La tyrannie du plaisir de Jean-Claude Guillebaud
Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Psychologie
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l'optimisation corporelle
“La tyrannie du plaisir” aurait pu faire l’objet de trois livres distincts. S’il parle, de manière générale, de la manière de vivre la sexualité à travers les évolutions de la société, il emprunte plusieurs point de vue qui subdivise le bouquin en trois parties, qui auraient pu, en fait, faire l’objet d’autant de livres distincts.
Passons rapidement sur la relecture de la sexualité dans l’Histoire, de l’Antiquité souvent encensée pour sa permissivité en passant par le Moyen Age ou sous le joug des principaux monothéismes. Résumons : l’Antiquité c’était pas aussi jojo qu’on pourrait le croire et le Moyen-Age pas aussi obscur. Quant au christianisme, il n’a fait qu’emprunter à la société dans laquelle il se développait et il était généralement plus coulant sur les mœurs déviants que les juges ou les bourgeois qui se réclamaient de lui.
Passons sur la dernière partie qui suit un fil rouge assez ténu pour nous attaquer à ce qui a quasiment monopolisé mon attention : l’évolution de la sexualité après Mai 68. Artificiellement, faisons démarrer l’ère moderne du sexe à cette date. Tant de choses ont été dites et écrites sur Mai 68 qu’on ne va pas s’étendre ici sur le sujet. Mai 68, la révolution, y compris sexuelle. Autour de la figure de Wilhelm Reich, la lutte s’organise contre l’ordre bourgeois qui contrôle le peuple et contient son énergie sexuelle pour mieux l’utiliser aux tâches de production. Autant de théories fantaisistes qui sont le moteur d’une révolution qui traverse les décennies en essayant de maintenir artificiellement l’idéal de la lutte. Mais que reste-il quarante ans après ? Tout le monde le sait : rien ! Peut-être l’idéal de l’affranchissement de la sexualité puisque toutes les autres utopies se sont depuis longtemps cassées la gueule. Mais la lutte pour la libération sexuelle a depuis longtemps été récupérée par le capitalisme. Le commerce du sexe est devenu une industrie florissante et chacun se trouve maintenant devant une obligation immatérielle : l’obligation de jouir et de faire jouir, ordre tyrannique aux services lourdement monnayés, bien loin des idéaux d’antan. Du pain béni pour les sexologues, nouveaux venus qui tentent de faire croire que les sexualités non axées sur la rentabilité du sexe sont des sexualités dysfonctionnelles.
Bref, Jean-Clause Gillebaud n’est pas content et on acquiesce d’assez bonne grâce pour dire qu’effectivement il a raison.
Reste le leitmotiv qui traverse à peu près tout le bouquin : la société moderne s’est fourvoyée et ne veut plus voir que son point de vue est partial et attaché… à l’époque. Une société moderne qui à force de rationnaliser la sexualité en a évacué tout plaisir (à ce sujet, on fera plus volontiers correspondre l’ère moderne du sexe au rapport Kinsey sur la sexualité des Américains.) Reste l’obligation de « consommer », de réaliser des « performances » avec autant d’ « indicateurs de performance » (le nombre d’orgasmes à l’heure ?). Un vocabulaire qui va bien au monde marchand, tout individu se trouvant à la tête d’une entreprise personnelle d’optimisation de son corps et de ses plaisirs.
Une bien triste fin, en somme, que la société actuelle perçoit confusément mais n'est pas apte à résoudre.
On l’aura compris, “La tyrannie du plaisir” est une démonstration impressionnante d’érudition et un essai intéressant. Novateur ? Je ne sais pas, car enfin il suffit de regarder la télévision pour se rendre compte que la fesse et le cul, voire les parties génitales, sont maintenant descendues sur la place publique. (Ou dans mon cas dans les salles de fitness, optimisation du corps oblige).
Les éditions
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La tyrannie du plaisir [Texte imprimé] Jean-Claude Guillebaud
de Guillebaud, Jean-Claude
Seuil / Points (Paris).
ISBN : 9782020380843 ; 7,90 € ; 03/02/2000 ; 486 p. ; Poche
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