LQR : La propagande du quotidien de Éric Hazan
Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Economie, politique, sociologie et actualités
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La langue du pouvoir
Curieux petit bouquin qui dénonce avec virulence une langue nouvelle destinée à dissimuler les enjeux sociaux. La mise en cause du monde de la politique, de l’économie, de la publicité et de la presse est telle que l’ouvrage heurte de front tous les faiseurs d’opinion. Un journal comme « Le Monde » aura des mots assez durs pour en dire du mal ; c’est que ce quotidien n’est pas épargné par l’argumentaire évidemment.
On trouve des choses un peu attendues, mais fort bien dites et toujours utiles à rappeler : les « restructurations » sont en fait des licenciements, les « partenaires sociaux » ne sont pas des partenaires comme au tennis dans la mesure où leurs intérêts sont assez largement antagonistes, les « privatisations » jouent sur l’idée positive de ce qui appartient en propre alors qu’il s’agit de prendre un bien qui appartient en propre à la collectivité pour le remettre à des individus, etc. Tout ça n’est pas très nouveau en effet.
On trouve aussi des passages d’un réjouissant parti pris (enfin, aux yeux de certains…). Par exemple, celui-ci (que les banquiers du site me pardonnent : on peut dire la chose sans la souhaiter personnellement à qui que ce soit) : « (…) la crise de 1929, si paradigmatique qu’on l’appelle encore parfois ‘la Crise’, fut un moment d’exception où l’on vit des banquiers sauter par les fenêtres – ce qui ne s’est malheureusement jamais reproduit ».
Ou bien :
« La mère de toutes les crises actuelles, la crise économique, dure depuis le début des années 1970 avec des fluctuations toujours expliquées par les turbulences d’un élément fondamental, la croissance. La croissance sera-t-elle au rendez-vous ou pas ? Les experts qui s’expriment sur cette question ont le sérieux des augures romains examinant des entrailles ».
L’auteur ajoute qu’un des intérêts de la croissance est que c’est une contrainte extérieure à laquelle on ne peut rien. Les effets sont censés n’épargner personne. Et ce serait un peu mesquin de rappeler que la croissance française a été de 0,6% en 2003 mais que les patrons ont vu leurs salaires augmenter de 10,3% sur l’année.
On a aussi de plus en plus recours aux grands mots creux (totalitarisme, fondamentalisme, mondialisation), « notions molaires comme disait Deleuze, propres à en imposer aux masses – par opposition aux outils moléculaires faits pour l’analyse et la compréhension. »
Le passage sur la « société civile » m’a paru lui aussi particulièrement pertinent. Elle est très en vogue cette « société civile », toujours représentée comme honnête, efficace, désintéressée. Le succès du concept accompagne avec bonheur les thèses libérales allant dans le sens d’un « moins d’Etat ». J’ai envie d’ajouter : et, comme il n’y a plus d’opposition politique véritable, mais des variations subtiles sur le thème de l’économie de marché, on fabrique une opposition imaginaire et peu dangereuse, la société civile.
Les classes sociales ont disparu du langage, remplacées par des couches sociales, des tranches d’âge ou de revenus, des catégories socio-professionnelles. Il faut occulter tout ce qui pourrait laisser penser à des antagonismes.
Le prolétariat et la classe ouvrière ne sont plus là. Les opprimés et les exploités non plus. Dorénavant, ceux qui vivent dans la misère sont de simples exclus : « Le remplacement des exploités par les exclus est une excellente opération pour les tenants de la pacification consensuelle, car il n’existe pas d’exclueurs identifiables qui seraient les équivalents modernes des exploiteurs du prolétariat ». Les exclus ne sont les victimes de personne, même s’il faut prendre en compte leur souffrance parce qu’ils sont des humains. La lutte contre l’injustice est remplacée par la compassion, et la lutte pour l’émancipation par les processus de réinsertion et l’action humanitaire.
Allez, vous voyez bien que tout va bien bonnes gens, nous sommes tous frères, riches et pauvres, dominants et écrasés, nous sommes des humains après tout. Depuis John Rawls, on ne parle même plus d’égalité mais d’ « équité ». Vous sentez bien à quel point cette dernière s’accommode merveilleusement d’écarts de richesse et de pouvoir vertigineux.
Les éditions
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LQR [Texte imprimé], la propagande du quotidien Éric Hazan
de Hazan, Éric
Raisons d'agir éd. / COURS/TRAV.
ISBN : 9782912107299 ; 8,00 € ; 02/02/2006 ; 122 p. ; Poche
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Langue de p...
Critique de Radetsky (, Inscrit le 13 août 2009, 81 ans) - 5 octobre 2011
Une étymologie possible du mot "diable" peut se lire ainsi : celui qui a deux visages, celui dont on ne sait jamais s'il ment ou s'il dit vrai, celui dont il est impossible de déceler à un instant donné s'il est là ou non, s'il est votre ami ou votre ennemi, et qui se dérobe à la raison comme au sentiment.
La langue du travestissement, du mensonge, de l'ellipse, de la restriction mentale habillée des oripeaux de la bonne grosse "évidence", voilà ce qu'on nous jette en pâture, voilà véritablement la langue du diable.
Hazan, comme Klemperer, met l'accent sur certaines déclinaisons, sur certains dérivés de ce toxique multiforme, sa lecture est nécessaire, tout comme celle des auteurs cités plus haut.
En voici un autre exemple sur CL :
http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/28075
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