant le travail de la langue parlée. L’action se déroulant à Paris, la reconstitution du parler vendéen n’est plus nécessaire. Ce sont donc d’autres phrases qui fondent le récit. Si l’accent de l’Ouest de la France disparaît, celui qui le remplace, celui des faubourgs malpropres et dangereux, se révèle aussi rugueux et plus inquiétant. Le texte est sourd de sous-entendus, de demi- mots, de promesses et de menaces cachées. Un monde de faux semblants emplit l’espace parisien et le peuple n’est qu’une bouche vorace assoiffée de rengaines révolutionnaires et de sang de « traitres » à la patrie.
Les patriotes d’aujourd’hui pouvant très bien se retrouver les traîtres du lendemain…
Enfin, Bordage nous met à l’épreuve en mettant devant nos yeux des personnages secondaires à l’intrigue pour lesquels il est difficile de ne pas éprouver de sympathie et qui semblent voués à subir un sort funeste. Puis, au détour d’un paragraphe surgit, en chair et en os, le colonel Alexandre Dumas, futur maréchal napoléonien à la langue bien pendue, dont on devine, dont on espère, une participation active dans le troisième volume qui s’annonce particulièrement tragique et sanglant.
Bref, un plat de résistance riche en rebondissements et péripéties porté par une description de tous les instants de ce Paris disparu, plein de feu et de fureur pas très éloigné du Ventre de Paris d’Emile Zola.

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  L'enjomineur [Texte imprimé] Pierre Bordage illustrations intérieures de Vincent Madras

  de Bordage, Pierre Madras, Vincent (Illustrateur)
  l'Atalante / La Dentelle du cygne
  ISBN : 9782841723188 ; 20,00 € ; 28/10/2005 ; 409 p. ; Broché

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  L'enjomineur [Texte imprimé] Pierre Bordage

  de Bordage, Pierre
  J'ai lu / J'ai lu
  ISBN : 9782290015247 ; 8,50 € ; 14/04/2010 ; 475 p. ; Poche

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